Mère
l'Agenda
Volume 5
Qu'est-ce qu'il y a de nouveau?
C'est toi qui devais trouver quelque chose. Tu avais dit que tu chercherais la cause de ces sortes d'évanouissements?
Il y a quelque chose d'intéressant (pas les évanouissements!). Tu sais que Z a commencé un yoga dans le corps (je ne lui ai rien demandé, elle l'a fait spontanément), et elle m'a écrit ses premières expériences, et il y avait des constatations tout à fait similaires à celles que j'avais faites et d'une exactitude qui m'a intéressée – je l'ai encouragée. Elle continue. Je n'ai pas le temps de lire ses lettres: elles sont là et s'accumulent. Mais ce que j'ai trouvé très intéressant, c'est que hier, on m'a lu une lettre écrite par un écrivain anglais (une femme): elle a un petit groupe là-bas, ils méditent ensemble, et ils avaient une espèce de gourou indien (je ne sais qui), qui leur apprenait à méditer. Puis ils ont rencontré les écrits de Sri Aurobindo et ils ont commencé à étudier et à suivre ses indications en tâchant de comprendre, et voilà que (il y a de cela à peu près un an), dans leur méditation, au lieu de faire l'effort d'ascension pour éveiller la Koundalini et s'élever vers les hauteurs, tout d'un coup la Force – le Pouvoir, la Shakti – a commencé à descendre de haut en bas. Ils ont prévenu leur gourou, qui leur a dit: «Très mauvais! Très dangereux, arrêtez ça, il va vous arriver des choses épouvantables!» Il y a de cela à peu près un an. Ils n'étaient pas très sûrs que le Monsieur avait raison et ils ont continué, et ils ont eu de très bons résultats. Et alors, hier, cette femme a écrit en notant en détail leurs expériences – presque les mêmes mots que Z! Ça commence à être intéressant. Parce que cela représente une impersonnalisation de l'Action, c'est-à-dire qu'elle ne se traduit pas subjectivement suivant chaque individu: elle a une façon d'agir.
J'ai été très contente, je lui ai écrit un mot pour la féliciter.
Et je m'aperçois par des lettres que je reçois, par des réflexions que l'on me fait, que vraiment l'Action se généralise sur toute la terre, et avec des effets analogues (une petite coloration suivant les individus, mais ce n'est rien), des effets analogues. Et c'est toute une discipline, une sâdhanâ du corps – pas mentale: du corps. Alors c'est concret.
(silence)
Il y a ce phénomène: dès que l'organisme physique, avec sa cristallisation et ses habitudes, est mis en présence d'une expérience nouvelle sans être prévenu soigneusement à l'avance: «Maintenant, fais attention, c'est une expérience nouvelle»! – il a peur. Il a peur, s'affole, s'inquiète. Ça dépend des gens, mais, au minimum, chez les plus courageux et ceux qui ont le plus confiance, ça crée un malaise – ça commence par une petite douleur ou par un petit malaise. Il y en a qui, immédiatement, ont peur; alors tout est fini: l'expérience s'arrête, c'est à recommencer; il y en a (comme ces Anglais dont je parlais ou comme Z) qui tiennent le coup et observent, attendent, et alors lentement les effets «déplaisants», pourrait-on dire, s'atténuent, s'arrêtent et se transforment en quelque chose d'autre, et l'expérience commence à prendre sa valeur ou sa couleur propre.
Ces sortes de vertiges dont je t'avais parlé l'autre jour, j'ai observé (ça a continué toute la journée), et j'ai vu (vu avec la vision interne): c'est comme le parcours – quelquefois aussi rapide qu'un éclair, quelquefois lent et très pondéré – d'une force qui part d'un point pour atteindre un autre. Cette force suit un itinéraire précis, qui n'est pas toujours le même et qui semble inclure certaines cellules sur son chemin: point de départ et point d'arrivée (Mère dessine une courbe). Si l'on n'est pas sur ses gardes, que l'on est pris par surprise, durant le trajet (plus ou moins long) on a la même sensation («on», c'est le corps), la même sensation qu'avant l'évanouissement: c'est le phénomène qui précède l'évanouissement. Mais si l'on est attentif, que l'on reste tranquille et que l'on regarde, on voit que ça part d'un point, ça arrive à un autre point, et puis c'est fini – ce que cette force devait faire a été fait, et il n'y a aucune conséquence apparente dans le reste du corps.
J'ai mentionné (pas avec autant de détails) le fait au docteur, et pas dans l'espoir qu'il saurait mais parce que (c'est amusant), quand je lui parle, il essaye de comprendre, n'est-ce pas, alors il y a le miroir de sa connaissance mentale, et dans ce miroir, je trouve quelquefois la clef! (riant) tu comprends, la clef scientifique de ce qui se passe.
En effet, c'est après lui avoir parlé (j'en avais parlé comme d'une espèce d'étourdissement) que j'ai pu percevoir d'une façon précise ces «itinéraires». Je me suis demandé si ce n'était pas la projection, sur un écran grossissant, de phénomènes qui se passent entre différentes cellules du cerveau? parce que ces sortes d'étourdissements suivent toujours (aujourd'hui il n'y a rien du tout), ils suivent toujours un moment ou une journée d'intense aspiration à la transformation du cerveau. C'est peut-être cela... Tu sais, il y a des accrochages là-dedans, entre toutes ces cellules du cerveau, et si ces «accrochages» sont dérangés, généralement les gens deviennent loufoques; et cela m'a fait l'effet d'une projection grossissante afin que je puisse suivre les connexions établies entre certaines cellules du cerveau, pour que le fonctionnement ne soit plus le fonctionnement automatique semi-conscient de l'ancien état et que le cerveau devienne vraiment l'instrument de la Force supérieure. Parce que la formule de mon aspiration est toujours: «Seigneur, prends possession de ce cerveau», et c'est toujours après cette intense aspiration que ces sortes de phénomènes se produisent. Alors c'est pour que le cerveau se prépare à être l'expression directe de la Force supérieure.
Voilà ce que j'ai appris ces jours-ci.
J'ai aussi noté quelque chose, une expérience de ce matin. Ça a duré une demi-heure, et pendant cette demi-heure... (Mère cherche ses notes parmi une série de petits bouts de papier)... Tu sais que les gens qui ont une révélation, tout d'un coup leur état de conscience change, et à ce moment-là, ils ont l'impression que tout est changé; puis, le moment d'après, ou plus ou moins longtemps après, ils s'aperçoivent que tout le travail... (comment dire?) d'élaboration est à faire; que c'était seulement comme un éclair de plus ou moins longue durée et qu'il faut le work it out, il faut que ça s'élabore par un processus de transformation. C'est l'idée habituelle.
Et tout d'un coup, j'ai vu: ce n'est pas cela du tout! Quand ils ont l'expérience, au moment de l'expérience, c'est la chose elle-même, la perfection elle-même qui est atteinte, et ils sont dans un état de perfection, et c'est parce qu'ils en sortent qu'ils ont l'impression qu'il faut lentement se préparer pour arriver au résultat... Je ne sais pas si je m'exprime bien, mais ma notation était ainsi: la perfection est là, toujours, coexistante avec l'imperfection – perfection et imperfection sont coexistantes, toujours, et non seulement simultanées mais au même endroit (Mère colle ses deux mains l'une contre l'autre), je ne sais pas comment dire – coexistantes. Ce qui veut dire qu'à n'importe quelle seconde et dans n'importe quelles conditions, vous pouvez atteindre à la perfection: ce n'est pas quelque chose qu'il faut acquérir petit à petit par des progrès successifs; la perfection est là, et c'est vous qui changez d'état, de l'état d'imperfection à l'état de perfection; et c'est la capacité de rester dans cet état de perfection qui croît pour une raison quelconque et qui vous donne l'impression que vous devez vous «préparer» ou vous «transformer».
C'était très réel et très concret.
(Mère donne le texte de sa note:)
«La perfection est là, coexistante avec l'imperfection, et peut être atteinte à tout moment.»
Oui, ce n'est pas quelque chose qui devient: la perfection est un état absolu que l'on peut atteindre à n'importe quel moment. En anglais, j'ai mis comme cela:
The perfection is there coexistent with the imperfection and attainable at each and any moment
Et alors, la conclusion est très intéressante (Mère cherche un autre petit bout de papier)... N'est-ce pas, je t'ai dit que pour la conscience du corps, le problème qui reste difficile à résoudre, c'est cette notion (pour moi, c'est devenu seulement une notion, ce n'est pas une vérité) de la préexistence de toute chose: de l'état dans lequel tout EST, même dans son déroulement... Tu comprends, ce serait comme si tous les POINTS du déroulement étaient préexistants.
J'ai été sur le seuil d'une compréhension (d'une «compréhension»: je ne parle pas d'une compréhension mentale, je parle de l'expérience du fait). L'expérience du fait, c'est l'expérience de la coexistence de l'état statique et de l'état de développement – de l'état statique éternel et de l'état de déroulement éternel (indéfini plutôt, pour ne pas employer le même mot). Et alors, à ce moment-là, il y a eu la vision (Mère tend une note):
«Quand la vérité se manifeste, la vibration mensongère disparaît...
Disparaît, elle est ANNULÉE (c'est «annulé», le mot).
«... comme si elle n'avait jamais existée, devant la vibration de vérité qui la remplace. C'est la base réelle de la théorie de l'Illusion.»
Oui, j'ai tout d'un coup compris ce qu'ils voulaient vraiment dire quand ils ont dit que le monde physique tel qu'il est, est illusoire.
On ne peut dire que c'est illusoire que si ça n'a pas d'existence durable, n'est-ce pas. Et cette expérience-là – que j'ai vue, sentie, vécue –, c'est que la vibration de vérité littéralement ANNULE la vibration de mensonge, qui n'existe pas – elle n'existait qu'illusoirement pour la conscience mensongère que nous avons.
Je ne sais pas si je me fais comprendre, mais c'est très intéressant.
Ce n'est pas le monde qui est illusoire, c'est la perception...
C'est la perception du monde qui est illusoire – la perception du monde, la perception que nous en avons qui est illusoire. Le monde a une existence concrète, réelle, dans ce que l'on peut appeler la Conscience de l'Éternel. Mais nous, la conscience humaine a une perception illusoire de ce monde.
Et au moment où la Vibration de Vérité triomphe, on voit, on a le sens de la réalité vraie du monde; et justement, immédiatement cette perception illusoire disparaît: elle est annulée.
Ce qui fait que leur façon de dire ou de penser ou de comprendre que «tout ce qui est existe de toute éternité» n'est pas... ce n'est pas «tout ce qui est» tel qu'ils le voient et le conçoivent, ce n'est même pas le principe de tout ce qui est, c'est... c'est la Vérité UNE qui est éternelle, et le déroulement... C'est difficile à dire... Le déroulement suit une loi et un processus qui sont tout différents de ce que nous concevons ou de ce que nous percevons.
C'est encore la même chose: la Vérité est là, le Mensonge est là (Mère colle ses deux mains l'une contre l'autre); la perfection est là, l'imperfection est là (même geste); c'est tout à fait coexistant, au même endroit – de la minute où vous percevez la perfection, l'imperfection disparaît, l'Illusion disparaît.
Seulement, je ne parle pas ici d'une conception mentale de quelque chose qui est un état vague et général: il s'agit de cet état de vibration infinitésimale (qu'ils ont découvert quand ils ont cherché la constitution de la Matière: c'est à cela qu'ils essayent de réduire la Matière), c'est cet état de vibration, c'est LÀ, c'est dans cet état de vibration que, pour le monde concret, l'imperfection doit être remplacée par la perfection. Tu comprends ce que je dis? Ou ça n'a pas de sens?
Je ne vois pas. Tu veux dire que c'est à ce stade-là, à ce niveau-là que...
Oui, c'est à ce niveau-là qu'il faut que ça change. Au niveau mental ou même vital, c'est une question psychologique et ce n'est rien, ce n'est pas vraiment LA CHOSE (c'est la chose traduite dans une conscience HUMAINE). Parce que l'autre jour... L'autre jour, tout d'un coup, je suis sortie de l'humanité. Ma conscience est tout à fait sortie de la conscience humaine. Et alors je me suis dit: «Mais... tout ce que l'on dit, tout ce que l'on sait, tout ce que l'on a essayé, toute cette soi-disant connaissance qui s'est accumulée sur la terre, ce n'est rien! c'est quelque chose qui appartient seulement à l'HOMME – vous supprimez l'homme... et puis tout existe! et toutes les explications que l'homme en a donné, c'est comme zéro.» C'est cela: ça existe.
J'ai eu l'expérience de l'univers en dehors de la perception humaine de cette expérience; et alors la vanité de cette expérience humaine était tellement évidente, n'est-ce pas! que c'est là qu'une porte a commencé à s'ouvrir sur quelque chose d'autre.
Tout cela, c'est peut-être le Seigneur qui prend possession du cerveau?
C'est difficile à expliquer, mais c'était extraordinaire comme expérience. N'est-ce pas, on existe dans une formation,1 qui était la formation humaine – humaine –, tout le savoir humain... Parce que je commençais à chercher ce que nous savons de la vie humaine et de la vie terrestre: c'est pour ainsi dire rien du tout, c'est une toute petite chose (Sri Aurobindo a écrit quelque part qu'il y avait des milliards d'années avant).2
Donc, ce que nous savons est pratiquement zéro. Bon. Alors sortir de ça; et cela m'a amenée tout naturellement à sortir de l'humanité: sortir de la terre, de l'univers; de la terre qui a été le produit de tout ce que nous savons (en tout cas nous l'expliquons, ce qui s'est passé, ce qui était là). Et alors tout d'un coup, oui, la futilité, la vanité de cette connaissance est apparue très clairement, et il y a eu comme un éclair de quelque chose d'autre.3
(Mère entre dans cet éclair et reste en contemplation)
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1 «Formation» au sens de «bocal», c'est-à-dire «milieu» dans lequel on vit.
2 Peut-être s'agit-il du passage suivant de The Hour of God [«L'Heure de Dieu»]: «L'expérience de la vie humaine sur une terre ne se joue pas pour la première fois maintenant. Elle a eu lieu des millions de fois avant, et le long drame se répétera des millions de fois encore. Dans tout ce que nous faisons maintenant, tous nos rêves, toutes nos découvertes, nos accomplissements rapides ou difficiles, nous profitons subconsciemment de l'expérience d'innombrables précurseurs, et notre labeur fécondera des planètes inconnues de nous et des mondes pas encore nés...» (p. 105)
3 Il existe un enregistrement de cette conversation.