Mère
l'Agenda
Volume 6
Il y a du sable dans les rouages, partout. Ça grince.
(silence)
Il paraît qu'il y a une nouvelle maladie à Pondichéry que les médecins de différents endroits de l'Inde viennent étudier ici, et que c'est une sorte de paratyphoïde – tout le monde est malade. Tu ne l'as pas attrapée, non? Tu as bien fait! (à Sujata:) Toi non plus? Bon.
C'est une façon de grincer. Il y a d'autres façons de grincer, mais elles sont très habituelles: c'est l'ego de l'un qui gratte contre l'ego de l'autre – ça fait toujours des grincements.
Résultat: des nuits très occupées et pas d'une façon très plaisante.
(silence)
Mais le Seigneur sourit, alors je pense que ce n'est pas sérieux.
Il sourit... Il en a profité pour faire une démonstration pratique et très efficace: une démonstration du même ensemble de vibrations (se traduisant par des circonstances extérieures et intérieures) avec la conscience de Sa Présence et sans la conscience de Sa Présence – la conscience de Sa Présence et l'oubli de Sa Présence. Et alors c'est formidable, c'est incroyable! Exactement la même chose – depuis les pensées, les sentiments, les sensations, les circonstances et l'état général, l'ensemble de vibrations – avec la conscience de Sa Présence et l'oubli; non pas que ce soit renvoyé au loin, rien de ce genre: simplement oublié (n'est-ce pas, l'état habituel du monde), oublié. C'est incroyable, c'est incroyable!
Ça a duré assez longtemps (geste indiquant un mouvement de va-et-vient très rapide d'un état à l'autre: conscience de Sa Présence et oubli de Sa Présence), comme une démonstration. Et avec ce Sourire... Tu sais, quand je dis: «Le Seigneur sourit», ça veut dire quelque chose; ce n'est pas que je voie une figure qui sourit, mais c'est une... c'est une vibration solaire... n'est-ce pas, le soleil est fade et terne et froid et presque noir à côté. Et puis «ça» parti... (même geste de va-et-vient) ça là et ça parti. Ce qui fait que ceux qui viendront et qui se manifesteront, qui existeront quand tout sera changé, il leur manquera l'émerveillement de l'opposition.
N'est-ce pas, on ne peut pas faire autrement que d'être émerveillé! (comment dire?...) une espèce de rire – de rire solaire – qui est plein d'une intensité d'amour et... Oui, c'est sans doute ça, l'Ananda, le vrai.
(Même geste de va-et-vient) Comme ça, comme ça, comme ça, comme ça...
Alors, je t'ai dit tout à l'heure que «tout grince»: c'est l'état dans lequel se trouve le monde sans la conscience de Sa Présence. Même quand les hommes trouvent que les choses vont bien et qu'ils sont contents, qu'enfin les circonstances sont soi-disant favorables et que tout va bien et qu'on se porte bien et que tout, humainement, s'arrange bien: ça grince d'une façon épouvantable en comparaison de l'autre état.
On ne peut plus que sourire. Au lieu d'être affecté parce que celui-ci est de mauvaise humeur et que celui-là s'est mis en colère et que ces choses ne vont pas bien et que les gens se battent et que les éléments font des ouragans, au lieu d'être attristé, on ne peut que sourire. On ne peut que sourire, parce que tout-tout est pareil – le bon et le mauvais, le lumineux et le sombre –, tout est pareil et tout grince en comparaison de «ça». Et n'est-ce pas, l'expérience que l'on a quand on monte Le trouver là-haut, ce n'est pas la même chose, parce qu'on a l'impression: «Oui, là-haut tout est comme ça, c'est très bien», mais quand on descend ici, c'est affreux. Mais ce n'est pas de cela dont je parle: c'est l'expérience ici même – ici même –, c'est-à-dire ce que le monde doit être. Ce qu'il doit être, ce qu'il sera évidemment... quand les hommes le permettront.
Ils tiennent beaucoup à leur grincement, beaucoup, ils y tiennent. Ils n'ont pas l'impression de vivre quand ça ne grince pas.
Seulement, ils ne savent pas.
Quelquefois, dans l'évolution individuelle ou collective, il y a des passages où l'on est sorti du grincement, c'est-à-dire que l'on n'y croit plus, on ne croit plus à la vérité et à l'importance, à la réalité de ces choses, mais on n'a pas encore l'autre, alors entre les deux... c'est austère, terne et froid. On n'a plus l'excitation de l'un, on n'a pas la joie de l'autre; on est entre les deux et c'est un peu aride. Mais il n'y a qu'un petit nombre limité d'individus qui en sont là. Ce sont les gens qui disent: «Ce monde, je n'en veux pas.»
L'autre chose, ça...
On se rend bien compte: si l'autre était constant, établi, oh!...
Et ça ne peut se sentir que quand il n'y a pas de retour sur soi, c'est-à-dire que l'on ne se sent pas le sentir. Et c'est la grande difficulté, parce que dès que ça vient, il y a quelque chose qui veut le sentir, et alors immédiatement on retombe dans le grincement. Et on ne se sent pas le sentir: si on se sent le sentir, ce n'est déjà plus ça. Oh! c'est déjà gâté.
(silence)
Il y a un vers de Savitri dont la traduction libre est:
Annule-toi pour que seul le Divin soit.1
Traduction très libre, mais l'idée est là. Et c'est dans cet état-là que «ça» peut exister. Et il est évident que le corps ne se dissout pas (Mère touche son propre corps), il est là, n'est-ce pas, tu le vois!
(silence)
Et c'est l'unique – l'unique – moyen infaillible d'établir l'harmonie dans le corps (ce Sourire de la Présence). Tout le reste, toutes les précautions, tous les remèdes, tout cela paraît si futile, si futile... et si inadéquat! Le seul – pour tout-tout.
Je n'ai pas encore la preuve de la reconstruction de quelque chose qui a disparu (amputé ou cassé), je ne peux pas dire, mais logiquement c'est la même chose.
Nous en reparlerons quand ce sera prouvé.2
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1 "Annul thyself that only God may be." (Vll.VI.538)
2 Il existe un enregistrement de cette conversation.