Mère
l'Agenda
Volume 7
Ce matin vers cinq heures, tu es venu me dire des tas de choses.
Ah! oui!
Tu dormais?
Oui, sûrement.
Moi, j'étais éveillée, je faisais ma marche – ma marche-japa. Tu es venu me parler, tu es venu même me demander (riant): «Est-ce que tu as vu Sri Aurobindo cette nuit?» Alors je t'ai dit toutes sortes de choses, mais je t'ai dit aussi: «Non, je n'aurai rien à te raconter ce matin!» Et puis voilà, je te raconte tout. Pas de choses sensationnelles la nuit. C'était une nuit de grand repos. Alors, voilà ce que j'ai à te raconter, c'est tout. Mais c'était amusant, et j'ai dit: «Ah! tu es conscient comme ça, tu viens me parler.» Et puis tu n'étais pas conscient! C'est-à-dire que ça (l'être extérieur du disciple) n'est pas conscient, l'autre était conscient: tu es venu me parler.
Je ne suis pas conscient du tout.
C'est curieux.
Quelquefois, suivant les activités que l'on a eues, le genre de vie que l'on a mené, il y a des parties intermédiaires (Mère dessine une petite bande) qui sont restées non développées, alors elles font comme un matelas: la conscience ne passe pas. Moi, j'en avais un comme cela; seulement dès que j'ai rencontré Théon, il me l'a dit. Il m'a dit: «Votre... (Mère cherche) sous-degré nerveux (je crois), entre le vital et le physique, n'est pas développé.» Il y a un matelas, la conscience ne passe pas. Alors, pendant six mois ou dix mois, j'ai bien travaillé pour le développer – aucun résultat. Puis je suis partie (je te l'ai peut-être déjà raconté), je suis partie à la campagne et un jour, je me suis couchée sur l'herbe, et puis tout d'un coup, prrt! de partout c'est venu, la conscience est arrivée. Et en effet, ça bouchait: il y avait des tas de choses que je ne recevais jamais à cause de cela. Mais c'est un long travail.
Qu'est-ce que je pourrais faire pour cela?
Dans ce temps-là, j'aurais pu te répondre en détail; maintenant je ne sais plus très bien. Mais la meilleure chose, c'est, en se couchant, une petite concentration avec la volonté de rester conscient. Simplement ça. Une espèce d'aspiration à rester conscient.
Pourtant, je ne m'endors jamais n'importe comment, je m'endors toujours après une méditation.
Oui, c'est pour cela que tu viens me trouver et que je te vois et tout cela. Mais alors, il manque ça: un petit joint.
Dans ce temps-là, quand j'étais en plein occultisme, j'aurais pu te dire en détail, maintenant je ne me souviens plus. Mais je sais (c'est une chose que je continue à savoir): une aspiration. Une aspiration vers la chose... Tu sais, quand on veut se réveiller à une heure précise et que l'on se dit: «Je veux me réveiller à telle heure», et puis ça réussit très bien; eh bien, c'est le même principe. Au lieu de demander une heure précise, on demande de se souvenir, de rester conscient – se souvenir de ce qui s'est passé. Cela peut agir. Et puis, comme je l'ai toujours dit, ne pas se réveiller brusquement, c'est-à-dire ne pas sauter de son lit, rester bien tranquille pendant un moment. Encore maintenant, cela m'arrive: si je me réveille, si je me lève brusquement, c'est après un moment, quand je rentre dans ma concentration, que le souvenir revient.
Ces deux choses-là suffisent, ça doit suffire.1
*
* *
(Peu après, à propos d'une disciple européenne qui demande à aider le «service artisanal» de l'Ashram. Nous avons gardé ce fragment de conversation, bien que très prosaïque, car il illustre bien des choses.)
Ce «cottage industry» [service artisanal] fait des choses qui ne sont pas très jolies... Alors elle voudrait avoir ta sanction si tu veux qu'elle aille travailler là-bas ou si tu veux qu'elle fasse quelque chose toute seule. J'ai l'impression qu'elle a une capacité artisanale qui pourrait être utilisée.
Pavitra m'a lu sa lettre. J'ai répondu à Pavitra spontanément: «Oh! cette femme est trop parfaite pour moi.» N'est-ce pas: «Je sais faire ceci, je sais faire cela, je fais cela si bien, je fais cela si parfaitement...» Il y en avait des pages, mon petit! Alors, à la fin, j'ai dit: «Elle est trop parfaite pour moi.»
Elle est probablement habile.
Oui, et ce «cottage industry» a beaucoup de moyens qui ne sont pas utilisés pleinement...
Je ne m'en suis jamais mêlée – il y a longtemps que cela fonctionne et il y a longtemps qu'ils font leurs horreurs...
Oui.
Et je n'ai jamais rien dit parce que... nous ne parlons pas le même langage. Mais peut-être que G [le chef du service artisanal] serait content de l'avoir?
Seulement, il faut que cela ait ta sanction. Comment aller voir G? Il faut un mot de toi ou...
Oh! non! je ne peux rien dire. Il faut que ce soit G qui demande. Il faut qu'elle exprime à G sa bonne volonté d'aider, et que lui, spontanément, accepte; autrement ça ne marchera pas, mon petit! On me répondra une lettre polie.
C'est curieux!
Non-non, c'est comme cela, l'humanité est comme cela.
Si elle va là, si elle montre de l'intérêt et une grande bonne volonté, alors cela pourra marcher. Naturellement, si G demande si je suis d'accord, je lui dirai certainement – mais il faut que ce soit lui! (Mère rit)
Elle pourrait mettre un peu d'air frais là-bas...
Il y avait des réparations à faire dans leur maison – elle a montré aux ouvriers comment il fallait faire! – Les ouvriers ont préféré aller travailler ailleurs.
Tous ils ont cela, tous: cette arrogance de l'Européen, oh!... Parce que, justement, l'Européen a l'habitude d'avoir affaire à la Matière, et il a une certaine autorité sur la Matière. C'est vrai. Par exemple, ils sont beaucoup plus ordonnés (je parle d'une façon générale, il y a des exceptions partout), ils ont une certaine maîtrise de la Matière qui n'existe pas ici, et avec cela, ils se croient si supérieurs que c'en est dégoûtant.
Je rencontre cela chez tous ceux qui viennent et j'avoue que ça me... Je les laisse barboter pendant des années, jusqu'à ce que tout d'un coup ils s'aperçoivent qu'avec toute leur supériorité, ils sont inférieurs. Alors – alors on peut commencer à s'entendre!
Tu comprends?
C'est vrai.
*
* *
Puis Mère passe à la traduction de «Savitri»
C'est toujours le son qui me guide...
Sais-tu que Sunil a fait la musique de «Savitri», et au commencement de juillet, il va me la jouer. Je ne pense pas qu'il veuille d'un auditoire, c'est tout à fait privé, parce que cela ne doit être joué qu'en 1968 – en février 68 –, et il me présente juste un petit morceau pour voir si ça va. Mais j'ai pensé que cela t'intéresserait. Je laisserai mes fenêtres toutes ouvertes.
J'aime beaucoup ce qu'il fait.
Oh! pas une fois, très souvent en entendant sa musique, immédiatement la porte s'ouvre sur la région de l'harmonie universelle, là où l'on entend l'origine des sons, et avec une émotion et une intensité extraordinaires, quelque chose qui vous sort de vous-même (Mère fait un geste d'arrachement subit). C'est la première fois qu'en entendant de la musique, j'ai cela – je l'ai, moi, quand je suis toute seule. Mais en entendant de la musique, je n'ai jamais eu cela, ce sont toujours des choses beaucoup plus proches de la terre. Là, c'est une chose très haute, mais très universelle, et d'un pouvoir formidable: un pouvoir créateur. Eh bien, sa musique ouvre la porte.
Maintenant, il y a des gens qui ont entendu de sa musique, et, à la fois en Russie, en France et aux États-Unis, on a demandé la permission de la réenregistrer et de la répandre. Et c'est curieux, ils ne se connaissent pas, et tous ont eu la même impression: la musique de demain. Alors j'ai répondu à ceux qui ont demandé: «Un peu de patience, dans deux ans, on vous donnera un monument musical.» Il vaut beaucoup mieux commencer par une œuvre-maîtresse parce que cela donne la position immédiatement, autrement, on pourrait penser que ce sont des petites inspirations – pas cela: quelque chose qui vous flanque un coup et qui vous fasse vous incliner.
Je récite les vers (en anglais naturellement), et avec cela, il fait la musique. Et probablement les mots sont mélangés à la musique, comme il fait toujours. Et alors, ma récitation est simplement la prononciation la plus claire possible, avec la pleine compréhension de ce qui est dit, et SANS UNE INTONATION. Je pense avoir réussi parce que, à une semaine de distance (je ne lis pas tous les jours), le timbre de la voix est toujours le même.
Mais toutes les musiques que j'adorais me semblent pâles.
N'est-ce pas! ça paraît terne.
Oui, ça semble mince.
Superficiel, mince-mince. Toutes ces choses que je trouvais admirables dans le temps, c'est fini.
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1 Il existe un enregistrement de cette conversation. La suite n'a pas été conservée.