Mère
l'Agenda
Volume 7
24 août 1966
(Notons que le disciple rencontre Mère à 10 heures normalement, mais peu à peu cette heure a été repoussée à 10 heures 30, et ce matin les secrétaires sont sortis à 10 heures 45. Depuis un an, les «conversations» de Mère se sont clairsemées de plus en plus, comme en témoigne cet Agenda, tout le temps étant pris par des communications «très urgentes» ou «très importantes». Cette situation empirera jusqu'à la fin quand Mère ne pourra plus nous voir que quelques moments, accablée, après midi. Puis la porte se fermera.)
C'est complètement absurde! si je n'avais pas crié, ils me gardaient une demi-heure de plus... C'est une vie idiote. Je commence à faire quelque chose à l'heure où je devrais la finir. L'après-midi, c'est la même chose... J'ai des journées de 45 personnes, 50 personnes. L'autre jour, j'ai vu en un jour 75 personnes, sans compter ceux que je vois tous les jours, en plus. Alors, pour me consoler, je me suis souvenue du temps où j'en voyais deux mille au terrain de jeu... mais cela ne prenait qu'une heure.
Dès qu'un enfant est malade, on me l'amène. Il est sourd-muet, on me l'amène; il est un peu idiot, on me l'amène; il a des crises épileptiques, on me l'amène, et puis il me les jette comme ça (riant) littéralement sur moi, avec l'idée que je vais le guérir!
Une compensation... (Mère montre en riant un coin de la chambre où il y a un paquet de parapluies neufs): j'ai reçu des parapluies – tu veux un parapluie?
Pour protéger des avalanches! Non, j'en ai déjà un.
(Mère rit beaucoup, puis enchaîne) Pendant que je mange, on m'apporte des cartes de «birthday» à signer, avec la nourriture. Au petit déjeuner, je mange un peu, puis je fais des cartes, et puis je mange encore un peu, puis on me demande des rendez-vous... C'est comme cela.
Tu devrais avoir quelqu'un pour faire la police.
Je crois qu'on le flanquerait dehors!
C'est une très claire indication qu'ils sont plus sous l'influence des gens que sous l'influence du Divin. Parce que, malgré tout, cela rend le travail un peu difficile; j'ai tout le temps l'impression qu'au lieu de la Volonté d'en haut qui s'exprime, je suis obligée de céder aux volontés du dehors qui s'imposent, et il n'y a pas une chose au monde qui me rende plus fatiguée que cela. Je peux travailler sans arrêt si cela vient d'en haut; mais ces choses qui viennent contredire le Rythme, c'est très fatigant, très fatigant. J'ai des fatigues nerveuses – pas «nerveuses» au sens où on l'entend, parce que ça, c'est tout à fait sous contrôle –, mais ce sont les nerfs eux-mêmes qui sont fatigués; si j'ai une, deux minutes de vrai repos, ça se met en ordre, mais avec toute cette avalanche de volontés inférieures qui s'imposent, ils commencent à vibrer et à faire mal. Ils sont tout à fait stupides!
*
* *
(Le début et la fin de la conversation qui suit n'ont pu être enregistrés par suite d'un incident mécanique, sauf le milieu, que nous reproduisons. Il s'agissait d'une expérience de Mère; Elle décrivait le lieu où le disciple «se repose» d'habitude la nuit et d'où il tire l'atmosphère de son livre actuel: un lieu très harmonieux de couleur et de substance. Là-dessus, Sujata intervient pour raconter à Mère un rêve qu'elle a eu ces jours-ci.)
Quand tu es allée dans ce lieu d'harmonie, as-tu joué de la musique? Parce que je t'ai vu jouer de la musique pour lui.
Ça, c'est autre chose. C'est possible, je ne sais pas... Mais la nuit dernière ou la nuit d'avant, tout d'un coup j'ai eu l'impression que quelqu'un me disait: «Le meilleur moyen de t'aider n'est pas une méditation, mais de la musique.» Alors c'est comme si je créais des harmonies et que je te les envoyais pour ton livre.
(S'adressant à Sujata:) Quand était ton rêve?
Avant-hier.
C'était il y a deux jours à peu près, deux ou trois jours. N'est-ce pas, je pensais à l'incertitude et à l'insuffisance de nos rencontres (l'avalanche des secrétaires) et je me demandais: «Comment faire?» Parce que nous avons du travail à faire et il faut le faire, mais à part cela, on n'a le temps de rien; alors «on» m'a dit que la musique pouvait t'aider. Mais j'ai perdu toute pratique musicale, et alors comme je ne peux plus jouer matériellement, j'ai pensé: «Je peux le mettre en rapport avec des ondes musicales.» Parce que ça, il y en a tout le temps, tout le temps – des merveilles. Et alors, c'est peut-être cela qui m'a fait aller dans cet endroit (où le disciple se repose), et c'est ça (s adressant à Sujata) qui t'a donné ton rêve. Et c'est certainement cela qui m'a fait avoir cette expérience-là... Je n'ai pas remarqué spécialement de la musique, mais c'était un endroit extrêmement harmonieux: l'atmosphère était harmonieuse, les couleurs étaient harmonieuses, les sons étaient harmonieux; par conséquent, il doit y avoir de la musique là-dedans.
Mais je me souviens qu'en me réveillant, je me suis rappelée que c'était le jour de ta fête que j'avais joué la dernière fois.
Sunil m'a demandé de jouer pour lui; je lui ai dit que je ne jouais plus: «Je ne peux plus jouer, mes mains ont perdu l'habitude.» Il n'y a plus le pouvoir de transcrire ce qui vient (la musique, je l'entends, mais je ne peux plus la transcrire). C'est comme quelque chose qui a été oublié. Alors il m'a dit que cela ne faisait rien, même si je jouais quelques notes – trois, quatre notes –, cela suffirait. Mais j'ai remarqué que quand je n'ai pas joué depuis longtemps, la première fois que je joue, je joue beaucoup mieux qu'après. N'est-ce pas, j'essaye toujours que ce ne soit pas moi qui joue, parce que je ne sais plus (il y a combien? au moins soixante ans que vraiment je ne joue plus, sauf d'une façon occasionnelle, alors toute la connaissance des mains est partie: elles sont maladroites, elles ne peuvent plus). La seule chose que j'essaye, c'est que quelqu'un se serve de ces mains – ou un esprit musical ou une entité musicale –, que quelque chose vienne et se serve de ces mains; et généralement la première fois, cela réussit assez bien, puis les mains recommencent à vouloir «essayer de savoir», alors c'est fini. Il faut que ce soit absolument plastique, sans volonté personnelle.
Je n'ai jamais très bien su me servir de cet orgue électrique; je me servais beaucoup mieux de mon grand orgue, celui que j'avais avant; c'était beaucoup plus facile pour moi. Ça, c'est très compliqué, très mécanique – très mécanique. C'est un peu trop mécaniquement moderne et ça ne répond pas à l'influence vitale aussi bien que mon vieil orgue. L'orgue, mes pieds le faisaient marcher, et ils mettaient tant de force là-dedans! Il y avait une force de vibration dans la façon de faire marcher les soufflets... Celui-ci, il aurait fallu que je m'habitue, que j'imprègne l'instrument; mais cela me fait l'effet d'une écorce et qu'il n'y a pas d'âme derrière: c'est une écorce. N'est-ce pas, la table d'harmonie, cela répond beaucoup; dans un piano, la table d'harmonie, les clefs, les cordes, tout cela répond; ça répond à la force; on peut même faire vibrer sans toucher. Tandis que cet appareil électrique, c'est une écorce...1
1 La suite et la fin de cette conversation n'ont malheureusement pu être enregistrées par suite d'une panne.