Mère
l'Agenda
Volume 7
(Le disciple lit à Mère quelques passages du «Sannyasin», notamment la scène où le Sannyasin est acculé à la porte du temple, ayant perdu à la fois son «ciel spirituel» et la terre en la personne de celle qu'il aimait.)
Cette image [du Sannyasin acculé devant la porte de bronze] était tellement forte, tu sais!... Chaque fois que tu en parles, je vois encore ma vision.1 C'était tellement fort! C'était le temple – on voyait seulement la porte et le mur –, et puis le haut d'une montagne et la pente abrupte qui descendait, et alors un étroit chemin entre le temple et le précipice, et une foule qui gravissait, qui montait la route en hurlant, et puis...
Et toujours-toujours, je vois la même chose.
Ça a dû exister, parce que cela a l'intensité de quelque chose qui a été physique.2
En fait, dans ma première idée du livre, c'était cette enfant qui devait mourir, et c'est justement cela qui provoque cette émeute parmi les gens, qui poursuivent ce Sannyasin. Et puis j'ai essayé de présenter cela sans qu'elle meure.
Oui, c'est mieux. C'est mieux sans la poursuite de la foule, autrement on pourrait penser qu'il est acculé par la peur physique, alors cela n'a plus la même force.
La vision était un souvenir, c'est-à-dire quelque chose qui existe dans le «souvenir de la terre». Mais ce n'est pas une raison pour en faire une histoire. Il vaut mieux que ton livre ait une base plus profonde.
Alors, c'est là que lui vient cette réaction contre l'ascétisme?
Parce qu'il l'a perdue. Pas physiquement, mais il la perd puisqu'elle refuse. Elle dit: «Mais tu es un Sannyasin maintenant, c'est fini.» Lui, il est tombé de son ciel pour aller à l'autre extrême et vouloir mener avec elle une vie ordinaire. Et elle dit non. Elle dit: «Ce n'est pas ça, une autre vie.»
Mais est-ce que cela n'aura pas l'air d'être le regret d'une jouissance sexuelle, non? Parce que cela ferait tout descendre très bas. Les gens malintentionnés diraient: «Ah! oui, le désir sexuel est plus fort que la vie spirituelle.»
Cela dépend comment c'est dit. Cette femme... ce n'est pas une femme, c'est une enfant presque. Il n'y a jamais eu de relation amoureuse; c'était une enfant de douze ou treize ans et une relation ancienne avec elle. Même le mot d'«amour» n'a jamais été prononcé entre eux. Mais seulement un besoin d'être ensemble, d'union. Elle sent que ce Sannyasin et elle, c'est une unité, c'est quelque chose qui est ensemble, et elle sent que d'être ensemble, cela ne veut pas dire «se marier». Mais elle sent l'union, l'unité avec lui.3
Ah! ce serait une si bonne chose au point de vue général de pouvoir faire comprendre aux gens que l'amour véritable n'a rien à voir avec la relation sexuelle, l'attraction vitale, même avec les rapports sentimentaux, que tout cela n'a rien à voir avec l'amour véritable.4 Mais les gens ne comprennent pas. Même quand ils emploient le mot «amour», immédiatement ils pensent à l'union sexuelle, et c'est désastreux, ça fausse complètement l'idée.
Je ne sais pas, je n'ai pas lu le livre de Pavitra «Sur l'Amour», tu l'as lu? Est-ce clair dans son livre?
(le disciple fait la grimace)
Ce n'est pas clair?
Je trouve qu'il y a quelque chose de faux dans son livre – quelque chose qui est faux ou faussement exprimé.
Faux?
Selon lui, il y a deux chemins: il y a le «chemin d'aller» et le «chemin de retour». Le chemin d'aller, ce sont les gens qui s'éloignent du Seigneur, qui sont dans la vie du monde et qui sont mari, femme, etc. Et puis le chemin du retour, qui est le «vrai chemin», le chemin du retour au Seigneur, où toutes ces choses sont un encombrement... Alors, pour moi, c'est une fausseté.
Naturellement!
Parce que, qu'est-ce que c'est, cet «aller» qui s'en va loin du Seigneur, et ce «retour» où les relations humaines sont simplement un encombrement?... Le retour, c'est au contraire quand on est allé tout en haut...
Oui, et qu'on fait redescendre le Divin.
C'est cela.
Oui, ça, c'est le retour.
Mais pour lui, le retour: on remonte au Seigneur – et alors?...
Alors c'est la fin de la vie!
J'ai été très choqué quand je l'ai lu. J'avais envie de le lui dire, puis je me suis tu... [Mère approuve]. Pour moi, j'avais toujours vu le retour comme le chemin qui descend.
C'est le Seigneur qui descend.
C'est la Vérité qui descend. Le retour, ce n'est pas de monter, ce n'est pas cela; ça, c'est l'aller au contraire.
Mais oui, c'est l'aller.
Cela a commencé avec la pierre – la pierre – et on voit très bien la différence entre la pierre et les végétaux, les végétaux et les animaux, les animaux et l'homme; on voit, n'est-ce pas, toute la Matière qui tend-tend-tend vers le Seigneur – ça, c'est l'aller. Depuis le commencement, c'est comme cela. Ça monte avec toutes ses erreurs, toutes ses confusions, tous ses mensonges, toutes ses déformations – mais c'est TOUT qui monte. Et le retour, c'est ce qui est dit dans le «message» que je vais donner le 4.5.67: «La prison qui est changée en demeure divine.»5
Dans le livre que j'écris, justement, je montre que quand on a touché cette Lumière, c'est le point pour redescendre; que la vérité, ce n'est pas la fin là-haut – c'est la moitié, là-haut.
Oui! (riant) C'est le début de la fin!
Tout mon livre est basé là-dessus.
C'est très important. N'est-ce pas, tous les gens qui commencent à être dégoûtés de la vie, le premier mouvement: s'en aller – tous. Je reçois des tombereaux de lettres; dès qu'ils sont dégoûtés de la vie, dès que ce n'est plus une chose merveilleuse: «Oh! assez! je veux m'en aller, je veux m'en aller.» Oui, c'est le premier mouvement: vous montez là-haut, mais ce sera pour redescendre et changer ça ICI – ce n'est pas l'abolir: c'est le changer.
Le Bouddha représentait le maximum de l'abolition. Il a conduit à l'abolition et c'est le maximum de l'abolition. Bien-bien-bien... C'est à ce moment-là qu'a été le sommet, la vision du sommet. Mais il faut redescendre.
Ils ne comprennent pas, ils en sont encore, tous, là-haut.
Oui, c'est ce que je dis. Tout son livre est comme cela: le chemin d'aller s'éloigne du Seigneur, et le chemin du retour, on remonte au Seigneur. [S'adressant à Sujata:] N'est-ce pas, c'est comme cela dans son livre?
(Sujata:) Ce livre... je ne sais pas, ça m'a paru un peu bizarre. Retourner au Divin, oui, c'est le Nirvana.
Seulement, dès qu'on est là et que l'on est en contact avec le Divin, il vous dit: «Va en bas! Ne reste pas ici, ce n'est pas ta place!»
Mais ça, je suis en train de lutter désespérément contre tous les gens qui conçoivent la vie spirituelle comme... brrt! on s'en va. Ça, c'est seulement le commencement. Mais moi, je réponds toujours par l'histoire du Bouddha: quand il allait entrer dans le Nirvana, tout d'un coup il s'est aperçu que la terre devait être changée... et il est resté.
Je me souviens, une fois, c'était avec Madame David-Neel. C'est très intéressant. Elle était venue faire une conférence (je ne la connaissais pas, c'est là que je l'ai connue), je crois à la Société Théo-sophique (je ne me souviens plus), et j'ai assisté à la conférence, et pendant qu'elle parlait, j'ai vu le Bouddha – je l'ai vu clairement: pas au-dessus de sa tête, un petit peu à côté. Il était présent. Alors, après la conférence, on m'a présentée (je ne savais pas quel genre de femme c'était!) et je lui ai dit: «Oh! Madame, pendant que vous parliez, j'ai vu le Bouddha là.» Elle m'a répondu (ton furieux): «C'est impossible! le Bouddha est au Nirvana»! (Mère rit) Oh! alors...
Mais il était vraiment là, malgré tout ce qu'elle pensait!
C'est bien cela: s'en aller.
Je n'ai pas compris pourquoi Pavitra, qui est d'ici, avait écrit comme cela.
Non, je comprends très bien sa pensée: il voit les choses de trop près, mon petit! Il voit que tout l'effort de la terre doit être vers le Divin, vers l'union avec le Divin; il voit... (comment dire?) ce qui précède, et de trop près, pas d'assez loin. Et alors, pour lui, le retour, c'est le retour vers le Divin.
Mais si on lui disait: «L'abolition, le Nirvana», il dirait: «Non-non! pas du tout.» Seulement, il ne le voit pas.
Au fond, c'est un mouvement triple: la création, qui a été la «fuite hors du Divin» (selon la conception ordinaire, n'est-ce pas, qui dit que la création est «tombée», elle s'est «éloignée» du Divin et les hommes se sont «éloignés» du Divin); c'était le premier mouvement. Mais c'est parce qu'il voit de trop près; il ne voit pas que le Divin est allé tout au fond de l'Inconscient (et c'est cela: pourquoi est-Il allé tout au fond de l'Inconscient?... Ça, c'est «à considérer» – Mère rit – on ne sait pas encore comment le dire: chacun le dit différemment). Il est allé tout au fond (moi, je crois que je le sais, mais ce sera pour plus tard). Il est allé tout au fond de l'Inconscient: au-dessous de la pierre (Mère fait un geste immuable, tout au fond), au-dessous du minéral; le minéral est déjà un commencement d'éveil de la conscience... Seulement, il faut le voir dans son ensemble pour comprendre que c'est une ascension; si on voit la vie humaine telle qu'elle est, on a l'impression que les hommes se perdent dans la «chute», mais c'est le résultat du Mental; le Mental avait besoin de faire toute l'expérience, d'aller tout au fond pour comprendre tout et ramener tout vers l'ascension. Pour les plantes, c'est vraiment une ascension. Alors, d'après cette vision, il y a trois mouvements. Mais si l'on voit le tout ensemble, il n'y a que deux mouvements: le premier mouvement, c'est la descente du Seigneur dans l'Inconscient (ça, pour le moment, on ne peut rien en dire; quand on en sera sorti, on pourra dire); le second (le premier que nous puissions concevoir), très lentement-lentement, à travers toutes les expériences possibles, même les négations mentales les plus complètes du Divin, c'est l'ascension vers le Divin. Et puis, quand on est monté... (Mère fait un geste de descente) «Viens-viens ici: change cette prison en demeure du Divin.»
Ce sera très bien, un très bon «message» pour le 4.5.67.6
Quatre, c'est la manifestation. Cinq, c'est le pouvoir. Six, c'est la création, et sept, c'est la réalisation. Quatre chiffres qui se succèdent merveilleusement. Voilà la réalisation (vous voulez la réalisation?), voilà la réalisation: la prison changée en demeure du Divin. Les gens disent: «Il n'y a rien à faire avec la terre, elle est fichue...» Voilà! ce sera bien.
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Si l'homme n'avait pas pensé que c'était une «chute», il n'aurait jamais eu la volonté de remonter. Il avait besoin de penser que c'était une chute – mais ce n'est pas une chute, c'est... autre chose, que je suis en train de découvrir maintenant.7
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(Peu après, au cours de la traduction française du «message» pour le 4.5.67, Mère s'arrête à un mot dont la traduction ne lui vient pas.)
...Je ne pense à rien – oh! tu sais, c'est une bénédiction, mon petit! je ne pense jamais à rien pour rien! Je suis comme ça (geste de contemplation immobile, tournée vers le haut). La seule chose qui se formule en mots, c'est: «Seigneur, Toi... ce que Tu veux, ce que Tu sais, ce que Tu fais, il n'y a que Toi. Toi.» Comme ça (même geste immobile). Et puis tout d'un coup, sans y penser, sans chercher, ploff! une goutte de lumière – ah!
C'est commode.8
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1 Voir Agenda I, du 20 novembre 1958.
2 Le fragment qui suit a été omis de l'enregistrement.
3 L'enregistrement reprend ici.
4 Nous avons retrouvé la note suivante dans les papiers de Mère: «Il faudrait, quand on parle du désir sexuel, au lieu de lui donner le noble nom d'amour, l'appeler simplement: anthropophagie vitale.»
5 «La vie terrestre est l'habitation qu'une grande Divinité s'est choisie, et, de toute éternité, Sa volonté est de changer cette prison aveugle en Sa demeure splendide et en un haut temple qui touche au ciel.» (Sri Aurobindo)
6 "Earth-life is the self-chosen habitation of a great Divinity and his aeonic will is to change it from a blind prison into his splendid mansion and high heaven-reaching temple." (Sri Aurobindo)
7 L'enregistrement reprend ci-après.
8 Il existe un enregistrement de cette conversation.