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Mère

l'Agenda

Volume 8

4 octobre 1967

(Sujata donne à Mère une fleur appelée «Pouvoir de guérir».)

Pouvoir de guérir?... J'ai vu dans Planète l'histoire d'un homme qui est né en 1905 et qui pendant trente-cinq ans a guéri les gens par imposition des mains!1 Son père était italien, sa mère est espagnole et il est né en France, il est Français. Pendant trente-cinq ans, il a imposé les mains; il a soigné cinq millions de personnes – cinq millions. Là-dessus, les deux tiers guéris, avec d'innombrables procès... faits naturellement par les docteurs: il n'avait aucun droit de guérir les gens parce qu'il n'était pas assermenté!... À l'un des procès (je te dirai le commencement de l'histoire après, le commencement à la fin!), peut-être l'un des derniers procès, tout d'un coup son avocat est arrivé très malade avec une sciatique qui l'empêchait de bouger une jambe et une douleur aiguë. Le juge, qui se croyait très adroit, lui a dit: «Eh bien, maintenant, commencez par guérir votre avocat.» Alors l'homme s'est levé, a posé ses mains sur l'avocat, et cinq minutes après, l'avocat était guéri: «Oh! mais je suis guéri!» (Mère rit) Il a été condamné tout de même. C'est admirable. Mais enfin, quand il était tout petit, c'est-à-dire à cinq ou six ans, il avait dérobé un poisson à son papa qui avait été à la pêche, et on ne retrouvait pas le poisson. Quinze jours après, les parents ont retrouvé le poisson dans ses affaires, avec ses jouets... absolument sec et complètement intact! Alors le père a voulu voir: ils avaient un bocal avec des poissons rouges, le père a sorti deux poissons rouges et en a donné un au fils; il a mis le poisson au creux de sa main – et le poisson s'est mis à sécher. Et l'autre, au bout de quelques heures était pourri. Alors on en a parlé aux docteurs (ils habitaient Toulouse, c'était un peu plus tard, quand il avait douze ou treize ans), le docteur avait à l'hôpital un malade dont il n'arrivait pas à guérir la plaie depuis des semaines et des semaines: c'était horrible, purulent. Le docteur a appelé le petit, qui a posé ses mains – vingt-quatre heures après, la plaie était guérie.

Et cet homme (j'ai vu sa photo, il a une tête magnifique), il dit: «Je vis dans la présence de Dieu.» C'est cela qu'il dit, et je crois qu'il ne fait pas d'embarras – d'ailleurs, il n'a pas le temps parce qu'il se couche après minuit et se lève tous les jours à cinq heures, et il commence à travailler à cinq heures et demie, et il passe toute la journée à travailler, c'est-à-dire à voir des gens, voir des gens, voir des gens (quand on m'a lu cela, je me suis dit: et moi qui me plains!). C'est admirable. Et il a fait des études, mais ce n'est pas un philosophe, il n'a pas de théories: il paraît être né comme cela, avec des mains qui guérissent. Probablement, il supprime l'infection en déshydratant, alors toutes les maladies qui viennent de ce côté-là, il les guérit. Et on lui a fait (le pauvre, on a dû lui faire une vie impossible!), on lui a fait des encéphalogrammes, des cardiogrammes, etc., et on s'est aperçu qu'au moment où il pose les mains (pendant quelques secondes, au plus deux ou trois minutes), à ce moment-là, les battements du cœur passent brusquement de soixante à quatre-vingt, puis cela redevient normal. Et il n'a pas l'air de faire des histoires comme cet Allemand dont je t'ai parlé, qui fait des embarras – rien du tout, très simple, très gentil.

Ça m'a plu, cette histoire.

Une belle tête. Un homme grand, très fort, qui mange extrêmement peu. Et il a deux ou trois heures de sommeil par nuit, sans rêves (ça, je comprends!).

C'est intéressant.

Il y a des personnes qui ne sont venues qu'une fois, et quelquefois il s'est inquiété, il demandait pourquoi cette personne n'était pas revenue – «Oui, j'étais guérie!» Alors, procès sur procès, et il y a un employé du fisc qui, incognito, a assisté à ses séances. Il a dit qu'il n'avait jamais demandé d'argent, jamais. Et sur... (je ne sais pas, pendant qu'il était là, il y avait, je crois, un peu plus de deux cents personnes qui ont passé), sur les deux cents, il y en a soixante qui lui ont donné quelque chose. Alors le fisc a été obligé de constater qu'il n'était pas en contravention.

Tout de même, on l'a condamné.

C'est assez joli, on n'a pas le droit de guérir si l'on n'est pas assermenté!...

*
*   *

Peu après

Ça continue... Est-ce que tu as vu un moine?

Ah! je l'ai rencontré dans la rue, mais je ne lui ai pas parlé.

Il voit Pavitra ce matin, et F l'a vu deux fois. Et alors, il est en train de faire un tour de l'Inde et il est venu ici, et ça a l'air de lui avoir beaucoup plu. Voilà sa figure (Mère montre une photo). C'est

cela que tu as rencontré?... Bon. Et il a écrit deux lettres, une à moi et une au Prieur de son monastère, et il me l'envoie pour que je la lise. Les deux lettres ensemble, c'est assez intéressant (Mère tend la première lettre au disciple):

Mère,

Après quelques jours seulement passés à Aurobindo Ashram, où je n'ai pu rien être d'autre que le «ravi» des crèches de Provence, je me permets de vous demander si vous pouvez m'accorder de demeurer chez vous le temps qu'il me reste en Inde, c'est-à-dire jusqu'en mi-décembre... etc.

Signé: frère A

P.S. Ci-joint une lettre au Père Prieur de Bellefon-taine qui est postée en cas, et que je trouve bon de vous communiquer.

J'ai dit à F de lui demander de rester jusqu'à vendredi de façon que je puisse te montrer cela aujourd'hui et te demander si tu veux bien voir ce monsieur, lui parler (pour voir). Mais si cela t'ennuie... L'impression de F est bonne. Tiens, lis sa lettre au Père Prieur:

«J'ai reçu avec joie votre réponse et je vous écris de nouveau... Je suis à Aurobindo Ashram, je pensais y passer, mais il y a je ne sais quoi encore qui fortement m'y attire et je pense que j'ai assez tourné comme ça. Je vais aller à Ramakrishna Mutt, à Ootacamund, puisque j'ai annoncé ma visite, mais j'ai l'intention de revenir au plus tôt ici. Tout est merveilleux et stupéfiant. Pour qui passe au-delà des vitres de surface, c'est à se demander si les nouveaux cieux et la nouvelle terre dont parle St. Jean ne se rencontrent pas ici.

«J'ai à deux pas une grande église, et hier matin premier octobre, le célébrant a dit: "Devenez citoyens de la cité céleste"... Il ne pouvait pas mieux viser mon point d'interrogation. Et le soir, un jeune Parisien, tout neuf comme un nouveau-né débarquant ici, la première personne qu'il a rencontrée a été ce même prêtre de la grande église, qui lui a dit: "Que venez-vous faire ici, il n'y a rien." Le Parisien a répondu: "Et l'Ashram?" Le prêtre a repris: "L'Ashram, c'est un bordel." À cause de cette déclaration injurieuse (et c'est la plus gentille chose qu'il lui ait dite [Mère rit..]) je fais pétition à Mère pour séjourner ici le reste du temps que je puis rester en Inde. Je crois vraiment qu'il y a de l'abomination et de la désolation dans le Lieu Saint. Quand reconnaîtra-t-on enfin la parole du Christ: "On reconnaît un arbre à ses fruits"? Jaï-jaï!»

Signé: frère A

Jaï-jaï, ça veut dire victoire-victoire!

Voilà, si tu veux lui parler...

Je veux bien le voir... Oh! les catholiques ici nous haïssent.

Oui. C'est ce que j'ai dit aussi dans ma déclaration,2 mais on m'a dit que ce n'était pas vrai! Ils ont eu le toupet de me dire (des catholiques qui sont venus me voir): «Pourquoi avez-vous dit cela? Ce n'est pas vrai.» Il faudrait leur mettre cette lettre sous le nez. Je SAIS qu'ils parlent comme cela à tout le monde. Une espèce de rage.

Et il y a longtemps que cela dure. Ça a commencé quand tu étais là avec le gouverneur Baron (il y a vingt ans), tu te souviens, ils écrivaient sur les murs?

Alors tu pourrais le voir. On m'avait même dit qu'il t'avait vu?

Je l'ai vu dans la rue. Mais je ne peux pas me fier à mes impressions, parce que...

Quelle était ton impression? Cela m'intéresse.

Je n'ose pas me fier...

Moi aussi: ils commencent par être indignés, et puis...

Je dois dire que je n'ai pas été très enthousiaste... J'ai senti ce que l'on sent presque avec tous les catholiques, c'est qu'il y a quelque chose qui est un peu (comment dire?) fuyant, qui n'est pas très propre.

Hypocrite?

Oui, quelque chose comme cela, et on sent dessous un grand refoulement; quelque chose qui, en dessous, est là et qui n'est pas propre.

Moi aussi, quand j'ai vu la photo, c'était mon impression.

On a l'impression de gens très refoulés.

Ils sont hypnotisés par cette affaire de sexe.

Oui, c'est ce que j'ai senti en dessous, et dessus un regard... qui n'arrive pas à vous regarder.

C'est cela.

Une atmosphère chrétienne de péché, c'est cela au fond.

C'est pour cela que je voulais que tu le voies, parce que naturellement, F a très bonne impression, et Pavitra, quand il a vu la lettre, il était plein d'exclamations. Moi, j'étais comme cela (geste en retrait), sur mes gardes.

Pourquoi veut-il venir?... Naturellement, cela pourrait être simplement qu'il est très content, très heureux, c'est très bien. Mais évidemment il est très chrétien, il n'a pas l'intention d'en changer.

Je ne sais pas.

Je voulais te demander de le voir à cause de cette impression... un petit peu pénible, je ne sais pas. Et je ne voulais pas lui écrire: «Oui, vous pouvez rester» si, au bout, il doit y avoir quelque chose de déplaisant. Mais il se peut que non, s'il est conscient – s'il est conscient ce sera non. Mais, n'est-ce pas, pour mettre la chose à son maximum: au nom de leur religion, ils trahissent leur âme. C'est comme cela.

S'il est conscient de la Possibilité, alors ça va bien. Parce que, au moins, il sera sur ses gardes... Mais je ne l'ai pas vu, je n'ai vu que la photo, et le premier contact de la photo était comme cela: «Attention...»

J'ai eu un recul aussi. Mais j'ai attribué cela à des préjugés. Je me méfie, tu comprends, j'ai tellement, dans ma vie, abhorré ce christianisme...

Il était en habit?

Non, il était en civil. Mais je te dis cette impression que, en dessous, ça n'a pas été cultivé spirituellement.

Enfin, vois-le. Je voudrais simplement que tu me dises un oui ou un non, c'est-à-dire «impression favorable» ou «impression défavorable», quelque chose de simple, une seule phrase, et que d'après cela, je puisse lui envoyer un mot pour lui dire: «Vous pouvez rester», ou «Il est préférable que vous ne restiez pas.»

Mais au bout du compte, il va quand même se trouver devant le même problème toujours: la religion en face de la liberté.

Ça, c'est simplement au point de vue intellectuel. Parce que si ce n'est pas un philosophe, s'il ne vit pas dans les idées, ça n'a aucune importance: c'est une question d'EXPÉRlENCE plutôt... Il paraît que ce qui lui était arrivé,3 c'était une «descente de l'Ananda», qu'il n'avait jamais éprouvée, qui lui est arrivée tout d'un coup, et il a dit à son Supérieur: «Je voudrais m'en aller tout seul dans la solitude, dans la campagne», parce qu'il n'aimait pas les rites, les cérémonies et tout cela. Et alors, ça a été le début, puis il a senti le besoin de venir dans l'Inde. Et dans l'Inde, il a été un peu partout, puis il est arrivé ici. Il n'y a que deux ou trois ans qu'il est dans les Ordres, c'est une conversion récente (pas «conversion» au point de vue religieux mais au point de vue vie, parce qu'il devait être catholique depuis son enfance, mais il a voulu quitter la vie et devenir moine), c'est récent.

Mais c'est un monastère curieux, parce que Pavitra a eu une correspondance tout à fait soutenue avec un abbé qui était dans ce monastère (il a un gros dossier comme cela!) et tout d'un coup, ça s'est arrêté, je ne sais pas pourquoi.

Je n'ai pas l'impression que cet homme soit un intellectuel, ce n'est pas cela, la difficulté.

Mais comment les libérer de l'emprise, voilà?

Oui, c'est cela. C'est ce que j'ai senti quand je l'ai vu: cette chose qui était là sur lui. C'est une espèce de «chose» qui est commune à tous ces gens.

Tous.

Une atmosphère. C'est une atmosphère...

C'est une suggestion collective, mon petit, et qui est tellement forte! tellement forte! Je t'ai raconté l'histoire: il y a des gens, quand ils sont éveillés, ils résistent, ils luttent; intellectuellement ils comprennent; et puis quand ils sont à moitié conscients ou dans le sommeil, ça les prend comme cela et ils sont terrorisés... C'est sur TOUTE la terre, toute la terre (il y a des chrétiens partout), c'est une atmosphère que je vois comme une énorme araignée sur toute la terre.

(silence)

En tout cas, il y a un effort de rapprochement évident (je t'ai montré cette déclaration du pape). C'est pour cela que si c'était le moment de défaire cette emprise, ça vaudrait la peine d'essayer.

C'est simplement pour cela que je laisse la porte ouverte – on va voir. Pendant des années, je ne m'en occupais pas, mais depuis que la Force est comme cela (geste de pression) s'accumule, s'accumule, s'accumule (c'est formidable), il faudra bien que tout cela change à un moment ou à un autre, alors... est-ce que c'est le moment?

C'est quand même symptomatique que depuis quelque temps, de tous les côtés, tu voies des catholiques arriver!

Eh bien, oui!

Cette madame Z, ce moine...

Oh! et puis d'autres qui écrivent.

Oui, c'est pour cela: s'il est consciemment de bonne volonté, c'est-à-dire si l'emprise est une affaire subconsciente... (je te l'ai dit, ce n'est pas un homme qui ait un pouvoir mental contre lequel il doive lutter, ce n'est pas cela), mais s'il est de très bonne volonté, on peut, à travers lui, faire quelque chose. C'est pour cela que je veux que tu le voies.

*
*   *

(Puis Mère passe à la traduction du «message» qu'elle veut distribuer pour le darshan du mois de novembre:)

Il y a un texte que je trouve très intéressant, je ne l'avais jamais lu. Je t'avais déjà parlé de cela:

«There is always this critical hostile voice in everybody's nature, questioning, reasoning, denying the experience itself, suggesting doubt of oneself and doubt of the Divine. One has to recognise it as the voice of the Adversary trying to prevent the progress and refuse credence to it altogether.»

[«Dans la nature de chacun, il y a toujours cette voix critique, hostile, qui met en question, raisonne, nie l'expérience même, souffle le doute de soi-même et le doute du Divin. Il faut comprendre que c'est la voix de l'Adversaire qui essaye de nous empêcher de progresser, et refuser absolument d'y ajouter toute créance.»]

Sri Aurobindo

Cela m'a beaucoup intéressée, parce que j'ai remarqué que c'était dans la conscience PHYSIQUE, et très général, et qu'il fallait tout le temps, tout le temps lutter contre cela: en soi-même, dans les autres, partout. C'est comme cela justement, «en dessous» comme tu disais. Alors ça me paraît intéressant à dire.4

*
*   *

Peu après

Tu n'as rien à me dire?

Si, mais ce n'est pas important.

Mais cela ne fait rien.

J'ai vu T. Elle m'a parlé du départ de sa mère et elle m'a dit que tu lui avais parlé de certaine expérience que tu avais eue avec sa mère pendant toute cette période de coma ou d'«inconscience»?

Oui.

Et elle aimerait que tu redises l'expérience que tu as eue.

Tu sais, je ne peux jamais redire deux fois la même chose. C'est venu (je n'avais pas l'intention de lui dire tout cela; j'avais l'intention de lui dire un mot ou deux: que tout va bien), et puis c'est venu, alors j'ai parlé. Et une fois que c'est sorti, c'est fini. Je ne sais même plus ce que je lui ai dit.

Une chose, je sais. C'est que volontairement (je ne sais pas si c'est cela qu'elle a compris), volontairement, je voulais que le départ se fasse dans les conditions les plus harmonieuses possibles, avec le moins de déchet possible, de façon à ce qu'elle garde le complet produit de son passage dans la vie ici, et que... Au fond, ce que j'ai fait (ça, je ne lui ai pas dit), depuis le moment où j'ai reçu la nouvelle qu'elle avait ce stroke (c'est une attaque d'apoplexie), du moment où j'ai reçu la nouvelle, je l'ai mise dans un bain du Seigneur. Je l'ai gardée comme cela (geste d'enveloppement). Alors, d'abord pour moi, je savais que si elle devait guérir, elle se remettrait assez rapidement, et que si elle ne se remettait pas, cela prouvait que c'était vraiment le moment de s'en aller, mais alors qu'elle s'en irait avec... le corps bénéficiant, pour ainsi dire, la substance bénéficiant de tout le profit de la vie physique, et son être intérieur dans les conditions les meilleures. Ça, l'être intérieur dans les conditions les meilleures, c'est pour tout le monde comme cela, tous ceux qui s'en vont ici (mais généralement, je n'ai pas l'occasion de laisser l'être intérieur sortir lentement, n'est-ce pas). J'ai vu... tu sais que quand Sri Aurobindo est parti, nous l'avons gardé cinq jours, et j'ai vu comment ça se passait; je te l'ai dit, quand je me tenais debout à côté de lui, ça sortait de son corps, ça entrait dans le mien, et c'était si matériel qu'il y avait une friction – le corps sentait la friction de la Force qui entrait – et j'ai vu (naturellement là, c'était tout à fait différent et formidable, mais pour tout le monde c'est comme cela): pour que le départ soit au maximum harmonieux, il faut qu'il se fasse comme cela, selon un rythme intérieur, avec la Présence (qui est à la fois une protection et une aide), la Présence de la Force divine. Et alors, je l'ai mise là-dedans, et même (je ne sais pas si elle te l'a dit), son frère qui est docteur, est arrivé et a déclaré avec leur outrecuidance habituelle: «Oh! demain avant midi, elle sera partie.» Je n'ai rien dit, je suis restée tranquille. Naturellement, trois jours de plus se sont passés. Et lui-même a été obligé de reconnaître qu'il y avait là quelque chose qu'il ne comprenait pas.

Qu'est-ce qu'elle t'a dit, à toi?

Elle m'a dit que tu avais eu une expérience particulière avec sa mère, en ce sens que la conscience des cellules, la conscience matérielle des cellules de son corps, avait pu aussi partir avec l'être intérieur, que ça n'avait pas été perdu.

Oui, c'est cela qui est NORMAL.

C'est cela qui est normal. Et alors, ça prend du temps. Et cela fait que tout le profit que les cellules ont eu n'est pas perdu.

Oui, on se précipite ici pour brûler les gens, c'est terrible.

Oh!... Mais elle, on l'a enterrée. Oh! cela, je sais. Je sais, j'ai vu deux ou trois cas ici, de gens qui étaient conscients – ça a été horrible pour eux, effroyable, effroyable.

Il y a le cas de C.5 Il avait appris à sortir de son corps, il savait sortir: il allait, il voyait; il voyait les choses, il notait, il rentrait dans son corps. Alors, quand on l'a opéré, les docteurs n'ont pas pris les précautions nécessaires et le cœur n'a pas pu supporter le choc de l'opération: au bout de cinq jours, c'était fini. Mais lui, il avait l'habitude de sortir, alors il est sorti, n'est-ce pas, il est venu me trouver (je l'ai su avant que l'on vienne m'annoncer qu'il était «mort» parce qu'il est venu me trouver). Mais il ne savait pas du tout qu'il était mort: il était sorti de son corps comme il avait l'habitude de le faire, il venait à moi, il était avec moi. Et alors, ça a été très bien, il est resté tranquille. Et puis, à un moment donné... (il est mort à l'hôpital, et à ce moment-là personne ne m'écoutait naturellement: on l'a brûlé beaucoup trop tôt – mais de toute façon cela aurait été trop tôt parce que, pour lui, justement comme il avait cette pratique, il aurait fallu toute une précaution qui aurait pris du temps; mais tout a été fait comme cela, vite), et puis tout d'un coup, quand on l'a brûlé (je ne savais même pas à quel moment on le brûlait), tout d'un coup il est arrivé dans ma chambre, n'est-ce pas, épouvanté... épouvanté et pleurant et misérable: «Mais je suis mort! Je ne savais pas que j'étais mort, mais je suis mort et ils m'ont brûlé, ils m'ont brûlé!...» oh!... C'était horrible, horrible. Alors je l'ai calmé, je lui ai dit de rester là, de rester tranquille, d'être avec moi, et que je lui trouverai un autre corps. Et je l'ai eu consciemment près de moi pendant longtemps-longtemps. Et puis je lui apprenais à se réincarner – tout cela a été fait en détail. Alors je sais...

La même chose pour N.S. Là aussi... Il est tombé sur la tête, il s'est cassé la tête (il s'est évanoui dans la rue, c'est comme cela qu'il est mort). On l'a emmené à l'hôpital. Mais il est sorti,6 il est arrivé à moi tout de suite (j'ai su: quand on m'a dit aussi que l'accident était arrivé, je savais que quelque chose était arrivé parce qu'il était venu à moi), et je le gardais là, je l'avais mis en repos et il était bien tranquille – bien tranquille. On ne m'a même pas consultée pour savoir quand il fallait le brûler, ni rien (naturellement, une famille de docteurs!). Alors, tout d'un coup, brrt! (geste d'éclatement) il est sorti de mon atmosphère subitement, comme cela. Et puis plus rien... Il m'a fallu DES JOURS pour le recontacter – et c'était le choc qu'il a eu quand on brûlait le corps. Il m'a fallu des jours pour le retrouver, le remettre en repos, le rassembler. Et il y a eu une partie qui a disparu; toute sa conscience n'est pas venue, parce qu'il y a une partie de sa conscience la plus matérielle, du vital matériel, qui a dû être projetée par le choc. Je le sais, parce qu'il y a le père d'Albert7 qui a été opéré (c'était plus d'une année après, peut-être deux ans), et quand il a été chloroformé, tout d'un coup il a vu N.S. en face de lui (n'est-ce pas, même une partie peut prendre l'appa-. rence de l'être entier, Sri Aurobindo a expliqué cela, c'est comme une photographie), il l'a vu, et N.S. lui a demandé des nouvelles de sa famille, des nouvelles de sa femme, des nouvelles de ses enfants, et il lui a dit: «Je me préoccupe de ce qui leur arrive.» Ce devait être ce qui était attaché à sa famille, qui a dû se séparer du reste de son être: quand il était venu à moi, il était venu complet, mais après, je ne sais pas ce qui est arrivé, n'est-ce pas (geste d'éclaté-ment sous le choc). Et c'était tellement concret que quand on a réveillé le père d'Albert, il a dit à haute voix: «Pourquoi finissez-vous ma conversation avec N.S.?» C'est comme cela qu'on l'a su. Il a dit: «Mais j'étais en train de parler avec N.S., pourquoi avez-vous interrompu ma conversation?» Alors on a su que c'était arrivé.

Voilà.

(Sujata prend la parole:) Douce Mère, moi aussi, j'ai vu N.S.

Quand?

C'était l'année où il est mort, mais après beaucoup de mois. Ce n'était même pas un an après: huit ou neuf mois après. Je l'ai vu, il était venu chez moi (c'était la nuit, en rêve), il était chez nous, près de la porte, je suis allée le voir.8 Mais il y avait quelqu'un près de moi, qui a dit: «Mais il est mort!» Alors il a reçu un tel choc, ce pauvre monsieur, il souffrait. Alors je l'ai pris avec moi, je l'ai étendu sur mon lit et V était là, j'ai envoyé V te prévenir.

Tout cela en rêve?

Tout cela en rêve. Je le calmais, et puis j'ai dit à V d'aller te voir.

Mais ça, cette division, cette partie séparée, c'est arrivé quand on l'a brûlé. Avant, je l'avais gardé complet, et je l'aurais fait passer dans le psychique comme je les fais tous passer, tranquillement, sans heurts, sans difficulté. Mais brrt! (même geste d'éclatement). C'est un choc effroyable, tu sais! On commence par mettre le feu dans la bouche... C'est... oh! la conduite des hommes entre eux – j'ai vu tout cela, je l'ai vu... C'est une chose si effroyable, si effroyable!

Et quand je pense... ce n'est pas une fois, deux fois, c'est des centaines de fois, des gens qui aimaient quelqu'un (leur père ou leur frère qu'ils aimaient, ou leur mère), et alors, dès que cette personne est morte, s'ils la voient en rêve ou en vision, ça leur fait une peur épouvantable et ils veulent la chasser!... Pourquoi?... Si je leur demande pourquoi, c'est chez eux un mouvement tellement spontané qu'ils ne peuvent pas me lç dire. Ils ne peuvent pas, ils sont étonnés que je le demande, tellement ça leur paraît naturel.

Ce que j'ai dit à T (ce que je crois qu'elle n'a pas compris), je lui ai dit: il n'y a pas tant de différence entre ce que les hommes appellent la «vie» et ce qu'ils appellent la «mort»; la différence est très petite, et quand on va à fond dans le problème et dans tous les détails, la différence diminue encore. On fait toujours un clean cut [une coupure] entre les deux – c'est tout à fait idiot: il y a des vivants qui sont déjà à moitié morts, et il y a beaucoup de morts qui sont TRÈS vivants.9

L'enregistrement du son fait par Satprem    

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1 Mère a en vue Alalouf. Regarde Planète No 35, juillet-août 1967.

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2 Au lendemain des événements du 11 février 1965 au cours desquels l'Ashram avait été assiégé, plusieurs disciples blessés et quelques bâtiments brûlés, Mère avait fait une déclaration où elle mettait en cause les divers éléments responsables de cet éclat de haine, et parmi les tout premiers responsables, elle citait les catholiques de Pondichéry: «... D'abord les catholiques militants, parce que, en dépit de ce que le pape a déclaré après sa visite en Inde, ils sont convaincus que quiconque n'est pas catholique doit être un instrument du diable...»

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3 En France.

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4 L'enregistrement de tout ce début de conversation n'a pas été conservé.

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5 Un ingénieur de l'Ashram. Mère a déjà parlé de ce cas dans l'Agenda I du 28 mai 1960.

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6 Sorti de son corps. Mère a déjà raconté cette expérience dans l'Agenda III du 4 juillet 1962.

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7 Albert: le gentil tailleur de l'Ashram.

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8 Sujata a précisé: «Il était très grand, haut comme la porte. Et il m'a demandé des nouvelles de sa femme.»

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9 Il existe un enregistrement de cette conversation.

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