SITE DE SRI AUROBINDO ET LA MÈRE
      
Page d’accueil | Les oeuvres | Les oeuvres de Mère | l'Agenda

Mère

l'Agenda

Volume 8

30 décembre 1967

(Mère extrait d'une pile de papiers, de lettres, d'enveloppes de toutes sortes, une note sur Auroville qui a été rédigée de mémoire d'après ses paroles.)

(Riant) Tout cela est dans un équilibre merveilleux!

(le disciple lit la note)

«Auroville will be a self-supporting township.

«All who live there will participate in its life and development.

«This participation may be passive or active.

«There will be no taxes as such but each will contribute to the collective welfare in work, kind or money.

«Sections like Industries which participate actively will contribute part of their income towards the development of the township. Or if they produce something (like foodstuff) useful for the citizens, they will contribute in kind to the township which is responsible for the feeding of the citizens.

«No rules or laws are being framed. Things will get formulated as the underlying Truth of the township emerges and takes shape progressively. We do not anticipate.»

(traduction)

«Auroville subsistera par ses propres moyens.

«Tous ceux qui vivront là participeront à la vie de la ville et à son développement.

«Cette participation peut être active ou passive.

«Il n'y aura pas d'impôts comme tels, mais chacun contribuera au bien-être collectif par son travail, en nature ou en espèces.

«Les secteurs comme les industries, qui participent activement, feront contribution d'une partie de leurs revenus pour le développement de la cité. Ou bien s'ils produisent des articles ayant une utilité pour les habitants de la ville (comme les produits alimentaires), ils apporteront leur contribution en nature à la ville, laquelle est responsable de la nourriture des habitants.

«Aucune règle ni loi ne sont édictées. Les choses se formuleront d'elles-mêmes à mesure que la Vérité latente de la ville émergera et prendra forme peu à peu. Nous ne voulons pas anticiper.»

C'est tout?

Je croyais en avoir dit plus que cela. Parce que j'en ai dit beaucoup-beaucoup intérieurement sur l'organisation de la nourriture, etc.... On va faire des essais.

Il y a des choses qui sont vraiment intéressantes; par exemple, je voudrais qu'il y ait... D'abord, chaque pays aura son pavillon, et dans le pavillon, il y aura une cuisine du pays, c'est-à-dire que les Japonais pourront manger du japonais s'ils le veulent (!) etc., mais dans la ville elle-même, il y aura la nourriture pour les végétariens et la nourriture pour les non-végétariens, et aussi une sorte d'essai pour trouver la «nourriture de demain». N'est-ce pas, tout ce travail d'assimilation qui vous rend si lourd (ça occupe tellement de temps et d'énergie de l'être), que ce soit fait AVANT, que l'on vous donne quelque chose qui soit immédiatement assimilable, comme ils le font maintenant; par exemple, ils ont des vitamines directement assimilables et aussi... (comment appellent-ils cela?... Mère cherche... j'en prends tous les jours... les mots et moi, nous ne sommes pas très amis!)... des protéines. Des principes nutritifs qui se trouvent dans telle, telle ou telle chose et qui ne sont pas volumineux – il faut une quantité formidable pour assimiler très peu. Alors maintenant qu'ils sont assez adroits au point de vue chimique, on pourrait simplifier. Les gens n'aiment pas cela, simplement parce que... parce qu'ils prennent un plaisir intense à manger (!) mais quand on ne prend plus plaisir à manger, on a besoin d'être nourri et de ne pas perdre son temps à cela. On perd un temps énorme: un temps à manger, un temps à digérer, et puis le reste. Et là, je voudrais qu'il y ait une cuisine d'essai, une espèce de «laboratoire culinaire», pour essayer. Et les gens iraient ici ou là, ou là, suivant leurs goûts, leurs tendances.

Et on ne paye pas la nourriture, mais on doit donner du travail, ou des ingrédients: ceux qui auraient, par exemple, des champs, donneraient le produit de leurs champs; ceux qui auraient des usines, donneraient leurs produits; ou son propre travail en échange de la nourriture.

Ça supprime beaucoup déjà de la circulation monétaire intérieure.

Et pour tout, on pourrait trouver des choses comme cela... Au fond, ce doit être une ville d'études – d'études et de recherche du comment vivre d'une manière à la fois simplifiée et où les qualités supérieures ont PLUS DE TEMPS pour se développer. Voilà.

C'est seulement un petit commencement.

(Puis Mère reprend le texte phrase par phrase)

«Auroville will be a self-supporting township.»

[Auroville subsistera par ses propres moyens.]

Je veux insister sur le fait que ce sera une expérience: c'est pour faire des expériences – des expériences, des recherches, des études.

Une cité expérimentale?

Oui... Auroville sera une cité qui essaiera d'être, ou qui tendra vers ou qui voudra être «self-supporting», c'est-à-dire...

Autonome?

«Autonome», on le comprend comme une sorte d'indépendance qui coupe les relations avec le dehors, ce n'est pas cela que je veux dire.

Par exemple, ceux qui produisent de la nourriture, une usine comme «Aurofood» (naturellement, quand on sera cinquante mille, ce sera difficile de suffire aux besoins, mais pour le moment nous ne serons que quelques milliers tout au plus), eh bien, une usine produit toujours beaucoup trop... Alors elle vendra au-dehors et recevra de l'argent. Et «Aurofood», par exemple, veut avoir une relation spéciale avec les ouvriers, pas du tout le vieux système – quelque chose qui soit une amélioration du système communiste, une organisation plus équilibrée que le soviétisme ou le communisme, c'est-à-dire qui ne pèse pas trop d'un côté par rapport à l'autre.

L'idée d'Aurofood est bonne et ils essayent de faire de la propagande parmi les industriels.

Et il y a une chose que je voulais dire. La participation au bien-être et à l'existence de la ville tout entière n'est pas une chose calculée individuellement: tel individu doit donner tant. Ce n'est pas comme cela. C'est calculé d'après les moyens, l'activité, les possibilités de production; ce n'est pas l'idée démocratique qui découpe tout en petits morceaux égaux, qui est une machine absurde – c'est calculé d'après les moyens: celui qui a beaucoup donne beaucoup, celui qui a peu donne peu; celui qui est fort travaille beaucoup, celui qui n'est pas fort fait autre chose. N'est-ce pas, c'est quelque chose de plus vrai, de plus profond. Et c'est pour cela que je n'essaye pas d'expliquer tout de suite parce que les gens vont se mettre à faire toutes sortes de protestations. Il faut que ça se crée automatiquement pour ainsi dire, avec la croissance de la ville, dans 1e vrai esprit. C'est pour cela que cette note est tout à fait succincte.

Par exemple, cette phrase:

«Tous ceux qui vivront là participeront à la vie de la ville et à son développement...»

...selon leurs capacités et leurs moyens, non pas mécaniquement: tant par unité. C'est cela. Il faut que ce soit une chose vivante et vraie, pas une chose mécanique. Et «selon les capacités», c'est-à-dire que celui qui a des moyens matériels comme ceux que donne une usine, devra fournir proportionnellement à sa production: pas tant par individu et par tête.

«This participation may be passive or active.»

[Cette participation peut être active ou passive.]

Je ne comprends pas ce qu'ils veulent dire par «passive» (parce que moi, j'ai parlé en français et ça a été mis en anglais). Qu'est-ce qu'ils peuvent vouloir dire par «passive»?... Ce serait plutôt à des plans, à des niveaux de conscience différents.

Tu voulais dire que ceux qui sont des sages, au fond, qui travaillent à l'intérieur, n'ont pas besoin...

Oui, c'est cela. Ceux qui ont une connaissance supérieure n'auront pas besoin de travailler de leurs mains, c'est cela que je veux dire.

«There will be no taxes as such but each will contribute to the collective welfare in work, kind or money

[Il n'y aura pas d'impôts, mais chacun contribuera au bien-être collectif par son travail, en nature ou en espèces.]

Alors c'est entendu: il n'y aura pas de taxes ni d'impôts, mais chacun devra contribuer au bien-être collectif par son travail, en nature ou en espèces. Ceux qui n'auront pas autre chose que de l'argent donneront de l'argent. Mais le «travail», ce peut être un travail intérieur à dire vrai (mais cela ne peut pas se dire, parce que les gens ne sont pas assez honnêtes), le travail peut-être un travail occulte, tout à fait intérieur, mais pour cela, n'est-ce pas, il faut que ce soit absolument sincère et vrai et avec la capacité: pas de prétentions. Mais ce n'est pas nécessairement un travail matériel.

«Sections like Industries which participate actively will contribute part of their income towards the development of the township. Or if they produce something (like food-stuff) useful for the citizens, they will contribute in kind to the township which is responsible for the feeding of the citizens

[Les secteurs comme les industries, qui participent activement, feront contribution d'une partie de leurs revenus pour le développement de la cité. Ou bien s'ils produisent des articles ayant une utilité pour les habitants de la ville (comme les produits alimentaires), ils apporteront leur contribution en nature à la ville, laquelle est responsable de la nourriture des habitants.]

C'est ce que nous avons dit. Les industries participeront activement, contribueront. Si ce sont des industries qui produisent des articles dont on n'a pas un besoin constant – et par conséquent en quantité ou en nombre trop grand pour l'utilisation dans la ville et qui vendront au-dehors –, ceux-là naturellement doivent participer avec de l'argent. Et je donne comme exemple la nourriture: ceux qui produisent de la nourriture donneront ce qu'il faut à la ville (en proportion de ce qu'ils produisent, naturellement), et la ville est responsable de la nourriture de tout le monde. C'est-à-dire que l'on n'aura pas besoin d'acheter sa nourriture avec de l'argent, mais il faut la gagner.

C'est une sorte d'adaptation du système communiste, mais pas dans un esprit de nivellement: suivant la capacité, la position (pas psychologique ni intellectuelle), la position INTÉRIEURE de chacun.

Avec les démocraties et les communistes, c'est le nivellement par le bas: tout le monde est ramené en bas.

Oui, c'est justement.

Ce qui est vrai, c'est que, matériellement, tout être humain a le droit... (mais ce n'est pas un «droit»...) L'organisation doit être telle, doit être arrangée de telle façon que les nécessités matérielles de tous soient assurées non pas selon des idées de droit et d'égalité, mais en se basant sur les nécessités les plus élémentaires; et alors, une fois cela établi, chacun doit être libre d'organiser sa vie selon, non pas selon ses moyens monétaires, mais selon ses capacités intérieures.

«No rules or laws are being framed. Things will get for-mulated as the underlying Truth of the township emerges and takes shape progressively. We do not anticipate.»

[Aucune règle ni loi ne sont édictées. Les choses se formuleront d'elles-mêmes à mesure que la Vérité latente de la ville émergera et prendra forme peu à peu. Nous ne voulons pas anticiper.]

Ce que je veux dire, c'est que d'habitude (toujours jusqu'à présent, et de plus en plus), les hommes établissent des règles mentales selon leurs conceptions et leur idéal, et puis ils les appliquent (Mère abaisse son poing comme pour montrer le monde sous la poigne mentale), et ça, c'est absolument faux, c'est arbitraire, c'est irréel, et le résultat, c'est que les choses se révoltent ou dépérissent et disparaissent... C'est l'expérience de la vie elle-même qui doit lentement élaborer des règles aussi souples et aussi vastes que possible de façon qu'elles soient toujours progressives. Rien ne doit être fixe. Ça, c'est l'immense erreur gouvernementale: on fait un cadre, on dit «Voilà, nous établissons ça et nous devons vivre là-dessous», et alors naturellement on écrase la Vie et on l'empêche de progresser. Il faut que ce soit la Vie elle-même, se développant de plus en plus dans une progression vers la Lumière, la Connaissance, le Pouvoir, qui doit petit à petit établir des règles aussi générales que possible de façon qu'elles soient extrêmement souples et qu'elles puissent se changer avec le besoin et aussi rapidement que changent les habitudes et les besoins.

(silence)

Au fond, le problème se réduit presque à ceci: remplacer le gouvernement mental de l'intelligence par le gouvernement d'une conscience spiritualisée.

Ça, c'est une expérience extrêmement intéressante: comment les mêmes actions, le même travail, les mêmes observations, le même rapport avec l'entourage (proche et lointain), se fait dans le mental, par l'intelligence, et dans la conscience, par l'expérience. Et c'est cela que ce corps est en train d'apprendre: à remplacer le gouvernement mental de l'intelligence par le gouvernement spirituel de la conscience. Et cela fait (ça n'a l'air de rien, on peut ne pas s'en apercevoir), cela fait une différence formidable, au point que ça centuple les possibilités du corps... Quand le corps est soumis à des règles, même si elles sont larges, même si elles sont compréhensi-ves, il est l'esclave de ces règles, et ses possibilités sont limitées par ces règles. Mais quand il est gouverné par l'Esprit et la Conscience, ça lui donne une possibilité, une flexibilité, incomparables! Et c'est cela qui lui donnera la capacité de prolonger sa vie, de prolonger sa durée: c'est de remplacer le gouvernement intellectuel, mental, par le gouvernement de l'Esprit, de la Conscience – la Conscience. Et extérieurement, ça n'a pas l'air de faire beaucoup de différence, mais... Mon expérience est comme cela (parce que maintenant mon corps n'obéit plus du tout au mental ni à l'intelligence, plus du tout – il ne comprend même pas comment ça peut se faire), mais de plus en plus et de mieux en mieux, il suit la direction, l'impulsion de la Conscience. Et alors il voit, presque à chaque minute, la différence formidable que cela fait... Par exemple, le temps a perdu sa valeur (sa valeur rigide): on peut faire en très peu de temps, en beaucoup de temps, exactement la même chose. Les nécessités ont perdu leur autorité: on peut s'adapter comme ceci, s'adapter comme cela. Toutes les lois – ces lois qui étaient des lois de la Nature – ont perdu tout leur despotisme, peut-on dire: ce n'est plus comme cela. Il suffit de toujours-toujours être souple, attentif et... «responsif» (si cela peut exister!) à l'influence de la Conscience – la Conscience dans sa toute-puissance – pour passer à travers tout cela avec une souplesse extraordinaire.

Ça, c'est la découverte qui se fait de plus en plus.

C'est merveilleux, n'est-ce pas! c'est une découverte merveilleuse.

C'est comme une victoire progressive sur tous les impératifs. Alors, toutes les lois de la Nature naturellement, toutes les lois humaines, toutes les habitudes, toutes les règles, tout ça, ça s'assouplit et ça finit par être inexistant. Et pourtant, on peut garder un rythme régulier qui facilite l'action – ce n'est pas contraire à cette souplesse. Mais c'est une souplesse dans l'exécution, dans l'adaptation, qui vient et qui change tout. Au point de vue hygiénique et au point de vue santé, au point de vue organisation, au point de vue des relations avec les autres, tout cela a perdu non seulement son agressivité (parce que ça, il suffit d'être sage – sage et pondéré et calme – pour que cela perde son agressivité), mais son absolutisme, sa règle impérative: c'est tout à fait parti – c'est parti.

Et alors on voit: à mesure que le procédé devient de plus en plus parfait – «parfait», cela veut dire intégral, total, ne laissant rien en arrière –, c'est nécessairement, inévitablement, la victoire sur la mort. Non pas que cette dissolution des cellules, que la mort représente, n'existe plus, mais elle n'existerait que quand elle serait nécessaire: pas comme une loi absolue, mais comme un des procédés, quand c'est nécessaire.

C'est surtout cela: tout ce que le Mental a apporté de rigide et d'absolu, et d'invincible presque, qui... va disparaître. Et simplement cela: par... passer le pouvoir suprême à la Conscience Suprême.

Peut-être est-ce cela que les anciens sages voulaient dire quand ils parlaient de passer le pouvoir de la Nature ou le pouvoir de la Prakriti au Pourousha, de le passer de la Prakriti au Pourousha. C'était peut-être cela qu'ils exprimaient de cette manière.

L'enregistrement du son fait par Satprem    

This text will be replaced

in English

in German