Mère
l'Agenda
Volume 9
(Tout l'Ashram est parti à Auroville pour assister à l'inauguration. Mère lit son message qui est retransmis directement à Auroville par la radio indienne:)
«Salut d'Auroville à tous les hommes de bonne volonté.
«Sont conviés à Auroville tous ceux qui ont soif de progrès et aspirent à une vie plus haute et plus vraie.»
(puis Mère lit la Charte)
Charte d'Auroville
1. Auroville n'appartient à personne en particulier. Auroville appartient à toute l'humanité dans son ensemble.
Mais pour séjourner à Auroville, il faut être le serviteur volontaire de la Conscience Divine.
2. Auroville sera le lieu de l'éducation perpétuelle, du progrès constant et d'une jeunesse qui ne vieillit point.
3. Auroville veut être le pont entre le passé et l'avenir. Profitant de toutes les découvertes extérieures et intérieures, elle veut hardiment s'élancer vers les réalisations futures.
4. Auroville sera le lieu des recherches matérielles et spirituelles pour donner un corps vivant à une unité humaine concrète.1
(puis on déconnecte la radio... silence)
Alors, maintenant, nous sommes tranquilles comme des princes et des rois! (ça n'arrive pas souvent) jusqu'à onze heures trente. Si tu as quelque chose à me dire, j'écoute.
C'est peut-être toi qui as quelque chose à dire?
Non-non! ça suffit! (Mère rit)
J'ai passé toutes mes journées et toutes mes nuits à tranquilliser l'atmosphère, ça avait pris des proportions... Tu sais, ces mouvements qui commencent à tourner comme cela, comme le vent des cyclones ou dans la mer, et puis ça va de plus en plus vite, de plus en plus fort, de plus en plus fort. Alors les gens tombent malades, ils sont éreintés, ils ne peuvent plus rien. Depuis trois jours, je passe mon temps à calmer-calmer-calmer l'atmosphère. Heureusement qu'ils venaient à moi (ce n'était pas à «moi» naturellement), mais ils avaient le sentiment qu'il y avait là quelque chose de stable qui pouvait arrêter ce désordre, autrement... Mais c'était très difficile à cause du nombre vraiment grand des additions extérieures: le 21 au darshan, ils étaient plus de quatre mille personnes en bas, et il y a tous ceux qui sont venus pour aujourd'hui et pour demain, alors ce doit être cinq ou six mille – à nourrir, à loger... Tout un travail.
Et puis, ils m'ont demandé qu'il n'y ait pas de pluie naturellement, mais qu'il n'y ait pas de soleil aussi! (Mère rit) Alors c'était un petit peu difficile, mais tout à l'heure, Z est venu me dire que le site d'Auroville était clouded [nuageux], pas de soleil... Elles sont très obligeantes, toutes ces petites entités-là, mais on leur demande des choses impossibles! Je reçois en même temps des demandes: «Ah! il me faut de la pluie; ah! non, je ne veux pas de pluie; ah! j'ai besoin de soleil; oh! non, je ne veux pas de soleil...» Comment peuvent-ils faire!
Tu es contente?
Contente? qu'est-ce que cela veut dire?
Ça marche?
Je ne sais pas. J'ai l'impression que là-bas, ça va bien.
Z m'a dit quelque chose il y a deux jours: «Ah! ça a été une bonne leçon: maintenant, nous sommes convaincus que la manière des Occidentaux n'est pas meilleure que la nôtre», parce qu'ils croyaient tout le temps que la manière matérialiste faisait des réalisations meilleures – tous –, alors maintenant ils sont convaincus.
Je t'ai dit que le consul des Soviets est enthousiaste! Il a vu la Charte – il l'a vue en anglais d'abord (en anglais, il y a Divine's Consciousness, avec l'apostrophe), il a dit: «C'est dommage, ça évoque l'idée de Dieu» (c'est S qui est allée là-bas), elle a dit: «Ce n'est pas cela du tout! il n'y a rien de religieux dans cette affaire et on va vous montrer le français.» Alors il a lu la «conscience divine» et ça l'a satisfait. Il a dit: «C'est juste ce que nous voulons réaliser, et sans ces mots-là, ce serait officiellement soutenu et reconnu par le gouvernement soviétique.» Alors on lui avait demandé de le traduire en russe, mais finalement ce n'est pas sa traduction qu'on lit à Auroville, c'est celle de T qui est venue, et elle n'a pas peur des mots. Mais je lui ai envoyé l'autorisation: je lui ai fait expliquer que les mots étaient seulement une transcription plus ou moins maladroite, non seulement de l'idée, mais de ce qui est au-dessus de l'idée, le principe; et que cela n'avait pas beaucoup d'importance si c'étaient ces mots-ci ou ces mots-là (chacun emploie les mots qui lui conviennent le mieux), et qu'alors je l'autorisais à mettre les mots qui seraient acceptables pour son gouvernement. Et le consul soviétique a dit «oui» et il était très content. Il a dit: «Quand le gouvernement soviétique soutient quelque chose officiellement, c'est sérieux.» – C'est vrai, je le sais, ils sont très généreux. Alors j'espère que cela va avoir un résultat favorable. Et puis c'est juste ce que je voulais, n'est-ce pas: d'Amérique, depuis longtemps ils sont enthousiastes – c'est bien, mais eux, comprennent peut-être moins bien; les Russes, dans leur nature, sont mystiques, et alors ça a été opprimé, supprimé, et naturellement ça a gagné beaucoup de force. Et maintenant, ça a tendance à vouloir éclater.
Mais si les deux à la fois soutiennent Auroville, nous n'aurons plus d'embêtements financiers!
C'est venu petit à petit, petit à petit. Je t'ai dit ce que Sri Aurobindo m'avait révélé à propos de l'état de l'Inde, qui était la représentation symbolique de l'état actuel de l'humanité, et que c'est pour cela, m'a dit Sri Aurobindo, c'est pour cela qu'Auroville a été créé.2 Alors j'ai compris. Depuis ce moment-là, c'est devenu très clair – «clair», je veux dire qu'il a fait comme si cela s'était répandu et les gens commençaient à comprendre.
Voilà.
ADDENDUM
(Extrait d'une conversation de Mère avec un disciple au sujet d'Auroville.)
Il faut être d'une sincérité absolument transparente. Le manque de sincérité est la cause des difficultés actuellement.
L'insincérité est dans tous les hommes. Il y a peut-être cent hommes sur terre qui soient totalement sincères. C'est la nature même de l'homme qui le rend insincère, c'est très compliqué, car il est constamment en train de tricher avec lui-même, de se cacher la vérité, de s'excuser. Le yoga est le moyen d'arriver à être sincère dans toutes les parties de l'être.
Il est difficile d'être sincère, mais on peut au moins l'être mentalement, c'est ce que l'on peut exiger des Auroviliens.
La Force est là, présente comme jamais, c'est l'insincérité des hommes qui l'empêche de descendre, d'être ressentie. Le monde est dans le mensonge, tous les rapports entre les hommes n'ont été jusque là basés que sur le mensonge et la tromperie. La diplomatie entre les nations est basée sur le mensonge. Ils prétendent vouloir la paix et s'arment d'un autre côté. Seule, la sincérité transparente chez l'homme et entre nations permettra la venue d'un monde transformé.
Auroville est la première tentative de l'expérience. Il naîtra un monde nouveau si les hommes veulent faire l'effort d'une transformation et d'une recherche de sincérité – c'est possible. De l'animal à l'homme, des millénaires ont été nécessaires; aujourd'hui, l'homme, grâce à son mental, peut accélérer et vouloir une transformation vers un homme qui sera Dieu.
Cette transformation à l'aide du mental, en s'analysant, est une première étape; ensuite, il faut transformer les impulsions vitales – c'est beaucoup plus difficile – et surtout transformer le physique: chaque cellule de notre corps devra devenir consciente. C'est le travail que je fais ici. Cela permettra de vaincre la mort. C'est une autre histoire; ce sera l'humanité du futur, peut-être dans des siècles, peut-être plus rapidement. Cela dépendra des hommes, des peuples.
Auroville est le premier pas vers ce but.
This text will be replaced |
1 Il existe un enregistrement de ce message et de la Charte. La suite n'a pas été conservée.
2 Voir conversation du 3 février 1968.