SITE DE SRI AUROBINDO ET LA MÈRE
      
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Mère

l'Agenda

Volume 9

26 octobre 1968

Je n'ai rien à dire. Je peux parler, mais je n'ai rien à dire!

Ça va?

Je ne tousse pour ainsi dire presque plus... Mais je n'ai rien à dire.

(silence)

Ce physique, cette conscience physique (je ne crois pas que ce soit une conscience physique personnelle), la conscience physique générale a été prise, dans ce corps, d'une pitié, oh!... Je ne peux pas dire «pitié»... c'est quelque chose de très spécial: c'est une compassion très intime et très tendre, de la condition physique humaine. Mais ça m'a pris dans des proportions formidables! Il n'y avait plus que cela dans la conscience, et si je n'avais pas contrôlé, je me serais mise à pleurer-pleurer-pleurer...

C'est cela, la dominante de ces derniers jours.

Et alors, comme par-dessous, comme venant des profondeurs, par-dessous, la perception de cette Compassion – de la Compassion divine –, de la façon dont la chose est vue et sentie par le Divin... Ça, c'était merveilleux.

C'était vraiment une dominante.

Et il n'y a pour ainsi dire pas de contradictions du dehors – je ne vois pas beaucoup de monde: parmi eux, il n'y a qu'UNE personne, une personne qui vit dans une conscience joyeuse. Une seule parmi tous les gens que je connais. Et encore, c'est parce qu'elle vit dans une conscience vitale-mentale très harmonieuse et elle est contente... D'ailleurs, j'ai l'impression que si l'on grattait un peu... (la joie tomberait).

Oui, la condition des corps humains est très misérable.

C'est misérable.

Oui, très misérable.

C'est vraiment misérable.

Oh! ce n'est pas du tout, cela n'a rien à voir avec les difficultés vitales, les difficultés mentales, tout cela... Le corps n'est pas conscient de ça, et ça ne l'intéresse pas – ça ne l'intéresse pas; quand les gens racontent des difficultés vitales ou mentales, ça lui paraît tout à fait enfantin. Mais c'est la MISÈRE dans laquelle ce corps vit, c'est cela qui est affreux.

Il y avait même des moments...

Il y a, comme je l'ai dit, le CONSTANT appel – constant appel – au Divin, et même fortement (comment dire?) la perception de sa Présence, et alors c'est comme une espèce de contradiction... Quand ça a commencé, j'ai dit: «Comment est-ce que Tu peux vouloir ça?»

N'est-ce pas, depuis très longtemps – depuis des années –, l'attitude spontanée (ce n'est pas le résultat d'un effort), l'attitude spontanée du corps est: «C'est mon incapacité, c'est mon ignorance, c'est mon impuissance, c'est ma stupidité, c'est... qui fait ma misère.» Il se considère seul responsable de toutes ses misères. Mais alors, c'est cela, c'est cette contradiction: «Pourquoi-pourquoi-pourquoi est-ce que Tu veux que ce soit comme cela? Pourquoi?»

Et alors, je passe presque des journées et des nuits entières dans le silence (je veux dire sans parler), mais à voir – à voir... Et alors, il n'y a pas la sensation ni la perception d'une individualité séparée, et il y a d'innombrables expériences, par douzaines tous les jours, montrant que c'est l'identification ou l'unification avec les autres corps qui fait qu'on sent la misère de celui-ci, la misère de celui-là, la misère... C'est un fait. Et non pas comme étant d'un autre corps, mais comme le sien propre. C'est-à-dire que, maintenant, il est difficile de faire une distinction sur un plan... (Mère étend ses mains au loin) il y a un plan un tout petit peu, tout petit peu plus subtil que le tout à fait matériel... Alors ce n'est pas la plainte de sa propre misère, mais TOUT est sa misère.

C'est-à-dire que ce n'est pas une plainte égoïste.

Il y a une perception très claire et spontanée qu'il est impossible d'extraire un petit morceau du tout et d'en faire quelque chose d'harmonieux quand tout ne l'est pas.

Mais pourquoi-pourquoi-pourquoi?... Je n'arrive pas à comprendre... Tant qu'il se sentait séparé (dans le temps – il y a très longtemps –, il y a très longtemps), quand il se sentait un corps séparé des autres, et surtout séparé du Divin, alors ça se comprend: il n'y a rien à dire, c'est tout naturel, cela se comprend. Mais maintenant que, pour lui, vraiment TOUT est le Divin, comment, comment cela n'apporte-t-il pas l'Harmonie?... N'est-ce pas, vitalement, mentalement (et naturellement au-dessus), quand on a l'expérience de l'identité, on a en même temps la Béatitude. Ici (corps), il y a l'expérience de l'identité et PAS de Béatitude. Pourquoi?

Il se peut que si le corps avait réussi à rester séparé, il aurait pu sentir quelque chose – mais ce n'est pas vrai! c'aurait été un mensonge alors... N'est-ce pas, cette identité, ce n'est pas le résultat d'un effort, ce n'est pas le résultat d'une volonté: c'est un fait – c'est un fait spontané, je n'ai pas essayé le moins du monde de l'avoir. Ça a commencé comme cela. Et ce corps-là lui-même, il est dans un état... je ne peux pas dire précaire, mais enfin qui n'a rien de particulièrement réjouissant. Ça ne lui a pas apporté une harmonie physique.

Parce qu'il y a tout le reste.

Justement!

De temps en temps, pour... même pas quelques minutes (ce sont quelques secondes), il y a une claire perception de la vraie Identité qui est une Harmonie parfaite, et alors tous les désordres n'existent plus – mais... matériellement ils existent! Prends une chose très simple: par exemple, mes dents sont toutes branlantes dans ma bouche – c'est un fait –, il est vrai que, logiquement, un tel état de la bouche devrait être très douloureux: il ne l'est pas; et je vois bien qu'il ne l'est pas à cause d'une Présence – ça, je le comprends bien. Mais ça ne guérit pas, il s'en faut! C'est inguérissable.1

Ce physique est vraiment... un mystère.

Je comprends les gens qui ont dit: «Il faut l'abolir, c'est un mensonge.» Et pourtant, ce n'est pas vrai, ce n'est pas un mensonge, c'est... c'est quoi? Dire une «déformation», cela ne signifie rien.

(silence)

Mais le pouvoir de soulager (non pas de guérir: le pouvoir de soulager), loin d'avoir diminué, a augmenté. Quand on me rapporte que quelqu'un est malade, au moins plus de quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, j'ai déjà ÉPROUVÉ la chose, et alors ce que l'on me dit me fait dire: «Ah! c'est telle personne.» Je l'ai déjà éprouvé comme faisant partie de mon être physique (geste au loin), un être physique immense, n'est-ce pas, immense et sans forme précise. Alors c'est cette précision et cette division qui sont... (comment dire?)... est-ce l'obstacle, est-ce la cause? (ce sont probablement les deux), qui empêchent l'Harmonie de s'établir. C'est parce que nous sommes réellement séparés. Mais alors, tu conçois comment serait un monde qui ne serait pas réellement séparé?... Parce que, tu comprends, c'est sérieux: si pour que le monde existe tel qu'il est, il faut qu'il soit réellement séparé, et que d'être réellement séparé est la cause de toute la misère, alors... Et pourtant, autrement (je ne sais comment), autrement je sais (ce n'est pas «moi» qui sais: il n'y a pas de moi, là), je sais, je sais (c'est le grand Je qui sait) que l'abandon, la disparition de ce monde n'est pas la solution... Mais quoi?...

C'est le seul monde où la division n'est plus le résultat d'un état de conscience, mais c'est un fait, et alors...? Partout ailleurs, c'est le résultat d'un état de conscience: la conscience change, l'état change – là: pas. C'est le seul: ça (la matière). Et pourtant... c'est un mensonge.

(silence)

On conçoit facilement une amélioration considérable avec un établissement de la Conscience vraie, parce que, comme je l'ai dit, il y a des expériences (tout à fait passagères, mais enfin) qui sont très concrètes, d'une harmonisation même matérielle qui a toute l'apparence d'un miracle de cette façon-là; mais on conçoit qu'en rétablissant la Vraie Conscience et avec elle, l'Harmonie qu'elle apporte, cela ferait une différence considérable... Probablement une différence suffisante pour que puisse se réaliser un état harmonieux et progressif: dans l'harmonie, pas dans la misère.

C'est peut-être cela, le suprême miracle que le Divin essaye de réaliser: la séparation – un fait existant – et l'état de conscience de l'Unité.

(silence)

Ça, maintenant en tout cas, je sais... Le travail dans les autres états (même, même dans un physique subtil), c'est relativement un jeu d'enfant. La difficulté est ici.

(silence)

Alors on peut concevoir une amélioration, même une amélioration considérable, un état beaucoup plus harmonieux que celui qui existe. Celui qui existe... vraiment c'est un enfer; il n'y a que cette Possibilité qui fait que ce n'est pas un enfer. C'est parce que, derrière cet enfer, il y a cette Possibilité – qui est vivante, réelle, existante, que l'on peut toucher, dans laquelle on peut vivre –, autrement, c'est infernal... N'est-ce pas, on a l'impression que tous les états d'être ont été comme battus ensemble (tu sais, comme quand on fait une mayonnaise!), tous les états d'être comme cela, bien mélangés dans une grande confusion, alors naturellement l'«horrible chose» est supportable... à cause de tout le reste qui est là-dedans. Mais si on sépare... oh! (geste d'horreur)

Qu'est-ce que tu as à dire, toi?

Eh bien, cela veut dire qu'il faut que la conscience du tout change. C'est toujours le même problème: quand tout l'ensemble aura progressé, changé de conscience, le «fait» matériel devrait devenir différent.

Cela paraît comme cela.

C'est cela.

Il n'y a pas moyen d'échapper, de diviser ça.

Il faut que tout change.

L'individualité est seulement un moyen d'action pour la transformation du tout.

Je comprends qu'ils aient dit qu'il fallait s'évader! Ça exige une telle transformation... c'est presque une éternité de temps.

Une fois qu'on est sorti, on est sorti, mais tout le temps que l'on a mis à...

On ne peut pas transformer «un» sans transformer tout!

Oui, c'est cela. C'est cela.

C'est-à-dire que «un» accélère la transformation du tout.

Oui.

Alors ça, c'est le grand surrender: «C'est comme ça, c'est comme ça»... C'est effrayant.

Et c'est pour cela qu'il y a des gens qui s'échappent (même si c'est inutile, parce qu'ils auront à revenir). C'est pour se reposer! (Mère rit)

Il est de toute évidence que si ce n'était pas insupportable, ça ne

changerait jamais. Et si c'est insupportable, eh bien... vraiment ça vous donne envie de vous sauver – c'est impossible, n'est-ce pas, c'est leur sottise de croire que l'on peut sortir de ça: ce n'est pas possible. Seulement, pour un temps... on se repose.

C'est abandonner le travail. Ça retarde le résultat.

Et pourtant... pourtant on a l'impression que si, par quelque miracle, UN individu arrivait à physiquement se supramentaliser, ce serait un tel exemple pour le reste du monde que... Je ne sais pas, ça le bouleverserait.

Mais cela, ce serait tout de même partiel.

Oui, mais ça saisirait tellement les consciences...

Ce ne serait pas général, ce ne pourrait être que partiel. Mais ce sera. Ça fait partie du Plan. Mais la perfection d'une réalisation dépend d'une réalisation totale. Il peut y avoir une certaine «quantité» de réalisation, c'est incontestable – justement, c'est ce que réalisera la race supramentale, c'est évident. C'est évident.

Mais je veux dire que si, maintenant, par quelque miracle, UN devenait lumineusement vrai, ce serait un tel saisissement pour le reste de l'humanité que cela la retournerait sur le chemin de la Vérité – UN exemple.

Mais oui. Mais ça...

(silence)

Espérons-le!

(silence)

Ça, c'est la vraie soumission... oh!...

(longue contemplation)

Peut-être le miracle de la vraie soumission?... («soumission», ce n'est pas cela; ce n'est même pas surrender: c'est quelque chose comme une acceptation, qui est en même temps l'annulation de toute séparation). Ça, parfait... peut-être. C'est à voir.

Voilà.

Alors, la prochaine fois, c'est ta fête:2 une nouvelle naissance.

(silence)

Puisque Tu l'as conçu... c'est que Tu dois essayer de le faire.3

L'enregistrement du son fait par Satprem    

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1 Sri Aurobindo a raconté dans une lettre (Cent. Ed. vol. 26, p. 352-353), l'histoire d'un yogi qui a prolongé sa vie à volonté (il a vécu plus de 200 ans) mais toujours avec un même mal de dents jusqu'à la fin – jamais pu le guérir. Il s'agissait de Swami Brahmananda, qui, un jour de 1900, a déclaré à un visiteur du nom de Mazumdar: «Cette dent, elle m'ennuie depuis les jours de Bhao Girdhi.» (C'est-à-dire depuis 1761.)

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2 L'anniversaire du disciple, le 30.

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3 Nous ne savons pas si le deuxième «Tu» a une majuscule ou non (!) Il existe un enregistrement de cette conversation.

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