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Mère

l'Agenda

Volume 10

8 février 1969

(Par quelque gentillesse du sort, l'enregistrement du début de cette conversation a été conservé, alors que normalement nous effacions toujours les échanges du début ou les petits faits qui ne nous semblaient pas d'un intérêt «historique». Nous retranscrivons ici quelques fragments de ce début... par amusement.)

C'est le jour des soupes! Voilà.

Du poulet... une quantité!

Je ne t'en donne qu'une fois par semaine.

C'est beaucoup!

Ça (à Sujata, montrant une boîte), il faut que je lui montre... Tu veux du travail?

(Sujata:) Oui, douce Mère.

Voilà, j'ai reçu ça hier. Ce sont, paraît-il, des biscuits spéciaux – naturellement, moi je ne peux pas manger, mais si tu crois que tu peux en écraser...

Oui, Mère.

Alors je pourrai les manger.

À moins que tu ne fasses cela après avoir fini les marrons glacés? Mais les marrons glacés ne se gardent pas indéfiniment. Vous en mangez, non?

Oui, douce Mère!

Vous en mangez? Parce que autrement ils vont s'abîmer.

Alors, est-ce que tu crois que tu peux écraser un biscuit? Un à la fois.

(Satprem:) Pas plus d'un?... Deux peut-être?

Deux, ce sera beaucoup à manger.

(Sujata:) Ou un et demi?

Manger deux comme cela, c'est beaucoup pour moi! Un suffit. C'est à la main que tu écrases?

Oui, douce Mère.

Alors tu peux en faire un.

Si tu en prenais l'après-midi?

Ce serait beaucoup l'après-midi...

De bonne heure le matin, ce ne serait pas commode pour toi?... Je prends mon déjeuner à 8 heures et demie le matin, c'est trop tôt?

(Satprem:) Elle fait ça à 5 heures le matin!

Je me lève à 4 heures 30.

(Sujata, riant:) Moi aussi!

Alors, le matin. Tu feras comme cela: un jour, deux jours, trois jours, quatre jours, cinq jours...

Oui, Mère!

Comme cela? Ça ne t'ennuie pas?

Pas du tout!

«Ennui», je ne sais pas, mais difficile?

Non-non, Mère! Je me lève tôt le matin, c'est très bien.

Ça vient d'Allemagne – on m'a apporté ça hier.

Ah! maintenant, toi (à Satprem) tu as quelque chose?

Il y a les épreuves du Bulletin.

Oh! il faut voir ça.

Ça, c'est «La Synthèse», puis les «Entretiens»: ce très long entretien [sur les maladies]...

À ce propos, hier, R (l'architecte d'Auroville) me posait des questions pour pouvoir répondre aux gens, et il me demandait s'il était nécessaire d'organiser, etc. Et alors c'est venu, mais d'une façon tellement imperative; j'ai répondu que l'organisation, c'est la discipline dans l'action, et que la discipline est tout à fait indispensable pour vivre; j'ai dit: le corps, tout son fonctionnement est une discipline, et s'il y a une partie qui ne veut plus suivre la discipline – par révolte ou par incapacité ou par... n'importe quelle raison –, cesse de suivre la discipline, on tombe malade.

C'était venu si clairement que je l'ai dit.

Ce papier-là est avec R, je lui ai demandé de me le donner.1

J'en ai un autre ici que je vais te montrer tout à l'heure.

Mais ce qui est curieux, c'est que l'expérience est venue avant d'avoir eu sa question, comme toujours. Le matin, j'avais cette expérience, je regardais... je regardais le fonctionnement du corps et je me disais: quelle mer-veil-leu-se discipline! Et chaque chose fait son travail régulièrement. Et naturellement, quand il y a une mauvaise volonté ou une fantaisie, ou une incapacité quelconque, pour une raison quelconque, et qu'une partie cesse de jouer son rôle exactement, poff! on tombe malade.

Ce sera pour une autre fois.

Après, ce sont les «À Propos», puis les «Notes sur le Chemin»... Je m'étais demandé, douce Mère, si, pour le 21 février, on ne pourrait pas donner les enregistrements de ce que tu as dit, par exemple sur la descente de la conscience du surhomme?

Tu crois que...

Oui, au Terrain de Jeu, ils donnent toujours des anciens «Entretiens».

Tu crois que ça peut être utile?...

Je crois que cela a évidemment beaucoup plus de pouvoir que...

Que l'écrit.

D'un point de vue personnel, la chose qui me gène, c'est que plusieurs fois, je pose des questions, alors ma voix sera là.

Ça, ça peut aller! (Mère rit)

Oui, mais enfin... Je sais que cela ferait plaisir aux gens. Dit par toi, c'est tout de suite plus...

Qui est-ce qui décide? Nolini?

Ah! non-non-non, personne n'en décide! C'est à toi de dire si cela te convient.

On ne m'a jamais demandé...

Non-non, sauf des «Aphorismes», on n'a jamais pris des entretiens de toi, récents – jamais.

Tu pourrais peut-être demander à Nolini ce qu'il en pense?2

(le disciple montre la fin des épreuves)

Bon, ça va.

Ce n'est pas nécessaire de signer?

Je n'écris jamais.

Tiens, viens ici. Si tu peux enlever tout ça (une pile de papiers d'où Mère extrait une note), j'ai ici un papier... Aïe!... C'est ça, voilà. C'est terriblement mauvais, je te préviens, c'est comme une caricature ridicule de ce que j'ai dit...

C'est noté, ou quoi?

J'ai parlé et c'est F qui l'a écrit de mémoire, alors tu comprends: le mot important est parti, c'est descendu de...

(Le disciple lit:) «À Auroville, on ne gagnera pas d'argent; on ne travaillera pas pour gagner de l'argent...

C'est déjà descendu comme ça (geste par terre).

Alors: «Si l'on monte une entreprise, les profits ou les productions de cette entreprise iront à la ville...

Ce n'est pas comme ça – ce n'est pas comme ça! Non, ça ne sert à rien.

«...Chacun devra fournir un travail pour la collectivité selon ses possibilités et ses aspirations – jamais pour obtenir de l'argent, mais pour servir la collectivité. En échange, chacun recevra ce dont il a besoin pour vivre. Il n'est pas du tout question de donner à tous la même chose, chacun recevra ce dont sa vraie nature a besoin. Ce sera évidemment très difficile à déterminer et il faudra, au centre d'Auroville, une réunion de sages...

(Mère sourit)

«...pour décider des besoins de la vraie nature de chacun. Les travailleurs vivront dans un village conçu pour eux afin qu'ils se trouvent dans leur atmosphère. Selon le travail qu'ils auront fourni, ils recevront des bons avec lesquels ils devront obtenir... etc.»

C'est à peine, à peine, de temps en temps, le mot que j'ai prononcé! C'est curieux, n'est-ce pas. Ça me donne l'exemple exact de ce que je dis et de comment c'est reçu dans le cerveau.

C'est inutile.

Oui, on sent très bien une traduction humaine.

C'est inutile, n'est-ce pas – ce n'est pas ça.

Oui, tu n'as pas dit ça comme cela.

C'est inutile – je ne peux pas m'en servir.

C'est comme cela que les idées sont ruinées.

Oui, elles sont aplaties.

(Mère rit) Tout le sang est parti! Ça ne sert à rien.

Ça devient aplati, petit, et dogmatique.

Dogmatique! C'est absolument méconnaissable! Ça ne sert à rien.

J'ai parlé sans intention, parce que je venais de voir des choses et c'était là – c'était une vision. À ce moment-là, il se trouvait qu'elle était là. Je lui ai dit: «Est-ce que tu veux essayer? je vais parler et si tu te souviens, tu écriras.» Elle était très contente et... Non, ce qui est un peu ennuyeux, c'est que ça ne revient jamais, ce n'est jamais la même chose – jamais. C'est toujours: ou un point de vue différent, ou une occasion différente. Alors l'angle est changé.3

*
*   *

Peu après

Cette atmosphère ou conscience (du surhomme) semble avoir une activité éducatrice parce que, depuis qu'elle est là, elle est en train de faire l'éducation du corps – de la conscience du corps – et c'est tout à fait intéressant. Et cette éducation, ce n'est pas du tout une chose personnelle: c'est la vision de l'évolution terrestre, surtout concentrée sur l'évolution humaine. Il y a bien des notions du tout, de l'ensemble, et des choses très particulières, un point de vue tout à fait particulier, mais alors, des précisions, des insistances qui durent quelquefois une heure sur un sujet, pour bien faire comprendre profondément la cause et les conséquences, et la courbe de l'évolution.

Sa méthode (surtout, pas exclusivement), sa méthode consiste à éveiller un souvenir du corps qui était tout à fait oublié, semblait vraiment absolument parti; ça éveille ce souvenir et ça montre comment c'était possible dans l'état général, et comment (je vais donner un exemple) c'est le résidu du passé, et comment c'est inacceptable pour l'avenir.

Celle de ce matin était très curieuse... Tout d'un coup, ça a éveillé le souvenir de quelque chose qui se passait dans mon enfance quand j'avais huit ou dix ans environ (que j'ai complètement oublié). J'allais le dimanche (je suppose, enfin les jours de congé), jouer avec des cousins germains: les enfants d'un frère de mon père. J'allais jouer avec eux. Je me souviens de la maison, j'ai encore la vision. Et alors, nous passions notre temps généralement à jouer des scènes, ou à faire des tableaux avec des histoires. Et aujourd'hui, ça m'a montré une chose que j'avais vraiment oubliée. Il y a une histoire de «Barbe-Bleue», n'est-ce pas? (Barbe-Bleue... je ne sais plus, je sais seulement ce dont je me souvenais ce matin.) Nous avons, un jour, fait un «tableau vivant» en plusieurs tableaux, d'une histoire de Barbe-Bleue qui coupait la tête à ses femmes... (À Satprem:) C'était comme cela?... (rires) Je me souviens de ce matin seulement, je ne sais plus l'histoire... Et alors, c'était une grande chambre, une sorte de véranda fermée, à Paris – une grande, longue chambre –, et nous avions mis (il y avait des petits camarades, des petites amies), nous avions mis contre le mur un certain nombre de filles: on les avait collées au mur, on avait attaché leurs cheveux en l'air (Mère rit), et puis on avait mis un drap comme cela, pour couvrir le reste du corps – le drap tombait jusqu'en bas, on ne voyait pas le corps, on ne voyait que la tête!... Je le dis parce que je l'ai vu ce matin, autrement je ne me souvenais pas du tout. J'ai vu ça, j'ai vu le souvenir de cette chambre et comment c'était arrangé. Et alors, en même temps est venu... Ça nous paraissait tout naturel, n'est-ce pas, c'était «une histoire» que nous avions lue (parce que je me suis souvenue de l'impression que j'avais à ce moment-là: il n'y avait pas d'horreur! ça ne nous paraissait pas «monstrueux» – riant – on s'amusait beaucoup!...) Alors l'expérience est venue, c'est resté plus d'une heure pour que je comprenne tout profondément d'où venait ce souvenir et comment ça agissait et pourquoi nous étions dans ça. Et ça, pas du tout au point de vue personnel, du tout: au point de vue général, de la terre et de l'humanité en général. C'était excessivement intéressant! Et alors, en même temps, la vision montrant comment, avec quel mouvement de rapidité, la conscience universelle s'en va (geste en flèche) dans une progression vers le Divin – le vrai Divin, n'est-ce pas: pas les religions, ça... –, le vrai Divin... à travers tout cela. Et alors la conscience du tout – du tout – et avec des différences (Sade et tout cela), depuis le plus élevé jusqu'au plus bas. Pendant une heure j'ai vu comme cela toute une étape de l'humanité – une étape qui était vers la fin de 1800, la seconde moitié de 1800 –, et comment ça a marché, progressé (geste comme une grande courbe). Et ça, c'est... Je n'ai pas de mots ni la capacité de le décrire, mais c'est extraordinairement intéressant. La vision de la collectivité humaine sur terre, avec toutes ses étapes, ses degrés, ses différences, et comment tout suivait un mouvement... (même geste en flèche). Et cette histoire (cette «histoire»: cette vision parce que ce n'était pas une histoire: je n'ai pas vu ce que nous avions dit ni rien, c'était seulement la vision de ce que nous avions fait), cette histoire venait comme une illustration d'un certain état d'esprit de l'époque, et comment on donnait à lire aux enfants des histoires de ce genre – on trouvait ça tout à fait naturel! (Mère rit) et ce sont des choses tellement effroyables.

Et dès que je ne suis pas occupée à parler ou à écouter des personnes ou à faire un travail, ça continue-continue: on reprend comme des «échantillons» de la vie de ce corps, et à l'aide de cet échantillon, on montre le tout. C'est une éducation merveilleuse! Jamais-jamais aucune éducation humaine telle qu'elle est conçue, n'est semblable à cela, parce que c'est une vision d'ensemble, où tout est ensemble, on vous montre tout ensemble.

Ça ne peut pas se dire. Du moins, moi, je ne peux pas – je ne peux pas, ce corps est incapable de formuler cela d'une façon méthodique et claire. Mais pour apprendre, il apprend!

Et en même temps, ça donne la notion vraie... Il y avait aussi, mélangé, ce matin (comme pour donner des points de repère), certaines questions de religion justement: de religions, de gens religieux de différentes religions, d'attitude des religions; et tout cela avec la vision du tout et une absence totale de toutes les réactions personnelles (en les voyant, la conscience qui voyait n'avait pas de réactions personnelles; par exemple, la réaction d'une religion pour une autre, d'une croyance pour une autre, d'une soi-disant connaissance vis-à-vis d'une autre et de tout cela, toutes ces réactions, tous ces conflits qui sont dans le mental humain), c'était vu comme cela (geste dominant, comme au-dessus d'une mer étale), c'était vu tout ensemble, et tout sur le même plan; sur un même plan qui est comme une zone mentale et qui n'a absolument rien à voir avec la Vérité – c'est un camouflage de la Vérité incroyable; les soi-disant «vérités» pour lesquelles les hommes se sont battus, sont morts, ont détruit avec toutes les passions humaines: un camouflage presque ridicule de la Vérité.

Toutes les religions, comme cela, vues dans leur ensemble et dans leur histoire.

Et comme ce n'est pas pensé, n'est-ce pas, c'est vu – c'est vu, c'est une vision, une vision dans la conscience –, il faudrait dire dix mots en même temps. C'est impossible à exprimer, impossible à décrire. Si l'on se met à décrire une chose après l'autre, ça n'a plus de sens.

Ce matin, ça a duré trois heures comme cela. Ça n'a cessé, en vérité, que quand j'ai commencé à voir des gens parce que, naturellement... Et la nuit, c'est la même chose, ça continue. C'est comme une super-éducation du corps, de la CONSCIENCE du corps, avec des illustrations. Cette histoire que j'ai racontée, de Barbe-Bleue, c'est comme une illustration pour que le corps comprenne bien, parce que, à ce moment-là, il a SENTI l'état de conscience dans lequel il était. Et alors, ayant senti cela, il a compris – c'était comme s'il était mis en présence d'un abîme. Il s'est dit: «Comment!?...» Un abîme d'inconscience. Et c'est très général. Et alors, il y avait la vision du passé, et la vision de l'actualité présente, et puis un commencement de... (geste comme une courbe en avant), le SENS dans lequel nous allons, et comme une ouverture... (geste au loin) Une vision comme cela, en avant, très en avant, de l'Harmonie ici, qui se manifestera.

Et alors, à un moment, le corps s'est demandé: «Qui... qu'est-ce... quoi...? qui prend plaisir à cet immense déploiement... qui a commencé par quelque chose de si obscur, et qui va vers quelque chose de si lumineux?» Tout d'un coup, le corps s'est demandé: «Pourquoi?» Et alors... (Mère tient les paumes de ses mains ouvertes, dans un geste en suspens), il n'y a pas eu de réponse... En fait, on lui a fait sentir: «Pas encore. Tu n'es pas prêt, pas encore. Tu ne peux pas comprendre.»

(silence)

Mais c'est d'une telle nature!... C'est d'une précision extraordinaire, d'une telle intensité que toute l'attention du corps est tournée vers ça, mais il ne peut pas communiquer encore... À moins que ça ne vienne tout naturellement avec cette conscience (du surhomme) qui agit – qui agit en d'autres, pour un détail ou un autre, pour une chose ou une autre (c'est-à-dire qu'eux-mêmes ne savent pas, chacun ne sait pas toute l'action: c'est suivant le développement de sa conscience qu'il sait). Et la Conscience est très évidemment active à une grande échelle, et avec des résultats tout à fait surprenants qui, vus sans l'accompagnement, semblent des miracles (des petits miracles, mais ça semble des miracles). Et alors, je me suis demandé si cela allait rendre les autres capables du même travail intérieur?... Ce qui est gênant pour la plupart des gens, c'est l'activité mentale – vraiment, ce corps est infiniment reconnaissant qu'on l'ait libéré de la présence mentale de façon à pouvoir être ENTIÈREMENT sous l'influence de cette Conscience, sans tout ce fatras accumulé de soi-disant connaissance que l'on a... C'est spontané, c'est naturel, ce n'est pas sophistiqué, c'est très-très simple, et presque enfantin dans sa simplicité. Et ça, c'est un grand avantage (la disparition du mental). Mais à cette allure-là, ça peut aller très vite – on apprend cent choses, deux cents choses À LA FOIS, n'est-ce pas, tout vu en même temps. Ce matin, c'était particulièrement intense.

Et si c'est décrit comme on peut le décrire avec des mots l'un après l'autre, ça devient comme ce texte de F sur Auroville: c'est plat et artificiel et dénué de vie.

Pour le moment, les moyens humains ne sont pas suffisants. Que seront les moyens surhumains? Je ne sais pas. Mais les moyens humains ne sont pas suffisants.

(silence)

C'est curieux, n'est-ce pas, c'est quelque chose qui s'est passé il y a... probablement plus de quatre-vingts ans (quatre-vingt deux ou trois, ou quatre ans): c'était intense, présent, vivant, si extraordinaire! tellement que, encore maintenant, si je regarde, je vois: je vois la scène d'une façon très claire, l'appartement, les gens, la scène, tout... Et ce n'est pas du dedans que c'est venu: ça m'a été montré (geste qui s'impose), et alors, c'est en le voyant que tout d'un coup, dedans, je me suis dit: «Tiens! mais ça, je l'ai vécu!» C'était gardé quelque part (geste derrière), et gardé comme on ferait une collection de souvenirs pour l'éducation – c'est beaucoup plus précis, complet, concret que des livres et que tout ce que l'on dit avec tant de mots.

(silence)

C'est cela dont j'ai peur, que les gens ne fassent des dogmes pour la création d'Auroville... Et je n'ai rien dit de semblable à'F! mais c'est devenu cela dans sa tête! Mais même ce que l'on écrit, même si on écrit ce que je dis dans le «Bulletin», quand ça vient dans leur tête, ça devient comme cela.

Je suis sûre que ce qui est enregistré là (Mère montre le magnétophone), si trois personnes l'entendent, chacune entend différemment... C'est pour cela que je ne suis pas sûre que ce soit vraiment utile de faire entendre ces enregistrements... Chacun emporte la certitude qu'il a entendu, et puis il a compris tout autre chose. Et surtout – surtout –, ce que je dis, est vu là (geste en haut), et puis... (geste montrant que c'est entendu au ras du sol), ça devient si stupide, si plat!

Enfin, tu verras avec Nolini, mais...

Non, douce Mère, si tu as ce sentiment, ce n'est pas la peine d'insister.

Ce n'est pas un sentiment, c'est une expérience! N'est-ce pas, moi, je ne demande pas mieux... En fait, j'ai toujours l'impression: «Faites aussi bien que vous pouvez, et puis il arrivera le mieux qu'il faut, et puis voilà.» Mais il y a une telle conscience, justement de l'incertitude de l'effet des choses et de cette complexité... Ça devient si mélangé et si confus que...

Et la vie est tout entière comme cela. Les CIRCONSTANCES sont comme cela, je commence à le voir, ça commence à... émerger comme cela, commence à se montrer: les honnêtes gens ont l'air de fripons, les fripons ont l'air de... je ne sais pas.

Sri Aurobindo était très-très conscient de cette confusion générale, et alors il n'aimait pas beaucoup que... (il ne voulait absolument pas de propagande), mais il n'aimait pas non plus beaucoup quand on expliquait aux gens et que l'on essayait de leur faire «comprendre», parce qu'il savait très bien à quel point c'est inutile. Ça, il me l'avait beaucoup dit, beaucoup dit: surtout-surtout pas essayer (pas de propagande, n'est-ce pas, d'aucune façon), pas essayer de faire comprendre aux gens: le maximum de l'effet qu'on peut obtenir, c'est l'effet de la Conscience à l'œuvre dans le monde (geste universel), parce que, en chacun, elle produit le maximum de ce qu'il peut faire – le maximum de ce qu'il peut comprendre, il le comprend par cette influence de la Pression de la Conscience. Dès que les mots interviennent, tout le mental fait son gâchis.

Certainement, il [Sri Aurobindo] devait avoir eu des expériences analogues à celles que j'ai eues; maintenant, je suis absolument convaincue de cela. Parce que les gens qui sont pleins – pleins – d'une bonne volonté complète, qui sont sous l'Influence constante, qui font effort, ils sont... (geste au ras du sol) d'un autre monde. Alors ceux qui n'y mettent pas de bonne volonté...

La musique, c'est bien.

Ah! oui.

Parce qu'il n'y a pas de mots. La musique, c'est bien. J'ai eu une vision comme cela, d'un auditorium à Auroville avec les grandes orgues, et quelqu'un (que j'essaie de préparer, qui sait jouer de l'orgue très bien et que j'essaie de préparer intérieurement), qui jouait (j'ai vu cela, je l'ai vu), qui jouait la musique de la Conscience supérieure. Et c'était un endroit où tous ceux qui voulaient venir entendre pouvaient venir, et il y avait des gens qui venaient de très loin, et ils entraient, ils s'asseyaient là, ils écoutaient, et puis ils s'en allaient. Et alors, cette musique, c'était comme une Conscience qui descendait et qui faisait une Pression sur les gens pour se faire comprendre. C'était très beau – j'espère que ce sera comme cela! Beaucoup mieux que les mots; dès que l'on se met à parler (geste par terre), ce n'est plus ça. Voilà.

Voilà, mon petit, maintenant il est l'heure.4

(à Sujata, après le départ du disciple)

Toutes ces activités (le souvenir d'enfance, par exemple), c'est entre quatre heures du matin et sept heures, avant l'arrivée des gens.

 

ADDENDUM

(Notes de l'architecte d'Auroville)

1. Est-il besoin, pour construire Auroville, de méthode de travail, d'organisation, de coordination?

La discipline est nécessaire pour vivre. Pour vivre, le corps lui-même est soumis dans toutes ses fonctions à une discipline rigoureuse. Un relâchement quelconque de cette discipline produit la maladie.

2. Quelle devrait être la nature de cette organisation? Dans le Présent. Dans le Futur.

L'organisation est une discipline de l'action mais pour Auroville nous aspirons à dépasser les organisations, qui sont arbitraires et artificielles. Nous voulons une organisation qui soit l'expression d'une conscience supérieure travaillant à manifester la Vérité de l'Avenir.

3. En attendant une conscience commune et que la vraie et juste manière de travailler collectivement soit à l'œuvre, que faire?

Une organisation hiérarchique groupée autour du centre le plus éclairé et se soumettant à une discipline collective.

4. Faut-il utiliser les méthodes d'organisation ayant fait leurs preuves d'efficacité, mais basées sur la logique humaine et l'utilisation de machines?

Ceci est un pis-aller auquel il ne faudrait se soumettre que tout à fait provisoirement.

5. Faut-il laisser l'initiative individuelle se manifester librement, l'inspiration, l'intuition être le moteur de l'action personnelle, et refuser toute suggestion n'étant pas ressentie comme bonne par l'intéressé?

Ceci, pour être viable, exigerait que tous les travailleurs d'Auroville soient des yogis, conscients de la Vérité Divine.

6. Le temps est-il venu de vouloir, de mettre en place, de tenter une organisation générale, ou faut-il attendre l'attitude juste et les hommes?

Il faut une organisation pour que le travail soit fait. Mais l'organisation elle-même doit être souple et progressive.

7. Si l'attente est la solution, est-il néanmoins nécessaire de définir des principes d'organisation et d'empêcher que ne se produise un désordre incontrôlable?

Tous ceux qui veulent vivre et travailler à Auroville doivent avoir:

Une bonne volonté intégrale, une aspiration constante à connaître la Vérité et à se soumettre à elle.

Une plasticité suffisante pour faire face aux exigences du travail et une volonté incessante de progrès pour avancer toujours vers l'ultime Vérité.

Un petit conseil pour finir:

Soyez plus préoccupés de vos propres défauts que de ceux des autres.

Si chacun travaillait sérieusement à se perfectionner lui-même, la perfection de l'ensemble suivrait automatiquement.

6 février 1969

L'enregistrement du son fait par Satprem    

This text will be replaced

 

1 Nous publions en addendum les notes de R sur l'organisation d'Auroville.

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2 En fait, rien n'est sorti.

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3 Étant donné son caractère épisodique, nous ne diffuserons pas l'enregistrement de ce début, sauf si l'on en fait individuellement la demande.

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4 Il existe un enregistrement de cette conversation.

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