Mère
l'Agenda
Volume 11
Qu'est-ce que tu voulais me dire?
J'ai reçu la visite de Paolo et de N... Il y a deux choses. Mais d'abord, il y a le plan de ce Centre – plus exactement de l'extérieur de ce Centre.
L'extérieur, je n'ai rien vu. Il y a un croquis, c'est un croquis de L. Je n'ai rien vu du tout et je suis ouverte à toutes les propositions. Et alors?
m'a expliqué quelque chose que j'ai trouvé très beau, que je voudrais te soumettre... Quand tu avais parlé de ce Centre, en effet, pour l'extérieur, tu disais: «Je ne sais pas si les murs seront inclinés ou si c'est le toit qui sera incliné»; tu semblais avoir une hésitation. Alors Paolo dit qu'il a reçu comme une inspiration et qu'il a vu quelque chose de très simple, comme une grande coquille dont une partie émergerait à la surface, et une autre partie serait enfouie dans la terre. Et il a dessiné une sorte de schéma que je voudrais te montrer.
Est-ce qu'il a vu R aussi? Parce que R avait deux idées; il est venu me voir avec deux idées, et je lui ai dit ce que je préférais des deux, mais rien n'est décidé encore. Et R doit faire le croquis de ses idées. Alors je vais voir ce que dit Paolo et puis je te dirai les idées de R.
(Le disciple déroule le plan) Alors tu vois: voilà l'extérieur, qui serait simplement comme une coquille. L'intérieur est exactement comme tu l'as vu: ce grand tapis tout nu et puis la boule au centre. Et ce qui a déterminé l'inspiration de Paolo, c'est que tu as dit qu'il fallait entrer sous terre pour réémerger. Alors il a eu Vidée de descendre profondément, de faire un escalier en hélice, ici, qui remonterait, et arrivé là, il y aurait comme une série d'escaliers qui s'embrancheraient dans toutes les directions (dans la partie inférieure de la coquille) et qui aboutiraient dans le temple lui-même. Alors, toute la partie inférieure serait en marbre noir, et toute la partie supérieure en marbre blanc tout simple. Et l'ensemble est comme un grand bouton, tu vois, comme si ça poussait de terre.
Tu es sûr qu'il n'a pas vu R? Parce que R m'a dit: «Je veux faire un grand cercle; l'intérieur est exactement un demi-cercle, et l'autre demi-cercle serait sous terre.» Il m'a dit presque les mêmes mots.
Parce que Paolo lui a dit son idée.
Ah! Paolo lui avait dit! Ah! c'est ça...
C'est comme un bouton qui sort de terre.
Oui, oui, c'était la première idée que R m'avait dite, presque identiquement les mêmes mots. Et alors, sa seconde idée était une pyramide: laisser le temple comme on l'avait dit, et puis faire une pyramide. Mais j'avais pensé aussi à une pyramide et je lui ai dit: «J'ai pensé à une pyramide...» Mais il a dit qu'il ferait les deux plans et puis que l'on verrait. Mais si ça s'accorde avec l'idée de Paolo, c'est très bien.
Mais l'idée de R, en fait, est l'idée de Paolo.
Oui, c'est cela.
Alors, quand on arrive en haut de la «tige», il y a toute une série d'escaliers dans toutes les directions, si bien que l'on peut émerger dans le temple par n'importe quel côté... Et le centre est absolument nu, et tout autour, il y a comme une passerelle par laquelle on émerge du fond: c'est par là qu'il y aura tous ces escaliers. Et tout sera nu. Il y aura simplement cet immense tapis qui sera tenu de coin en coin par des passerelles. Ça aura l'air comme suspendu. Tout blanc, tout uni. Et il y avait la question des douze colonnes... Paolo disait qu'il sentait que les colonnes étaient encore un symbole ancien qui ne s'allierait pas bien avec la coquille, et il suggérait: au lieu de douze colonnes, on pourrait symboliquement mettre douze appuis, douze bases de colonnes qui serviraient de dossiers.
Oh! mais les colonnes ont un usage, parce que c'est en haut des colonnes que l'on mettra les projecteurs qui enverront la lumière sur le Centre: il y aura de la lumière nuit et jour; le jour, on arrangera l'ouverture, mais dès que le soleil sera parti, on allumera les projecteurs, et les projecteurs sont fixés sur les douze colonnes et convergent sur le Centre.
Mais douce Mère, si les colonnes ont une utilité uniquement pour les projecteurs, on peut les fixer aussi sur les murs?
Les colonnes ne sont pas près du mur, les colonnes sont ici, juste à moitié de distance entre le Centre et le mur.
Parce qu'il voyait cet espace au centre, tout nu, avec juste le symbole au Centre et ce grand tapis tout uni, sans coupure de colonnes. Mais à la place, mettre comme de gros blocs – douze gros blocs – qui signaleraient la place des colonnes et qui serviraient en même temps d'appui. Douze gros blocs d'environ 50cm de haut.
Ça n'a pas de sens.
Un sens symbolique? Parce que tu parlais beaucoup de ces piliers comme d'un appui aussi pour les gens qui voudraient s'asseoir.
Oh! pour leur dos.
Alors il disait que ces douze blocs pourraient, par exemple, être chacun dans une matière différente, comme un symbole: douze matériaux différents.
Moi, j'ai vu des colonnes.
Sur les murs extérieurs, on organisera la ventilation générale qui sera électrique (pas de fenêtres) et alors, sur les colonnes, il y avait la lumière – j'ai vu des colonnes, je ne peux pas dire. J'ai vu clairement les colonnes.
Eh bien, je le lui dirai.
Quant à la galerie tout autour, je ne sais pas si j'aime beaucoup cela... Je ne l'ai pas vue: j'ai vu les murs tout nus, sans fenêtres, et puis les colonnes, et puis le Centre. Ça, je suis sûre parce que je l'ai vu, et je l'ai vu longtemps.
La forme d'une coquille te convient?
C'est-à-dire que cela fait un cercle parfait: moitié en haut, moitié en bas... Ça peut aller.
Seulement il faudra faire un arrangement pour le soleil.
Oui, N connaît très bien le problème d'éclairage par prismes, parce que si l'on veut attraper un rayon de soleil, il faut mettre des prismes. Il dit qu'il résoudra le problème très facilement, qu'il s'en occupe. Simplement, on met des prismes à un certain nombre d'endroits, qui capteront juste un rayon de soleil.
Il faut un rayon. On voyait le rayon.
C'est cela, avec un prisme on voit le rayon. Alors il y aura un certain nombre d'ouvertures géométriques suivant le mouvement du soleil... Mais à l'intérieur, sur les parois, les douze facettes seront reproduites.
Oui, oui.
Et ça, en principe [le disciple montre la galerie circulaire], c'étaient les entrées par lesquelles on émergeait du souterrain.
Je ne sais pas si c'est bon de multiplier les entrées comme cela... Il y aura un problème pratique à résoudre: s'il y a une seule entrée et qu'il y ait une surveillance très sévère à cette entrée, ça va bien, mais s'il y a plusieurs entrées et qu'il n'y ait pas suffisamment d'éclairage, il y aura des catastrophes.
Non-non, douce Mère, il n'y a qu'une entrée à l'extérieur, mais quand on débouche à la base de la coquille et qu'on remonte, il y aurait cette multiplicité d'entrées. Non, à l'extérieur, il n'y a qu'une descente; une descente qui aboutit ici, au pied de cet escalier en hélice.
(silence)
Il avait pensé à cette passerelle tout autour parce qu'il disait que cela détacherait davantage tout ce tapis central tout blanc qui aura l'air comme de flotter, détaché, au lieu d'être collé au mur.
Je ne pensais pas «collé au mur», il y avait toujours une circulation autour du mur.
Alors, c'est cette circulation, avec un certain nombre de passerelles par où les gens émergeraient. Et c'était aussi cette idée de nudité qui lui avait fait enlever les colonnes.
Ce que je n'aime pas, c'est l'idée des passerelles, parce que les murs étaient tout droits, du haut en bas, en marbre blanc.
Ah! mais les passerelles ne sont pas hautes, elles sont à peu près à 30cm au-dessus du sol.
Oui, ça, ça va.
Et d'ailleurs, il disait que sur ces passerelles, ou plutôt ce rebord qui limite la circulation autour, le tapis pourrait venir juste en angle, couvrir en angle.
Ça, ça va bien.
(silence)
Bon, ça va. Alors il faut qu'ils s'entendent. Mais ce doit être à moitié fait puisque R m'a parlé de l'idée. Si j'avais su que c'était l'idée de Paolo, j'aurais dit oui tout de suite. Mais ça s'arrangera. Ça va bien.
Alors je lui dis de travailler sur cette base... La seule question en suspens, c'est à l'extérieur: est-ce que l'on doit laisser un vide autour de la coquille pour que l'on voie bien la descente de la coquille? Autrement, si l'on bouche tout, ça aura l'air simplement d'un hémisphère posé sur terre. Pour que l'on comprenne bien la descente de cette coquille sous terre, il pensait faire une ouverture tout autour.
Je ne sais pas. Je te dis, je n'ai rien vu pour l'extérieur; alors je ne sais pas.
Mais ce sera dangereux. On pourrait tomber.
Ou bien, on peut faire une sorte de douve avec de l'eau tout autour, une eau transparente qui soulignerait cette descente de la coquille, par exemple?
Oui. Oui, cela pourrait être bien.
Il y a aussi une question de mesures. D'après le plan, tu as donné 24m – 12m de chaque côté du globe. Mais est-ce que l'on peut garder un peu de distance supplémentaire de chaque côté pour la circulation? Le plan indique 24m en diamètre, et 15m 20 en hauteur.
Ah?
Il demande si ces proportions peuvent varier? Garder 24m pour la base du tapis, mais avec la possibilité, par exemple, de garder 2m ou 3m de chaque côté pour les dégagements?
Alors le mur serait où?
Le mur serait là [le disciple indique l'extérieur du passage circulaire].
C'est le mur qui doit être à 24 mètres.
Il dit que s'il doit y avoir ces passages, 24m serait un peu court.
(silence)
Et la hauteur aussi est en question.
La question, justement, était que cela devait faire un cercle parfait.
Si cela fait un cercle parfait, alors la hauteur fera le rayon de la distance entre les deux murs.
Oui.
(long silence)
La chose qui me ferait vraiment plaisir, c'est s'ils se mettaient d'accord tous les deux et qu'ils me présentaient un projet de tous les deux en même temps. Comme cela, ce serait facile pour l'exécution... N'est-ce pas, si R a adopté l'idée de Paolo, pourquoi ne verraient-ils pas ensemble, tous les deux, comment l'exécuter?
Oui, ça simplifierait les choses.
Oh! beaucoup-beaucoup.
(silence)
Qu'est-ce qui se passera là-dessous?... (Mère désigne la partie souterraine de la coquille) Tout cela est mental. Mais quand vous allez avoir un grand sous-sol tout noir, qu'est-ce qui va se passer là-dedans?... Qu'est-ce qui va se passer? – Des tas de choses innommables. L'humanité n'est pas transformée, il ne faut pas l'oublier! Et il y aura toutes sortes de gens qui viendront... Même s'il y a un contrôle à l'entrée, on ne peut pas empêcher les gens d'aller voir, alors qu'est-ce qui se passera là-dessous?... C'était ma première objection quand R m'a dit: «On pourrait faire des souterrains magnifiques!» Je lui ai dit: «C'est très bien, et qui contrôlera ce qui se passe là-dessous?»
J'avais pensé que c'était ton idée, la descente?
Mon idée était une descente assez courte et qui émergerait là (Mère désigne l'unique ouverture du plan primitif). Une descente assez courte: pas un grand souterrain comme cela... Mais c'est possible, c'est une question de contrôle, c'est tout. Seulement, entre un souterrain où il y a place pour deux rangées de personnes (une qui monte et une qui descend) et qui émerge là, ou un énorme souterrain comme celui-là, il y a une grande différence! Et maintenant, il ajoute à cela que ce sera tout noir!
En marbre noir, oui.
Oui, alors? C'est-à-dire que l'on n'y verra pas très clair. Alors qu'est-ce qui se passera là-dedans?
Les souterrains ne sont pas en forme de boyaux: c'est un escalier central en hélice, et quand on arrive au sommet de l'hélice, elle s'embranche en une série d'escaliers à découvert, suspendus comme des passerelles. Ce n'est pas enfermé, c'est tout volant.
Il n'y aura pas d'accidents?... Ah! il y a tout prêts des gens hallucinés qui se casseraient la tête par terre... N'est-ce pas, c'est un peu trop mental, pour mon goût, c'est-à-dire qu'au point de vue mental, c'est très attractif, mais en vision...
L'idée, c'est surtout la construction collective de ce souterrain, comme un symbole...
(long silence)
On verra! (Mère rit)
(silence)
En tout cas, il faudrait qu'ils se mettent ensemble. Et puis je verrai.
J'aimerais pouvoir les avoir tous les deux ensemble avec leur papier. Alors ce serait très bien.
Parce que l'un ne me dit pas que c'est l'idée de l'autre – il le présente comme sa propre idée (!), et puis l'autre ne me dit pas qu'il a parlé au premier!...
Mais il n'a pas eu l'occasion de te le dire.
Non, mais tu l'as dit parce que je te l'ai dit... Mais moi, je sais. Alors, tu comprends, on travaille pour «l'unité de l'humanité», et les travailleurs ne s'entendent pas!
Et je vois bien, je vois bien chez chacun ce qui est comme cela (geste de torsion). Ce n'est pas que je sois étonnée, mais... Ma logique est celle-ci: «Oui, c'est très bien, vous êtes très gentils, vous travaillez pour l'unité de l'humanité – au moins soyez unis!...» Tu comprends?
Mais je suis sûr que Paolo ne demande qu'à s'entendre avec R.
Mais tu comprends bien que si R a pris l'idée de Paolo, c'est qu'il a une admiration pour l'intelligence de Paolo, autrement il ne l'aurait pas prise; alors, par conséquent, pourquoi un côté comme cela et puis l'autre côté... Nous ne voulons plus de ces petites choses-là.
Mais quand Paolo m'a montré ce plan, j'avais l'impression de quelque chose de très beau... Je vais te dire ce que j'ai senti; j'ai senti: j'assiste à la naissance d'Auroville.
Non, ce n'est pas vrai.
La naissance matérielle, je veux dire.
Oui, oui, je comprends bien, mais ce n'est pas vrai.
(Mère entre dans une longue concentration)
On va laisser décanter. Parce que tu comprends, pour accepter des changements, il faut que je sois sûre que l'origine de l'inspiration soit de la même qualité que la mienne... Pour l'exécution, je sais très bien qu'il faut des gens qui sachent le métier et qui fassent le travail, mais pour l'inspiration, il faut que je sois sûre que l'origine de l'inspiration soit au moins à la même hauteur que la mienne... Et je ne suis pas sûre, parce que j'ai vu tellement clairement. Et tout de suite, avec les idées de Paolo, j'ai vu le mélange. Ses idées sont toutes des idées mentales, je peux le garantir parce que c'est facile pour moi de le voir. Eh bien, elles apportent toutes le même mélange qu'il y a dans tout ce qui se fait dans le monde. Et ça... à quoi ça sert de recommencer encore-encore-encore...?
Il y a quelque chose qui me gêne. Entrer par-dessous, c'est très bien, mais cet énorme dessous?... (Mère fait une moue)
(silence)
On verra. Il faut laisser se tasser, on verra.
Et pour le dessus, est-ce qu'on laisse cette idée de coquille, ou bien est-ce à étudier?
Coquille... L'idée, c'était une sphère. Pourquoi une coquille?
«Coquille», enfin une forme ronde, une forme sphérique.
Une coquille d'œuf est allongée, elle n'est pas sphérique. L'œuf comme il est vraiment, est un peu comme une toupie; alors le haut serait plus large et le bas plus étroit, avec seulement les escaliers... Ça, c'est très possible.
Donne-moi un papier... (Mère dessine un œuf tout en expliquant.) Et alors là, tout en bas, il n'y aurait que les escaliers.
Comme cela, oui.
Son idée, c'était de reproduire l'œuf de Brahman: tu sais, l'œuf primitif. Que le temple reproduise l'œuf primitif.
Mais alors, comment est-il, l'œuf de Brahman!...
Je ne sais pas... Comme un œuf, je pense!
Un œuf a une base toujours plus étroite que le sommet. Alors, si l'on conçoit un œuf comme cela (Mère dessine) et qu'à la base, ce soit l'escalier, et que l'escalier en spirale arrive jusqu'au temple... Par exemple, sept embouchures d'escalier.
Sept au lieu de douze.
Et ici (Mère dessine la moitié médiane de l'«œuf»), c'est 24m, et seulement 15 m 50 de hauteur. Alors comme cela, c'est correct.
24m pour la largeur totale ou pour le tapis?
Non, il faut avoir des murs droits, les murs ne peuvent pas être courbes. Je les ai vus droits.
Droits, et qui remontent arrondis.
D'après ce que j'avais vu, les colonnes étaient plus hautes que les murs, et c'est pour cela que le toit s'inclinait. Et alors, c'était sur les colonnes que se trouvait la lumière électrique.
Et le point le plus large de l'œuf serait ici (Mère tire un trait à hauteur du tapis).
À la limite du sol.
Oui.
Et tu disais sept ouvertures?
Sept escaliers.
Et alors, un souterrain qui conduit à la base de l'œuf, d'où partent ces sept escaliers.
Ça, c'est possible.
En somme, les murs intérieurs du temple doivent être droits.
C'est-à-dire que l'on peut, pour le dehors, pour la vision, arrondir, mais à l'intérieur, il faut que le mur soit droit.
Le mur droit, et une coupole sur le mur droit.
Oui, une coupole sur le mur droit. Mais la coupole peut être la coupole de l'œuf, et j'avais pensé que l'endroit où la coupole se raccorderait avec les murs, serait sur les colonnes.
Douze colonnes.
Et ici, pour le dehors, ils peuvent continuer leur mur en forme arrondie, comme cela (Mère dessine).
Il y aurait même une possibilité: c'est d'avoir un espace entre le mur le plus extérieur et le mur intérieur. Faire un passage espace. C'est à savoir. extérieur
Cela veut dire, en supplément des 24 m?
Oui, c'est entendu: les 24 m se terminent aux murs.
Et les ouvertures pour les sept escaliers?
J'aimerais mieux qu'elles soient en dehors du mur.
Oui, ce serait mieux parce que cela donnerait plus d'espace au Centre.
Oh! oui, et l'intérieur serait beaucoup plus net. Voir tous ces escaliers ne me plaisait pas. Même un escalier, je n'aimais pas, mais en voir sept... Tandis que dehors, c'est bien.
Donc un passage au-dehors.
Le passage au-dehors.
Oui, comme dans l'Inde quand on fait le tour des temples.
Oui.
Ça, ça va bien.
Et les sept escaliers partent directement de la base de la coquille sans cette «tige» qui monte du fond?
Ça, c'est comme ils veulent. En dessous, cela m'est égal. S'ils veulent que ce soit un escalier comme cela ou un escalier... Pourvu que ce ne soit pas trop raide.1
(silence)
(Pour comprendre de quel Auroville – et de quels Auroviliens surtout – Mère parle ici, il faut dire que la quasi totalité des premiers venus – il y a des exceptions remarquables – représentait un ensemble assez composite qui cherchait des sortes de vacances sur une Côte d'Azur exotique et qui traînait un certain nombre d'habitudes peu satisfaisantes. C'est là-dessus que se sont basés, plus tard, les ennemis d'Auroville pour dire toutes les méchancetés possibles. Il a fallu quelques années de décantation pour que la situation change complètement et que la plupart des éléments indésirables s'en aillent d'eux-mêmes, tandis que de nouveaux venus apportaient une aspiration plus véridique.)
Qu'est-ce que tu as encore?
Il y a la deuxième partie du problème.
Ah! qu'est-ce que c'est?
N et Paolo se sont rendu compte que si on laisse Auroville ou la construction de ce Centre aux gens d'Auroville comme séparés de l'Ashram, cela ne marchera jamais: il n'y aura jamais la vraie force, les gens qui sont là ne sont pas assez réceptifs pour faire le travail. S'il y a cette coupure entre l'Ashram et Auroville, on n'arrivera jamais, on fera encore une «fabrication» mais pas quelque chose de vrai. Selon eux, le seul espoir est que, réellement, ce Centre soit construit non pas par des Auroviliens, mais par tous les gens de l'Ashram, sans distinction entre Auroviliens et non-Auroviliens; que toute la force s'unisse dans la construction de ce Centre: ne pas abandonner les Auroviliens à une coupure extérieure. De même que tous les disciples ont construit «Golconde», il faudrait que, de la même manière, tous les disciples construisent le Centre d'Auroville, sans main-d'œuvre extérieure.
À Golconde, il y a eu une main-d'œuvre extérieure.
Enfin, en limitant autant que possible l'élément extérieur pour que ce soit une œuvre de consécration. Autrement, me disent-ils (surtout N): les gens d'Auroville sont tous pleins d'arrogance, d'incompréhension, ils voient l'extérieur des choses. Il faut que se mêle à cela la force des gens d'ici. Et si les gens de l'Ashram ne se mêlent pas à eux, ne viennent pas insuffler la force, on n'arrivera à rien... À l'heure actuelle (me disait Paolo), Auroville tel que ça a l'air de l'extérieur, ressemble à une nécropole.
(Mère rit)
C'est le fruit «vivant» de l'égoïsme. La seule chose qui puisse sauver, c'est que les gens de l'Ashram entrent là-dedans et fassent le travail, et que les autres soient absorbés là-dedans, sinon...
(après un long silence)
Mais à l'Ashram, nous avons trois centres qui font de la construction: il y a P, qui s'occupe de l'entretien des maisons, A.S. et L... A.S. n'est pas équipé pour cela, et puis il est trop occupé aussi parce qu'il n'a pas seulement la construction, il a aussi toutes les automobiles et puis toutes ces terres; maintenant, je considère qu'il est pleinement occupé et il fait bien son travail, et si l'on voulait lui en donner trop, il ne pourrait plus bien le faire... L, lui, est très intéressé, il a même dit qu'il se chargeait de faire venir le marbre blanc; il irait le chercher et le choisir lui-même. Il est très intéressé, si je lui disais de le faire... Mais ce ne serait pas mieux.
Mais ce n'est pas cela qu'il voulait dire, il ne parlait pas du tout d'un problème de construction: il parlait du problème que les disciples travaillent avec les Auroviliens... N, en tant qu'ingénieur et avec l'argent ramassé, fera la construction, mais il faut que toute la main-d'œuvre soit fournie par l'ensemble des gens de l'Ashram qui se mêlent aux Auroviliens. C'est cela, l'idée.
Ce n'est pas possible. Tous les gens de l'Ashram qui sont en âge de travailler travaillent tous, ils ont tous leur occupation.
Il voyait une sorte de roulement, chacun donnant, par exemple, une heure par jour, ou une journée par semaine. Parce que, autrement...
Ils ne demanderaient pas mieux! Ils prendraient cela comme un extraordinaire amusement! J'ai plus de peine à les empêcher de se disperser que je n'aurais de peine à leur faire faire quelque chose! Ce serait pour eux un amusement.
Parce qu'il dit que s'il n'y a pas la force intérieure des gens de l'Ashram, qui se mêle à ceux d'Auroville, ceux d'Auroville resteront ce qu'ils sont. Il y a une coupure entre Auroville et l'Ashram.
Moi, je ne la trouve pas suffisante.
La coupure?
Oui.
Ah!bon!
Je ne la trouve pas suffisante. Ce n'est pas du tout sur le même plan.
Les gens d'ici...
(silence)
Tu n'as qu'à imaginer que je sois partie.
Baba!
Imagine seulement cela et tu verras, tu verras tout de suite ce qui arrivera.
Eh bien, c'est le seul espoir.
S'ils viennent dire: «Il faut que vous [Mère] preniez la responsabilité», ah! je dirais: «Ça, ils ont raison», c'est tout à fait différent.
Ils ont été à côté. Ce n'est pas ça.
Mais, douce Mère, je crois que c'est cela qu'ils veulent dire? Non?
(Mère rit) Ils ne pensent pas clairement! C'est une pensée confuse.
Quand ils disent que tous les disciples ici se mêlent à la construction d'Auroville, comme on l'a fait pour Golconde, ils veulent dire que c'est toi qui donnes l'impulsion à tous les disciples de venir participer au travail C'était cela, l'idée. Mais toi, tu dis qu'il faut au contraire qu'il y ait une séparation – pas de mélange.
(Riant) Si tu savais les choses comme elles sont!... Les gens d'Auroville amènent ici la drogue, le... toutes sortes de choses.
Oui-oui, je sais – je sais, douce Mère. C'est pour cela qu'il dit que le seul espoir...
C'est qu'ils aillent attraper là-bas toutes ces choses!
Il dit: «Autrement, il n'y a pas d'espoir.»
Oh! non, il ne sait pas! C'est tout dans la mentalité, c'est tout mental. Ils ne savent pas. Qui est-ce qui sait? C'est seulement quand on voit. Il n'y en a pas un qui voie.
Tout: des pensées, des pensées, des pensées – ce ne sont pas les pensées qui construisent.
Les éléments d'Auroville peuvent faire le travail?
Je suis en train de travailler-travailler (geste de malaxage) pour rassembler les énergies qui peuvent faire. Et il faut un décantage là-bas.
Oui.
(silence)
Mais tu comprends, ils parlent de travail physique, et pour le travail physique, il n'y a que les jeunes qui sont à l'École – tous les Ashramites sont devenus vieux, mon petit! ils sont tous vieux. Il n'y a que les jeunes à l'École. Et les jeunes qui sont à l'École ne sont pas ici pour être des Ashramites: ils sont ici pour être éduqués – c'est à eux de choisir... Il y en a beaucoup-beaucoup qui veulent aller à Auroville. Alors ce serait l'éducation de l'Ashram qui irait à Auroville – il y en a beaucoup. Mais... donne-moi des noms, qui est-ce qui peut aller travailler avec ses mains?
Mais, douce Mère, la seule possibilité c'est que tu dises; alors moi, demain, je vais passer deux heures à Auroville et ramasser des «baskets»! [paniers de détritus]
(Mère rit) Mon petit! toi, tu es l'un des plus jeunes... Tu me vois disant à Nolini: allez travailler.
Ah! mais ça tirerait tous les autres... Enfin, c'est l'idée de N et de Paolo.
(Mère rit) Pauvre Nolini!
(long silence)
Si tu savais combien de lettres je reçois de prétendus Auroviliens qui disent: «Oh! je veux enfin être tranquille, je veux venir à l'Ashram, je ne veux plus être Aurovilien...» Voilà. C'est juste le contraire: «Je veux être tranquille.»2 Voilà.
(silence)
Moi, tu sais, je ne crois pas aux décisions extérieures. Simplement, je ne crois qu'à une chose: la force de la Conscience qui fait une pression comme ça (geste écrasant). Et la Pression va en augmentant... Ce qui fait qu'elle va décanter les gens.
Autrement, ce serait sans issue, parce que, n'est-ce pas, dans le temps (il y a seulement dix ans de cela), j'allais, je venais, je voyais... Mais c'est fini. Ce n'est pas une décision que j'ai prise, je n'ai pas pensé que c'était fini du tout, ce n'est pas du tout cela: c'est quelque chose qui m'a obligée. Tu comprends? Alors j'ai dit bon. Ce n'est pas une incapacité: ce corps est extrêmement docile, il fait tout ce qu'on lui demande de faire; si on lui demandait de sortir, il s'arrangerait pour pouvoir sortir. Il est extrêmement docile. Mais c'est comme cela, il y a l'Ordre: non. Et je sais pourquoi...
Mais tu sais, je ne crois qu'à ça: la pression de la Conscience. Tout le reste, ce sont les choses que les hommes font; ils les font plus ou moins bien, et puis ça vit, et puis ça meurt, et puis ça change et puis ça se déforme et puis... – tout ce qu'ils ont fait. Ce n'est pas la peine. Il faut que la puissance d'exécution soit d'en haut, comme cela, imperative (geste de descente). Et alors, pour cela, il faut que ça (Mère désigne le front), ça reste tranquille. Pas dire: «Oh! il ne faut pas ceci, oh! il faut cela, oh! nous devons faire...» Paix-paix-paix, Il sait mieux que vous ce qu'il faut. Voilà.
Alors, comme il n'y en a pas beaucoup qui peuvent comprendre, je ne dis rien: je regarde et j'attends.
Je regarde... N'est-ce pas, on me donne un papier comme tu viens de le faire quand tu m'as donné ce dessin, je regarde comme cela, et je vois très bien qu'est-ce qui, dans ce papier, est le résultat d'en haut et qu'est-ce qui s'est mélangé et qu'est-ce qui... Comme cela. Mais on ne va pas dire cela! – d'ailleurs ils ne me croiraient pas.
(silence)
Je comprends très bien – très bien – pourquoi Sri Aurobindo n'a pas dit «surhomme», pourquoi il a dit supramental. Il n'a pas dit surhomme parce qu'il ne voulait pas que ce soit «un homme qui se perfectionne», ce n'est pas cela. Il a dit supramental parce que... Il a dit: laissez tout ça.
Supramental – supra, tu comprends?
J'ai vu ces jours derniers les photographies de ces gens qui sont allés à la lune... Tu les a vus? Tu n'as pas vu comment ils étaient attifés?
Oui, j'ai vu.
Ah!... alors ils sont devenus des machines.
C'est cela: des robots.
Oui, alors (riant) les Russes ont dit: pourquoi ne pas envoyer des robots, ce n'est pas la peine!...
C'est cela.
(silence)
N'est-ce pas, N a passé son temps à dire autant de mal qu'il pouvait de R en disant que tous ses plans étaient mauvais et que son travail ne pouvait pas réussir. R a passé son temps à dire: «N a abîmé tout mon travail!» Et un autre dit «celui-là...» et celui-là dit «celui-ci...», et ils sont tous comme cela! Et alors, je vois d'une façon certaine que si le travail doit être fait, il faut d'abord qu'ils surmontent cette toute petite mesquine humanité. Ils «voient», ils ont «des idées» (ils ont tous beaucoup d'idées), ils ont des idées, ils voient; les autres voient autre chose et ont d'autres idées; et alors: «Oh! ça, ça ne vaut rien, c'est mon idée qui est bonne...» Ils sont comme cela! Et toute mon action est comme cela: une PRESSION sur eux pour leur faire abdiquer leur petite personne. Tant que ça n'abdiquera pas, le travail ne peut pas être fait.
Et ils cherchent effectivement toutes sortes de raisons pour ne pas voir la vraie.
Il faut que... ouf! un peu d'air.
Le corps – ce corps-là – est en train de recevoir une discipline, tu sais, oh! terrible... Mais il ne se plaint pas, il est content, il la demande. Et il voit à quel point on est plein de toutes petites choses qui sont tout le temps en train d'enrayer l'action de la Force. Eh bien, il faut commencer par se débarrasser de ça. Il faut être comme cela (geste d'abandon, ouvert) et recevoir la Force. Alors viendront toutes les inspirations, et non seulement les inspirations mais les moyens d'exécution, et la Vraie Chose. Autrement...
Et comme ils ne sont pas tous très prêts, je fais comme la Conscience: je mets la Pression et je ne dis rien – j'attends (Mère rit).
(silence)
Si tu savais tout ce qui se passe, ça t'amuserait beaucoup... Tout le côté agriculture, c'est la même chose; tout le côté éducation, c'est la même chose; partout, c'est la même chose... Côté international, c'est la même chose, partout-partout: l'Homme (Mère se rengorge), l'Homme qui se gonfle.
Il faut qu'ils comprennent d'abord: abdication. Après, on verra.
Je leur transmets ton message?
Oh! non, mon petit! Ils vont être épouvantés, les pauvres!
Tu crois? Ça leur ferait du bien.
Oh! non-non, ça les bouleversera. La Pression, c'est la meilleure chose. Parce qu'ils ne comprennent pas ce que tu penses, ils ne comprennent pas ce que tu dis: ils comprennent ce qu'ils ont dans la tête. Ils changent le sens des mots... Comme c'est arrivé à A.R.,3 n'est-ce pas, qui a pris cela pour une attaque personnelle.
Oui, c'est vrai! C'est vrai, j'ai remarqué cela: ils prennent ça pour une attaque personnelle.
C'est cela. Mais c'est ça partout, c'est la difficulté: la personne d'abord. Alors ça gâte tout.
On dit la vérité objectivement comme on la voit – c'est comme si on les attaquait, eux!
On les attaquait, oui.
Alors il faut a-t-t-en-dre qu'ils soient mûrs – tu comprends, on perd beaucoup de temps. Il vaut mieux ne rien dire: mettre la Pression. Ça, je suis impitoyable! (Mère rit beaucoup)
Et alors qu'est-ce que je fais au milieu de tous ces gens?
Tu peux leur dire que... Justement R m'avait parlé (c'était la même chose avec d'autres mots), et je n'ai dit ni oui ni non, j'étais en attente parce que je voulais savoir comment les autres voyaient. Alors maintenant j'ai vu, je vois qu'ils sont d'accord. S'ils peuvent se mettre d'accord, le travail ira plus vite! Voilà. Les objections de détail n'ont pas d'importance parce que l'on part avec une idée et on arrive avec une autre – on fait beaucoup de progrès entre les deux. Alors, ça n'a pas besoin d'être discuté, c'est seulement... Seulement tâchez de mettre vos énergies ensemble pour démarrer plus vite, c'est tout! (Mère rit)
Quelle heure est-il?
Oh! il est très tard, douce Mère, onze heures et demie.
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1 L'enregistrement magnétique du début de cette conversation n'a pas été conservé. Seul subsiste ce qui suit.
2 En effet, la plupart de ces paresseux sont redescendus joindre les autres à l'Ashram.
3 A.R.: le guérisseur, treizième enfant d'une famille de paysans, qui était venu voir Mère en 1969, et que le disciple avait sérieusement secoué.
4 Il existe un enregistrement de la deuxième partie de cette conversation.