Mère
l'Agenda
Volume 12
(Mère avait demandé à un jeune disciple indien, M, professeur de mathématiques à l’École, de lire la traduction anglaise de «La Genèse» afin de donner son opinion.)
Alors?
(M:) Ma première réaction était celle-ci: j’ai trouvé le livre très poétique, très joli – le français.
Il est bien, n’est-ce pas.
Oui, l’anglais m’a semblé moins poétique. C’est une traduction, mais cela ne m’a pas donné la même impression que le français.
Alors, que faire? Une autre traduction?
Je ne sais pas, Mère, je ne suis pas capable de dire. Je ne peux pas dire si c’est une bonne traduction ou une mauvaise traduction mais lorsque je l’ai lue, j’ai senti que c’était une traduction. Et c’était moins poétique – le français est beaucoup plus poétique.
Bien... On peut l’utiliser ou pas?
Je crois qu’on peut l’utiliser.
Si ça ne déforme pas la pensée.
Non, il ne m’a pas semblé que cela déformait la pensée.
(À Satprem:) Qu’est-ce que tu dis, toi?
Moi, je sens que l’essentiel n’est pas là.
(Mère rit) Oui, c’est ça!
Tu sais la pensée qui m’est venue? En Amérique, la petite D va commencer une traduction pour l’Amérique, est-ce que l’on ne pourrait pas s’en servir pour ici aussi bien?
C’est américain. Ici, on parle anglais. Il y a une différence, oh!...
Mais si le Pouvoir est là, ça ne fera pas de différence.
Non, il faut que ce soit de l’anglais.
Mais alors qui?... Parce que, à mon avis, il vaut mieux pas de traduction que quelque chose qui ne transmet pas la Force qu’il y a là-dedans. Il vaut mieux rien du tout.
(silence)
(Satprem à M:) Est-ce que vous avez senti la Force là-dedans?
(M:) Moi, je ne suis pas vraiment capable de dire ces choses, mais je peux dire que lorsque j’ai lu le français, il m’a semblé que ce n’était pas adressé à l’intellect, que c’était peut-être le cœur, je ne sais pas – c’est pour un aspirant.
Oui.
(M:) Ce n’est pas même un lecteur ordinaire qui pourra saisir cela: ce doit être un aspirant. L’anglais, on le comprend mieux parce que c’est adressé à l’intellect. Mais... je suis tout à fait incapable de juger.
(À Satprem:) Qui a traduit ton article [sur le Bangladesh]?
C’est Z, douce Mère.
Ah! oui.
(M:) Ça, je l’ai trouvé très bon, parce que là, j’avais lu l’anglais tout d’abord et j’ai pensé que c’était l’original.
Z sait traduire.
(Satprem:) Elle sait attraper la Force et la faire passer – c’est l’essentiel.
C’est elle qui aurait dû traduire ton livre!... Seulement elle est occupée et elle écrit elle-même... Je vais lui demander. Seulement l’autre va être désespérée! (rires)
Mais j’avais demandé à T [la traductrice d’anglais] quelles étaient les phrases auxquelles elle objectait, et alors je lui ai dit: «Je suis désolée, mais je vois que tu n’as rien compris à ce livre!» Elle le sait.
(Satprem:) T m’a dit des choses assez terribles sur mon livre...
Ah? (Mère rit beaucoup)
Ça m’avait beaucoup troublé.
Qu’est-ce qu’elle t’avait dit?
Elle m’avait dit qu’elle trouvait certaines choses «répulsive» [répugnantes].
Elle les trouvait quoi?
«Répulsive.»
Oh!
Alors j’ai essayé de lui dire: «Écoutez, je ne sais pas, ce livre m’est tombé sur la tête...
(Mère rit)
... C’est descendu sur moi.» Alors elle m’a dit avec une espèce de force qui m’a beaucoup atteint: «Oui-oui, n’est-ce pas, c’est très facile de confondre ce qui vient du subconscient et une inspiration.»
Oh!
Elle a dit cela d’une telle façon que j’étais plongé dans un affreux doute.
Babah!
En tout cas, elle m’a écrit à ce sujet en me disant qu’elle ne sentait pas la Présence dans ce livre – elle me l’a écrit: «Dans ce livre, il n’y a pas la Présence.»
Elle sait mieux que moi.
Mais enfin, dans ces conditions, il n’est pas possible que la Force passe.
Oui, ça ne peut pas être utilisé.
(S’adressant à M:) C’est tout ce que tu as à dire?
(M:) Je n’ai pas lu cela avec un esprit très critique, Mère, mais une réaction que j’ai eue, je peux le dire franchement, j’ai senti que ce qu’il dit [Satprem], c’est la chose naturelle, ce doit être comme cela, simple. Cela m’a donné un peu la même analogie que quand je fais un problème de mathématiques que je trouve extrêmement difficile, mais lorsque j’ai trouvé la solution, je me demande toujours: «Mais c’était si simple! On n’avait qu’à tracer cette ligne et tout sort!...» J’ai trouvé le livre un peu comme cela.
(Mère approuve)
Mais alors, je voudrais demander une chose que je n’ai pas trouvée dans ce livre: on ne mentionne pas expressément le gourou. Est-ce qu’un individu pourrait faire cela tout seul, sans gourou?
(après un silence)
C’est possible. Mais moi, n’est-ce pas, je ne peux donner que mon expérience – je peux dire seulement: c’est possible. Mais dans quelles conditions, je ne sais pas.
(Satprem à M:) On ne peut pas, dans un livre, parler manifestement du gourou, dire aux gens: «C’est telle personne qu’il faut suivre.» On peut seulement leur faire sentir quelque chose et les tourner vers ce quelque chose, mais on ne peut pas leur dire: «Vous savez, il faut suivre telle personne.»
Ah! oui.
On ne peut pas, n’est-ce pas.
(M:) Non, je dis cela parce que j’ai senti en lisant ce livre: «Si quelqu’un commence à suivre ce chemin sans gourou, il y a des dangers...» Mais c’est un livre qui vous inspire à suivre ce chemin.
(silence)
Je ne sais pas, je ne peux pas dire parce que je ne peux que parler d’expérience personnelle – ça n’a pas de valeur.
(M:) Mais il m’a semblé que c’était ton expérience, surtout vers la fin du livre.
(Riant) C’est moi qui suis responsable!
(Satprem:) Il doit bien y avoir quelqu’un de responsable là-dedans!
(Mère rit)
(M:) Les chapitres qui suivent «La sociologie du surhomme»: «Après» et «La conquête de la mort», etc., m’ont tout à fait évoqué ce que tu dis dans les «Notes sur le Chemin».
(Mère sourit) Ça, c’est le yoga du corps.
(M:) Mais c’est toi seule qui es en train de faire cela, alors...
Tu crois? (rires)
(Satprem:) J’ai l’impression, oui! (rires)
Je dois dire que si cela vient sur vous comme cela, comme une nécessité, c’est bien, mais il ne faut pas chercher à le faire... Ce n’est pas très agréable!
(silence)
(Se tournant vers M:) Alors, quand cela te fait plaisir de me voir, tu le dis.
(M riant:) Ça, c’est très difficile!
Je vois une moyenne de cent personnes par jour – une moyenne.
(M:) Oui, c’est pourquoi cela devient difficile de te demander, Mère.
Mais ça ne fait rien – seulement un.
(M:) C’est comme cela que ça devient cent! (rire général)
Évidemment... Ça ne fait rien, je te vois avec plaisir.
(M sort,
Mère reste longtemps absorbée)
Alors, comment ça va, mon petit?... Ça va mieux?1
J’espère, avec ta grâce.
(silence)
Il y a toute une partie de moi qui doit disparaître.
Oui, mais je croyais qu’elle était partie... C’est très curieux. Pour moi, ce n’est pas toi du tout.
Oui.
Je croyais que c’était parti. J’ai l’impression de quelqu’un qui avait été chassé et qui est revenu. Mais ça ne fait rien... Tu n’as qu’à... tu sais, comme cela (Mère serre ses poings), refuser de bouger. C’est tout.
Ce n’est pas toi.
(long silence)
J’aime mieux ne pas dire cela... Tu comprends, il y a deux choses que je pourrais dire. L’une, c’est que tu as vraiment quelque chose à faire et qui est en train de se cristalliser – les sornettes des gens qui ne comprennent pas, il ne faut pas les écouter. Et l’autre, c’est qu’il y a toute une partie de ta nature qui n’était pas ta nature lumineuse (atavisme, éducation, un tas de choses), et que c’est tellement parti, c’est tellement surmonté que je croyais que cela n’existait plus. J’étais étonnée quand on m’a dit que c’était venu t’embêter encore. Ça, c’est... ce n’est pas Satprem.
Oui, je sais.
Alors tu t’accroches à Satprem.
Non, j’aime mieux m’accrocher à toi!
Accroche-toi tant que tu peux – ça, tant que tu peux.
On a l’impression qu’il n’y a que la Grâce qui peut faire cela.
Mon petit2...
(Mère serre les mains de Satprem, long silence)
Il y a quelque chose que je sens très profondément... (silence) Les mots... les mots (Mère hoche la tête)... Mais pour le dire de la façon la plus simple possible, je pourrais dire: «Le Seigneur aime Satprem.» Et c’est une chose profonde-profonde-profonde... Le Seigneur aime Satprem. Voilà.
(le disciple pose son front sur les genoux de Mère)
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1 Le disciple avait fait dire à Mère qu’il se trouvait dans le plus grand noir de sa vie et que tout était comme autrefois, comme si ces dix-sept années d’Ashram n’avaient pas été.
2 Nous n’avons conservé que la fin de l’enregistrement de cette conversation.