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Mère

Entretiens

 

Le 13 juin 1956

L'enregistrement   

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«Déjà, au cours du processus de spiritualisation, le mental spiritualisé aura commencé à sortir de la brillante pauvreté de l’intellect humain; il s’élèvera tour à tour jusqu’aux pures et larges étendues du mental supérieur, puis dans les cercles rayonnants d’une intelligence plus grande encore, libre et illuminée par une Lumière d’en haut. Arrivé là, il commencera à sentir plus librement, à recevoir avec des réactions moins mélangées, les débuts radieux d’une Intuition qui n’est plus illuminée mais lumineuse en soi, vraie en soi; une Intuition qui n’est plus entièrement mentale et qui n’est donc plus soumise aux abondantes intrusions de l’erreur. Mais ce n’est pas non plus la fin, car le mental spiritualisé doit s’élever audelà et entrer dans le domaine même de l’Intuition non tronquée, qui est la première lumière directe de l’Être essentiel en sa propre conscience; et au-delà encore, il atteindra à Cela d’où vient cette lumière. Car il y a un Surmental derrière le Mental, un Pouvoir plus originel et plus dynamique qui soutient le Mental, qui regarde le Mental comme une radiation diminuée de lui-même et s’en sert comme d’une zone de transmission vers le bas ou comme d’un instrument pour les créations de l’Ignorance. La dernière étape de l’ascension serait le dépassement du Surmental lui-même, ou son retour à sa propre origine plus grande encore, sa conversion en la lumière supramentale de la Gnose Divine.» (La Synthèse des Yogas, vol. I, p. 164)

Il y a deux étapes, n’est-ce pas. On peut, au-delà du mental, entrer dans une certaine région, puis par-delà cette région, passer encore dans une autre qui est l’origine de toutes choses. Cela veut dire deux étapes successives.

Douce Mère, maintenant que le Supramental est descendu, pourquoi ne peut-on pas passer du mental rationnel au Supramental directement?

Qui a dit qu’on ne le pouvait pas?

Sri Aurobindo donne ici la description de ce qui était à faire pour pouvoir entrer en contact avec le Supramental et préparer le terrain de sa manifestation; mais maintenant qu’il est entré dans l’atmosphère terrestre, je ne vois pas pourquoi un procédé précis et unique lui serait infligé dans sa manifestation. S’il lui plaît d’illuminer directement un instrument qu’il trouve commode, ou prêt, adapté, je ne vois pas pourquoi il ne le ferait pas.

Et je le répète: qui est-ce qui a dit que cela ne pouvait pas être autrement? Personne. Ce que Sri Aurobindo a décrit ici, c’est autre chose, et c’est en effet ce qui s’est produit. C’était la préparation nécessaire pour que la manifestation ait lieu. Mais maintenant, je ne vois pas pourquoi ni sur quelle base il serait imposé à l’action supramentale un processus particulier, et qu’elle n’aurait pas la liberté de choisir ses propres moyens.

Je pense que toutes les possibilités sont prévisibles et que toute aspiration sincère et consécration totale aura une réponse; et que les procédés, les moyens, les transitions, les transformations seront innombrables dans leur nature — pas du tout que les choses se feront d’une certaine manière et pas autrement.

Au fond, quoi que ce soit, tout ce qui est prêt à recevoir même une parcelle ou un aspect particulier de la Conscience et de la Lumière supramentales, doit automatiquement le recevoir. Et les effets de cette Conscience et de cette Lumière seront innombrables, parce que, certainement, ils s’adapteront à la possibilité, à la capacité de chacun, selon la sincérité de son aspiration.

Plus la consécration est totale et l’aspiration intense, plus le résultat peut être intégral et intense. Mais l’effet de l’action supramentale sera innombrable dans ses manifestations — multiple, innombrable, infiniment varié; pas forcément suivant une ligne précise et la même pour tous. C’est impossible. Parce que c’est contraire à la nature même de la Conscience supramentale.

La qualité même de l’atmosphère est changée.

Les conséquences doivent être infiniment variées, mais perceptibles. C’est-à-dire que l’on pourra distinguer les conséquences des mouvements ordinaires des conséquences de l’action supramentale, parce que celles-ci auront une nature particulière, un caractère particulier.

Mais cela ne veut pas dire que n’importe qui, à n’importe quel moment et de n’importe quelle manière, va devenir tout à coup un génie supramental. Il ne faut pas s’y attendre.

J’allais dire: si seulement on constate que l’on est un peu moins bête qu’avant, ce serait déjà quelque chose!

Dans le domaine de l’éducation, est-ce que cette influence se manifestera aussi?

Pourquoi voulez-vous lui interdire un domaine ou un autre?

Parce que le système d’éducation que nous suivons reste encore, comme dit Sri Aurobindo, une «brillante pauvreté de l’intellect humain».

Vous parlez de l’éducation que vous donnez à vos élèves, oui? Mais il y a beau temps que cela aurait dû changer!

On a une lamentable habitude de copier ce qui a été fait auparavant et ce qui est fait par les autres. Il y a longtemps que j’ai dit cela. Cet argument: «Il faut faire cela, parce que c’est cela qui se fait partout» — moi je réponds: «C’est peut-être pour cela qu’il ne faut pas le faire! Parce que, si tous les autres le font, à quoi sert-il qu’on le fasse aussi?»

Mais sans votre intervention, comment peut-on faire?

Mais pourquoi me demandez-vous cela? Vous devriez d’abord changer votre système d’éducation selon les principes du Supramental. Au moins essayer. Il ne faut pas demander, il faut le faire. Si vous allez toujours dans la même ornière, vous pouvez continuer dans l’ornière indéfiniment. Il faut tâcher d’en sortir.

Justement, je suis en constante discussion à ce sujet. Je pense que c’est aujourd’hui même, ou peut-être hier, que je plaidais le droit de chacun à demeurer dans l’ignorance si cela lui plaît (je ne parle pas de l’ignorance selon la conception spirituelle, le monde d’Ignorance dans lequel nous sommes, je ne parle pas de cela; je parle de l’ignorance selon les notions d’éducation classiques). Eh bien, je dis que, s’il y a des êtres qui ne veulent pas apprendre et qui n’aiment pas apprendre, ils ont le droit de ne pas apprendre.

La seule chose qu’on ait le devoir de leur dire, c’est ceci: «Maintenant, vous avez l’âge où votre cerveau est en train de se préparer. Il se construit. Chaque nouvelle chose que vous étudiez fait une petite circonvolution de plus dans votre cerveau. Plus vous étudiez, plus vous pensez, plus vous réfléchissez, plus vous travaillez, plus votre cerveau devient complexe et complet dans ses petites circonvolutions. Et comme vous êtes jeunes, c’est le moment où cela se fait le mieux. C’est pour cela qu’il est dans l’habitude humaine de choisir l’âge de la jeunesse pour apprendre, parce que c’est infiniment plus facile.» Et il est évident que, jusqu’à ce que l’enfant puisse être un tout petit peu conscient de lui-même, il faut le soumettre à une certaine règle, parce qu’il n’a pas encore la capacité de choisir pour lui-même.

Cet âge-là est très variable: cela dépend des gens, cela dépend de chaque individu. Mais enfin, il est entendu que, dans la période de sept ans qui s’étend de sept à quatorze ans, on commence à toucher à l’âge de la raison. Si l’on est aidé, on peut devenir un être raisonnable entre sept et quatorze ans.

Avant sept ans, il y a des génies (il y a toujours des génies, partout), mais la règle générale est que l’enfant n’est pas conscient de lui-même et qu’il ne sait pas pourquoi ni comment faire les choses. C’est le moment où il faut lui donner une culture de l’attention, lui apprendre à se concentrer sur ce qu’il fait, une petite base suffisante pour qu’il ne soit pas tout à fait comme un petit animal, qu’il appartienne à la race humaine par un développement intellectuel primaire.

Après cela, il y a une période de sept années pendant laquelle il faut lui apprendre à choisir — choisir ce qu’il veut être. S’il veut choisir d’avoir un cerveau riche, complexe, développé, puissant dans son fonctionnement, eh bien, il faudra lui apprendre à travailler; parce que c’est par le travail, par la réflexion, l’étude, l’analyse et tout ce qui s’ensuit que l’on se forme un cerveau. À quatorze ans vous êtes prêt — ou vous devez être prêt — à savoir ce que vous voulez être.

Et alors je dis: si, à peu près vers cet âge-là, il y a des enfants qui catégoriquement déclarent: «Le développement intellectuel ne m’intéresse pas du tout, je ne veux pas apprendre, je veux rester ignorant à la manière ordinaire de l’ignorance», je ne vois pas de quel droit on leur imposerait des études ni pourquoi il faudrait les niveler.

Il y a ceux qui sont en bas, et il y a ceux qui sont à un autre étage. Il y a des gens qui peuvent avoir des capacités très remarquables et qui n’ont pas de goût pour le développement intellectuel. On peut les prévenir que, s’ils ne travaillent pas, s’ils n’étudient pas, quand ils seront grands, ils se trouveront peut-être embarrassés vis-à-vis du reste de l’humanité. Mais si cela leur est égal et s’ils veulent vivre d’une vie qui n’est pas intellectuelle, je considère qu’on n’a pas le droit de les obliger. C’est ma querelle constante avec tous les professeurs de l’école! Ils viennent me dire: s’ils ne travaillent pas, quand ils seront grands ils seront bêtes et ignorants. Je dis: mais si cela leur plaît d’être bêtes et ignorants, de quel droit intervenez-vous?

On ne peut pas avoir la connaissance et l’intelligence obligatoires. C’est tout.

Maintenant, quant à croire qu’en vous abstenant de tout effort et de toute étude, vous deviendrez des génies, et des génies supramentaux, ne vous faites aucune illusion, cela ne vous arrivera pas. Parce que, même si vous touchez à une lumière supérieure, par une aspiration intérieure ou par une grâce divine, vous n’aurez rien là-dedans, dans votre cerveau, pour pouvoir l’exprimer. Alors, cela restera dans un état tout à fait nébuleux et cela ne changera en rien votre existence extérieure. Mais s’il vous plaît d’être comme cela, personne n’a le droit de vous obliger à être autrement. Il faut attendre que vous ayez suffisamment de conscience pour pouvoir choisir.

Évidemment, il y a des gens qui à quatorze ans sont encore comme des enfants de cinq ans. Mais ceux-là, c’est sans beaucoup d’espoir. Surtout ceux qui ont vécu ici.

Voilà donc qui change déjà totalement votre point de vue en matière d’éducation.

Au fond, la seule chose que vous devriez faire avec assiduité, c’est de leur apprendre à se connaître eux-mêmes et à choisir leur propre destin, le chemin qu’ils suivront. Apprendre à se regarder, à se comprendre et à se vouloir. C’est infiniment plus important que de leur apprendre ce qui s’est passé sur la terre autrefois, ou bien même comment la terre est bâtie, ou même... enfin, toutes sortes de choses qui sont un fondement assez nécessaire si vous voulez vivre la vie ordinaire dans le monde, parce que, si vous ne les savez pas, immédiatement n’importe qui vous battra intellectuellement: «Oh! c’est un idiot, il ne sait rien.»

Mais enfin, vous pouvez aussi, à n’importe quel âge, si vous êtes studieux et que vous ayez de la volonté, prendre des livres et travailler; vous n’avez pas besoin d’aller à l’école pour cela. Il y a assez de livres dans le monde pour vous apprendre les choses. Il y a même beaucoup plus de livres qu’il n’est nécessaire. Vous pouvez épuiser tous les sujets simplement en allant là-bas, chez Medhananda, à la Bibliothèque. Vous en aurez assez pour vous remplir jusque-là!

Mais ce qui est très important, c’est de savoir ce que vous voulez. Et pour cela, il faut un minimum de liberté. Il ne faut pas être sous une compulsion ou une obligation. Il faut que vous puissiez faire les choses de bon coeur. Si vous êtes paresseux, eh bien, vous saurez ce que cela veut dire, d’être paresseux... Vous savez, dans la vie, les paresseux sont obligés de travailler dix fois plus que les autres, parce que ce qu’ils font, ils le font mal, alors ils sont obligés de le refaire. Mais ce sont des choses qu’il faut apprendre par expérience. On ne peut pas vous les inculquer.

Le mental, si on ne le tient pas, est quelque chose de flottant, d’imprécis. Si on n’a pas l’habitude de le concentrer sur quelque chose, il est tout le temps à flotter. Il va, il ne s’arrête nulle part, et il flotte dans un monde d’imprécision. Et alors, quand on veut fixer son attention, ça fait mal! Il y a un petit effort, là, comme ça: «Oh! c’est fatigant, ça fait mal!» Alors on ne le fait pas. Et on vit dans une sorte de nuage. Et vous avez la tête comme un nuage; c’est comme cela, la plupart des cerveaux sont comme des nuages: ça n’a pas de précision, ça n’a pas d’exactitude, ça n’a pas de clarté, c’est fumeux — vague et fumeux. Vous avez plus des impressions qu’une connaissance des choses. Vous vivez dans une approximation, et vous pouvez garder au-dedans de vous toutes sortes d’idées contradictoires qui sont faites surtout d’impressions, de sensations, de sentiments, d’émotions — toutes sortes de choses comme cela, qui ont très peu à faire avec la pensée et... qui sont des «vagueries».

Mais si vous voulez arriver à avoir une pensée précise, concrète, claire, déterminée sur un point, il vous faut faire un effort, vous rassembler, vous fixer, vous concentrer. Et la première fois que vous le faites, littéralement cela fait mal, c’est fatigant! Mais si vous n’en prenez pas l’habitude, alors vous resterez toute votre vie à vivre dans un flottement. Et quand il s’agira de choses pratiques, quand vous serez en présence... parce que, malgré tout, on est toujours en présence d’un nombre plus ou moins grand de problèmes à résoudre, d’un ordre tout à fait pratique... eh bien, au lieu de pouvoir prendre les éléments du problème, les mettre tous l’un en face de l’autre, regarder la question de tous les côtés, s’élever au-dessus et puis voir la solution, au lieu de cela, vous serez ballottés dans des volutes de quelque chose de gris et d’incertain, et ce sera comme autant d’araignées qui courront dans votre tête — mais vous n’arriverez pas à saisir la chose.

Je parle du problème le plus simple, n’est-ce pas; je ne parle pas de décider du sort du monde ou de l’humanité, ou même d’un pays — rien de tout cela. Je parle du problème de votre vie quotidienne, de chaque jour. Cela devient quelque chose de tout à fait cotonneux.

Eh bien, c’est pour éviter cela que l’on vous dit, quand votre cerveau est en train de se former: au lieu de le laisser se former avec ces habitudes et ces qualités-là, tâchez de lui donner un peu d’exactitude, de précision, de capacité de se concentrer, de choisir, de décider, de mettre les choses l’une en face de l’autre, tâchez d’utiliser la raison.

Parce qu’il est bien entendu que la raison n’est pas la capacité suprême de l’homme et qu’elle doit être dépassée; mais il est de toute évidence que, si vous n’en avez pas, vous vivrez une vie tout à fait incohérente, vous ne saurez même pas vous conduire d’une façon rationnelle. La moindre chose vous bouleversera totalement et vous ne saurez même pas pourquoi, et encore moins comment y remédier. Tandis que celui qui a établi en soi un état de raison active, claire, il peut faire face à des assauts de tous genres, des assauts émotifs ou des assauts d’épreuves quelconques; parce que la vie est entièrement faite de ces choseslà — des désagréments, des tracasseries — qui sont petites, mais qui sont à la mesure de celui qui les sent, et qui naturellement les sent très grandes parce qu’elles sont à sa mesure. Eh bien, la raison peut se tenir un peu en arrière, regarder cela, sourire et dire: «Oh! non, il ne faut pas faire d’embarras pour une toute petite chose.»

Si vous n’avez pas de raison, vous serez comme un bouchon sur une mer démontée. Je ne sais pas si le bouchon souffre de sa condition, mais elle ne me paraît pas très avantageuse.

Voilà.

Maintenant, après avoir dit tout cela — et je ne vous l’ai pas dit une fois, je vous l’ai dit plusieurs fois je pense, et je suis prête à vous le redire autant de fois que vous voudrez —, après avoir dit cela, je tiens à vous laisser entièrement libres de choisir si vous voulez être le bouchon sur la mer démontée, ou si vous voulez avoir une perception claire, précise, et une connaissance suffisante des choses pour pouvoir marcher... eh bien, simplement là où vous voulez aller.

Parce qu’il y a une clarté indispensable pour pouvoir même suivre le chemin que l’on a choisi.

Je ne tiens pas du tout à ce que vous deveniez des érudits, il s’en faut de beaucoup! parce que, alors, on tombe dans l’autre extrême: on se remplit la tête de tant de choses qu’il n’y a plus de place pour la lumière supérieure; mais il y a un minimum indispensable pour ne pas... eh bien, pour ne pas être le bouchon.

Mère, on dit que notre insuffisance générale dans les études vient de ce que l’on insiste trop sur les jeux, l’éducation physique. Est-ce vrai?

Qui a dit cela? Les gens qui n’aiment pas l’éducation physique? Des vieux professeurs racornis qui ne peuvent plus faire d’exercices? C’est cela? (Je ne demande pas de noms!)

Eh bien, je ne le crois pas.

Vous vous souvenez du premier article que Sri Aurobindo a écrit dans le Bulletin? Il répond à ces gens-là d’une façon tout à fait catégorique.

Je ne pense pas que ce soit cela. Je suis tout à fait convaincue que ce n’est pas cela. Je crois plutôt (et je mets tout le blâme sur moi) qu’on vous a laissé une liberté fantastique, mes enfants, oh! je ne crois pas qu’il y ait un autre endroit au monde où les enfants soient aussi libres. Et ma foi, il est bien difficile de savoir se servir d’une liberté comme celle-là.

Pourtant l’expérience valait d’être tentée. Vous ne l’appréciez pas parce que vous ne savez pas comment c’est quand ce n’est pas comme cela; cela vous paraît tout à fait naturel. Mais il est très difficile de savoir organiser soi-même sa propre liberté. Pourtant, si vous arriviez à faire cela, à vous donner votre propre discipline — et pour des raisons supérieures, pas pour passer des examens, se faire une carrière, plaire à ses professeurs, avoir beaucoup de prix, ou toutes les raisons ordinaires qu’ont les enfants: pour ne pas être grondés, pour ne pas être punis, pour tout cela, nous supprimons toutes ces raisons-là —, si vous arriviez à vous donner une discipline à vous-mêmes (chacun la sienne, il n’est pas besoin de suivre celle des autres), une discipline simplement parce que vous voulez progresser et que vous voulez tirer de vous-mêmes le meilleur, alors... Oh! vous serez des êtres très supérieurs à ceux qui suivent les disciplines ordinaires des écoles. C’est cela que je voulais essayer. Notez, je ne dis pas que j’aie échoué; j’ai encore très bon espoir que vous saurez profiter de cette occasion unique. Mais il y a tout de même quelque chose qu’il faut que vous trouviez: c’est la nécessité d’une discipline intérieure. Sans discipline vous ne pouvez aller nulle part, sans discipline vous ne pouvez même pas vivre une vie normale d’homme normal. Mais au lieu d’avoir la discipline conventionnelle des sociétés ordinaires ou des institutions ordinaires, j’aurais voulu, et je veux encore, que vous ayez la discipline que vous vous donnez à vous-mêmes, par amour de la perfection, votre propre perfection, la perfection de votre être.

Mais sans cela... Notez que si l’on ne disciplinait pas son corps, on ne pourrait même pas se tenir debout sur deux pattes, on resterait comme des enfants à se servir des quatre. Vous ne pourriez rien faire. Vous êtes obligé de vous discipliner; vous ne pourriez pas vivre en société, vous ne pourriez pas vivre du tout, excepté tout seul dans la forêt; et encore, je ne sais même pas. C’est tout à fait indispensable, je vous l’ai dit je ne sais pas combien de fois. Et ce n’est pas parce que j’ai une aversion très marquée pour les disciplines conventionnelles, sociales et autres, qu’il faut vous abstenir de toute discipline. Je voudrais que chacun trouve la sienne, dans la sincérité de son aspiration intérieure et la volonté de se réaliser soi-même.

Et alors, le but de ceux qui savent, qu’ils soient professeurs, instructeurs ou n’importe, la raison d’être de ceux qui savent est de vous renseigner, de vous aider. Quand vous êtes dans un cas qui vous paraît difficile, vous soumettez votre problème et, avec leur expérience personnelle, ils peuvent vous dire: «Non, c’est comme ceci ou c’est comme cela, et il faut faire cela, il faut essayer ceci.» Alors, au lieu de vous faire absorber par force des théories, des principes et des soi-disant lois et une connaissance plus ou moins abstraite, ils seraient là pour vous donner un renseignement, depuis les choses les plus matérielles jusqu’aux choses les plus spirituelles, chacun suivant son domaine et sa capacité.

Il est de toute évidence que, si vous êtes jeté dans le monde sans la moindre connaissance technique, vous pouvez faire des choses très dangereuses. Prenez un enfant qui ne sait rien, la première chose qu’il fera s’il a des allumettes, par exemple, c’est de se brûler. Donc, dans ce domaine-là, au point de vue purement matériel, il est bon qu’il y ait des gens qui sachent et qui puissent vous renseigner, parce que, autrement, si chacun devait apprendre par sa propre expérience, il mettrait plusieurs vies à savoir les choses les plus indispensables. C’est cela l’utilité, la vraie utilité des professeurs, des instructeurs. Ils ont appris plus ou moins pratiquement, ou par une étude spéciale, et ils peuvent vous renseigner sur les choses qu’il est indispensable de savoir. Cela vous fait gagner du temps, beaucoup de temps. Mais c’est cela, leur utilité: pouvoir répondre aux questions. Et au fond, il faudrait que vous ayez un cerveau assez vivant pour avoir des questions à poser. Je ne sais pas, mais vous n’avez jamais rien à me demander, ou c’est si rare. Mais cela prouve une paresse d’esprit terrible!

À certains moments, je vous dis: «Ne questionnez pas, tâchez de trouver par vous-mêmes certaines choses intérieures», c’est entendu; mais quand je suis ici et que je vous dis: «N’avez-vous pas de questions à poser?»... silence! Alors cela prouve que vous n’avez pas de curiosité d’esprit. Et je ne vous demande pas nécessairement de me poser des questions sur ce que je viens de lire; je suis toujours prête à répondre à n’importe quelle question posée par n’importe qui. Eh bien, je dois constater que nous ne sommes pas très riches en questions. Je n’ai pas souvent l’occasion de vous dire quelque chose.

Je m’empresse de vous dire que, si vous me posez des questions techniques sur les sciences, la physique ou que sais-je, je pourrai très bien vous répondre: «Je n’en sais rien, étudiez vos livres ou demandez à votre professeur», mais si vous me posez des questions dans mon domaine, je vous répondrai toujours.

Alors, une dernière tentative: est-ce que quelqu’un ici a une question à me poser? (silence)

C’est admirable! (Mère rit) Eh bien, c’est tout.