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Mère

Entretiens

 

Le 27 juin 1956

L'enregistrement   

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La semaine dernière, je vous ai parlé de la naissance: comment les âmes entrent dans le corps; et je vous ai dit que ce corps est formé d’une façon très peu satisfaisante presque pour tout le monde — les exceptions sont si rares que l’on peut à peine en parler.

Je vous ai dit que l’on arrivait, par cette naissance obscure, avec tout un bagage physique de choses dont il faut généralement se débarrasser si l’on veut progresser vraiment, et on m’a cité ma propre phrase qui est comme ceci:

«On vous fait venir par force, on vous impose le milieu par force, les lois de l’atavisme par force.»

Et alors, la personne qui m’a écrit m’a demandé qui est ce «on»?

Évidemment, j’aurais pu être plus explicite, mais je pensais avoir été suffisamment claire.

Le corps est formé par un homme et une femme qui deviennent père et mère, et ce sont eux qui n’ont pas même les moyens de demander à l’être qu’ils vont faire venir sur terre si cela lui est agréable de venir ou si c’est conforme à sa destinée. Et c’est à ce corps formé par eux qu’ils imposent par force, par la force de la nécessité, un atavisme, un milieu, une éducation plus tard, qui seront presque toujours des obstacles à la croissance future.

Par conséquent, j’ai dit ici et je redis (je croyais avoir été claire) qu’il s’agit des parents physiques et du corps physique, rien d’autre. Et que l’âme qui s’incarne, qu’elle soit en cours de développement ou pleinement développée, doit lutter contre les circonstances qui lui ont été imposées par la naissance animale, lutter pour trouver son vrai chemin et se retrouver soi-même pleinement. Voilà.

Maintenant, si vous avez quelque chose d’autre à demander... Personne n’a rien à dire?

Douce Mère, est-ce qu’il est possible pour la mère et le père de faire naître... de demander l’âme qu’ils veulent?

Demander? Il faut pour cela qu’ils aient une connaissance occulte que généralement ils n’ont pas. Mais en tout cas, ce qui est possible, c’est qu’au lieu de faire la chose comme un animal poussé par un instinct ou un désir, et sans même le vouloir la plupart du temps, ils le fassent volontairement, avec une aspiration, qu’ils se mettent eux-mêmes dans un état d’aspiration et presque de prière, n’est-ce pas, pour que l’être qu’ils vont former soit une forme convenable pour revêtir une âme qu’ils peuvent appeler à s’incarner dans cette forme. J’ai connu des gens (ils n’étaient pas nombreux, cela n’arrive pas souvent, mais enfin j’en ai connu) qui choisissaient des circonstances spéciales, se préparaient par des conditions de concentration et de méditation et d’aspiration spéciales, et cherchaient à faire venir dans le corps qu’ils allaient former un être exceptionnel.

Dans le pays de l’ancien temps, et encore maintenant dans certains pays, la femme qui allait avoir un enfant était mise dans des conditions spéciales de beauté, d’harmonie, de paix et de bien-être, dans des conditions physiques tout à fait harmonieuses, afin que l’enfant formé le soit dans les meilleures conditions possibles. C’est évidemment ce que l’on devrait faire, parce que c’est dans la mesure de la possibilité humaine. Les êtres humains sont assez développés pour que ce ne soit pas une chose tout à fait exceptionnelle. C’est pourtant une chose tout à fait exceptionnelle, parce que très peu de gens y pensent, tandis qu’il y a une in-nom-brable quantité de gens qui font des enfants sans même le vouloir.

C’était cela que je voulais dire.

Il est possible d’appeler une âme, mais il faut avoir au moins un peu de conscience soi-même, et puis vouloir faire ce que l’on fait dans les meilleures conditions. C’est très rare, mais c’est possible.

Mère, lorsqu’un corps est formé, l’âme qui s’y incarne est-elle obligée de s’incarner dans ce corps?

Je ne comprends pas très bien ta question.

La formation du corps dépend purement d’un homme et d’une femme; mais l’âme qui se manifeste dans l’enfant, dans le corps qui se forme, est-ce qu’elle est obligée de se manifester dans ce corps?

Tu veux dire si elle peut choisir entre des corps différents?

Oui.

N’est-ce pas, il est très exceptionnel malgré tout, dans la masse humaine formidable, que ce soit une âme consciente qui s’incarne volontairement. C’est un fait très rare. Je vous ai dit déjà que, quand une âme est consciente, pleinement formée et qu’elle veut s’incarner, généralement, de son domaine psychique, elle cherche à voir une lumière psychique correspondante sur une certaine localité de la terre. Aussi, pendant sa précédente incarnation, avant de s’en aller, avant de quitter l’atmosphère terrestre, généralement, comme résultat de l’expérience qu’elle a eue dans la vie qui se termine, l’âme choisit plus ou moins (pas dans tous les détails, mais d’une façon générale) les conditions de sa vie future. Mais ce sont des cas exceptionnels. Il se peut que, pour nous, nous puissions en parler, mais pour la majorité, l’immense majorité des êtres, même parmi ceux qui sont éduqués, il n’en est pas question. Et ce qui viendra là, c’est un être psychique en formation, plus ou moins formé, et il y a toutes les étapes de formation, depuis l’étincelle qui devient une petite lumière, jusqu’à l’être pleinement formé, et cela s’étend sur des milliers d’années. Cette ascension de l’âme pour devenir un être conscient qui a sa volonté propre et qui peut décider du choix de sa vie, cela prend des milliers d’années.

Alors, tu veux parler d’une âme qui dirait: «Non, je refuse ce corps, je vais en chercher un autre»?... Je ne dis pas que ce soit impossible — tout est possible. Il se trouve, en effet, qu’il y a des enfants venus morts-nés, ce qui veut dire qu’il n’y a pas eu d’âme pour s’incarner en eux. Mais ce peut être pour d’autre raisons aussi; ce peut être pour des raisons de malformation seulement; on ne peut pas dire. Je ne dis pas que ce soit impossible, mais généralement, quand une âme consciente et libre choisit de reprendre un corps sur terre, avant même la naissance elle travaille sur ce corps. Alors, elle n’a aucune raison de ne pas accepter même les inconvénients qui peuvent résulter de l’ignorance des parents; parce qu’elle a choisi l’endroit pour une raison qui n’était pas une raison d’ignorance: elle a vu une lumière là — cela pouvait être simplement la lumière d’une possibilité, mais il y avait une lumière et c’est pour cela qu’elle est venue là. Alors, c’est très bien de dire: «Ah! non, ça ne me plaît pas», mais où irait-elle en choisir un autre qui lui plaise?... Cela peut se faire, je ne dis pas que ce soit impossible, mais cela ne doit pas se produire très souvent. Parce que, quand du domaine psychique l’âme regarde sur la terre et choisit le lieu de sa prochaine naissance, elle le choisit avec suffisamment de discernement pour ne pas se tromper tout à fait grossièrement.

Il est arrivé aussi que des âmes se soient incarnées, puis qu’elles soient parties. Il y a beaucoup de raisons pour qu’elles s’en aillent. Les enfants qui meurent très jeunes, au bout de quelques jours ou de quelques semaines, ce peut être pour une raison comme cela. La plupart du temps, on dit que c’est parce que l’âme avait besoin juste d’une petite expérience pour terminer sa formation, qu’elle l’a eue pendant ces quelques semaines et qu’elle est partie. Tout est possible. Et il faudrait raconter autant d’histoires, pour raconter l’histoire des âmes, qu’il faut en raconter pour raconter l’histoire des hommes. C’est-à-dire que c’est innombrable et que les cas sont aussi différents que possible les uns des autres.

Alors, décider arbitrairement: «C’est comme cela et ce n’est pas comme ceci; ceci arrive et cela n’arrive pas», c’est un enfantillage. Tout peut arriver. Il y a des cas qui sont plus fréquents que d’autres, on peut généraliser; mais on ne peut jamais dire: «Ceci n’est pas possible et c’est toujours comme ceci ou toujours comme cela.» Ce n’est pas comme cela que les choses se passent.

Mais en tout cas — en tout cas —, même dans les cas les meilleurs, même quand l’âme est venue consciemment, même quand elle a participé consciemment à la formation du corps physique, il n’empêche que, tant que le corps sera formé de la façon animale habituelle, elle aura à lutter et à corriger toutes les choses qui viennent de cette animalité humaine.

Nécessairement, les parents ont une formation spéciale, ils ont une bonne ou une mauvaise santé spéciale; même en mettant les choses au mieux, ils ont un tas d’atavismes, d’habitudes, de formations dans le subconscient et même dans l’inconscient, qui proviennent de leur propre naissance, du milieu dans lequel ils ont vécu, de la vie qu’ils ont eue; et même si ce sont des gens remarquables, ils ont des quantités de choses qui sont tout à fait contraires à la vie psychique vraie — même les meilleurs, même les plus conscients. Et en plus, il y a tout ce qui va arriver. Même si l’on se donne beaucoup de mal pour l’éducation de ses enfants, ils seront en contact avec toutes sortes de gens qui auront une influence sur eux, surtout quand ils sont tout petits, et ces influences entrent dans le subconscient, il faut lutter contre cela plus tard. Je dis: même dans les cas les meilleurs, à cause de la manière dont le corps est formé maintenant, vous avez à faire face à d’innombrables difficultés qui viennent plus ou moins du subconscient, mais qui montent à la surface et contre lesquelles il faut lutter pour pouvoir devenir tout à fait libre et se développer normalement.

C’est tout?

(silence)

Maintenant, depuis la fin de février, j’ai reçu une quantité considérable de questions sur:

Comment le Supramental va-t-il agir? Qu’est-ce qu’il faut faire pour le recevoir? Sous quelle forme se manifestera-t-il?

J’ai répondu comme j’ai pu. Mais il se trouve que dans le livre The Secret of the Veda de Sri Aurobindo, il y a une note à une certaine page, et que dans cette note il répond aux questions. Je dis toujours aux gens: si vous vous donniez un petit peu la peine de lire ce que Sri Aurobindo a écrit, beaucoup de vos questions deviendraient inutiles, parce que Sri Aurobindo y a déjà répondu. Mais enfin, il est probable que l’on n’a ni le temps ni la patience ni la volonté, ni tout ce qu’il faut, et on ne lit pas. Les livres paraissent, ils sont même je crois généreusement distribués, mais il y a peu de gens qui les lisent. Enfin, voilà la réponse de Sri Aurobindo. Je ne vous la donne pas en anglais, je vous l’ai traduite en français très littéralement. Tâchez de réfléchir, et si vous avez une question spéciale à poser, j’y répondrai.

Écoutez:

«Le monde supramental doit être formé ou créé en nous par la Volonté divine, comme résultat d’une expansion et d’un perfectionnement de soi constants1.» (The Secret of the Veda, CWSA, Vol. 15, p. 408)

C’est-à-dire que pour espérer recevoir, utiliser et former en soi un être supramental, et en conséquence un monde supramental, il faut une expansion de la conscience, d’abord, et un progrès personnel «constant»: ne pas avoir des élans, une petite aspiration, un petit effort, et puis retomber dans une somnolence. Il faut que ce soit l’idée de l’être constante, la volonté de l’être constante, l’effort de l’être constant, la préoccupation de l’être constante.

S’il vous arrive cinq minutes par jour de vous souvenir qu’il y a quelque chose dans l’univers comme la Force supramentale, et que, après tout, «ce serait bien si cela se manifestait en moi», puis que tout le reste du temps vous pensiez à autre chose et que vous vous occupiez d’autre chose, il n’y a pas beaucoup de chances que cela puisse venir travailler sérieusement au-dedans de vous. Sri Aurobindo le dit d’une façon tout à fait claire et précise. Il ne vous dit pas que c’est vous qui le ferez, il dit que c’est la Volonté divine. Alors, ne venez pas dire: «Ah! moi, je ne peux pas.» On ne vous demande pas de le faire. Mais il faut qu’il y ait dans l’être une aspiration et une adhésion suffisantes pour que l’expansion de l’être, l’expansion de la conscience soient possibles. Parce que, à dire vrai, tout le monde est petit, petit, petit, si petit qu’il n’y a pas assez de place pour y mettre du Supramental! C’est tellement petit que c’est déjà tout plein avec tous les petits mouvements humains ordinaires. Il faut élargir beaucoup pour qu’il y ait de la place pour les mouvements du Supramental.

Et puis, il faut aussi une aspiration de progrès: ne pas être satisfait de ce que l’on est, comme l’on est, de ce que l’on fait, de ce que l’on sait ou croit savoir; mais avoir une aspiration constante vers quelque chose de plus, quelque chose de mieux, vers une lumière plus grande, une conscience plus vaste, une vérité plus vraie et une bonté plus universelle. Et en plus de cela, une bonne volonté qui ne se dément jamais.

Cela ne peut pas se faire en quelques jours.

D’ailleurs, je crois qu’à ce point de vue j’avais pris mes précautions et que, quand j’ai annoncé qu’il avait été donné à la terre de recevoir la Force supramentale pour la manifester, cela ne voulait pas dire que la manifestation serait évidente instantanément, et que chacun se trouverait tout d’un coup transporté sur un sommet de lumière et de possibilités et de réalisation, sans un effort. J’ai dit tout de suite que ce ne serait pas comme cela. J’ai même dit que cela prendrait assez longtemps. Mais enfin, on s’est plaint que sa venue n’avait pas rendu les choses plus faciles, que même, dans quelques cas, c’était devenu plus difficile. J’en suis désolée, mais je n’y peux rien. Parce que ce n’est pas la faute de la Force supramentale, c’est la faute de la façon dont elle a été reçue. Je connais des cas où vraiment l’aspiration était sincère et la collaboration complète, et où beaucoup de choses qui avaient paru très difficiles auparavant sont devenues tout de suite infiniment plus faciles.

Mais enfin, il y a une très grande différence, toujours, entre une sorte de curiosité mentale qui joue avec les idées et les mots et puis une aspiration vraie de l’être qui fait que, vraiment, réellement, c’est ça qui compte, essentiellement, et pas autre chose — cette aspiration, cette volonté intérieure qui fait que rien n’a de valeur excepté ça, cette réalisation; que rien ne compte excepté ça; qu’on n’a pas d’autre raison d’être et de vivre que ça.

Et c’est cela pourtant qu’il faut si l’on veut que le Supramental puisse se montrer à l’oeil nu.

Et je ne parle pas, notez, d’une transformation physique, parce que cela tout le monde le sait: vous ne vous attendez pas du jour au lendemain à devenir lumineux, plastiques, à perdre votre poids, à pouvoir vous déplacer librement, vous montrer à une dizaine d’endroits en même temps et que sais-je... Non, je crois que vous êtes assez raisonnables pour ne pas vous attendre à ce que cela se produise tout de suite. Cela prendra un certain temps.

Mais enfin, simplement le fonctionnement de la conscience, simplement une certaine maîtrise de soi, un contrôle sur son corps, une connaissance directe des choses, une capacité d’identification et une vision claire, au lieu de cette vision nuageuse et imprécise qui ne voit que juste des apparences, qui sont tellement trompeuses, tellement irréelles — tellement fossilisées. Une perception plus directe, une perception intérieure, cela doit pouvoir venir et venir vite si l’on s’est préparé.

Simplement, avoir cette sensation que l’air que l’on respire est plus vivant, que la force que l’on a est plus durable. Et au lieu de tâtonner toujours comme un aveugle pour savoir ce qu’il faut faire, avoir l’intimation intérieure claire, précise: c’est ça, pas ça — ça.

Ce sont les choses que l’on peut acquérir immédiatement si l’on s’est préparé.

(silence)

Aujourd’hui même, j’ai reçu d’autres questions, qui n’ont rien à voir avec le sujet qui nous occupe maintenant, qui sont des questions vieilles comme le monde, auxquelles j’ai répondu déjà des centaines de fois, mais enfin, il se trouve que cela n’a pas dû entrer parce qu’on me le demande encore: Pourquoi les mauvaises pensées viennent-elles?

Je ne vous ai pas dit pourquoi les mauvaises pensées viennent?... Pour autant de raisons qu’il y a de mauvaises pensées! Chacune vient pour sa raison spéciale: cela peut être par affinité, cela peut être par taquinerie, cela peut être parce qu’on les appelle, cela peut être parce qu’on se met dans une condition où l’on est attaqué, cela peut être tout cela à la fois, et beaucoup d’autres choses encore.

Les mauvaises pensées viennent parce qu’il y a une correspondance quelque part au-dedans de vous; autrement on pourrait voir quelque chose passer comme cela, mais elles ne viendraient pas au-dedans de vous. Je suppose que la question veut dire: pourquoi, tout d’un coup, vous pensez quelque chose de mauvais.

Parce que les étapes sont très différentes. Je vous ai déjà expliqué que l’atmosphère mentale est pire qu’une place publique au moment où il y a une foule: c’est une innombrable quantité d’idées, de pensées de toute nature et de toute forme qui s’entrecroisent dans un enchevêtrement tellement compliqué qu’il est impossible de rien discerner de précis. Votre tête est là-dedans, votre mental est encore plus là-dedans: il baigne làdedans comme quand on se baigne dans la mer. Et puis, tout cela vient, va, passe, tourne, cogne, entre, sort... Si vous étiez conscient de l’atmosphère mentale dans laquelle vous vivez, il est évident que ce serait un peu affolant! Je pense que les limites cérébrales personnelles sont tout à fait nécessaires, comme un filtre, pendant très longtemps dans l’existence.

Pour être capable de sortir de tout cela et de vivre pleinement dans l’atmosphère mentale telle qu’elle est, en la voyant telle qu’elle est (c’est la même chose pour l’atmosphère vitale, d’ailleurs; c’est peut-être encore plus laid!), pour vivre làdedans et la voir telle qu’elle est, il faut être solide, il faut avoir une boussole intérieure très solide. Mais en tout cas, que vous le voyiez ou ne le voyiez pas, que vous le sentiez ou ne le sentiez pas, le fait est là, c’est comme cela. Alors, on ne peut pas demander d’où viennent les mauvaises pensées — elles sont partout. Pourquoi elles viennent?... Où iraient-elles? Vous êtes dedans!

Ce qui gouverne ce filtre de la conscience, qui fait que vous êtes conscient de certaines pensées et qu’il y en a dont vous n’êtes pas conscient, c’est votre attitude intérieure, vos affinités intérieures, vos habitudes intérieures (je parle du mental, je ne parle pas du psychique), c’est votre éducation, votre développement cérébral, etc. Cela, c’est l’espèce de filtre qui a été formé par votre ego et à travers lequel certaines pensées passent et certaines ne passent pas — automatiquement. C’est pourquoi la nature des pensées que vous recevez peut être pour vous une indication assez sérieuse du genre de votre caractère — il peut être très subconscient pour vous, parce qu’on n’a pas l’habitude de se connaître vraiment, mais c’est une indication de la tendance générale de votre caractère. Pour dire les choses d’une façon simpliste, si vous prenez un homme optimiste, par exemple, eh bien, ce sont généralement des idées optimistes qui lui viendront; pour un pessimiste, ce seront généralement des idées pessimistes (je parle d’une façon générale); pour une personne d’une nature révoltée, ce seront des idées révoltées; et pour une personne très mouton, ce seront des idées de mouton! En admettant que les moutons aient des idées! Cela, c’est la condition normale générale.

Maintenant, s’il se trouve que vous ayez décidé de faire des progrès et si vous entrez sur le chemin du yoga, alors il y a un nouveau facteur qui intervient. Dès que vous voulez progresser, immédiatement vous rencontrez la résistance de tout ce qui ne veut pas progresser en vous et autour de vous. Et cette résistance, naturellement, se traduit par toutes les pensées correspondantes.

Admettez que vous vouliez faire un progrès au point de vue de l’attachement à la nourriture, par exemple; eh bien, presque constamment viendront vers vous des idées particulièrement intéressées sur la nourriture, sur ce qu’il faut prendre, ce qu’il ne faut pas prendre, comment il faut le prendre, comment il ne faut pas le prendre; et ces idées vont vous venir, elles vous apparaîtront comme tout à fait naturelles. Et plus au-dedans de vous, vous direz: «Oh! comme je voudrais être libéré de cela, quelle entrave à mon progrès, toutes ces préoccupations», plus cela viendra gentiment, jusqu’à ce que le progrès soit vraiment fait intérieurement et que vous soyez monté à un degré de conscience où vous pourrez regarder toutes ces choses d’en haut, et puis les mettre à leur place — qui n’est pas une très grosse place dans l’univers! Et ainsi de suite pour toutes choses. Par conséquent, vos occupations et vos affinités vont vous mettre en rapport, d’une façon presque contradictoire, non seulement avec les idées qui ont une affinité et un rapport avec votre manière d’être, mais avec le contraire. Et si vous ne prenez pas soin, dès le commencement, d’avoir une attitude de discernement, vous serez changé en un champ de bataille mental.

Si vous savez monter à un degré supérieur, simplement dans une région mentale spéculative qui n’est plus tout à fait le mental physique ordinaire, vous pouvez voir tout ce jeu et toute cette lutte, tout ce conflit, toutes ces contradictions, comme une curiosité qui ne vous touche pas et qui ne vous affecte pas. Si vous montez à un degré encore plus haut et que vous voyiez le but vers lequel vous voulez aller, alors vous viendra petit à petit le discernement entre les idées qui sont favorables à votre progrès, et que vous garderez, et les idées qui sont en contradiction avec ce progrès, qui lui nuisent, qui l’altèrent; et d’en haut, vous aurez le pouvoir de les écarter, tranquillement, sans en être autrement affecté. Mais si vous restez là, à ce niveau-là, au milieu de cette confusion et de ce conflit, eh bien, vous risquez d’avoir mal à la tête!

La meilleure chose à faire, c’est de vous occuper pratiquement à quelque chose qui vous obligera à une concentration spéciale: l’étude, le travail ou une occupation physique corporelle qui demande de l’attention, n’importe quoi qui vous oblige à vous concentrer sur ce que vous faites et à ne plus être comme cela la proie de ces divagations. Mais si vous avez le malheur de rester là, et puis de regarder, alors certainement, je vous l’ai dit, vous aurez mal à la tête. Parce que c’est une question qui doit être résolue, ou par une descente dans la vie pratique et une concentration dans un effort pratique, ou bien en montant au-dessus et en regardant du dessus tout ce chaos de façon à pouvoir y mettre de l’ordre et le régler.

Mais il ne faut jamais rester sur le même plan, c’est un plan qui ne vaut rien, ni pour la santé physique ni pour la santé morale.

 

1 Cette note de Sri Aurobindo vient en commentaire au quatrième hymne à Agni dans le Rig-Véda («La Volonté divine, Prêtre, Guerrier et Conducteur de notre voyage»):

«Ô Connaisseur des Naissances,

l’homme parfait dans ses oeuvres

pour qui tu crées cet autre monde plein de béatitude *,

atteint à une félicité joyeusement peuplée

par les rapidités de sa vie, par ses troupeaux de Lumière,

par les enfants de son âme, les armées de son énergie.»

(* Ici vient la note de Sri Aurobindo.)

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