SITE DE SRI AUROBINDO ET LA MÈRE
      
Page d’accueil | Les travaux | Les travaux du Sri Aurobindo | Lettres sur le Yoga

SRI AUROBINDO

Lettres sur le Yoga

Volume 2. Section 2

2. Méthode synthétique et yoga intégral

858

En ce qui concerne la question de X, notre yoga n'est pas seulement un yoga de la bhakti, il est ou du moins se déclare un yoga intégral, c'est-à-dire qu'il oriente tout l'être, dans toutes ses parties, vers le Divin. Il doit par conséquent englober la connaissance et les œuvres autant que la bhakti; en outre il implique une transformation totale de la nature, une recherche de la perfection, afin que la nature puisse, elle aussi, devenir une avec la nature du Divin. Ce n'est pas seulement le cœur qui doit se tourner vers le Divin et se transformer, mais aussi le mental, donc la connaissance est nécessaire; mais aussi la volonté et le pouvoir d'agir et de créer, donc les œuvres aussi sont nécessaires. Bien que notre yoga adopte les méthodes des autres yogas, comme celle de Pourousha-Prakriti, son objectif ultime est différent. Pourousha se sépare de Prakriti, non pas afin de l'abandonner, mais pour se connaître lui-même et la connaître afin de ne plus en être le jouet et de devenir au contraire celui qui connaît la nature, règne sur elle et la soutient; mais une fois que l'on est parvenu à cet état ou même lorsqu'on est encore en train d'y parvenir, on offre tout cela au Divin. On peut commencer par la connaissance, par les œuvres ou par la bhakti, ou encore par une tapasyâ purificatrice visant à la perfection (c'est la transformation de la nature), puis développer le reste dans un mouvement ultérieur; ou bien on peut tout combiner en un seul mouvement. Il n'y a pas de règle unique pour tous, la méthode dépend de la personnalité et de la nature de chacun. Le don de soi est le principal pouvoir du yoga, mais il est par nature progressif: un don de soi complet n'est pas possible dès le début: tout ce qu'il peut y avoir dans l'être c'est une volonté qui tend vers cette complète soumission; en fait elle prend du temps; et pourtant c'est seulement quand le don de soi est complet que le plein flot de la sâdhanâ est possible. Jusque-là, il faut l'effort personnel, accompagné d'un don de soi de plus en plus réel. On fait appel au pouvoir de la Shakti divine et dès qu'il commence à pénétrer l'être, il soutient d'abord l'effort personnel puis, peu à peu, assume la totalité de l'action, bien que le consentement du sâdhak demeure toujours nécessaire. A mesure que la Force agit, elle apporte au sâdhak les diverses méthodes qui lui sont nécessaires: méthode de connaissance, de bhakti, d'action spiritualisée, de transformation de la nature. C'est une erreur de penser que ces méthodes ne peuvent pas se combiner.

*

859

La sâdhana a pour but l'ouverture de la conscience au Divin et la transformation de la nature. La méditation ou contemplation est l'un des moyens d'atteindre ce but, non le seul: la bhakti en est un autre, le travail un autre encore. La cittaśuddhi était prônée par les yogis comme un premier moyen de parvenir à la réalisation et par elle, ils obtenaient la sainteté du saint et la quiétude du sage, mais la transformation de la nature dont nous parlons est plus que cela et ne vient pas par la seule contemplation: les œuvres sont nécessaires, le yoga dans l'action est indispensable.

*

860

On peut sortir du mental ordinaire pour croître dans la conscience spirituelle soit par la méditation, soit par le travail consacré, soit par la bhakti pour le Divin. Dans notre yoga qui ne cherche pas seulement une paix ou une absorption statique, mais aussi une action spirituelle dynamique, le travail est indispensable. Atteindre la Vérité supramentale est une autre affaire; cela dépend uniquement de la descente du Divin et de l'action de la Force suprême et ne relève d'aucune méthode ni d'aucune règle.

*

861

Jamais je n'ai contesté la vérité des anciens yogas: j'ai eu moi-même l'expérience de la bhakti vishnouïte et du nirvana dans le Brahman; je reconnais leur vérité dans leur propre domaine et pour leurs propres fins — la vérité de leur expérience pour ce qu'elle vaut- sans être en aucune manière obligé d'admettre la vérité des philosophies mentales fondées sur cette expérience. De même, je trouve que mon yoga est vrai dans son propre domaine — qui est, je crois, plus vaste — et pour ses propres fins. L'objectif des yogas anciens est de sortir de la vie pour rejoindre le Divin; il faut donc, c'est évident, abandonner le karma. L'objectif du nouveau yoga est d'atteindre le Divin et d'introduire dans la vie tout ce que l'on a ainsi gagné; à cette fin, le yoga des œuvres est indispensable. Il me semble qu'il n'y a là aucun mystère, ni rien qui puisse décontenancer qui que ce soit: c'est rationnel et inéluctable. Seulement vous dites que c'est impossible; mais c'est ce qu'on dit de n'importe quoi avant que ce soit fait.

Je vous ferais remarquer que le Karmayoga n'est pas nouveau mais très ancien; la Guîtâ n'a pas été écrite hier et le Karmayoga existait avant la Guîtâ. Selon vous, le seul argument par lequel la Guîtâ justifie les œuvres est que le travail étant un désagrément inévitable, mieux vaut en faire le meilleur usage possible; votre idée est plutôt sommaire et rudimentaire. Si c'était là tout, la Guîtâ serait la production d'un imbécile et je n'aurais guère été fondé à lui consacrer deux volumes, ni le monde à l'admirer comme l'une des plus grandes Écritures, en particulier pour sa manière de traiter le problème de la place des œuvres dans l'effort spirituel. Il y a sûrement plus que vous ne le dites dans la Guîtâ. Quoi qu'il en soit, vos doutes sur le point de savoir si les œuvres peuvent mener à la réalisation ou plutôt votre négation catégorique et radicale de cette possibilité sont en contradiction avec l'expérience de ceux qui ont réalisé cette prétendue impossibilité. Vous dites que le travail abaisse la conscience, vous fait sortir de la conscience intérieure et entrer dans la conscience extérieure: c'est vrai si vous consentez à vous extérioriser dans le travail au lieu de le faire du dedans; et c'est justement ce qui! faut apprendre à ne pas faire. Les pensées et les sentiments peuvent aussi vous extérioriser de la même manière, mais il s'agit de relier solidement la pensée, le sentiment et l'action à la conscience intérieure en vivant en elle et en en faisant un instrument de cette conscience. C'est difficile? Même la bhakti n'est pas facile et le nirvana, pour la plupart des hommes, est ce qu'il y a de plus difficile.

Je ne vois pas ce que viennent faire ici l'humanitarisme, l'activisme, la sevā philanthropique, etc. Rien de tout cela ne fait partie de mon yoga ni ne s'accorde avec ma définition des œuvres; je n'en suis donc pas affecté. Jamais je n'ai pensé que la politique, la distribution de nourriture aux pauvres ou la composition de beaux poèmes conduirait tout droit à Vaïkountha ou à l'Absolu. S'il en était ainsi, Romesh Dutt d'une part et Baudelaire de l'autre seraient les premiers à atteindre le Suprême et à nous accueillir là-haut. L'essence du Karmayoga, ce n'est pas la forme de l'œuvre elle-même ni la simple activité, mais la conscience et, à l'arrière-plan de celle-ci, la volonté d'atteindre le Divin; l'œuvre n'est que l'instrument nécessaire à l'union avec le Maître des œuvres, le passage de la volonté et du pouvoir de l'Ignorance à la Volonté pure et au pouvoir de Lumière.

Pourquoi enfin supposer que je suis contre la méditation ou la bhakti? Je n'ai pas la moindre objection à ce que vous choisissiez l'une ou l'autre, ou les deux, comme voies d'approche du Divin. Seulement je ne vois pas du tout pourquoi quiconque se brouillerait avec les œuvres et contesterait la vérité de ceux qui ont, comme dit la Guîtâ, atteint par les œuvres la parfaite réalisation et l'unité de la nature avec le Divin, saṃsiddhim sādharmyam (comme Janaka et d'autres) simplement parce que lui-même ne peut pas trouver ou n'a pas encore trouvé leur secret profond; d'où ma défense des œuvres.

*

862

Par "travail", je ne veux pas dire l'action faite dans l'ego et dans l'ignorance, pour la satisfaction de l'ego et sous la poussée du désir radjasique. Il ne peut pas y avoir de Karmayoga sans la volonté de se débarrasser de l'ego, du radjas et du désir, qui sont les sceaux de l'ignorance.

Je ne veux pas parler non plus de philanthropie ni de service de l'humanité ni de tous les autres buts moraux ou idéalistes que le mental humain substitue à la vérité profonde des œuvres.

Par "travail", j'entends l'action faite pour le Divin et de plus en plus en union avec le Divin — pour le Divin seul, et rien d'autre. Naturellement, ce n'est pas facile au début, pas plus que ne le sont la méditation profonde et la connaissance lumineuse, ni même l'amour et la bhakti véritables. Mais comme le reste, le travail doit être entrepris dans l'esprit et l'attitude véritables, avec la volonté juste en vous, et toutes les autres choses viendront d'elles-mêmes.

Le travail accompli dans cet esprit est tout aussi efficace que la bhakti ou la contemplation. Par le dépouillement du désir, du radjas et de l'ego, on obtient une quiétude et une pureté en lesquelles peut descendre la Paix ineffable. Par la consécration de sa volonté au Divin, par l'immersion de sa volonté en la Volonté divine, on obtient la mort de l'ego et l'expansion dans la conscience cosmique, ou bien l'élévation en ce qui est au-dessus du cosmique; on a l'expérience de la séparation du Pourousha et de la Prakriti et on est délivré des entraves de la nature extérieure; on prend conscience de son être intérieur et on voit l'être extérieur comme un instrument; on sent que son travail est accompli par la Force universelle tandis que le Moi ou Pourousha regarde ou est témoin, mais libre; on sent que tout le travail nous est enlevé et qu'il est fait désormais par la Mère universelle ou suprême, ou par le Pouvoir divin qui dirige et agit derrière le cœur. Si l'on réfère constamment toute sa volonté, tout son travail au Divin, l'amour et l'adoration grandissent, l'être psychique vient en avant. Si l'on réfère tout au Pouvoir qui est en haut, on peut arriver à le sentir au-dessus de soi, à sentir sa descente et l'ouverture à une conscience et à une connaissance croissantes. Finalement, travail, bhakti et connaissance vont ensemble, et la perfection de soi devient possible — c'est ce que nous appelons la transformation de la nature. Ces résultats ne se produisent certainement pas tous instantanément; ils viennent plus ou moins lentement, plus ou moins complètement, selon l'état de l'être et sa croissance. Il n'existe pas de voie royale qui mène à la réalisation du Divin.

Tel est le Karmayoga exposé dans la Guîtâ, comme je l'ai développé pour la vie spirituelle intégrale. Il ne se fonde pas sur des spéculations ni des raisonnements, mais sur l'expérience. Il n'exclut pas la méditation, et certainement il n'exclut pas la bhakti, car l'offrande de soi au Divin, la consécration totale de soi au Divin, qui est l'essence de ce Karmayoga, sont essentiellement des mouvements de bhakti. Par contre, il rejette une méditation exclusive qui fuit la vie ou une bhakti émotive enfermée dans son propre rêve intérieur, et n'en fait pas le mouvement total du yoga. On peut avoir des heures d'absorption dans une méditation pure ou d'immobiles adorations et extases intérieures; mais elles ne constituent pas la totalité du yoga intégral.

Lumières sur le Yoga, chapitre IV. Traduction de la Mère.

*

863

Je n'ai jamais mis d'interdiction sur la bhakti. Et je n'ai pas conscience d'avoir jamais non plus interdit la méditation. Dans mon yoga, j'ai insisté sur la bhakti et sur la connaissance autant que sur les œuvres, même si je n'ai donné à aucune d'elles une importance exclusive comme l'ont fait Shankara ou Chaïtanya.

La difficulté que vous éprouvez ou que n'importe quel sâdhak éprouve dans la sâdhanâ, ne vient pas en fait d'une opposition entre la méditation et la bhakti ou le travail. La difficulté est dans l'attitude à prendre, dans l'approche, de quelque nom que vous vouliez l'appeler.

Si vous ne pouvez pas encore vous souvenir tout le temps du Divin quand vous travaillez, cela n'a pas grande importance. Il devrait suffire, pour le moment, de vous souvenir et de consacrer votre travail quand vous le commencez et de rendre grâce quand vous le terminez. Ou tout au plus, de vous souvenir aussi lorsque vous vous arrêtez un moment. Votre méthode me paraît plutôt pénible et difficile; vous semblez essayer de vous souvenir et de travailler avec une seule et même partie de votre mental. Je ne sais pas si c'est possible. Quand on se souvient tout le temps pendant son travail (ce qui peut se faire), c'est généralement avec l'arrière-plan du mental, ou alors il se crée progressivement une faculté de dédoublement de la pensée, ou encore un dédoublement de la conscience: une partie frontale qui travaille et une à l'intérieur qui reste témoin et se souvient. Il y a aussi une autre manière, qui fut la mienne pendant longtemps: c'est un état dans lequel le travail se fait automatiquement et sans intervention de la pensée personnelle ni de l'action mentale, tandis que la conscience reste silencieuse dans le Divin. Mais cet état ne s'obtient pas tant par des efforts que par une aspiration et une volonté de consécration très simples et constantes- ou encore par un mouvement de la conscience qui sépare l'être intérieur de l'être instrumental. Faire descendre, par l'aspiration et la volonté de consécration, une Force plus grande pour accomplir le travail, est une méthode qui donne de grands résultats, même si pour certains elle demande assez longtemps. Un grand secret de la sâdhanâ est de savoir faire faire les choses par le Pouvoir qui est derrière ou au-dessus, au lieu de tout faire par l'effort du mental. Je ne veux pas dire par là que l'effort mental ne soit pas nécessaire ni qu'il ne donne pas de résultat, mais si le mental essaie de tout faire par lui-même, cela devient un effort laborieux pour tout le monde, sauf les athlètes spirituels. Je ne veux pas dire non plus que l'autre méthode offre le raccourci désiré; comme je l'ai dit, le résultat peut se faire attendre longtemps. Dans toute méthode de sâdhanâ, il est nécessaire d'avoir de la patience et une ferme résolution.

La force est très bien pour les forts, mais l'aspiration et la Grâce qui y répond ne sont pas tout à fait des mythes: ce sont de grandes réalités de la vie spirituelle.

Lumières sur le Yoga, chapitre IV. Traduction de la Mère.

*

864

Inclure la conscience extérieure dans la transformation est d'une importance capitale dans notre yoga; la méditation ne peut pas le faire. La méditation ne peut agir que sur l'être intérieur. Le travail est donc d'une importance primordiale, mais il doit être accompli dans l'attitude juste et dans la conscience juste; il est alors aussi fructueux que n'importe quelle méditation.

*

865

Garder un travail aide à conserver l'équilibre entre l'expérience intérieure et le développement extérieur; sinon, on risque de trop pencher d'un côté, de manquer de mesure et de pondération. De plus, il est nécessaire de poursuivre la sâdhanâ du travail pour le Divin, parce que finalement elle permet au sâdhak de faire passer dans la nature et dans la vie extérieures le progrès réalisé intérieurement et elle contribue à l'intégralité de la sâdhanâ.

Lumières sur le Yoga, chapitre IV. Traduction de la Mère.

*

866

A aucun stade de la sâdhanâ le travail n'est impossible; il n'est aucun passage du sentier où l'on soit sans point d'appui et où il faille renoncer à l'action sous prétexte qu'elle est incompatible avec la concentration sur le Divin. Le point d'appui est toujours là; c'est de s'appuyer sur le Divin, d'ouvrir son être, sa volonté, ses énergies au Divin, de faire sa soumission au Divin. Tout travail fait dans cet esprit peut devenir un moyen de la sâdhanâ. Il peut être nécessaire pour un individu ici et là de se plonger dans la méditation pendant un certain temps et, pendant ce temps, d'interrompre son travail ou de lui donner une importance secondaire; mais ce ne peut être que dans certains cas individuels et pour une retraite temporaire. En outre, une cessation complète du travail et le retrait total en soi-même sont rarement à conseiller; ceci peut encourager un état trop exclusif et visionnaire où l'on vit dans une sorte de monde intermédiaire d'expériences purement subjectives sans avoir de prise solide sur la réalité extérieure ni sur la Réalité suprême, et sans utiliser correctement l'expérience subjective pour créer un lien solide, puis l'unification, entre la Réalité suprême et la réalisation extérieure dans la vie.

Le travail peut être de deux sortes: celui qui est un champ d'expérience utilisé pour la sâdhanâ, pour une harmonisation et une transformation progressives de l'être et de ses activités, et celui qui est une expression réalisée du Divin. Mais ce dernier travail ne peut venir qu'au moment où la Réalisation est pleinement descendue dans la conscience terrestre; jusque-là, tout travail doit être un champ d'entraînement, une école d'expérience.

Lumières sur le Yoga, chapitre IV. Traduction de la Mère.

*

867

Le travail en lui-même n'est qu'une préparation, la méditation en elle-même aussi, mais le travail exécuté dans une conscience yoguique croissante est un moyen de réalisation, tout autant que la méditation... J'espère que je n'ai pas dit que le travail est seulement

Cette attitude repose sur une ignorance: l'idée qu'il faut uniquement soit travailler, soit méditer. Le travail est le moyen, ou alors la méditation est le moyen, mais pas les deux! A ma connaissance je n'ai jamais dit qu'il ne fallait pas méditer. Instituer une compétition, ouverte ou non, entre travail et méditation est un artifice du mental séparateur et appartient à l'ancien yoga. Souvenez-vous de ce que j'ai toujours déclaré: mon yoga est un yoga intégral dans lequel la Connaissance, la Bhakti, les Œuvres — la lumière de conscience, d'Ânanda et d'amour, la volonté et le pouvoir dans les Œuvres — la méditation, l'adoration, le service du Divin ont tous leur place. La méditation n'est pas supérieure au yoga des œuvres, les œuvres ne sont pas supérieures au yoga de la connaissance: les deux sont à égalité.

Autre chose. C'est une erreur de raisonner à partir de sa propre expérience très limitée, en négligeant celle des autres, et de bâtir sur elle de vastes généralisations au sujet du yoga. Beaucoup le font, mais cette méthode a des inconvénients évidents. Vous n'avez aucune expérience des réalisations majeures obtenues par les œuvres, et vous en déduisez que ces réalisations sont impossibles. Mais qu'en est-il de tous ceux qui les ont obtenues, ailleurs et ici même, à l'Ashram?

N'en tirez pourtant pas la conclusion que j'exalte les œuvres comme seul moyen de réalisation. Je ne fais que leur donner leur juste place.

*

868

Vous oubliez que les hommes ont des natures différentes et que par conséquent chacun abordera la sâdhanâ à sa propre manière: l'un par le travail, l'autre par la bhakti, un autre encore par la méditation et la connaissance et ceux qui en sont capables par tous ces moyens à la fois. Il est parfaitement légitime que vous suiviez votre propre voie, quelles que soient les théories des autres; mais laissez les autres suivre la leur. Tous convergeront finalement vers le même but.

*

869

Ce que vous ressentiez auparavant se situait dans votre être mental et dans votre conscience mentale; lorsque vous êtes venu ici, vous en êtes sorti, c'est évident, pour entrer dans votre conscience extérieure et physique; c'est pourquoi vous avez l'impression que tout votre acquis s'en est allé. Il est Seulement recouvert par l'obscurité de la conscience physique, il n'est pas parti.

Par sâdhanâ, je suppose que vous entendez une sorte d'exercice de concentration, etc. Car le travail aussi est une sâdhanâ s'il est fait dans l'attitude et l'esprit justes. La sâdhanâ de la concentration intérieure consiste:

1. à fixer la conscience dans le cœur et à s'y concentrer sur l'idée, l'image ou le nom de la Mère divine: ce qui, parmi les trois, vous est le plus facile;

2. à calmer graduellement et progressivement le mental par cette concentration dans le cœur;

3. à aspirer à la présence de la Mère dans le cœur et à sa maîtrise sur le mental, la vie et l'action.

Mais pour calmer le mental et obtenir l'expérience spirituelle, il est tout d'abord nécessaire de purifier et de préparer la nature. Cela prend parfois de longues années. Le travail exécuté dans l'attitude juste est la méthode la plus facile, un travail accompli sans désir ni ego, en rejetant tous les mouvements de désir, d'exigence ou d'ego lorsqu'ils apparaissent, un travail accompli en offrande à la Mère divine, en se souvenant d'elle et en la priant pour qu'elle manifeste sa force et s'empare de l'action afin que là aussi, et pas seulement dans le silence intérieur, vous puissiez la sentir présente et à l'oeuvre.

*

870

La prière et la méditation ont une très grande importance dans le yoga. Mais la prière doit jaillir du fond du cœur sur la crête d'une émotion ou d'une aspiration, le japa ou la méditation venir dans un élan vivant portant en lui la joie ou la lumière que contient son objet. L'un ou l'autre, exécuté mécaniquement comme quelque chose qui doit être fait (devoir austère et rébarbatif!) tend inévitablement à perdre son intérêt, à devenir aride et par conséquent inefficace... Vous utilisiez le japa beaucoup trop comme un moyen d'obtenir un résultat, je veux dire comme un truc, une procédure établie pour expédier les affaires. C'est pourquoi je voulais que les conditions psychologiques nécessaires se développent en vous — conditions psychiques, conditions mentales — car lorsque le psychique est au premier plan, la prière, l'aspiration, la recherche ne manquent ni de vie ni de joie, un courant continu de bhakti s'établit sans difficulté, et quand le mental est tranquille, tourné vers l'intérieur et vers le haut, on ne rencontre pas de difficulté non plus, ni de manque d'intérêt, dans la méditation. La méditation, soit dit en passant, est un processus qui mène à la connaissance par la connaissance, son domaine est la tête et non le cœur; donc si vous voulez le dhyâna, vous ne pouvez pas avoir une aversion pour la connaissance. La concentration dans le cœur n'est pas la méditation, c'est un appel au Divin, à l'Aimé. En outre, notre yoga n'est pas seulement un yoga de la connaissance; la connaissance est l'un de ses moyens, mais puisqu'il a pour base l'offrande de soi, le don de soi, la bhakti, il se fonde sur le cœur et rien en fin de compte ne peut être fait sans cette base. Nombreux sont ceux ici qui pratiquent ou ont pratiqué le japa et se fondent sur la bhakti; très peu, en comparaison, ont pratiqué la méditation "dans la tête"; l'amour, la bhakti, les œuvres sont en général la base: combien peuvent avancer par la connaissance? Un petit nombre seulement.

*

871

C'est très sérieusement que je parlais du progrès que vous avez accompli par le mouvement psychique et l'effort de détection et d'élimination de l'ego. Je vous avais déjà écrit que j'approuvais vigoureusement cette méthode. C'est, dans notre yoga, la voie qui mène à la dévotion et au don de soi; car le mouvement psychique conduit à la dévotion pure et constante et l'élimination de l'ego rend possible le don de soi. De fait, les deux vont ensemble.

L'autre voie, qui est la voie de la connaissance, consiste à méditer dans la tête; elle amène l'ouverture au-dessus, la tranquillité ou le silence du mental et la descente de la paix, etc. de la conscience supérieure en général, jusqu'à ce que cette conscience enveloppe l'être, emplisse le corps et commence à prendre en charge tous les mouvements. Mais il faut alors passer par le silence et par un certain vide des activités ordinaires: celles-ci sont poussées au-dehors et accomplies comme une action purement superficielle... et vous avez une forte aversion pour le silence et le vide.

Dans la troisième voie, qui est l'une des deux voies du yoga par les œuvres, le Pourousha se sépare de la Prakriti, l'être intérieur silencieux de l'être extérieur actif, de sorte que l'on a deux consciences ou une conscience double: l'une, en arrière, surveille, observe et enfin maîtrise et transforme l'autre, celle qui est active au premier plan. Mais là aussi il faut vivre dans une paix et un silence intérieurs et accomplir les actions comme si elles étaient quelque chose à la surface. L'autre manière d'aborder le yoga des œuvres consiste à les accomplir pour le Divin, pour la Mère, et non pour soi-même, à les consacrer et à les dédier jusqu'à ce que vos sentiez concrètement la Force divine s'emparer des activités et les accomplir à votre place.

S'il y a pour mon yoga une clé, un secret que vous dites ne pas avoir découvert, il réside dans ces méthodes; en réalité elles ne contiennent rien en elles-mêmes de tellement mystérieux, de si impossible ni même de nouveau. Seuls le développement ultérieur, à un stade plus avancé, et le but du yoga sont nouveaux. Mais il n'est pas nécessaire de s'en préoccuper aux premiers stades, sauf si l'on veut en faire l'objet d'une connaissance mentale.

*

872

La méditation est l'une des voies d'approche du Divin, et une grande voie, mais on ne peut pas dire qu'elle soit un raccourci: pour la plupart des sâdhak c'est une ascension longue et très difficile, bien qu'elle mène très haut. Elle ne peut en aucune manière être courte à moins qu'elle ne provoque une descente et même dans ce cas, seule la fondation est posée rapidement; ensuite la méditation doit construire laborieusement sur elle une vaste superstructure. La méditation est tout à fait indispensable, mais elle est tout sauf un raccourci.

Le karma est une route beaucoup plus simple à condition que le mental ne fixe pas son attention sur le karma à l'exclusion du Divin. Le but doit être le Divin et le travail ne peut être qu'un moyen. La poésie, etc. sert à garder le contact avec l'être intérieur, ce qui aide à préparer le contact direct avec l'être le plus profond, mais on ne doit pas s'arrêter là, il faut aller jusqu'à la vraie chose. Si l'on envisage de devenir un homme de lettres, un poète ou un peintre et que l'on considère que cette activité a une valeur en soi, alors ce n'est plus l'esprit yoguique. C'est pour cette raison que je suis parfois obligé de rappeler que notre affaire est de devenir des yogis et pas seulement des poètes, des peintres, etc.

L'amour, la bhakti, le don de soi, l'ouverture psychique sont les seuls raccourcis vers le Divin... ou peuvent l'être; car si l'amour et la bhakti sont de nature trop vitale, alors un va-et-vient risque de se produire entre l'attente extatique et le viraha, l'abhimāna, le désespoir, etc. qui feront de la route non un raccourci mais un détour, un zigzag, non un vol direct mais un tournoiement sans fin autour de l'ego au lieu d'une course en droite ligne vers le Divin.

*

873

J'ai toujours dit que le travail accompli comme une sâdhanâ- c'est-à-dire comme le déversement d'une énergie venue du Divin et offerte au Divin, ou accompli pour le Divin, ou encore dans un esprit de dévotion — est un moyen puissant dans la sâdhanâ et qu'un travail ainsi exécuté est particulièrement nécessaire dans notre yoga. Le travail, la bhakti et la méditation sont les trois soutiens du yoga. On peut le pratiquer au moyen des trois ou de deux d'entre eux, ou d'un seul. Certains ne peuvent pas méditer selon la manière prescrite que l'on appelle méditation mais progressent par le travail, par la bhakti ou par les deux ensemble. Par le travail et la bhakti on peut élaborer une conscience dans laquelle à la longue une méditation et une réalisation naturelles deviennent possibles.

Tout cela n'a rien à voir avec l'idée de X qui voudrait que l'on se forme à la vertu, à la maîtrise de soi et à la pureté par un mystérieux pouvoir inhérent à la pratique de la littérature. S'il m'avait interrogé sur le travail et la sâdhanâ, je lui aurais répondu autrement. Certes l'art et la littérature sont ou peuvent constituer une première prise de contact avec l'être intérieur, le mental intérieur et le vital intérieur, car c'est de là qu'ils viennent. Et si l'on écrit des poèmes de bhakti, des poèmes de quête divine, etc., ou si l'on crée de la musique de cette sorte, cela signifie qu'au-dedans un bhakta ou un chercheur vit de cette expression. Mais ce n'est pas de ce point de vue que X a posé la question, et ce n'est pas non plus de ce point de vue que j'y ai répondu. Il s'agissait de quelque vertu spéciale, apte à former le caractère, qu'il semblait attribuer à la littérature.

*

874

Il est tout à fait stérile de chercher à savoir quel sâdhak ou quelle catégorie de sâdhak arrivera premier ou dernier au but. Le chemin spirituel n'est pas un terrain de compétition ou un champ de course où la rapidité est importante. Ce qui importe, c'est votre propre aspiration au Divin, votre foi, votre soumission, le don de soi sans ego. Les autres sâdhak peuvent être confiés au Divin qui conduira chacun selon sa nature. La méditation, le travail, la bhakti sont autant de moyens qui aident à préparer l'accomplissement; tous font partie de notre sentier. Si l'on peut se consacrer par le travail, c'est l'un des moyens les plus puissants de s'acheminer vers le don de soi qui est lui-même l'élément le plus puissant, l'élément indispensable de la sâdhanâ.

S'accrocher au sentier signifie le suivre sans l'abandonner ou sans s'en détourner. Dans ce chemin l'être s'offre tout entier dans toutes ses parties: offrande du mental pensant et du cœur, de la volonté et des actes, des instruments intérieurs et extérieurs, afin de parvenir à l'expérience du Divin, à la Présence au-dedans, à la transformation psychique et spirituelle. Plus on donne de soi-même de toutes les manières, mieux cela vaut pour la sâdhanâ. Mais tous ne peuvent pas le faire au même degré, avec la même rapidité, de la même manière. Comment les autres le font ou ne le font pas ne devrait pas vous préoccuper, comment le faire fidèlement vous-même est la seule chose qui importe.

*

875

Il est exagéré de dire que l'on ne peut entrer dans le courant de la sâdhanâ que par le travail. On peut y entrer aussi par la méditation et par la bhakti, mais le travail est nécessaire pour entrer dans le fort du courant et ne pas dériver vers la berge où l'on tournerait en rond. Évidemment tout travail est une aide à condition qu'il soit exécuté dans l'esprit juste.

*

876

Plusieurs sâdhak ont avancé très loin parle seul travail, par un travail consacré à la Mère, ou surtout par le travail en accordant très peu de temps à la méditation. D'autres sont allés très loin surtout par la méditation, mais aussi par le travail. Ceux qui ont essayé de ne pratiquer que la méditation et n'ont plus supporté le travail (parce qu'ils ne pouvaient pas le consacrer à la Mère) ont en général échoué, comme X et Y. Mais il est possible qu'un ou deux sâdhak réussissent par la seule méditation si telle est leur nature ou s'ils ont une foi et une bhakti intenses et inébranlables. Tout dépend de la nature du sâdhak.

Quant au purātan mānuṣ, je ne constate pas que ceux qui travaillent soient moins transformés que d'autres dans leur être extérieur. Certains n'ont pas bougé ou n'ont fait qu'un petit progrès, d'autres ont beaucoup changé; aucun n'est complètement transformé, bien que certains aient trouvé une base spirituelle et psychique sûre et solide. Mais cette remarque s'applique aussi bien aux travailleurs qui pratiquent peu la méditation qu'à ceux qui y consacrent beaucoup de temps.

Il faut laisser à chaque sâdhak et à la Mère le soin de trouver sa vraie voie qui n'est pas nécessairement celle de son voisin.

*

877

Le choix de la méthode à appliquer en priorité dépend de la nature de chacun. Certains ne sont pas faits pour la méditation et ne peuvent se préparer que par le travail; pour d'autres c'est le contraire. Quant au développement considérable de l'égoïsme, il peut apparaître quel que soit le chemin suivi. Je l'ai vu fleurir chez le dhyānī autant que chez le travailleur; X dit qu'il en est de même chez le bhakta. Il est donc évident que tous les terrains sont favorables à cette fleur de Narcisse. Quant à dire "pas besoin de sâdhanâ", il est évident que celui qui ne fait aucune sâdhanâ ne peut ni se transformer ni progresser. Travail, méditation, bhakti, il faut tout faire dans la sâdhanâ.

*

878

Pourquoi argumenter sur la base de votre expérience personnelle, grande ou petite, et en tirer des généralisations? Un grand nombre de sâdhak (la majorité peut-être) trouve la sâdhanâ par les œuvres la plus facile de toutes. Nombreux sont ceux à qui il est facile de penser à la Mère en travaillant et pourtant, quand ils lisent ou écrivent, leur mental se perd dans ce qui est lu ou écrit et ils oublient tout le reste. Il en est ainsi, je crois, dans la plupart des cas. Le travail physique, au contraire, peut être exécuté avec la partie la plus extérieure du mental et laisse le reste libre de se souvenir ou d'avoir l'expérience.

*

879

Qu'appelez-vous méditer? fermer les yeux et se concentrer? Ce n'est que l'une des méthodes pour faire descendre la vraie conscience. La seule chose qui importe, c'est de s'unir à la vraie conscience ou de la sentir descendre; et si elle vient sans que l'on ait recours aux méthodes orthodoxes, comme ce fut le cas pour moi, tant mieux. La méditation n'est qu'un moyen, un procédé; le vrai mouvement consiste à rester en état de sâdhanâ même en marchant, en travaillant ou en parlant.

*

880

Ce n'est pas la méditation (penser avec le mental) qui importe, c'est une concentration ou une orientation de la conscience; et cela, on peut l'obtenir en travaillant, en écrivant, en exerçant n'importe quelle activité aussi bien qu'en restant assis en contemplation.

*

881

La meilleure méditation est celle qui vient spontanément. Mais il faut que la concentration dans le travail soit complète si celui-ci doit remplacer la méditation.

*

882

N'ayez pas de scrupules quant au temps que vous consacrez à l'action et au travail créateur. Ceux qui ont un vital créateur et expansif ou fait pour l'action sont pleins d'entrain quand le vital n'est pas entravé dans son mouvement et ils peuvent se développer plus vite par l'action que par la méditation introspective. Tout ce qu'il faut, c'est que cette action soit consacrée, afin que grâce à elle ils deviennent de plus en plus aptes à sentir la Force divine et à lui obéir quand elle les fait agir. C'est une erreur de penser que vivre tout le temps dans une méditation introspective est invariablement la meilleure ou même la seule manière de pratiquer le yoga.

*

883

Alors comment se fait-il qu'elle [la méditation] soit nécessaire à tous puisqu'on demande à certains de ne pas méditer? Méditer beaucoup convient à ceux qui peuvent beaucoup méditer. Il ne s'ensuit pas que parce qu'il est bon de méditer beaucoup, personne ne devrait rien faire d'autre.

*

884

Je n'ai pas laissé entendre que vous deviez progresser exclusivement par le dhyāna;

C'est ce que nous appelons l'activité du mental qui s'interpose toujours dans la concentration et essaie de susciter le doute et la dispersion des énergies.

On peut s'en débarrasser de deux manières: en la rejetant et en la poussant au-dehors jusqu'à ce qu'elle ne subsiste plus que comme une force extérieure, ou en faisant descendre la paix et la lumière d'en haut dans le mental physique.

*

885

Il faut qu'il apprenne à consacrer son travail et à y sentir l'action de la Mère. Une réalisation purement subjective et statique n'est qu'une demi-réalisation.

*

886

Je puis cependant insister sur un point: il n'y a pas obligatoirement une seule voie pour réaliser le Divin. Si on ne réussit pas, ou si l'on n'a pas encore réussi à atteindre le Divin, à le sentir ou à le voir par le procédé reconnu de la méditation ou par des procédés comme le japa, on peut tout de même avoir progressé dans cette direction par un appel fréquent de la bhakti dans le cœur, par un élargissement toujours plus grand dans la conscience ou par le travail pour le Divin, ou encore par la consécration dans le service. Vous avez certainement progressé dans ces directions, accru votre dévotion et fait la preuve de votre aptitude à servir. Vous avez aussi essayé de vous débarrasser des obstacles de votre nature vitale et effectué ainsi, non sans succès, une certaine purification dans plusieurs domaines difficiles. Le sentier du don de soi est ardu, c'est vrai, mais si l'on y persévère avec sincérité, on doit obligatoirement obtenir un certain succès et surmonter en partie l'ego ou le minimiser, ce qui aide grandement à avancer plus loin sur le chemin. Il faut apprendre à aller de l'avant sur le sentier du yoga, comme le prescrit la Guîtâ, avec une conscience libre de découragement, anirviṇṇacetasā.

"Le Divin s'est promis à moi si je m'attache à Lui toujours; c'est ce que je ne cesserai jamais de faire, quoi qu'il puisse arriver."

*

887

La sâdhanâ est la pratique du yoga. La tapasyâ est la¦ concentration de la volonté en vue de recueillir les fruits de la sâdhanâ et de vaincre la nature inférieure. L'ârâdhana est l'adoration du Divin, l'amour, le don de soi, l'aspiration au Divin, l'appel du nom, la prière. Le dhyâna est la concentration intérieure de la conscience, la méditation, l'intériorisation en samâdhi. Le dhyâna, la tapasyâ et l'ârâdhana font tous trois partie de la sâdhanâ.

Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre IV.

Sur russe

À l'anglais

in German