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SRI AUROBINDO

Lettres sur le Yoga

Volume 2. Section 2

3. Les conditions requises pour la sâdhanâ

II  III  IV V VI

888

Le but du yoga est toujours difficile à atteindre, mais celui-ci est plus difficile que tout autre; il est fait seulement pour ceux qui ont la vocation et la capacité, qui sont résolus à faire face à tout et à tous les risques, même le risque d'insuccès, et qui ont la volonté de progresser vers une complète absence d'égoïsme et de désir et une soumission entière.

Les Bases du Yoga, chapitre III. Traduction de la Mère.

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889

Ce yoga n'implique pas seulement la réalisation de Dieu, mais une consécration et une transformation complètes de la vie intérieure et extérieure jusqu'à ce que celles-ci soient capables de manifester une conscience divine et de faire partie d'une œuvre divine. Ceci implique une discipline intérieure bien plus exigeante et bien plus difficile que de simples austérités morales et physiques. On ne doit pas s'engager sur cette voie, beaucoup plus vaste et plus ardue que celle de la plupart des autres yogas, à moins d'être sûr de l'appel psychique et de notre résolution de persévérer jusqu'au bout.

Lumières sur le Yoga, chapitre I. Traduction de la Mère.

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890

En parlant de résolution je voulais dire bonne volonté plutôt que capacité. S'il y a, au-dedans, la volonté de faire face à toutes les difficultés et d'aller jusqu'au bout, quel que soit le temps requis, alors on peut s'engager dans le sentier.

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891

Un simple mécontentement inquiet à l'égard de la vie ordinaire n'est pas une préparation suffisante pour notre yoga. Un appel intérieur positif, une forte volonté et une grande stabilité sont nécessaires pour réussir dans la vie spirituelle.

Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre III.

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892

Les théories mentales n'ont pas une importance capitale, car le mental façonne ou accepte les théories qui soutiennent l'orientation de l'être. Ce qui importe, c'est cette orientation et l'appel en vous.

Savoir qu'il y a une Existence, une Conscience et une Béatitude suprêmes, et qu'elles ne sont pas simplement un nirvana négatif ou un absolu statique et amorphe, mais qu'elles sont dynamiques; percevoir qu'elles peuvent être réalisées, non seulement dans l'au-delà mais ici même, et par suite accepter la vie divine pour but du yoga, tout cela n'appartient pas au mental. Ce n'est pas une question de théorie mentale (bien que cette façon de voir puisse se soutenir intellectuellement aussi bien qu'une autre, sinon mieux), mais d'expérience, et avant que l'expérience ne vienne, de foi de l'âme qui entraîne l'adhésion du mental et de la vie. Celui qui est en contact avec la Lumière supérieure et qui a l'expérience peut suivre ce chemin, si ardu soit-il pour les parties inférieures de son être. Celui qui est touché par la Lumière sans avoir l'expérience mais qui sent l'appel, la conviction, la contrainte de l'adhésion de l'âme, celui-là aussi peut suivre ce chemin.

Les Bases du Yoga, chapitre II. Traduction de la Mère.

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893

La lumière spirituelle n'a rien à voir avec une conception idéaliste, une croyance religieuse ou une émotion. Une conception idéaliste peut vous disposer à recevoir la lumière spirituelle; elle n'est pas la lumière. Il est vrai, cependant, que "l'esprit souffle où il veut" et qu'une impulsion émotive, un contact ou une réalisation mentale des choses spirituelles peuvent nous être apportés par n'importe quelle circonstance ou presque: Bilwamangal,1 par exemple, s'est ouvert ainsi grâce aux paroles d'une courtisane, sa maîtresse. De toute évidence, cela se produit parce que quelque chose est prêt quelque part; l'être psychique attend pour ainsi dire son heure et saisit n'importe quelle occasion dans le mental, le vital ou le cœur pour ouvrir toute grande une fenêtre quelque part.

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894

L'idéalisme à lui seul ne peut être efficace que si l'on a dans le mental une volonté puissante, capable de forcer le vital à suivre le mouvement.

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895

L'impulsion à se noyer dans le Divin est très rare. C'est en général une idée mentale, une ardeur vitale ou une raison tout à fait hors de proportion qui ouvre la voie... ou encore pas de raison du tout. Seule est réelle, à l'arrière-plan, l'impulsion psychique occulte que la conscience de surface ne perçoit pas ou perçoit à peine.

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896

Ce que vous écrivez au sujet de l'âme véritable, de l'être psychique, est tout à fait exact. Mais les gens désignent des choses différentes lorsqu'ils parlent de l'âme. Il s'agit parfois de ce que j'ai appelé dans l'Ârya l'âme de désir, c'est-à-dire le vital et ses aspirations impures, ses désirs, ses soifs de toutes sortes, bonnes ou mauvaises, ses émotions raffinées et grossières, ou de pulsions des sens parcourues d'idéalisations mentales et de poussées psychiques. Il peut s'agir aussi du mental et du vital soumis à la poussée d'un élan psychique. Tant que le psychique est voilé, il est obligé de s'exprimer par l'intermédiaire du mental et du vital et ses aspirations sont alors mêlées et nuancées par la substance mentale et vitale. Ainsi l'élan psychique voilé peut s'exprimer dans le mental par une soif de la pensée à connaître le Divin: c'est ce que les Européens appellent l'amour intellectuel de Dieu. Dans le vital cet élan psychique peut s'exprimer comme une soif ou un désir passionné du Divin. Cela peut entraîner de grandes souffrances en raison de la nature du vital, de ses passions inquiètes, de ses désirs, de ses ardeurs, de ses émotions troubles, de ses obscurcissements, de ses dépressions, de ses désespoirs. Néanmoins tous ne peuvent aborder le Divin à la manière pure et psychique, ou ne peuvent l'aborder ainsi dès le début; il est souvent nécessaire au commencement de l'aborder par le mental et le vital, ce qui, du point de vue spirituel, vaut mieux que d'être insensible au Divin. Dans les deux cas il s'agit d'un appel de l'âme, d'un élan de l'âme qui ne fait que revêtir une forme ou une nuance particulière due au fait que la nature est à prédominance mentale ou vitale.

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897

Il est tout à fait évident que X s'est ouvert à l'expérience spirituelle avec une soudaineté qui peut paraître surprenante; mais cette ouverture se produit souvent ainsi, surtout lorsque dans l'être extérieur le mental est sceptique alors qu'au-dedans l'âme est prête. Dans ces cas l'ouverture vient souvent aussi à la suite d'un choc comme la maladie de son frère, mais je pense qu'il était déjà préparé par un certain penchant du mental. Cette visualisation soudaine et prolongée montre aussi qu'une certaine faculté existait au-dedans et qu'elle a brisé les portes qui la tenaient enfermée: la faculté de vision supraphysique. L'apparition du mot "consécration" est aussi un phénomène fréquent dans ces expériences; c'est ce que j'appelle la voix du psychique par laquelle l'âme suggère au mental ce qu'elle veut qu'il fasse. Il faut maintenant que X s'y soumette, car l'assentiment de la nature, l'assentiment de l'homme extérieur à la voix intérieure est nécessaire pour que cette suggestion produise ses effets. X est à un tournant et il a reçu une indication de la route nouvelle que son être intérieur, l'Antarâtman, veut qu'il suive; mais comme je l'ai dit, le consentement de son mental et de son vital est nécessaire. S'il peut se décider à se consacrer, il doit accomplir le saṅkalpa de consécration, s'offrir au Divin et demander son aide et sa direction. S'il n'est pas capable de le faire tout de suite, qu'il se tienne en attente; mais qu'il veille à rester pour ainsi dire ouvert à la poursuite et au développement de l'expérience qui a commencé, jusqu'à ce qu'elles impose définitivement à son propre sentiment. Il recevra l'aide et, s'il en devient conscient, la question ne se posera plus: il lui sera facile de poursuivre son chemin.

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898

Votre influence pour l'orienter vers le yoga était bonne, mais elle n'a pas pu transformer sa nature vitale. Aucune influence humaine — qui ne peut être que mentale et morale — n'en est capable; vous voyez qu'il est resté tel qu'il était avant. Cette transformation ne peut s'accomplir que si son âme se tourne d'elle-même vers le Divin.

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899

La connaissance du chemin ne suffit pas; il faut le parcourir ou, si l'on n'en est pas capable, se laisser porter. La nature humaine extérieure, vitale et physique, résiste jusqu'au bout, mais si l'âme a une seule fois entendu l'appel, elle arrivera tôt ou tard.

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900

Chez ceux qui ont en eux un appel sincère pour le Divin, quelles que soient les difficultés opposées par le mental ou le vital ou les attaques qui surviennent, même si leurs progrès sont lents et pénibles, même s'ils reculent ou s'écartent un moment du sentier, le psychique finit toujours par prédominer et l'Aide divine se montre efficace. Fiez-vous toujours à cela et persévérez: alors vous êtes sûr d'atteindre le but.

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901

J'ai déjà répondu à votre question. Vous êtes venu ici parce que votre âme était poussée à chercher le Divin. C'est un fait qu'une certaine partie de votre vital reste fortement attachée à ceux que vous avez quittés, mais la recherche de votre âme n'en demeure pas moins réelle. Si la présence et la persistance de difficultés vitales prouvaient qu'un sâdhak est inapte et n'a aucune chance de réussir, un ou deux seulement dans l'Ashram survivraient à l'épreuve... peut-être même aucun. Le sentiment d'aridité et d'impossibilité à aspirer n'est pas non plus une preuve. Chaque sâdhak traverse ainsi des périodes — et même parfois de longues périodes — de vide. Je pourrais en nommer plusieurs qui sont considérés comme parmi les sâdhak les plus "avancés" et qui pourtant ne sont pas encore complètement libérés de l'instinct familial. Il est donc tout à fait déraisonnable d'être bouleversé parce que ces réactions subsistent encore en vous. Elles vont et viennent, mais le besoin de l'âme est permanent, même quand il est caché et silencieux; il restera toujours et émergera de nouveau.

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902

Ceux qui sont venus ici ne recherchaient pas tous consciemment le Divin. C'est à l'insu du mental que l'âme au-dedans les a conduits ici. Dans votre cas, c'était cela, et aussi la relation qu'avait votre âme avec la Mère. Une fois qu'on est ici, la force du Divin agit sur la nature humaine jusqu'à ce qu'une voie s'ouvre à l'âme au-dedans pour qu'elle se dévoile. La recherche consciente du Divin ne suffit pas à éviter la lutte contre l'ignorance de la nature; seul le don de soi à la Mère peut le faire.

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903

Lorsque quelqu'un est destiné à suivre le Sentier, toutes les circonstances contribuent d'une manière ou d'une autre, par le biais de toutes les déviations du mental et de la vie, à l'y conduire. C'est son propre être psychique en lui et le Pouvoir divin au-dessus qui utilisent à cette fin toutes les vicissitudes, qu'elles viennent du mental ou des circonstances extérieures.

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904

Quand l'âme est destinée à avancer et qu'il existe une faiblesse extérieure comme celle dont vous parlez, certaines circonstances se présentent ainsi pour aider l'être extérieur en dépit de lui-même, ce qui signifie qu'à l'arrière-plan l'aspiration est vraiment sincère; autrement cela n'arriverait pas.

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905

La destinée spirituelle est toujours là; elle peut être retardée ou sembler se perdre pendant un moment, elle n'est jamais abolie.

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906

Une occasion spirituelle n'est pas une chose que l'on puisse laisser passer d'un cœur léger, en pensant qu'on pourra toujours la saisir une autre fois; on ne peut pas être vraiment sûr qu'il y aura une autre fois. Par ailleurs, ces choses laissent une empreinte et là où est l'empreinte, elles peuvent se reproduire.

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907

La vision de la Lumière et la vision du Seigneur sous la forme de Jagannâth sont toutes deux des indications de son aptitude au yoga et de l'appel du Divin à son être intérieur. Mais aptitude ne suffit pas: il faut aussi la volonté de rechercher le in, le courage et la persévérance de suivre le sentier. La peur est la première chose à rejeter, la deuxième étant l'inertie de l'être extérieur qui l'a empêché de répondre à l'appel.

La Lumière est celle de la Conscience divine. Le but de notre yoga est d'abord d'entrer en contact avec cette conscience, puis de vivre dans sa lumière et de laisser la lumière transformer toute la nature pour que l'être vive en union avec le Divin et que la nature, devienne un champ d'action pour la Connaissance divine, le Pouvoir divin et l'Ânanda divin.

Il ne pourra y réussir que s'il en fait l'objectif suprême de sa vie et s'il est prêt à subordonner tout le reste à ce but unique. Autrement il ne pourra pas aller dans cette vie au-delà d'un certain travail préparatoire: un premier contact et une transformation spirituelle préliminaire dans une partie de la nature.

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908

Tous peuvent pratiquer un certain yoga conforme à leur nature, s'ils en ont la volonté. Mais rares sont ceux dont on peut dire qu'ils ont une aptitude pour ce yoga-ci. Quelques-uns seulement peuvent se construire une aptitude, les autres non.

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909

Personne n'est apte à faire la sâdhanâ, c'est-à-dire que personne ne peut la faire uniquement par sa propre capacité. Il s'agit de se préparer à faire entrer en soi, dans sa plénitude, une Force qui n'est pas nôtre et qui pourra faire la sâdhanâ avec notre consentement et notre aspiration.

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910

Il est difficile de dire qu'une qualité particulière rend quelqu'un apte au yoga ou que son absence le rend inapte. On peut avoir de fortes impulsions sexuelles, des doutes, des révoltes, et pourtant en fin de compte réussir là où un autre échouera. Si l'on a, à la base, une sincérité, une volonté d'aller jusqu'au bout en dépit de tout, et que l'on est disposé à être de bonne foi, c'est la meilleure sécurité dans la sâdhanâ.

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911

Quand on entre dans la conscience véritable (yoguique), alors on voit que tout peut être fait, même si à présent seul un petit commencement a été réalisé; mais un commencement suffit, puisque la Force et le Pouvoir sont là. En réalité le succès ne dépend pas de l'aptitude de la nature extérieure (car pour la nature extérieure, tout dépassement de soi paraît d'une difficulté insurmontable), mais de l'être intérieur, et pour l'être intérieur tout est possible. Il suffit d'entrer en contact avec l'être intérieur et, sous l'effet de la vision et de la conscience intérieures, de transformer la vision et la conscience extérieures; c'est le travail de la sâdhanâ et ce changement viendra à coup sûr grâce à la sincérité, à l'aspiration et à la patience.

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912

Vous devez comprendre que ces changements d'humeur sont des attaques et doivent être rejetés aussitôt, car ils ne reposent sur rien sinon des suggestions qui vous font douter de vous-même et de votre capacité, et qui n'ont aucun sens, puisque c'est par la Grâce du Divin et avec l'aide d'une Force plus grande que la vôtre, non par votre valeur et vos capacités personnelles, que vous pouvez atteindre le but de la sâdhanâ. Vous devez vous en souvenir et vous dissocier de ces suggestions quand elles surviennent, ne jamais les accepter ni leur céder. Aucun sâdhak, même s'il avait l'aptitude des anciens Rishi et des Tapaswî d'autrefois ou la force d'un Vivékânanda, ne pourrait espérer conserver, durant les premières années de sa sâdhanâ, une condition perpétuellement bonne, une union constante avec le Divin ou un appel, une hauteur d'aspiration sans faille. Il faut beaucoup de temps pour spiritualiser toute la nature et jusqu'à ce que ce soit fait, ces fluctuations sont inévitables. Vous devez cultiver une confiance, une patience constantes, les acquérir, et cela surtout quand les circonstances sont contraires; car lorsqu'elles sont favorables, con fiance et patience viennent aisément.

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913

Il va sans dire que les qualités dont vous pariez facilitent l'accès au sentier spirituel, tandis que chacun des défauts que vous énumérez est une sérieuse pierre d'achoppement sur le chemin. La sincérité est particulièrement indispensable à l'effort spirituel et la fausseté un obstacle constant. La nature sattwique a toujours été considérée comme la plus apte et la mieux préparée à la vie spirituelle, alors que la nature radjasique est encombrée par ses désirs et ses passions. La spiritualité, toutefois, est au-dessus des dualités, et ce qui est le plus nécessaire pour l'atteindre, c'est une aspiration véritable vers le haut. Cette aspiration peut venir à l'homme radjasique autant qu'à l'homme sattwique. Si elle vient, le premier peut s'élever grâce à elle au-dessus de ses imperfections, de ses désirs et de ses passions, tout comme le second peut s'élever au-dessus de ses vertus jusqu'à la Pureté divine, la Lumière divine, l'Amour divin. Forcément cela ne peut se produire que si l'un comme l'autre triomphe de sa nature inférieure et la rejette loin de lui; car s'il y retombe, il est probable qu'il quittera le sentier ou qu'au moins, tant que durera la rechute, son progrès intérieur s'arrêtera. Mais en dépit de tout cela les conversions de grands pécheurs en grands saints, d'hommes de peu de vertu ou d'hommes sans vertu en chercheurs spirituels et en amants de Dieu ont été fréquentes dans l'histoire religieuse et spirituelle, comme en Europe celle de saint Augustin, en Inde celle de Jagaï et Madhaï, disciples de Chaïtanya, celle de Bilwamangal et de bien d'autres. La demeure du Divin n'est jamais fermée pour ceux qui frappent sincèrement à ses portes, quelles que soient leurs erreurs et leurs chutes passées. Les vertus et les erreurs humaines sont les vêtements lumineux ou sombres dont se drape un élément divin intérieur qui, lorsqu'il a percé le voile, peut élever sa flamme, en consumant les unes comme les autres, jusqu'aux sommets de l'Esprit.

L'humilité devant le Divin est aussi une condition sine qua non de la vie spirituelle; l'orgueil spirituel, l'arrogance ou la vanité et la présomption poussent toujours vers le bas. Mais la confiance en le Divin et la foi en sa propre destinée spirituelle (c'est-à-dire: puisque mon cœur et mon âme cherchent le Divin, je ne puis manquer de L'atteindre un jour) sont très nécessaires en raison des difficultés du Chemin. Le mépris à l'égard des autres est hors de propos, d'autant plus que le Divin est en tous. De toute évidence, les activités et les aspirations des hommes ne sont pas insignifiantes et sans valeur, puisque la vie tout entière est une croissance de l'âme qui sort de l'obscurité pour aller vers la Lumière. Mais selon notre manière de voir, l'humanité ne saurait sortir de ses limitations par les moyens qu'adopte d'ordinaire le mental humain: politique, réformes sociales, philanthropie, etc.; ceux-ci ne peuvent être que des palliatifs temporaires ou locaux. La seule véritable issue est une transformation de la conscience en une manière d'être plus grande, plus vaste et plus pure, et une vie, une action fondées sur cette transformation. C'est donc vers elle que les énergies doivent se tourner lorsque l'orientation spirituelle est devenue complète. Cette attitude n'a rien de méprisant: c'est un choix des seuls moyens efficaces, de préférence à ceux dont l'inefficacité a été démontrée.

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914

On peut l'exprimer ainsi; mais hommes vertueux et pécheurs ne sont pas des termes appropriés, car il n'est pas exact que les hommes vertueux souffrent plus que les pécheurs. Bien des pécheurs s'apprêtent à se tourner vers le Divin, alors que se beaucoup d'hommes vertueux devront passer par une longue série de es avant même d'y penser.

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915

Les qualités comme la foi, la sincérité, l'aspiration, la dévotion, etc., constituent la perfection telle qu'elle est définie dans notre langage des fleurs.2 Dans le langage ordinaire, perfection signifierait autre chose: pureté, amour, bienveillance, fidélité, une foule d'autres vertus.

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916

Amenez l'être psychique au premier plan et gardez-le au premier plan en mettant le mental, le vital et le physique sous son pouvoir, afin qu'il leur communique la force de son aspiration exclusive, de sa confiance, de sa foi, de sa soumission, de sa détection immédiate et directe de tout ce qui est faux dans la nature, de tout ce qui est tourné vers l'ego et l'erreur, hors de la Lumière et de la Vérité.

Éliminez l'égoïsme sous toutes ses formes, éliminez-le de chaque mouvement de votre conscience.

Développez la conscience cosmique. Faites disparaître le point de vue égocentrique, fondez-le dans l'étendue, l'impersonnalité, le sens du Divin cosmique, la perception des forces universelles, la réalisation et la compréhension de la manifestation cosmique, du jeu.

À la place de l'ego, découvrez l'être véritable, parcelle du Divin, issu de la Mère du monde et instrument de la manifestation. Ce sentiment d'être un instrument et une parcelle du Divin doit être exempt de toute vanité, de tout sens de l'ego ou revendication égoïste, ou de toute affirmation de supériorité, toute exigence, tout désir. Car si ces éléments sont présents, c'est que l'on n'a pas trouvé la vraie chose.

La plupart des gens qui font le yoga, vivent dans le mental, le vital ou le physique, occasionnellement et partiellement éclairés par le mental supérieur et par le mental illuminé. Mais pour se préparer à la transformation supramentale, il est nécessaire (dès que le moment en est venu pour chacun) de s'ouvrir à l'Intuition et au Surmental, afin que ceux-ci puissent préparer tout l'être et toute la nature au changement supramental. Laissez la conscience se développer et s'élargir tranquillement, et la connaissance de ces choses viendra progressivement.

Le calme, le discernement, le détachement — sans indifférence — sont tous très importants, car leurs contraires sont une entrave considérable à l'action transformatrice. L'intensité de l'aspiration est nécessaire, mais elle doit être accompagnée de ce calme, ce discernement et ce détachement. Pas de hâte et pas d'inertie; pas d'impatience radjasique ni de découragement tamasique; un appel et un mouvement réguliers, persistants, et pourtant calmes. Il ne faut ni arracher, ni agripper la réalisation, mais la laisser apparaître du dedans et d'en haut, en observant avec exactitude son champ, sa nature, ses limites.

Laissez le pouvoir de la Mère travailler en vous, mais ayez soin d'éviter qu'il s'y mêle ou s'y substitue l'action d'un ego magnifié ou d'une force d'Ignorance qui se fait passer pour la Vérité. Aspirez spécialement à l'élimination de toute obscurité et de toute inconscience dans la nature.

Telles sont les conditions principales pour se préparer à la transformation supramentale. Mais aucune n'est facile, et elles doivent être complètes avant que l'on puisse dire que la nature est prête. Si l'on peut établir la véritable attitude (psychique, sans égoïsme, ouverte seulement à la Force divine), le développement se fait beaucoup plus rapidement. Prendre la véritable attitude et la garder, faciliter son propre changement, telle est l'aide que l'on peut donner, la seule qui soit demandée pour seconder le changement général.

Les Bases du Yoga, chapitre II. Traduction de la Mère.

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917

La meilleure manière de répondre à votre lettre est, je crois, de traiter séparément chacune des questions qu'elle soulève. Je commencerai par la conclusion à laquelle vous aboutissez: le yoga serait impossible pour une nature non orientale.

Je ne vois aucune base à une telle conclusion; elle est contraire à toute expérience. Les Européens, à travers les siècles, ont pratiqué avec succès des disciplines spirituelles qui s'apparentaient au yoga oriental et ont suivi aussi des voies de vie intérieure qui leur venaient d'Orient. Leur nature non orientale ne constituait pas un obstacle. La démarche et les expériences de Plotin et des mystiques européens qui se sont inspirés de lui étaient, comme on l'a démontré récemment, identiques à la démarche et aux expériences d'un certain type de yoga indien. En particulier, depuis l'avènement du christianisme, les Européens ont suivi ses disciplines mystiques qui étaient essentiellement les mêmes que celles de l'Asie, même si elles en différaient par les formes, les noms et les symboles. S'il s'agit du yoga indien lui-même dans les formes caractéristiques qui lui sont propres, cette prétendue incapacité est, là aussi, démentie par l'expérience. Dans les temps anciens, les Grecs et les Scythes en Occident, tout comme les Chinois, les Japonais et les Cambodgiens en Orient, ont suivi sans difficulté des disciplines bouddhistes ou hindoues; à l'heure actuelle un nombre croissant d'Occidentaux se sont mis à observer les pratiques spirituelles du Védânta, du vishnouïsme ou d'autres disciplines indiennes, et aucune objection fondée sur l'incapacité ou l'inadaptation n'a jamais été soulevée ni par les disciples, ni par les maîtres. Je ne vois pas non plus pourquoi il y aurait un abîme aussi infranchissable entre les l deux; car il n'y a pas de différence essentielle entre la vie g spirituelle de l'Orient et la vie spirituelle de l'Occident: la seule différence a toujours résidé dans les noms, les formes et les symboles, ou encore dans la prédominance accordée à tel ou tel objectif particulier ou à tel aspect de l'expérience psychologique. Et même dans ce domaine, on invoque souvent des différences qui n'existent pas ou qui sont moins grandes qu'elles ne paraissent. J'ai vu un écrivain chrétien (qui ne semble pas partager l'objection de votre ami Angus à l'égard de ces petites distinctions scholastiques) alléguer que la pensée et la vie spirituelle hindoues ne reconnaissaient que la Divinité transcendante ou ne poursuivaient qu'elle et négligeaient la Divinité immanente, alors que le christianisme donnait à chacun de ces Aspects la place qui lui revient; mais en fait, la spiritualité indienne, même si en fin de compte elle privilégiait le Suprême au-delà de la forme et du nom, reconnaissait néanmoins largement la place du Divin immanent dans le monde et du Divin immanent dans l'être humain. La spiritualité indienne a, il est vrai, derrière elle une connaissance plus vaste et plus détaillée, elle a suivi des centaines de chemins différents, admis toutes sortes de voies d'approche du Divin et a pu ainsi pénétrer dans des régions qui sont restées hors du domaine moins vaste de la pratique occidentale; mais cela n'entraîne aucune différence d'essence, et seule l'essence importe.

Vous semblez attribuer l'aptitude de nombreux Occidentaux à pratiquer le yoga indien au fait qu'ils sont dotés d'un tempérament hindou dans un corps européen ou américain. De même que Gandhi est intérieurement un moraliste occidental et chrétien, dites-vous, de même les autres membres non orientaux de l'Ashram sont essentiellement des hindous par leur manière de voir. Mais qu'est-ce exactement que ce point de vue hindou? Je n'ai rien vu moi-même en eux qui puisse être ainsi décrit et la Mère non plus. Ma propre expérience contredit entièrement votre explication. J'ai très bien connu Sœur Nivédita (elle a été pendant de longues années une amie et une camarade dans la vie politique), et j'ai rencontré Sœur Christine; parmi les disciples européens de Vivékânanda, elles étaient les plus proches de lui. Toutes deux étaient profondément occidentales et n'avaient rien d'hindou dans leur manière de voir; Sœur Nivédita, qui était irlandaise, avait, par une sympathie intense, le pouvoir de comprendre intimement les modes de vie de ceux qui l'entouraient, et malgré cela sa propre nature est restée non orientale jusqu'à la fin. Elle est pourtant parvenue sans difficulté à la réalisation selon le Védânta. Ici, dans notre Ashram, j'ai constaté que les membres venus d'Occident (je pense en particulier à ceux qui sont id depuis longtemps) étaient typiquement occidentaux, avec toutes les qualités, mais aussi toutes les difficultés du mental et du tempérament de l'Occidental; ils ont dû faire face à leurs difficultés, tout comme les membres indiens ont été obligés de lutter contre les limitations et les obstacles créés par leur tempérament et leur éducation. Les Occidentaux avaient sans nul doute accepté en: principe les conditions du yoga, mais ils n'avaient pas le point de vue hindou quand ils sont arrivés, et je ne pense pas qu'ils aient essayé de l'acquérir. Pourquoi l'auraient-ils fait? Ce n'est pas le point de vue hindou ou le point de vue occidental qui est fondamental dans le yoga, c'est la tendance psychique et l'élan spirituel, et ceux-ci sont les mêmes partout.

Du point de vue du yoga, quelles sont, somme toute, les différences entre un sâdhak né indien et un sâdhak né européen? Vous dites que pour l'Indien le yoga est déjà à moitié fait, tout d'abord parce que son psychique s'ouvre beaucoup plus directement au Divin transcendant. Si nous laissons de côté l'adjectif (car ils sont rares, ceux dont la nature est attirée par le Transcendant; la plupart cherchent de préférence le Personnel, le Divin immanent ici-bas, surtout s'ils peuvent le trouver dans un corps humain), il y a là, certes, un avantage. Cet avantage provient simplement du fait qu'en Inde, l'atmosphère de recherche spirituelle et la longue tradition de pratique et d'expérience sont restées fortes et vivantes, alors qu'en Europe l'atmosphère s'est perdue, la tradition a été interrompue, et il faut les reconstruire toutes les deux. Un autre avantage est l'absence du doute essentiel qui affecte tant le mental des Européens et, peut-on ajouter, des Indiens européanisés, bien que le sâdhak indien ne soit pas préservé pour autant d'une sorte de doute pratique très actif et très vif. Mais quand vous parlez d'indifférence à l'égard de nos frères humains dans un quelconque aspect plus profond, je ne vous suis plus. Selon mon expérience, l'attachement aux personnes — mère, père, épouse, enfants, amis — qui ne vient pas du sens du devoir ou des relations sociales, mais d'étroits liens du cœur, est tout aussi fort qu'en Europe et souvent plus intense: c'est l'une des forces les plus perturbatrices sur le chemin; certains succombent à son attraction et de nombreux sâdhak, même avancés, sont encore incapables de faire sortir cela de leur sang et de leurs fibres vitales. L'envie d'établir avec les autres une relation "spirituelle" ou "psychique" (sous laquelle se dissimule très fréquemment un mélange vital qui les détourne du but unique) est un trait commun qui persiste chez tous. En cela il n'y a pas de différence entre la nature humaine orientale et la nature humaine occidentale. Mais en Inde on enseigne depuis fort longtemps que tout doit être tourné vers le Divin et le reste sacrifié ou transformé en un mouvement secondaire et accessoire, ou encore sublimé en quelque chose qui n'est qu'un premier pas vers la recherche du Divin. Cet enseignement aide sans aucun doute le sâdhak indien sinon à atteindre tout de suite la pleine adhésion du cœur, du moins à s'orienter plus complètement vers le but. Pour lui ce but n'est pas toujours le Divin seul, bien que cet état soit considéré comme le plus élevé, mais l'idéal du Divin d'abord et avant tout lui est d'un accès facile.

Le sâdhak indien a ses difficultés particulières dans son approche du yoga — ou du moins de notre yoga — qui affectent dans une moindre mesure le sâdhak d'Occident. Les difficultés nées de la nature occidentale proviennent de la tendance qui a dominé le mental européen dans un passé récent. Une plus grande propension au doute essentiel et à la réserve sceptique; l'habitude de l'activité mentale, nécessité de la nature qui rend plus difficile la réalisation du silence mental complet; une tendance plus forte à se tourner vers l'extérieur, engendrée par une vie active pleinement développée (alors que l'Indien souffre en général de défauts nés plutôt d'une force vitale diminuée ou réprimée); l'habitude de s'affirmer sur le plan vital et mental et, parfois, une indépendance agressivement vigilante qui rend difficile la soumission intérieur complète, même à une Lumière et à une Connaissance plus grandes, même à l'Influence divine: ce sont là des obstacles fréquents. Mais ils ne sont pas universels chez les Occidentaux et ils sont, par ailleurs, présents chez de nombreux sâdhak indiens; comme les difficultés typiques de la nature indienne, ce sont des formations surajoutées, non la substance de l'être. Ils ne peuvent indéfiniment barrer la route de l'âme si son aspiration est forte et ferme, si le but spirituel est l'objet principal de la vie. Ce sont des obstacles que le feu intérieur peut facilement anéantir si la volonté de s'en débarrasser est forte, et dont il finira certainement par venir à bout — bien qu'avec moins de facilité — même si la nature extérieure s'y accroche longtemps et les justifie, pourvu que le feu, la volonté centrale, l'impulsion profonde soient derrière tout, réels et sincères.

Seule une conscience trop aiguë de vos propres difficultés vous accable et vous porte à conclure que les non Orientaux sont inaptes au yoga indien; vous n'avez pas vu les difficultés tout aussi grandes qui ont longtemps perturbé ou perturbent encore les autres. Ni pour l'Indien, ni pour l'Européen le sentier du yoga ne peut être uni et facile; la nature humaine qui leur est commune est là pour y veiller. A chacun ses propres difficultés paraissent énormes, foncières et même incurables du fait de leur continuité et de leur persistance; elles entraînent de longues périodes d'abattement et des crises de désespoir. À peine deux ou trois sur cent ont une foi ou une vision psychique suffisantes pour réagir aussitôt ou presque et prévenir ces attaques. Mais il ne faut pas s'installer dans cette idée fixe que l'on est incapable, ni lui permettre de devenir une obsession; car une telle attitude n'a aucune justification réelle et accroît sans nécessité les difficultés du chemin. Là où il y a une âme qui s'est un jour éveillée, il y a à coup sûr une faculté intérieure qui peut prévaloir sur tous les défauts superficiels et remporter en fin de compte la victoire.

Si votre conclusion était juste, tout l'objectif de notre yoga serait chose vaine; car nous ne travaillons ni pour une race, ni pour un peuple, ni pour un continent, ni pour une réalisation dont seuls les Indiens ou seuls les Orientaux seraient capables. Notre but n'est pas non plus de fonder une religion, une école de philosophie ou une école de yoga, mais de créer une base de croissance et d'expérience spirituelles et une voie qui fera descendre une Vérité plus grande qui dépasse le mental sans être inaccessible à l'âme et à la conscience de l'homme. Tous peuvent passer s'ils sont attirés par cette Vérité, qu'ils soient originaires de l'Inde ou d'ailleurs, d'Orient ou d'Occident. Tous peuvent rencontrer de grandes difficultés dans la nature humaine, qu'elle soit personnelle ou générale; mais ni leur origine physique, ni leur tempérament racial ne peut être un obstacle insurmontable à leur libération.

II

918

Une seule condition est indispensable: la sincérité.

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919

L'adjectif "sincère" signifie simplement que la volonté doit être une vraie volonté. Si vous vous contentez de penser "j'aspire" tandis que vos actes sont sans rapport avec l'aspiration, ou si vous cédez à vos désirs, ou encore si vous vous ouvrez à des influences contraires, alors la volonté n'est pas sincère.

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920

Il est vrai qu'une sincérité centrale ne suffît pas sinon comme base et comme point de départ; la sincérité doit s'étendre, comme vous le décrivez, à la nature tout entière. Cependant, à moins que la nature ne soit double (sans "science centrale pour l'harmoniser), cette base suffit en général pour que l'extension se produise.

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921

Quand tout est en accord avec la vérité "" ou en est Passion, c'est l'harmonie.

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922

La sincérité dans le vital est la plus difficile à obtenir et la plus nécessaire.

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923

Vous parlez d'une insincérité dans votre nature. Si par insincérité vous entendez la réticence d'une certaine partie de l'être qui refuse de vivre selon la lumière la plus haute que vous puissiez atteindre ou à amener l'homme extérieur à égalité avec l'homme intérieur, alors cette partie est toujours insincère chez tout le monde. La seule manière d'en sortir est de donner la prédominance à l'être intérieur et d'y faire croître la conscience psychique et spirituelle jusqu'à ce que descende en lui ce qui chassera aussi l'obscurité hors de l'être extérieur.

Je n'ai jamais dit que le vital ne devait avoir aucune part dans l'amour pour le Divin, mais seulement qu'il devait se purifier et s'ennoblir à la lumière de l'être psychique. Les conséquences de l'amour égocentrique entre êtres humains finissent par être si médiocres et si contraires — c'est ce que j'entendais par amour vital ordinaire — que je veux quelque chose de plus pur, de plus noble, de plus élevé dans le vital aussi lorsqu'il s'agit du mouvement qui s'adresse au Divin.

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924

Les hommes sont toujours complexes et les qualités et les défauts se mêlent dans leur nature de façon presque inextricable. Ce qu'un homme veut être ou ce qu'il veut que les autres voient en lui, ou encore ce qu'il est quelquefois par un côté de sa nature ou dans les relations qu'il a avec certaines personnes, peut être très différent de ce qu'il est en réalité ou dans ses relations avec d'autres personnes, ou encore par un autre aspect de sa nature. Être absolument sincère, droit, ouvert, n'est pas facile pour la nature humaine. C'est seulement par l'effort spirituel que l'on peut y parvenir et cet accomplissement exige une vision introspective sévère, l3 rigueur impitoyable d'une observation de soi dont bien des sâdhak et même bien des yogis ne sont pas capables; et c'est seulement par une Grâce illuminatrice qui révèle le sâdhak à lui-même et transforme ce qui est défectueux en lui que ce résultat peut être atteint. Encore faut-il que le sâdhak lui-même consente à l'action divine et s'y prête totalement.

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925

Il est absolument nécessaire que X comprenne certaines choses dans un esprit sincère et droit, sans chercher à se justifier, sinon sa sâdhanâ tournera sans cesse en rond jusqu'à la fin ou alors elle échouera et tombera en pièces.

Le but de notre yoga est de s'ouvrir à une Vérité divine plus haute au-delà de la vie, du mental et du corps, et de les transformer tous trois à l'image de cette Vérité. Mais cette transformation ne peut pas avoir lieu, la Vérité elle-même ne peut pas être connue dans son esprit indubitable, dans sa parfaite lumière et son véritable corps tant que l'ādhāra tout entier n'a pas été patiemment et fondamentalement purifié, rendu plastique et capable de recevoir ce qui est au-delà des constructions du mental, des désirs de l'être vital et des habitudes de la conscience physique et de l'être physique.

L'obstacle le plus évident que X rencontre, celui dont il ne s'est pas le moins du monde débarrassé jusqu'à présent, est un ego vital fortement radjasique pour lequel son mental trouve des justifications et des masques. Rien n'est plus naturel et agréable pour l'ego vital que de revêtir les atours du yoga et de s'imaginer qu'il est libre, divinisé, spiritualisé, siddha et tout le reste ou qu'il s'achemine vers ce but, alors qu'en réalité il n en fait rien mais demeure toujours semblable à lui-même sous de nouvelles formes. Si l'on ne s'observe pas avec une sincérité constante, il est impossible de sortir de ce cercle.

Tout en expulsant l'ego vital qui se ment à lui-même, il faut chasser aussi ce qui l'accompagne habituellement dans les parties mentales: arrogance mentale, faux sentiment de supériorité, étalage de connaissance. Toute affectation, toute Prétention doivent être abandonnées, toute prétention, vis-à-vis de soi-même ou des autres, d'être ce qu'on n'est pas ou de savoir ce qu'on ne sait pas, et toute idée que l'on est plus grand que sa véritable stature spirituelle.

Parallèlement à l'ego vital, X a en lui une épaisseur, une lourdeur tamasiques dans l'être physique et une absence de raffinement psychique et spirituel. Tous ces défauts doivent être éliminés, sinon ils constitueront toujours un obstacle au changement véritable et complet de l'être vital et du mental.

À moins que tout cela ne soit radicalement changé, le simple fait d'avoir des expériences ou d'établir un calme temporaire et précaire dans les parties mentales et vitales ne sera en fin de compte d'aucune aide. Il n'y aura aucun changement fondamental, mais seulement une alternance d'un état à l'autre, parfois un retour des désagréments et toujours la même tare qui subsistera jusqu'à la fin de l'épisode.

La seule condition nécessaire pour se débarrasser des choses, c'est une sincérité centrale absolue de toutes les parties de l'être, qui consiste à exiger absolument la Vérité et rien que la Vérité. Alors apparaîtront une disposition à se critiquer impitoyablement, une ouverture vigilante à la lumière, un malaise lorsque survient le mensonge, qui finiront par purifier tout l'être.

Les imperfections mentionnées ici sont plus ou moins fréquentes, à des degrés divers, chez presque tous les sâdhak, bien que certains n'en soient pas atteints. On peut s'en débarrasser si la sincérité requise est là. Mais si elles occupent les parties centrales de l'être et corrompent l'attitude du sâdhak, il leur apportera un appui constant, ouvertement ou secrètement; son mental sera toujours prêt à leur fournir des déguisements et des justifications, à essayer de se dérober au projecteur de la faculté critique et aux protestations de l'être psychique. Alors le yoga échouera, du moins dans cette existence-ci.

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926

Il est tout à fait naturel que le comportement soit très inégal tant que tout n'est pas clair; la nature ordinaire s'attache à l'action et la transformation ne peut pas être complète d'un seul coup. Ce qui est nécessaire, c'est que la conscience de base s'établisse fermement dans le Divin; on peut alors discerner le mélange dans le reste de l'être et l'éliminer progressivement. Posséder cette conscience dans l'être extérieur autant que dans l'être intérieur est un grand progrès.

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927

Il est difficile pour le chrétien ordinaire d'être tout d'une pièce car les enseignements du Christ se situent sur un plan tout autre que le plan de conscience de l'homme intellectuel et vital formé par l'éducation et la société d'Europe: celui-ci, même s'il est pasteur ou prêtre, n'a jamais été appelé à pratiquer tout à fait sérieusement ce qu'il prêche. Mais il est difficile à la nature humaine, d'où qu'elle soit, de penser, de sentir et d'agir à partir d'un centre unique de vraie foi, de vraie croyance ou de vision véritable. L'hindou moyen considère la vie spirituelle comme la plus haute forme de vie possible, révère le sannyâsî, s'émeut à la vue du bhakta; mais si un membre de sa famille quitte le monde pour mener la vie spirituelle, quels pleurs, quelles querelles, quelles remontrances, quelles lamentations! Il vaudrait presque mieux qu'il fût mort de mort naturelle. Ce n'est pas de l'insincérité mentale consciente: ils raisonneront comme des pandits et recourront aux shâstra pour vous prouver que vous avez tort; c'est de l'inconscience, une insincérité vitale dont ils ne sont pas conscients et qui s'appuie sur la complicité du mental raisonnant.

C'est pourquoi nous insistons tant sur la sincérité dans le yoga; et par là nous voulons dire que tout l'être doit se tourner consciemment vers l'unique Vérité, vers le Divin unique. Mais cette tâche est, pour la nature humaine, l'une des plus difficiles, beaucoup plus difficile qu'un ascétisme rigide ou une piété fervente. Même la religion ne donne pas cette sincérité complète et harmonisée: seuls l'être psychique et l'aspiration spirituelle de l'âme unifiée peuvent la donner.

Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre III.

III

928

L'aspiration doit avoir pour objet la pleine descente de la Vérité et sa victoire sur le mensonge dans le monde.

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929

Ceux qui viennent ici ont une aspiration et une possibilité: quelque chose dans leur être psychique les pousse et s'ils obéissent à cette impulsion, ils arriveront; mais ce n'est pas la conversion. La conversion est le mouvement de l'être qui abandonne les choses inférieures pour se tourner vers le Divin.

L'aspiration peut amener plus tard la conversion, elle n'est pas la conversion.

La Mère a parlé de trois choses différentes: la conversion, le mouvement décisif de l'âme qui se tourne vers le Divin (la réalisation intérieure du Divin) et la transformation de la nature. Les deux premières peuvent être rapides, soudaines et définitives, la troisième prend toujours du temps et ne peut se faire d'un seul coup, en un instant. On peut s'apercevoir d'un changement rapide dans tel ou tel détail de la transformation; même dans ce cas, cependant, il s'agit de l'effet rapide d'un long travail.

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930

La consécration est un processus par lequel on éduque la conscience à se donner au Divin. La conversion, en revanche, est un mouvement spontané de la conscience par lequel elle se détourne des choses extérieures pour s'orienter vers le Divin. Elle vient d'un contact du dedans et d'au-dessus dont elle est le résultat. La consécration peut aider l'être à s'ouvrir au contact ou le contact venir de lui-même. Mais la conversion peut aussi venir couronner un long processus d'aspiration el de tapasyâ. Il n'y a pas de règle fixe en ces matières.

Si l'être psychique vient au premier plan, la conversion devient facile ou peut venir aussitôt; ou c'est la conversion qui fait venir l'être psychique au premier plan. Là encore il n'y a pas de règle.

Les choses peuvent se passer dans un sens ou dans l'autre: il y a un contact et en même temps la réalisation, et en conséquence le psychique prend la place qui lui revient, ou bien le psychique vient au premier plan et prépare la nature à la réalisation.

La transformation est progressive, mais la réalisation doit certes avoir lieu avant que la transformation puisse atteindre son but.

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931

Ce que vous dites est tout à fait vrai. Seuls importent un appel et une aspiration simples, directs et sincères venant du cœur. Ils sont plus importants et plus efficaces que les aptitudes. Il est aussi très important d'amener la conscience à se tourner vers l'intérieur au lieu de rester extériorisée; il faut parvenir à l'appel intérieur, à l'expérience intérieure, à la Présence intérieure.

L'aide que vous demandez sera avec vous. Laissez l'aspiration grandir et ouvrir complètement la conscience intérieure.

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932

De quelle "raison" avez-vous besoin pour aspirer à la paix, à la pureté, à être libéré de la nature inférieure, à la lumière, à la force, à l'Ânanda, à l'amour divin, au service du Divin? Ces choses sont bonnes en elles-mêmes, c'est le but le plus élevé qui soit pour l'effort humain.

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933

Oui, c'est ainsi que les choses se passent: l'intensité de l'aspiration amène l'intensité de l'expérience et, par l'intensité répétée de l'expérience, le changement.

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934

L'aspiration est un appel au Divin; la volonté est la pression d'une force consciente sur la nature.

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935

L'aspiration n'a pas besoin de mots. Elle peut s'exprimer ou ne pas s'exprimer en mots.

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936

L'aspiration n'a pas besoin de se formuler en pensée, elle peut être un sentiment intérieur qui subsiste même quand le mental est occupé à travailler.

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937

Aspirer, c'est appeler les forces. Quand les forces ont répondu, il y a un état naturel de réceptivité tranquille, concentrée mais spontanée.

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938

Il faut aspirer au Divin, se donner à Lui et Lui laisser le soin de faire de l'âdhâra ce qui est vrai et juste, une fois qu'il est devenu parfait.

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939

Tout dépend du stade que l'on a atteint. L'aspiration personnelle est nécessaire jusqu'à ce que s'établisse un état où tout vient automatiquement et où seuls une certaine connaissance et un certain assentiment sont nécessaires au développement.

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940

On "tire", en général, par désir de recevoir pour soi-même; dans l'aspiration on se donne pour que la conscience supérieure descende et prenne possession de l'être; plus intense est l'appel, plus grand le don de soi.

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941

Le désir est sans aucun doute mêlé à ce que vous faites et même à vos efforts de sâdhanâ; c'est là qu'est la difficulté. Le désir introduit dans l'effort un mouvement d'impatience, une réaction de déception et de révolte chaque fois qu'une difficulté se présente et que le résultat n'est pas immédiat, et aussi d'autres sentiments qui provoquent le trouble et le désordre. L'aspiration ne doit pas être une forme de désir, mais le sentiment d'un besoin de l'âme intérieure et une volonté ferme et calme de se tourner vers le Divin et de chercher le Divin. Il n'est certes pas facile de se débarrasser entièrement de ce mélange de désir, ce n'est facile pour personne; mais quand on a la volonté de le faire, on peut y arriver grâce à l'aide et au soutien de la Force.

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942

Si l'on a de bons désirs, de mauvais désirs viendront aussi. Il y a place pour la volonté et l'aspiration, non pour le désir. S'il y a désir, il y aura attachement, exigence, avidité, absence d'équanimité, chagrin de ne pas obtenir, tout ce qui est anti-yoguique.

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943

On doit être satisfait de ce que l'on reçoit et pourtant continuer tranquillement, sans lutte, d'aspirer à recevoir davantage, jusqu'à ce que tout soit venu. Pas de désir, pas de lutte: aspiration, foi, ouverture... et la grâce.

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944

Quant au procédé, cela dépend de ce que vous entendez par ce mot. Le désir mène souvent à un excès d'effort qui produit beaucoup de labeur pour un résultat limité et une tension, un épuisement et — en cas de difficulté ou d'insuccès — le découragement, le doute ou la révolte. Ou encore, le désir conduit à "tirer" la Force. On peut le faire, mais sauf pour ceux qui sont solides yoguiquement et qui ont l'expérience yoguique, ce n'est pas toujours sans danger, bien que ce soit souvent très efficace. Ce n'est pas sans danger, d'abord parce que cela peut amener de violentes réactions ou faire descendre des forces contraires ou mauvaises ou mélangées, que le sâdhak inexpérimenté ne peut distinguer des vraies. Et aussi parce que cela peut substituer au libre don du Divin et à la vraie direction divine le propre pouvoir d'expérience du sâdhak, qui est limité, ou ses constructions mentales et vitales. Les cas varient; chacun a son propre chemin de sâdhanâ. Mais pour vous, je recommanderais une ouverture constante, une aspiration tranquille et continue, sans ardeur excessive, une confiance et une patience joyeuses.

Les Bases du Yoga, chapitre II. Traduction de la Mère.

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945

C'est le psychique qui donne l'aspiration véritable; si le vital est purifié et soumis au psychique, le vital donne l'intensité; mais s'il n'est pas purifié, il introduit dans l'aspiration une intensité radjasique et aussi de l'impatience et des réactions de dépression et de déception. Quant au calme et à l'égalité nécessaires, ils doivent descendre d'au-dessus en passant par le mental.

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946

C'est l'aspiration psychique, le feu psychique. Ce qu'apporte le vital, c'est cette impatience d'obtenir un résultat et cette insatisfaction si le résultat n'est pas immédiat. Il faut que cela cesse.

Il est dans la nature de la partie vitale de surface, lorsqu'elle n'est pas régénérée, d'agir ainsi. Le vital véritable est différent, calme et fort, instrument puissant soumis au Divin. Mais pour qu'il vienne au premier plan il faut tout d'abord que l'équilibre s'établisse au-dessus, dans le mental; quand la conscience est là et que le mental est calme, libre et vaste, alors le vital véritable peut venir au premier plan.

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947

L'impatience et l'agitation inquiète viennent du vital qui les introduit jusque dans l'aspiration. Cette aspiration doit être intense, calme et forte (telle est aussi la nature du vital véritable), non pas agitée et impatiente; alors seulement elle peut être stable.

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948

Il peut y avoir une aspiration intense mais tranquille qui ne trouble pas l'harmonie de l'être intérieur.

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949

Inutile de faire des Âsana ou du Prânâyâma. Il n'est pas nécessaire de brûler de passion. Ce qu'il faut, c'est acquérir avec patience le pouvoir de concentration et d'aspiration stable afin que le silence dont vous parlez puisse s'établir dans le cœur et s'étendre aux autres parties de l'être. Alors le mental physique et le subconscient pourront être nettoyés et calmés.

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950

C'est une erreur de penser que l'absence continue de vyākulatā est un signe que l'aspiration ou la volonté d'atteindre le Divin n'est pas authentique. Un vyākulatā constant, des pleurs ou le hāhākāra (celui-ci plus souvent vital que psychique) ne sont de règle que dans certaines formes exclusives du Bhakti Yoga. Ici, bien qu'un ardent désir psychique puisse apparaître parfois, ou même souvent, en vagues intenses, la base qui s'établit dans l'être est faite de quiétude, d'une quiétude qui contient une perception de plus en plus ferme de la vérité et de la recherche du Divin, du besoin du Divin, de sorte que tout s'oriente de plus en plus dans cette direction. C'est sur cette base que vient l'expérience et que grandit la réalisation. Parce que l'ouverture grandit en vous, vous avez cet ābhāsa de la présence (au-delà de la forme) de la Mère. À mesure que la réalisation intérieure progresse, la présence dans la forme physique prend sa pleine valeur.

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951

Les prières doivent être pleines de confiance, sans chagrin ni lamentations.

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952

Naturellement, plus l'aspiration se concentre sur un seul point, plus rapide est le progrès. La difficulté apparaît quand interfèrent le vital avec ses désirs ou le physique avec ses mouvements habituels du passé, ce qui arrive à presque tout le monde. Alors viennent l'aridité et la difficulté à avoir une aspiration spontanée. Cette aridité est un obstacle bien connu dans la sâdhanâ. Mais il faut persister et non se décourager. Si l'on maintient ferme la volonté même pendant ces périodes arides, elles passent, et lorsqu'elles ont disparu l'aspiration et l'expérience peuvent venir avec plus de force.

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953

Ce sont les forces tamasiques qui s'obstinent à suggérer la difficulté, qui la créent, et la conscience physique l'accepte. L'aspiration ne présente jamais de véritable difficulté. Le rejet peut ne pas être aussitôt efficace, mais il est toujours possible d'entretenir la volonté de rejeter et de refuser.

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954

Nul doute, l'aspiration vraie et forte est nécessaire, mais il est inexact de dire que la vôtre n'est pas authentique. Si cela n'avait pas été le cas, la Force n'aurait pas pu agir sur vous. Cette aspiration véritable avait son siège dans le psychique et dans le cœur, et chaque fois que ceux-ci étaient actifs en méditation, elle apparaissait. Pour que l'action de la Force soit complète, il lui fallait cependant descendre dans la conscience physique et y établir la tranquillité et l'ouverture. La conscience physique est toujours, chez tout le monde et par sa nature même, un peu inerte, et une aspiration constante et forte ne lui est pas naturelle, il faut la créer. Mais d'abord une ouverture, une purification, une ferme tranquillité doivent s'établir; autrement le vital physique changera la forte aspiration en ardeur exagérée et en impatience, ou plutôt il essaiera de lui donner cette forme. Ne soyez donc pas troublé si votre nature vous semble trop neutre et trop calme, ne semble pas contenir assez d'aspiration et de mouvement. Cet état de transition est nécessaire au progrès; le reste viendra.

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955

Il vous semble encore difficile de supporter les périodes intermédiaires où tout est tranquille et rien ne se fait en surface. Mais ces périodes intermédiaires, tout le monde en a; elles sont inévitables. Vous ne devez pas entretenir l'idée qu'elles viennent de votre manque d'aspiration ou d'une quelconque incapacité et que si votre aspiration était ardente et constante, ces périodes n'existeraient pas et les expériences se dérouleraient sans interruption. Les choses ne se passent pas ainsi. Même si l'aspiration était là, ces périodes intermédiaires viendraient. Si l'on peut aspirer, même pendant ces périodes, tant mieux; mais l'essentiel est d'y faire face avec tranquillité au lieu de se laisser gagner par l'agitation, la dépression ou l'abattement. Le feu ne peut être constant que lorsqu'on a atteint un certain stade, c'est-à-dire lorsque l'on est sans cesse au-dedans, vivant consciemment dans l'être psychique, mais pour en arriver là toute cette préparation du mental, du vital et du physique est nécessaire. Car ce feu appartient au psychique et on ne peut pas toujours en disposer Par un simple effort du mental. Il faut que le psychique soit pleinement libéré et c'est pour qu'une libération complète soit Possible que la Force agit.

IV

956

Foi [faith]: Croyance et acceptation dynamiques et complètes.

Croyance [belief]: Acceptation de l'intellect seulement.

Conviction [conviction]: Croyance intellectuelle fondée sur ce qui semble être de bonnes raisons.

Confiance [reliance]: Le fait de dépendre de quelqu'un dans un certain domaine, sur une base de confiance [trust].

Confiance [trust]: Sentiment de certitude que l'autre vous aidera, le fait de pouvoir se fier [reliance] à sa parole, son caractère, etc.

Confiance [confidence]: Sentiment de sécurité qui accompagne la confiance [trust].

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957

La foi est ressentie dans tout l'être, la croyance est mentale; la confiance consiste à se fier à une personne ou au Divin, ou encore c'est un sentiment de certitude quant au résultat de la recherche ou de l'effort personnel.

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958

La foi mentale combat le doute et aide à s'ouvrir à la vraie connaissance; la foi vitale prévient les attaques des forces hostiles ou les met en déroute et aide à s'ouvrir à la volonté et à l'action spirituelles véritables; la foi physique entretient la fermeté à travers toute l'obscurité, l'inertie ou la souffrance du physique et aide à s'ouvrir à la fondation de la vraie conscience; la foi psychique ouvre au contact direct du Divin et aide à amener l'union et la soumission.

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959

La foi mentale est une grande aide, mais elle peut toujours être temporairement ébranlée ou entièrement voilée — jusqu'à ce que la conscience et l'expérience supérieures se fixent pour de bon. Ce qui dure, même en restant caché, c'est l'aspiration de l'être intérieur et son besoin de quelque chose de plus élevé qui est la foi de l'âme. Elle aussi peut être cachée pendant un certain temps, mais elle s'affirme de nouveau: elle subit une éclipse, non une extinction.

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960

C'est cela, la vraie résolution. Gardez-la ferme au-dedans de vous, même si des vagues d'une autre conscience la couvrent en surface. Si l'on implante ainsi fermement en soi une foi ou une résolution, alors elle persiste, et même si le mental s'obscurcit pour un temps ou que la résolution faiblit, on la voit pourtant resurgir automatiquement comme un navire émerge de la vague qui l'avait recouvert et poursuit invinciblement sa route à travers toutes les vicissitudes jusqu'à ce qu'il atteigne le port.

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961

Cette expression ["foi aveugle"] n'a pas vraiment de sens. Je suppose qu'ils veulent dire qu'ils ne croiront pas sans preuve; mais la conclusion tirée d'une preuve n'est pas une foi: c'est une connaissance, ou c'est une opinion mentale. La foi, c'est quelque chose que l'on a avant la preuve et la connaissance et qui aide à parvenir à la connaissance ou à l'expérience. Il n'y a aucune preuve que Dieu existe, mais si j'ai foi en Dieu, je puis parvenir à l'expérience du Divin.

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962

La foi ne dépend pas de l'expérience, c'est quelque chose qui est là avant l'expérience. Quand on commence à pratiquer le yoga, ce n'est en général pas en se fondant sur l'expérience, mais sur la foi. Il en est ainsi non seulement dans le yoga et la e spirituelle, mais aussi dans la vie ordinaire. Tous les hommes d'action, les découvreurs, les inventeurs, les créateurs de connaissance procèdent par la foi et jusqu'à ce que la preuve soit faite ou le but atteint, ils persévèrent malgré les déceptions, les échecs, les réfutations, les dénégations, parce que quelque chose en eux leur dit que c'est la vérité, la chose qui doit être poursuivie et accomplie. Râmakrishna allait même jusqu'à dire, quand on lui demandait si la foi aveugle n'était pas une erreur, que la foi aveugle était la seule foi, car la foi est aveugle ou elle n'est pas la foi, mais autre chose: déduction raisonnée, conviction démontrée ou connaissance vérifiée.

La foi est, pour l'âme, le témoignage de quelque chose qui n'est encore pas manifesté, accompli ou réalisé, mais que cependant Celui en nous qui sait, même en l'absence de toute indication, ressent comme vrai ou suprêmement digne d'être recherché ou accompli. Ce sentiment en nous peut persister même quand il n'y a pas de croyance fixe dans le mental, même quand le vital lutte, se révolte et se refuse. Qui, en pratiquant le yoga, n'a pas des périodes, de longues périodes de déception, d'échec, de doute et d'obscurité? Mais quelque chose le soutient et même persiste en dépit de lui-même, parce que ce quelque chose sent que l'objet de sa recherche était pourtant vrai, et cela fait plus que sentir, cela sait. La foi fondamentale dans le yoga est ceci, qui est inhérent à l'âme: le Divin existe et le Divin seul vaut d'être recherché; comparé à cela rien dans la vie ne vaut la peine d'être possédé. Dès lors qu'un homme a cette foi, il est marqué pour la vie spirituelle et j'affirme que même si sa nature est pleine d'obstacles, remplie de dénégations et de difficultés, et même s'il doit lutter pendant des années, il est appelé à réussir dans la vie spirituelle.

C'est cette foi qu'il vous faut développer, une foi conforme à la raison et au bon sens: si le Divin existe et vous a appelé vers le Sentier (ce qui est évident), ce doit être Lui qui vous guide par-derrière et à travers toutes les difficultés et malgré elles, vous arriverez. N'écoutez pas les voix hostiles qui insinuent l'échec ou les voix de la hâte impatiente et vitale qui leur fait écho, ne croyez pas que parce qu'il y a de grandes difficultés, il ne peut y avoir de succès, ou que parce que le Divin ne s'est pas encore montré il ne se montrera jamais, mais adoptez l'attitude que chacun prend en se fixant un but grandiose et difficile: "Je continuerai jusqu'à ce que je réussisse, en dépit de toutes les difficultés." À cela, celui qui croit en le Divin ajoute: "Le Divin existe, ma recherche du Divin ne peut échouer. Je continuerai en dépit de tout jusqu'à ce que je le trouve".

Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre V.

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963

Vous dites que l'expérience est nécessaire à la foi et qu'aucune foi n'est possible sans elle. C'est en complète contradiction avec la psychologie humaine. Des milliers d'individus ont eu la foi avant d'avoir l'expérience. La doctrine "pas de croyance sans expérience" serait un désastre pour la spiritualité ou même pour l'action humaine. Le saint, le bhakta ont foi en Dieu bien avant d'avoir l'expérience de Dieu; l'homme d'action a foi en sa cause bien avant que sa cause soit couronnée de succès, sinon ni les uns ni les autres n'auraient été capables de lutter avec persévérance pour atteindre leurs buts malgré les défaites, les échecs et les périls de mort. Je ne sais pas ce que X entend par vraie foi. Pour moi, la foi n'est pas une croyance intellectuelle, elle est une fonction de l'âme; quand ma croyance a vacillé, failli, disparu, l'âme est restée inébranlable, répétant obstinément: "Ce chemin-ci et nul autre: la Vérité que j'ai sentie est la Vérité, quoi que le mental puisse croire." Au contraire, les expériences ne conduisent pas nécessairement à la foi. Un sâdhak m'écrit: "Je sens la grâce de Mère descendre en moi, mais je ne peux pas y croire, parce que c'est peut-être l'effet de mon imagination vitale." Un autre a eu des expériences pendant des années et le voilà qui tombe parce que, dit-il, il a "perdu la foi". Tout cela n'est pas une imagination de ma part, ce sont des faits qui parlent d'eux-mêmes.

Ce n'est certainement pas d'une transformation morale, mais d'une transformation spirituelle que je voulais parler; un homme moral peut fort bien être bourre d'ego, d'un ego accru par sa propre bonté et par sa propre rectitude. La libération de l'ego est précieuse au point de vue spirituel parce qu'alors on peut se centrer non sur soi-même, mais sur le Divin. Et c'est aussi la condition de la bhakti...

Je ne sais pas ce que X a contre l'émotion; elle a sa place, seulement il ne faut pas la projeter toujours au-dehors, mais la presser à l'intérieur pour qu'elle ouvre toutes grandes les portes du psychique. Ce que vous dites est parfaitement exact; je suis heureux que vous deveniez si lucide et si clairvoyant, c'est à coup sûr la conséquence d'une transformation psychique. L'ego est une chose très curieuse, surtout par sa manière de se cacher et de prétendre qu'il n'est pas l'ego. Il est toujours capable de se dissimuler, même derrière une aspiration à servir le Divin. La seule chose à faire est de le chasser de tous ses déguisements et de tous ses recoins. Vous avez raison aussi de penser que c'est vraiment la partie la plus importante du yoga. Les râdjayogis ont raison de donner à la purification la première place, de même que j'ai eu raison de lui donner la première place, avec la concentration, dans La Synthèse des Yogas. Vous n'avez qu'à regarder autour de vous pour constater que les expériences et même les réalisations ne peuvent pas vous mener au but si cela n'est pas fait: à tout moment elles peuvent disparaître à cause du vital qui est resté impur et plein d'ego.

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964

Aucun don de soi à l'être psychique n'est exigé, c'est au Divin que l'on se donne. On aborde le Divin par la foi; l'expérience concrète est une conséquence de la sâdhanâ. On ne peut pas exiger une expérience directe sans rien faire pour y préparer la conscience.

Si l'on entend l'appel, on y répond; s'il n'y a pas d'appel, alors il n'est pas nécessaire de chercher le Divin. La foi suffit pour commencer; l'idée qu'il faut comprendre et réaliser avant de pouvoir chercher est une erreur mentale et si elle était juste, elle rendrait toute sâdhanâ impossible: la réalisation ne peut être qu'un résultat de la sâdhanâ, non sa condition préalable.

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965

J'ai parlé d'une foi centrale forte et si possible entière parce que votre attitude semblait indiquer que rien ne vous intéressait sinon la réponse complète, c'est-à-dire la réalisation, la présence, et que vous considérez que rien d'autre ne peut vous satisfaire, alors que vos prières ne vous apportent pas ce que vous cherchez. Mais d'ordinaire la prière ne l'apporte pas tout de suite à moins qu'il n'y ait une foi brûlante au centre ou une foi totale dans toutes les parties de l'être. Cela ne signifie pas que ceux dont la foi est moins forte ou la soumission moins complète ne peuvent pas réussir, mais en général ils doivent d'abord aller pas à pas et affronter les difficultés de leur nature jusqu'à ce que, par la persévérance ou la tapasyâ, ils obtiennent une ouverture suffisante. Même une foi vacillante ou une soumission lente et partielle ont leur force et apportent des résultats; s'il en était autrement, rares sont ceux qui pourraient faire une quelconque sâdhanâ. Ce que je voulais dire par foi centrale est une foi dans l'âme ou dans l'être central à l'arrière-plan, une foi qui est là même quand le mental doute, quand le vital se désespère et que le physique veut s'effondrer, et qui, lorsque l'attaque est passée, réapparaît et vous pousse à nouveau sur le sentier. Elle peut être forte et lumineuse, elle peut être pâle et faible en apparence, mais si chaque fois elle persiste à aller de l'avant, c'est qu'elle est authentique. Les accès de dépression, d'obscurité et de désespoir sont de tradition sur le chemin de la sâdhanâ; dans tous les yogas d'Orient ou d'Occident il semblerait qu'ils aient été de règle. Personnellement, je les connais bien, mais mon expérience m'a conduit à percevoir que cette tradition n'est pas justifiée et que l'on peut s'en dispenser si l'on veut. C'est pourquoi chaque fois que ces accès apparaissent chez vous ou chez les autres, j'essaie de brandir devant vous l'évangile de la foi. Si malgré tout ils reviennent, il faut les surmonter le plus vite possible et retourner au soleil. Votre rêve de l'océan était parfaitement vrai: la tempête et la houle ne peuvent empêcher à la longue la venue de la Grâce elle-même. C'est, je crois, ce que quelque chose en vous demande sans cesse; le miracle supramental de la Grâce; quelque chose qui ne supporte pas la contrainte de la tapasyâ, de la recherche de la perfection et du long labeur. Eh bien, ce miracle, il peut venir, il est venu à plusieurs sâdhak ici après des années d'échec cuisant, de difficultés ou de terribles luttes. Mais il vient d'ordinaire ainsi, non pas comme une Grâce qui s'épanouit lentement, mais après beaucoup de difficultés et pas dès le début. Si vous continuez à le demander en dépit d'une absence apparente de réponse, il viendra à coup sûr.

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966

Jusqu'à ce que nous connaissions la Vérité (pas mentalement, mais par l'expérience, par un changement de conscience), nous avons besoin de la foi de l'âme pour nous soutenir et pour nous accrocher à la Vérité; mais quand nous vivons dans la connaissance cette foi se change en connaissance.

Je parle évidemment de connaissance spirituelle directe. La connaissance mentale ne peut pas remplacer la foi; tant que la connaissance n'est que mentale, la foi est encore nécessaire.

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967

La foi précède la connaissance, elle ne vient pas après. Elle est l'aperçu d'une vérité que le mental n'a pas encore saisie comme connaissance.

Ce n'est pas par l'intellect que l'on peut progresser dans le yoga, mais par la réceptivité psychique et spirituelle; de même pour la connaissance et la vraie compréhension: elles se développent dans la sâdhanâ par la croissance de l'intuition, non par celle de l'intellect physique.

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968

Pour les choses de nature subtile qui concernent le fonctionnement de la conscience dans la sâdhanâ, on doit apprendre à sentir, à observer et à voir avec la conscience intérieure et décider par intuition, en jetant sur les choses un regard souple qui n'érige pas de définitions et de règles fixes comme on est obligé de le faire dans la vie extérieure.

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969

Ayez foi en le Divin, en la Grâce divine, en la vérité de la sâdhanâ, en le triomphe final de l'esprit sur les difficultés mentales, vitales et physiques; ayez foi en le Sentier et en le Gourou, en l'expérience d'autres choses que celles qui sont écrites dans la philosophie de Haeckel, Huxley ou Bertrand Russell, parce que si ces choses ne sont pas vraies, le yoga n'a aucune signification.

Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre V.

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970

Je ne vois pas en quoi la méthode de la foi dans les cellules pourrait être assimilée à prendre la lune avec les dents. Personne n'a jamais pris la lune avec les dents alors que la guérison par la foi dans les cellules est un fait et une loi de la Nature qui a été démontrée bien souvent, même en dehors du yoga. Le moyen d'acquérir la foi et toutes les autres choses est de s'obstiner à les avoir et de refuser de fléchir, de désespérer ou d'abandonner jusqu'à ce qu'on les ait; c'est par ce moyen que tout à été acquis depuis que cette terre difficile a commencé à porter des créatures qui pensent et qui aspirent. Il consiste à s'ouvrir sans cesse et sans relâche à la Lumière et à tourner le dos à l'Obscurité. Il consiste à refuser d'écouter les voix qui répètent avec insistance: "Tu ne peux pas, tu ne le feras pas, tu es incapable, tu es le pantin d'un rêve," car ces voix sont hostiles, elles vous coupent du résultat qui allait venir par leurs clameurs stridentes et ensuite montrent triomphalement la nullité du résultat comme preuve de leur thèse. La difficulté de l'entreprise est connue, mais difficile ne signifie pas impossible: ce qui est difficile a toujours fini par être accompli et tout ce qui a une valeur dans l'histoire de la terre est fait de victoires sur les difficultés. Dans l'entreprise spirituelle il en sera de même.

Vous n'avez qu'à prendre la résolution de tuer le Râkshasa et les portes s'ouvriront devant vous comme elles se sont ouvertes devant bien d'autres qui étaient freinés par leur propre nature mentale et vitale.

Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre V.

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971

Il y a deux sortes de foi:

La foi qui appelle la descente de l'égalité d'âme et la foi qui appelle la descente de la réalisation.

Ces deux sortes de foi correspondent à deux aspects différents du Divin:

Il y a le Divin transcendant, et il y a le Divin cosmique.

La Volonté de réalisation appartient au Divin transcendant.

Le Divin cosmique est celui qui s'occupe de la marche des choses dans les circonstances actuelles. C'est la Volonté de ce Divin cosmique qui se manifeste dans chaque circonstance, chaque mouvement de ce monde.

Pour notre conscience ordinaire, la Volonté cosmique n'agit pas comme un pouvoir indépendant qui fait tout ce qu'il choisit de faire: il agit au moyen de tous ces êtres, des forces en jeu dans le monde, par l'intermédiaire de la loi de ces forces et de leurs résultats; ce n'est que lorsque nous nous ouvrons à elle et que nous sortons de la conscience ordinaire que nous pouvons la sentir qui intervient comme un pouvoir indépendant, outrepassant le jeu ordinaire des forces.

Nous pouvons alors voir aussi que même dans le jeu des forces et en dépit de leurs déformations, la Volonté cosmique œuvre en vue de l'ultime réalisation de la Volonté du Divin transcendant. La Réalisation supramentale est la Volonté du Divin transcendant que nous devons accomplir. Les circonstances dans lesquelles nous devons l'accomplir sont celles d'une conscience inférieure où les choses peuvent être déformées par notre propre ignorance, nos faiblesses et nos erreurs, et par le choc des forces antagonistes. C'est pourquoi la foi et l'égalité d'âme sont indispensables.

Nous devons avoir la foi qu'en dépit de notre ignorance, de nos erreurs et de nos faiblesses, en dépit des attaques des forces hostiles, en dépit de tout ce qui, dans l'immédiat, nous apparaît comme un échec, la Volonté divine nous conduit, à travers chaque circonstance, vers la Réalisation finale. Cette foi nous donnera l'égalité d'âme; c'est une foi qui accepte les événements non pas définitivement, mais comme des choses par où il faut passer sur le chemin. L'égalité d'âme établie, une autre sorte de foi peut s'établir aussi, soutenue par elle, qui peut être rendue dynamique par ce qui vient de la conscience supramentale, qui peut surmonter les circonstances présentes, déterminer ce qui se produira et aider à faire descendre la Réalisation de la Volonté du Divin transcendant.

La foi qui s'adresse au Divin cosmique est limitée, dans le pouvoir de son action, par les nécessités du jeu.

Pour se libérer entièrement de ces limitations, il faut atteindre le Divin transcendant.

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972

Dans le jeu des forces cosmiques, ce qu'on pourrait appeler la volonté dans le cosmos ne contribue pas toujours de façon évidente au déroulement direct et sans heurts de la sâdhanâ: souvent, elle introduit d'apparents bouleversements, des tournants soudains qui interrompent ou font dévier la route, des circonstances contraires ou troublantes, des écarts déconcertants par rapport à ce qui avait été temporairement décidé ou établi. La seule chose à faire est de conserver l'égalité et de transformer en occasion et en moyen de progrès tout ce qui arrive dans le cours de la vie et de la sâdhanâ. Il y a une Volonté secrète suprême et transcendante derrière le jeu et la volonté des forces cosmiques — jeu qui est toujours un mélange d'éléments favorables et défavorables- et c'est cette Volonté que l'on doit servir, c'est à elle qu'il faut se fier; mais vous ne devez pas vous attendre à être toujours capable de comprendre sa manière d'agir. Le mental veut que ceci ou cela soit fait, il veut suivre le chemin qu'il a adopté, mais ce que veut le mental n'est pas toujours conforme aux intentions d'un dessein plus vaste. Il faut, c'est vrai, poursuivre un but central fixe dans la sâdhanâ et ne pas en dévier, mais il ne faut rien échafauder sur les circonstances, les conditions extérieures, etc., comme si elles étaient fondamentales.

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973

Il ne peut pas y avoir de réponse à la question que vous posez dans votre dernière lettre, sinon que seule une foi sans faille ou une volonté immuable peut vous ouvrir la route du yoga. C'est parce que vos idées et votre volonté sont sans cesse en train de fluctuer ou d'osciller que vous ne réussissez pas. Même si votre foi est défectueuse, un mental et une volonté fermes peuvent vous porter et amener les expériences grâce auxquelles votre foi incertaine se changera en certitude.

C'est pour cette raison qu'il m'est difficile de répondre à vos questions concernant les différentes options possibles. Je puis dire que la voie de la Guîtâ fait elle-même partie de notre yoga et ceux qui l'ont suivie au commencement ou dans les premiers stades ont une base plus solide que les autres pour ce yoga. Il n'est par conséquent pas juste de la regarder de haut en la considérant comme une chose à part et inférieure. Quoi qu'il en soit, le choix vous appartient, personne ne peut le faire pour vous. Ceux qui vont et viennent ne peuvent en tirer profit qu'à condition d'en avoir pris la décision et de s'y tenir, ou parce qu'ils l'ont prise et s'y tiennent: quand ils sont ici, c'est pour le yoga qu'ils sont venus; quand ils sont ailleurs, la volonté de yoga demeure en eux. Vous devez vous débarrasser de vos constantes ratiocinations et voir si, oui ou non, vous pouvez vivre sans l'impulsion qui vous conduit au yoga: si vous ne le pouvez pas, alors il est inutile de penser à mener la vie ordinaire sans yoga, votre nature vous contraindra à le chercher, même si vous devez le chercher toute votre vie avec peu de résultat. Mais la petitesse du résultat est due principalement au mental qui s'interpose toujours et à la faiblesse vitale qui le soutient dans ses raisonnements. Si vous vous décidiez avec une volonté irrévocable, vous auriez une chance de réussir; que vous la poursuiviez ici ou ailleurs, la différence serait minime.

Je vous ai suggéré d'appliquer la méthode de la Guîtâ parce que l'ouverture nécessaire au yoga pratiqué ici semble être trop difficile pour vous. Si vous étiez moins exigeant vis-à-vis de vous-même, vos chances seraient plus grandes. En tout cas si vous ne pouvez pas retourner à la vie ordinaire et que vous n'êtes pas ouvert au Pouvoir qui est ici, cette voie semble être la seule qui s'offre à vous.

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974

Il suffit d'une volonté ferme et constante qui tend vers la foi et l'offrande de soi. Il est entendu qu'il n'est pas possible à la nature humaine d'être toujours exempte de mouvements de doute, d'obscurité ou de choses qui ne sont pas encore offertes, tant que la conscience intérieure n'a pas suffisamment grandi pour qu'il ne puisse en être autrement. C'est pour cette raison que la volonté est nécessaire, afin que la Force puisse travailler à éliminer tout cela avec le plein consentement et la pleine volonté du mental et du cœur du sâdhak. Essayer de rejeter ces mouvements et d'acquérir une volonté permanente suffit, car c'est cet effort qui, à la longue, amène la permanence.

Si dans votre expérience le sommeil était si profond, c'était afin de vous faire pénétrer profondément au-dedans et, aussitôt que vous l'avez fait, vous êtes entré dans l'état psychique et spirituel qui prend la forme d'un beau maidān dans un flot de lumière blanche, dans la fraîcheur et dans la paix. L'escalier symbolisait l'ascension depuis cet état psychique et spirituel jusqu'à des niveaux de plus en plus élevés de la conscience spirituelle où est la source de la lumière. La main de la Mère était le symbole de sa présence et de son aide qui vous tireront vers le haut et vous conduiront jusqu'au sommet de l'échelle.

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975

La foi peut être tamasique et inefficace, par exemple: "Je crois que la Mère fera tout, alors je ne ferai rien. Quand elle le voudra, elle me transformera." Ce n'est pas là une foi dynamique, c'est une foi statique et inerte.

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976

La foi, la confiance en Dieu, la soumission et le don de soi au Pouvoir divin sont nécessaires et indispensables. Mais avoir confiance en Dieu ne doit pas être une excuse pour s'abandonner à l'indolence, à la faiblesse et aux impulsions de la nature inférieure; il faut en même temps une aspiration infatigable et un rejet persistant de tout ce qui fait obstacle à la Vérité divine. La soumission au Divin ne doit pas devenir une excuse, un masque ou une occasion de se soumettre à ses propres désirs et à ses mouvements inférieurs ou à son ego, ou à quelque force d'ignorance ou d'obscurité qui faussement se donne l'apparence du Divin.

Les Bases du Yoga, chapitre II. Traduction de la Mère.

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977

On doit se reposer sur le Divin et pourtant faire une certaine sâdhanâ qui donne la capacité de recevoir: le Divin accorde le fruit non à la mesure de la sâdhanâ, mais à la mesure de la sincérité de l'âme et de son aspiration (par sincérité de l'âme, j'entends sa soif du Divin et son aspiration à la vie supérieure). Je voudrais aussi vous dire qu'il n'est pas bon de se faire du souci: "Je serai ceci, je serai cela, que serai-je?" Dites: "Je suis prêt à être non ce que je veux, mais ce que le Divin veut que je sois;" tout le reste doit se faire sur cette base.

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978

Une fois de plus vous avez saisi le bon principe: être tout entier pour la Mère et avoir pleinement confiance qu'il surfit de continuer en toute tranquillité à avoir confiance; tout ce qui est nécessaire viendra, et tout ce que veut le Divin sera fait. Les fonctionnements du monde sont trop subtils, étranges et complexes pour que le mental humain les comprenne; c'est seulement quand la connaissance vient d'en haut et que l'on a été porté dans la conscience supérieure que la compréhension peut venir. Dans l'intervalle, il faut suivre ce que dicte, sur la base de cette foi et de cet amour, le cœur psychique profond au-dedans, seule étoile qui nous guide avec certitude.

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979

Je vous ai déjà expliqué tout cela. Il est vrai qu'abandonné à vous-même vous ne pouvez rien faire; c'est pourquoi vous devez être en contact avec la Force dont le rôle est de faire pour vous ce que vous ne pouvez pas faire par vous-même. La seule chose que vous devez faire, c'est permettre à la force d'agir et vous ranger de son côté, et cela signifie avoir foi en elle, vous reposer sur elle, ne pas vous troubler ni vous harceler vous-même, vous en souvenir avec tranquillité, faire appel à elle avec tranquillité, la laisser agir avec tranquillité. Si vous faites cela, tout le reste sera fait pour vous; pas tout de suite, parce qu'il y a beaucoup à déblayer, mais tout de même ce sera fait, sans à-coup et de plus en plus.

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980

La Grâce et le Pouvoir du Divin peuvent tout faire, mais seulement s'ils ont le plein consentement du sâdhak. Apprendre à donner ce plein consentement est tout le sens de la sâdhanâ. Cela peut prendre du temps, à cause des idées dans le mental, des désirs dans le vital ou de l'inertie dans la conscience physique, mais tout cela doit être éliminé et peut l'être avec l'aide de la Force divine ou par un appel à son action.

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981

Ne permettez à aucun découragement de vous envahir; ne perdez pas confiance en la Grâce divine. Quelles que soient les difficultés autour de vous, quelles que soient les faiblesses en vous, si vous vous accrochez fermement à votre foi et à votre aspiration, le Pouvoir secret vous aidera à les surmonter et vous ramènera ici. Même si vous êtes accablé par les résistances et les difficultés, même si vous trébuchez, même si la voie vous semble fermée, ne lâchez pas votre aspiration; si la foi est voilée pendant un temps, tournez-vous toujours vers nous, mentalement et dans le cœur, et le voile sera retiré. L'aide extérieure sous forme de lettres, nous sommes tout prêts à vous la donner... Mais restez ferme sur le chemin; alors les choses finiront par s'épanouir d'elles-mêmes et les circonstances céderont à l'esprit au-dedans.

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982

La difficulté a dû venir d'un manque de confiance et d'obéissance. Car la méfiance et la désobéissance sont comme le mensonge (elles sont elles-mêmes des faussetés, fondées sur des idées et des impulsions fausses), elles s'insinuent dans l'action du Pouvoir, l'empêchent de se faire sentir ou d'agir pleinement et diminuent la force de la Protection.

Vous devez prendre la vraie attitude, non seulement dans votre concentration intérieure mais dans vos actes et dans vos mouvements extérieurs. Si vous faites cela et que vous mettiez tout sous la direction de la Mère, vous vous apercevrez que les difficultés commencent à diminuer ou qu'elles sont beaucoup plus faciles à surmonter et que tout devient régulièrement plus simple. Il faut faire dans votre travail et dans vos activités comme dans votre concentration. Ouvrez-vous à la Mère, mettez-les sous sa direction, appelez la paix, le Pouvoir qui soutient, la protection, et pour qu'ils puissent agir, rejetez toutes les mauvaises influences qui pourraient intervenir en créant des mouvements faux, négligents ou inconscients.

Suivez ce principe et votre être tout entier s'unifiera sous une direction unique, dans la paix, la Lumière et le Pouvoir qui abritent.

Les Bases du Yoga, chapitre in. Traduction de la Mère.

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983

Elles [la foi, la soumission et la samatā] doivent être introduites dans chaque partie, chaque atome de l'être pour qu'il ne puisse plus y avoir, où que ce soit, aucune possibilité de vibration contraire.

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984

Quelles que soient les circonstances adverses qui se présentent, vous devez y faire face avec courage; elles disparaîtront et l'aide viendra. La vraie attitude, faite de foi et de courage, doit toujours être conservée dans la vie et le travail, et aussi dans l'expérience spirituelle.

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985

Dans les moments d'épreuve la foi en la divine protection et l'appel à cette protection; à tout moment, la foi que ce que veut le Divin est le mieux.

C'est ce qui vous tourne vers le Divin que vous devez accepter comme bon pour vous; tout ce qui vous détourne du Divin est mauvais pour vous.

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986

Vos ennuis n'ont d'autre cause que le fait que vous soyez toujours prêt à les écouter frapper à la porte et à leur ouvrir. Si us ne désirez que le Divin, la certitude que vous l'atteindrez est absolue, mais toutes ces questions et toutes ces doléances à chaque mouvement ne font que retarder; elles sont comme un rideau toujours prêt à descendre devant le cœur et les yeux. Car à chaque pas, chaque fois que vous ferez un progrès, les forces contraires vous lanceront ces doutes dans les jambes comme une corde et arrêteront votre marche en vous faisant tomber; c'est leur métier3 d'agir ainsi... Il faut dire: "Puisque je ne veux rien que le Divin, mon succès est assuré: je n'ai qu'à avancer en toute confiance et Sa Main sera là, me conduisant en secret vers Lui, à Sa manière et en Son temps." C'est la formule que vous devez garder constamment en vous comme un mantra. On peut douter de tout le reste, mais le fait que celui qui ne désire que le Divin atteindra le Divin est une certitude plus certaine que deux et deux font quatre. Telle est la foi que chaque sâdhak doit avoir au fond de son cœur, le soutenant à travers tous les faux pas, tous les coups et toutes les épreuves. Seules les idées fausses qui projettent encore leurs ombres sur votre mental vous empêchent de l'avoir. Écartez-les et la difficulté se cassera les reins.

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987

Gardez fermement la foi en la victoire de la Lumière et faites face avec une calme égalité d'âme aux résistances qu'opposent la Matière et la personnalité humaine à leur propre transformation.

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988

La transformation complète de la nature se produira: ce n'est pas un espoir, mais une certitude.

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989

Même s'il y a beaucoup d'obscurité — et ce monde en est plein, et la nature physique de l'homme aussi — un rayon de la vraie Lumière peut pourtant l'emporter à la longue sur une obscurité dix fois plus grande. Croyez-le et accrochez-vous à cela toujours.

V

990

La consécration consiste à se donner au Divin, à donner tout ce que l'on est ou tout ce que l'on a au Divin, à ne rien considérer comme sa propre possession, à obéir à la seule volonté divine et à nulle autre, à vivre pour le Divin et non pour l'ego.

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991

Le don de soi consiste à être tout entier entre les mains de la Mère, à ne résister en aucune manière, par égoïsme ou pour toute autre cause, à sa Lumière, à sa Connaissance, à sa Volonté, à l'action de sa Force, etc.

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992

C'est alors un saṅkalpa de soumission. Mais il faut se soumettre à la Mère; pas même à la Force, mais à la Mère elle-même.

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993

Toute cette complication est inutile. Si le psychique se manifeste, il ne vous demandera pas de vous consacrer à lui, mais de vous consacrer à la Mère.

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994

Le Divin se donne à ceux qui se donnent eux-mêmes au Divin sans réserve et dans toutes les parties de leur être. À eux le calme, la lumière, le pouvoir, la béatitude, la liberté, l'étendue, les sommets de la connaissance, les océans de l'Ânanda.

Lumières sur le Yoga, chapitre III. Traduction de la Mère.

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995

Ce passage4 s'entend seulement au sens intérieur; il ne s'agit en rien de grandeur extérieure. Toute soumission est considérée par l'ego comme une dégradation et un amoindrissement, mais en réalité la soumission au Divin accroît et grandit l'être: c'est ce que cela veut dire.

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996

Sans consécration, il ne peut y avoir de transformation totale de l'être.

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997

Si l'on voulait le Divin, le Divin lui-même se chargerait de purifier le cœur, de faire avancer la sâdhanâ et de donner les expériences nécessaires; cela peut arriver et il en est ainsi lorsqu'on a envers le Divin un sentiment de certitude confiante et la volonté de se consacrer. Pour que le Divin se charge de la sâdhanâ, il faut en effet se placer entre ses mains au lieu de se fier seulement à ses propres efforts; il faut faire confiance au Divin et se donner à lui de plus en plus. C'est en fait ce principe que j'ai appliqué dans ma propre sâdhanâ et c'est le processus central du yoga tel que je l'envisage. C'est aussi, je suppose, ce que Sri Râmakrishna voulait dire par sa métaphore du petit chat. Mais tous ne peuvent suivre cette méthode dès le début: il leur faut du temps pour y accéder; elle se développe surtout quand le mental et le vital sont calmés.

Par consécration, j'entends la consécration intérieure du mental et du vital. Il y a aussi, évidemment, la consécration extérieure, l'abandon de tout ce qui se trouve en conflit avec l'esprit ou les nécessités de la sâdhanâ, l'offrande, l'obéissance au Divin Guide, que ce soit directement — lorsqu'on a atteint ce stade — ou par l'intermédiaire du psychique, ou encore en suivant les conseils du Gourou. Je dois dire que le prāyopaveśana (jeûne prolongé) n'a rien à voir avec la consécration: c'est une forme de tapasyâ d'un genre très austère et, à mon avis, très excessif et souvent dangereux.

Le cœur de la consécration intérieure est la confiance en le Divin et le sentiment de certitude qui l'accompagne. L'attitude à prendre est: "Je veux le Divin et rien d'autre. Je veux me donner entièrement à lui et puisque c'est ce que veut mon âme, je le rencontrerai et le réaliserai: il ne peut en être autrement. Je ne demande rien de plus sinon qu'il agisse en moi pour m'amener à lui par une action cachée ou visible, voilée ou manifeste. Je n'insiste pas pour que cela arrive à mon heure et à ma manière; qu'il fasse tout à sa manière et à son heure; je croirai en lui, j'accepterai sa volonté, j'aspirerai sans relâche à sa lumière, à sa présence, à sa joie, j'irai à travers toutes les difficultés, tous les retards, m'en remettant à Lui, n'abandonnant jamais. Que mon mental soit calme, qu'il fasse confiance au Divin et lui permette de l'ouvrir à sa lumière; que mon vital soit tranquille et se tourne vers lui seul, qu'il lui permette de l'ouvrir à son calme et à sa joie. Tout pour lui et moi pour lui. Quoi qu'il arrive, je me tiendrai à cette aspiration et à ce don de moi-même et je continuerai, m'en remettant à lui, parfaitement confiant que tout sera fait."

Telle est l'attitude que l'on doit adopter peu à peu; car elle ne saurait être parfaite d'un seul coup: les mouvements du mental et du vital interviennent, mais si l'on garde la volonté d'y parvenir, elle grandira dans l'être. Pour le reste il surfit d'obéir à la Direction quand elle se manifeste, sans permettre aux mouvements du vital et du mental d'y faire obstacle.

Je ne prétends pas que cette voie soit la seule ni que la sâdhanâ ne puisse pas être faite autrement: il y a bien d'autres manières d'approcher le Divin; mais c'est la seule que je connaisse où le fait que le Divin se charge de la sâdhanâ devienne perceptible avant même que la préparation de la nature soit achevée. Dans d'autres méthodes l'action du Divin peut être sentie par moments, mais elle reste la plupart du temps derrière le voile jusqu'à ce que tout soit prêt. Certaines sâdhanâ ne reconnaissent pas l'action divine: tout doit se faire par tapasyâ. La plupart d'entre elles combinent les deux; la tapasyâ finit par appeler l'aide et l'intervention directes. L'idée et l'expérience d'un Divin qui fait tout appartiennent à un yoga fondé sur la consécration. Mais quel que soit le chemin suivi, la seule chose à faire est d'y être fidèle et d'aller jusqu'au bout.

Le Divin peut tout faire — purifier le cœur et la nature, éveiller la conscience intérieure, retirer les voiles — si l'on se donne à lui avec confiance; et même si l'on ne peut pas le faire complètement dès le début, plus on le fait, plus l'aide et la direction intérieures viennent et plus l'expérience intérieure du Divin s'accroît. Si le mental questionneur devient moins actif et qu'augmentent l'humilité et la volonté de se soumettre à lui, cela devrait être tout à fait possible. Aucune autre force, aucune autre tapasyâ n'est alors nécessaire: celle-ci suffit.

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998

Dans la première période de la sâdhanâ (et par là je n'entends pas une période brève), l'effort est indispensable. Soumettez-vous, bien entendu, mais la soumission n'est pas une chose qui s'effectue en un jour. Le mental a ses idées et il s'y cramponne; le vital humain résiste à la soumission, car ce qu'il appelle soumission, au début, est un don de soi d'un genre douteux, mélangé d'exigences; la conscience physique est comme une pierre, et ce qu'elle appelle soumission n'est souvent rien d'autre que de l'inertie. C'est seulement le psychique qui sait se soumettre, et le psychique est en général très voilé au commencement. Quand le psychique s'éveille, il peut amener une soumission brusque et véritable de l'être tout entier, car la difficulté soulevée par le reste est vite surmontée et disparaît. Mais jusque-là, l'effort est indispensable. Ou du moins il est nécessaire jusqu'à ce que d'en haut, la Force se déverse à flots dans l'être et se charge de la sâdhanâ, la fasse pour nous de plus en plus, laissant à l'effort individuel un rôle de moins en moins grand. Cependant, même alors, l'aspiration et la vigilance, sinon l'effort, sont pour le moins nécessaires jusqu'à ce que le mental, la volonté, la vie et le corps soient complètement possédés par le Pouvoir divin. J'ai traité de ce sujet, je crois, dans l'un des chapitres de La Mère.

Par contre, il est des gens qui, dès le début, partent d'une volonté sincère et dynamique de faire une soumission totale. Ce sont ceux qui sont gouvernés par le psychique ou par une volonté mentale lucide et éclairée qui, lorsqu'elle a accepté la soumission comme loi de la sâdhanâ, n'admet plus aucune sottise et exige que les autres parties de l'être suivent sa direction. Là, il y a encore effort; mais cet effort est si facile et spontané, et il se sent tellement appuyé derrière par une Force qui le dépasse, que le sâdhak se rend à peine compte qu'il fait un effort. Mais quand le mental et le vital sont déterminés à conserver leur volonté autonome et répugnent à renoncer à l'indépendance de leurs mouvements, il faut bien qu'il y ait lutte et effort jusqu'à ce que soit brisé le mur entre l'instrument qui est en avant et la Divinité derrière ou au-dessus. On ne peut fixer aucune règle applicable à tous sans distinction; les variations de la nature humaine sont trop grandes pour qu'une unique règle tranchante convienne à tous les cas.

Lumières sur le Yoga, chapitre in. Traduction de la Mère.

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999

Il n'est pas possible de se débarrasser immédiatement de cette insistance sur l'effort personnel, et ce n'est pas toujours désirable, car l'effort personnel est préférable à l'inertie tamasique.

L'effort personnel doit être progressivement transformé en un mouvement de la Force divine. Si vous êtes conscient de la Force divine, appelez-la de plus en plus pour qu'elle gouverne votre effort, qu'elle en prenne la charge et le transforme en quelque chose qui ne soit plus à vous, mais à la Mère. Il se produira une sorte de transfert, une prise en main des forces qui travaillent dans l'âdhâr personnel, un transfert qui ne sera pas subitement complet, mais progressif. Mais l'équilibre psychique est nécessaire: on doit cultiver le discernement qui voit exactement ce qui vient de la Force divine, ce qui vient de l'élément d'effort personnel et ce qui s'introduit comme mélange des forces cosmiques inférieures. Et jusqu'à ce que le transfert soit complet — ce qui prend toujours du temps — il faut toujours la contribution personnelle d'un consentement constant à la Force vraie et un constant rejet de tout mélange inférieur.

Pour le moment, ce n'est pas de cesser l'effort personnel qu'il faut, mais d'appeler de plus en plus le Pouvoir divin pour qu'il gouverne et guide la tentative personnelle.

Les Bases du Yoga, chapitre II. Traduction de la Mère.

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1000

Aux premiers stades de la sâdhanâ, il n'est pas à recommander de laisser tout au Divin et de tout attendre de lui sans qu'il soit besoin de rien entreprendre personnellement. Ce n'est possible que quand l'être psychique est au premier plan et qu'il influence toute l'action (et même alors, une vigilance et un assentiment constants sont nécessaires), ou bien plus tard, aux dernières étapes du yoga, quand une force supramentale directe, ou presque directe, se saisit de la conscience; mais ce dernier état est encore très éloigné. En d'autres conditions, cette attitude risque de mener à la stagnation et à l'inertie.

Seules les parties les plus mécaniques de l'être peuvent dire avec vérité qu'elles sont impuissantes, surtout la conscience physique (matérielle) qui est inerte par nature et mue par le mental ou le vital, ou par les forces supérieures. Mais on a toujours le pouvoir de mettre au service du Divin la volonté mentale ou l'élan vital. On ne peut pas être sûr d'un résultat immédiat, car l'obstruction de la Nature inférieure ou la pression des forces adverses réussit souvent à contrarier pendant un temps, et même pendant longtemps, le changement nécessaire. Il faut alors persister, mettre toujours sa volonté du côté du Divin en rejetant ce qui doit être rejeté, en s'ouvrant à la vraie Lumière et à la vraie Force, en invoquant leur descente avec tranquillité et constance, sans se lasser, sans dépression ni impatience, jusqu'à ce que l'on sente la Force divine à l'œuvre et les obstacles qui commencent à céder.

Vous dites que vous êtes conscient de votre ignorance et de votre obscurité. Si c'est seulement une conscience générale, ce n'est pas suffisant. Mais si vous en êtes conscient en détail, dans le fonctionnement pratique, cela suffit pour commencer: vous devez rejeter résolument les fonctionnements faux dont vous avez conscience et faire de votre mental et de votre vital un champ clair et tranquille pour l'action de la Force divine.

Les Bases du Yoga, chapitre II. Traduction de la Mère.

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1001

La consécration est active quand vous associez votre volonté à la Volonté divine, quand vous rejetez ce qui n'est pas le Divin, quand vous donnez votre assentiment à ce qui est le Divin. La consécration est passive quand tout est laissé entièrement au Divin; bien peu en sont capables car dans la pratique, le résultat est que vous vous soumettez à la nature inférieure sous prétexte de vous soumettre au Divin.

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1002

Il y a deux possibilités: l'une est la purification par l'effort personnel, qui prend beaucoup de temps, l'autre est une intervention directe de la Grâce divine dont l'action, en général, est rapide. Cette intervention ne peut se produire que si la consécration et le don de soi sont complets et pour qu'ils le soient, il faut d'ordinaire que le mental soit capable de rester tout à fait tranquille et de laisser agir la Force divine en la soutenant à chaque pas par une adhésion complète, tout en demeurant calme et immobile. Cet état, qui est comparable à l'attitude du petit chat dont parle Râmakrishna, est difficile à acquérir. Ceux qui sont habitués, dans tout ce qu'ils font, à un mouvement très actif de la pensée et de la volonté ont du mal à calmer l'activité pour passer à la quiétude du don de soi mental. Cela ne signifie pas qu'ils sont incapables de faire le yoga ou qu'ils ne peuvent pas parvenir au don de soi; seulement il faut beaucoup de temps pour que la purification et le don de soi deviennent complets: il y faut beaucoup de patience et de ténacité, et aussi la détermination d'aller jusqu'au bout.

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1003

Une soumission complète n'est pas possible en si peu de temps, car une soumission complète implique que le nœud de l'ego soit coupé dans toutes les parties de l'être et que celui-ci soit offert, intégral et libre, au Divin. Le mental, le vital et la conscience physique (et même chacune de leurs parties en chacun de ses mouvements) doivent se soumettre l'un après l'autre, abandonner leur manière propre et accepter la manière du Divin. Mais ce que l'on peut faire, c'est prendre dès le début une résolution centrale de consécration et appliquer cette résolution de toutes les façons possibles, à chaque pas, en profitant de chaque occasion pour parfaire le don de soi.

La soumission dans une direction rend les autres plus faciles, plus inévitables; mais d'elle-même, elle ne suffit pas à couper ni à délier les autres nœuds, surtout ceux qui sont très intimement liés à la présente personnalité et à ses formations les plus chères; ceux-là présentent souvent de grandes difficultés, même une fois que la volonté centrale s'est fixée et que les premiers sceaux de la pratique ont été apposés sur sa résolution.

Les Bases du Yoga, chapitre II. Traduction de la Mère.

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1004

Elle [l'attitude de consécration] ne peut pas être absolument complète au début, mais elle peut être vraie si la volonté centrale est sincère et si la foi et la bhakti sont là. Des mouvements contraires pourront se produire, mais ils ne pourront persister longtemps et l'imperfection du don de soi dans la partie inférieure n'opposera pas d'obstacle sérieux.

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1005

Tout dépend de ce que l'on veut dire par don de soi absolu: une expérience dans l'une des parties de l'être ou un fait dans toutes les parties de l'être. La première peut venir facilement à n'importe quel moment, c'est pour que le second devienne complet qu'il faut du temps.

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1006

Le don de soi absolu ne doit pas être seulement une expérience en méditation, mais un fait qui gouverne toute la vie, toutes les pensées, tous les sentiments, toutes les actions. Jusque là, il faut utiliser la volonté et l'effort personnels, mais l'effort doit contenir aussi l'esprit de soumission qui fait appel à la Force pour soutenir la volonté et l'effort, et qui n'est troublé ni par le succès ni par l'échec. Quand la Force se chargera de la sâdhanâ, l'effort pourra vraiment cesser, mais l'assentiment constant de l'être restera pourtant nécessaire, et aussi la vigilance afin qu'à aucun moment, aucune Force mensongère ne puisse être admise.

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1007

[L'idée que la sâdhanâ est faite par le Divin et non par soi-même:] C'est une vérité, mais cette vérité ne produit ses effets dans la conscience qu'à partir du moment où elle est réalisée ou dans la mesure où elle l'est. Ceux qui stagnent pour cette raison sont ceux qui acceptent cette idée sans la réaliser, de sorte qu'ils n'ont ni la force de la tapasyâ, ni celle de la Grâce divine. Au contraire, ceux qui peuvent la réaliser sentent, même derrière leur tapasyâ et en elle, l'action de la Force divine.

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1008

Quant à ceux qui ne font aucun effort (cette absence d'effort est en elle-même une difficulté), ils ne progressent pas.

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1009

Parler de soumission ou n'avoir qu'une simple idée, un tiède désir de la consécration intégrale ne suffit pas; il faut vouloir avec élan la transformation radicale et totale.

Ce n'est pas en adoptant simplement une attitude mentale que cette transformation peut se faire, ni même par des quantités d'expériences intérieures qui laissent l'homme extérieur tel qu'il est. C'est cet homme extérieur qui doit s'ouvrir, se soumettre et changer. La moindre de ses habitudes, de ses actions, le moindre de ses mouvements doit être soumis, vu, présenté, exposé à la Lumière divine, offert à la Force divine pour que ses vieilles formes, ses vieux mobiles, soient détruits et que la Vérité divine et l'action de la conscience transformatrice de la Mère divine prennent leur place.

Lumières sur le Yoga, chapitre III. Traduction de la Mère.

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1010

Si la soumission n'est pas complète, alors il n'est pas possible d'adopter l'attitude du petit chat: elle devient une simple passivité tamasique qui prétend être une soumission. Si, au début, la soumission ne peut pas être complète, il s'ensuit que l'effort personnel est nécessaire.

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1011

Les mouvements mécaniques sont toujours plus difficiles à arrêter par la volonté mentale, parce qu'ils ne dépendent pas le moins du monde de la raison ni d'aucune justification mentale; ils se fondent sur des associations ou simplement sur une mémoire et une habitude mécaniques.

La pratique du rejet finit par triompher; mais par le seul effort personnel, cela peut prendre très longtemps. Si vous pouvez sentir le Pouvoir divin travailler en vous, cela devient plus facile.

Il ne faut rien d'inerte ni de tamasique dans le don de soi à la Direction intérieure; aucune partie du vital ne doit en faire une excuse pour ne pas rejeter les suggestions des impulsions et des désirs inférieurs.

Il y a toujours deux manières de faire le yoga. L'une, par l'action d'un mental et d'un vital vigilants qui voient, observent, pensent et décident ce qui doit ou ne doit pas être fait. Bien entendu, cette action s'appuie sur la Force divine qu'elle tire ou appelle, car autrement on ne peut pas grand'chose. Mais c'est encore l'effort personnel qui prédomine et prend la plus grande part du fardeau.

L'autre manière est celle de l'être psychique: la conscience s'ouvre au Divin, et non seulement elle ouvre l'être psychique et l'amène au premier plan, mais elle ouvre aussi le mental, le vital et le physique, reçoit la Lumière, perçoit ce qui doit être fait, sent et voit que c'est par la Force divine elle-même que c'est fait, tout en aidant constamment le travail du Divin par son propre consentement et son appel vigilants et conscients.

D'ordinaire, il y a toujours un mélange de ces deux manières jusqu'à ce que la conscience soit prête à s'ouvrir complètement et à accepter complètement le Divin comme source de tous ses actes. Alors, toute responsabilité cesse et tout fardeau personnel disparaît des épaules du sâdhak.

Les Bases du Yoga, chapitre II. Traduction de la Mère.

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1012

Tant qu'il n'y a pas la pleine présence et que l'on n'est pas conscient du travail de la Force supérieure, un certain effort personnel est indispensable. Faire la sâdhanâ pour le Divin et non pour soi est évidemment la vraie attitude.

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1013

Tout doit être fait pour le Divin, cela aussi. Quant à laisser le résultat au Divin, tout dépend de ce que vous voulez dire par cette formule. Si elle comprend implicitement la dépendance à l'égard de la Grâce divine, l'égalité d'âme, la patience dans la persévérance de l'aspiration, alors c'est très bien. Mais il ne faut pas l'élargir au point qu'elle comprenne aussi le laisser-aller et l'indifférence dans l'aspiration et l'effort.

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1014

Je ne vois pas pourquoi le don de soi, de quelque genre qu'il soit, consisterait à s'endormir ou à s'enfermer à l'écart de tout ce qui est extérieur, y compris la Mère. En tout cas, c'est un don de soi conscient qu'il faut accomplir; mais il n'est pas nécessaire qu'il s'accompagne d'une lutte agitée ou qu'il porte une attention exagérée aux défauts et aux difficultés. Quant à l'attitude de la Mère, vous devez regarder au-dedans pour la connaître; si vous regardez de l'extérieur, vous ne pourrez pas la comprendre.

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1015

La tapasyâ a prédominé dans votre sâdhanâ, car vous avez une ferveur et une énergie active qui vous y prédisposent. Aucune voie n'est facile tout au long, et dans celle du don de soi la difficulté consiste à accomplir un don de soi véritable et complet. Cela fait, les choses deviennent certes plus aisées, ce qui ne veut pas dire qu'elles se font en un rien de temps ou qu'il n'y a pas de difficulté; mais il y a alors une assurance, un soutien, une absence de tension qui donnent à la conscience le repos autant que la force et la liberté et lui épargnent les formes les plus néfastes de résistance.

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1016

Oui, évidemment, vous avez raison. Le processus de la consécration est en soi une tapasyâ. Et plus encore, un double processus de tapasyâ et de consécration croissante se poursuit en fait pendant longtemps, même quand celle-ci est bien engagée. Mais à partir d'un certain moment, on sent constamment la Présence, la Force, et l'on sent de plus en plus que c'est elle qui fait tout, de sorte que les pires difficultés ne peuvent troubler ce sentiment et que l'effort personnel n'est plus nécessaire; il devient même presque impossible. C'est le signe que la nature tout entière s'est remise entre les mains du Divin. Certains adoptent cette attitude par la foi avant même d'avoir cette expérience et si la bhakti et la foi sont fortes, elles les portent jusqu'à ce qu'ils aient l'expérience. Mais tous ne peuvent pas adopter cette attitude dès le début, et pour certains ce serait dangereux, car ils pourraient se placer entre les mains d'une Force contraire qu'ils prendraient pour le Divin. Pour la plupart il est nécessaire de croître par la tapasyâ jusqu'à la consécration.

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1017

Oui, s'il y a derrière toute la tapasyâ le sentiment que la Volonté divine la reçoit et en distribue le fruit, c'est au moins une première forme de consécration.

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1018

Quand la volonté et l'énergie sont concentrées et utilisées pour maîtriser le mental, le vital et le physique et les transformer, pour faire descendre la conscience supérieure ou pour tout autre objectif yoguique ou entreprise élevée, c'est ce qui s'appelle la tapasyâ.

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1019

Les voies du Divin ne sont pas celles du mental humain; elles ne se conforment pas à nos plans. Il est donc impossible de les juger ou de décider pour le Divin ce qu'il devra faire ou ne pas faire, car le Divin le sait mieux que nous. Si l'on admet le moins du monde l'existence du Divin, il me semble que la vraie raison et la bhakti sont toutes deux d'accord pour exiger une foi implicite et la soumission.

Les Bases du Yoga, chapitre II. Traduction de la Mère.

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1020

Pour comprendre les mouvements divins il faut entrer dans la conscience divine; jusque là, la foi et la consécration sont la seule attitude juste. Comment le mental pourrait-il juger ce qui dépasse toutes ses mesures?

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1021

La vraie attitude dans la sâdhanâ est de ne pas imposer son mental et sa volonté vitale au Divin, mais de recevoir la volonté divine et de la suivre. De ne pas dire: "J'ai droit à ceci, j'en ai besoin, je le demande, je le réclame, cela m'est nécessaire, pourquoi ne l'ai-je point?" mais de se donner, de s'abandonner et de recevoir avec joie tout ce que le Divin octroie, sans s'affliger ni se révolter. C'est la meilleure attitude. Alors, ce que vous recevrez sera la vraie chose pour vous.

Les Bases du Yoga, chapitre II. Traduction de la Mère.

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1022

Le Divin n'est pas obligé de le faire [pourvoir à tous nos besoins réels]. Il peut donner ou ne pas donner; qu'il donne ou ne donne pas est indifférent à celui qui s'est consacré à Lui. Autrement, il y a une arrière-pensée5 dans la consécration qui de ce fait n'est pas complète.

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1023

Aucun être humain ne peut de prime abord se débarrasser de toute préférence et accepter joyeusement tout ce qui vient de la Volonté divine. Ce qu'il faut au début, c'est avoir l'idée constante que ce que veut le Divin est toujours pour le mieux, même si le mental ne voit pas comment, et accepter avec résignation ce que l'on ne peut pas encore accepter avec joie; ainsi on arrive à une calme égalité qui n'est pas ébranlée même si une réaction momentanée à des événements extérieurs engendre à la surface des mouvements passagers. Cela fermement établi, le reste peut venir.

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1024

L'essence du don de soi, c'est d'accepter avec tout son cœur l'influence et la direction quand la joie et la paix descendent, de les accepter sans discuter ni ergoter et de les laisser grandir; quand on sent travailler la Force, la laisser agir sans s'y opposer; quand la Connaissance est donnée, la recevoir et s'y conformer; quand la Volonté est révélée, s'en faire l'instrument.

Le Divin peut conduire, mais il ne contraint pas. Tout être mental nommé "homme" est laissé intérieurement libre de donner son assentiment à la direction du Divin ou de ne pas le donner; sinon, comment lui serait-il possible d'effectuer une véritable évolution spirituelle?

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1025

Chacun a, jusqu'à un certain point, la liberté de choisir — à moins qu'il n'accomplisse la soumission complète — et quand il fait usage de cette liberté il doit en accepter les conséquences, spirituelles ou autres. L'aide peut seulement lui être offerte, non imposée. Le silence, l'absence de confession franche indiquent un désir du vital d'agir à sa guise. Quand il n'y a plus de dissimulation, quand le physique s'est ouvert au Divin, alors le Divin peut intervenir.

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1026

Le grand jeu du monde est basé sur un certain libre arbitre relatif dans l'être individuel. Ce libre arbitre persiste même dans la sâdhanâ et le consentement de l'individu est nécessaire à chaque pas; bien que ce soit par la consécration au Divin qu'il échappe à l'ignorance, à la séparativité et à l'ego, à chaque pas sa consécration doit être libre.

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1027

On offre au Divin afin de se débarrasser de l'illusion de la séparation: l'acte même d'offrir sous-entend que tout appartient au Divin.

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1028

Le don de soi vient d'abord par l'amour et la bhakti plutôt que par l'ātmajñāna. Mais il est vrai que l'ātmajñāna accroît la possibilité d'une soumission complète.

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1029

La soumission et la bhakti d'amour ne sont pas contradictoires, elles vont ensemble. Il est vrai que la soumission peut se faire d'abord par une connaissance du mental, mais elle entraîne alors une bhakti mentale; dès que la soumission atteint le cœur, la bhakti se manifeste comme un sentiment et avec ce sentiment de bhakti l'amour apparaît.

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1030

La dévotion et la soumission peuvent accompagner l'expérience du mental supérieur; elles n'y sont cependant pas indissolublement liées, comme c'est le cas dans l'expérience psychique. Dans le mental supérieur, on peut être conscient de l'identité avec le Brahman au point de ne ressentir ni dévotion ni soumission.

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1031

L'état du Brahman peut exister sans le don de soi, parce que c'est vers le Brahman impersonnel que l'on se tourne. La renonciation aux désirs et à toute identification avec la Nature caractérise cet état. On peut faire au Divin le don de sa nature autant que de son âme et par là atteindre l'état du Brahman qui n'est pas seulement négatif, mais aussi positif, car il libère la nature elle-même et ne libère pas seulement de la nature.

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1032

L'état du Brahman apporte une paix négative — śāntiet la mukti dans l'âme. Le don de soi apporte une liberté positive qui peut devenir aussi une force dynamique d'action dans la nature.

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1033

Si vous n'êtes soumis que dans la conscience supérieure, sans paix ni pureté dans la conscience inférieure, cela ne suffit certes pas et vous devez aspirer à la paix et à la pureté partout.

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1034

Quand l'être psychique, le cœur et le mental pensant sont offerts, le reste est affaire de temps et de méthode et il n'y a plus de raison d'être troublé. Le don de soi central et réel a été accompli.

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1035

Il n'est jamais trop tôt pour accomplir le don de soi complet. Pour certaines choses il peut être nécessaire d'attendre, pas pour celle-ci.

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1036

C'est sur cette conscience d'une consécration complète que la fondation psychique de la sâdhanâ peut se construire. Une fois qu'elle est fermement établie, le cours de la sâdhanâ, quelles que soient les difficultés qui restent à surmonter, devient parfaitement facile, ensoleillé, aussi naturel que l'éclosion d'une fleur. Ce que vous ressentez est une indication de l'état qui peut et doit se développer en vous.

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1037

Si les difficultés qui surgissent sont dans la nature même, il est inévitable qu'elles sortent et se manifestent. Le don de soi n'est pas facile, une grande partie de la nature y résiste. Si le mental forme la volonté de se consacrer, tous ces obstacles intérieurs apparaissent inévitablement; le sâdhak doit alors les observer et s'en détacher, les rejeter de sa nature et vaincre. Cela peut prendre très longtemps, mais il faut le faire. Les obstacles extérieurs ne peuvent empêcher la consécration intérieure, à moins qu'ils ne soient soutenus par une résistance dans la nature elle-même.

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1038

Cela dépend des sâdhak. Certains ont besoin de consacrer d'abord les activités extérieures pour amener la consécration intérieure.

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1039

La soumission du vital est toujours difficile à cause du mauvais vouloir des forces de l'Ignorance vitale universelle. Cette difficulté n'est pas le signe d'une incapacité fondamentale.

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1040

Il est impossible de devenir comme un enfant qui se donne entièrement, avant que le psychique ait établi sa maîtrise et soit devenu plus fort que le vital.

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1041

Le vital ordinaire n'est jamais disposé à se consacrer. Le vrai vital profond est différent: la consécration au Divin lui est aussi nécessaire qu'au psychique.

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1042

Si l'on s'identifie le moins du monde aux exigences et aux clameurs du vital, la soumission ne peut que diminuer tant que dure cette identification.

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1043

C'est la réaction que vous décrivez qui m'a fait parler d'exigence vitale. Dans le don de soi purement psychique et spirituel, il n'y a aucune réaction de ce genre, pas de dépression, pas de désespoir; on ne dit pas: "Qu'ai-je gagné à chercher le Divin?"; il n'y a ni colère ni révolte, pas d'abhimāna, pas de désir de partir comme vous l'avez écrit — mais une confiance absolue et une persévérance à s'accrocher au Divin en toutes circonstances. C'est ce que je voulais pour vous; c'est la seule base qui permette de n'avoir ni ennuis, ni réactions et d'avancer avec régularité.

Mais des sentiments de ce genre indiquent-ils que l'âme s'est donnée? Si le vital ne se mêle pas à eux, comment se fait-il qu'ils apparaissent quand je vous écris, et comme une conséquence du fait que je vous écrive et que j'essaie de vous montrer le chemin?

Le premier mouvement de cette partie de l'être est de se révolter lorsqu'on lui révèle sa nature et qu'on lui demande de changer.

Difficile? Le premier principe de notre sâdhanâ est que la consécration est le moyen de l'accomplissement et tant que l'on flatte l'ego ou les exigences et les désirs du vital, la consécration complète est impossible; le don de soi est incomplet. Nous ne l'avons jamais dissimulé. C'est peut-être difficile, c'est difficile, mais c'est le principe même de la sâdhanâ. Parce que c'est difficile, il faut le faire posément et avec patience jusqu'à ce que le travail soit terminé.

Vous devez rejeter avec persistance toute immixtion du vital chaque fois qu'elle apparaît. Si vous la rejetez avec fermeté, elle perdra peu à peu de sa force et s'estompera.

Votre réaction est le signe d'une survivance obstinée, mais irrationnelle et mécanique, du mouvement antérieur. C'est ainsi, en fait, que ces mouvements essaient de survivre. Ils s'en iront à coup sûr si vous ne les ravivez pas.

Je n'en doute pas un instant: vous n'avez qu'à bien comprendre et vous irez aussitôt dans la bonne direction.

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1044

La plupart des sâdhak ont des pensées de ce genre ou les ont eues à un moment ou à un autre. Elles proviennent de l'ego vital qui ne veut pas le Divin ou Le veut pour ses propres fins, non pour les fins du Divin. Il se met en fureur quand on le presse de changer ou quand ses désirs ne sont pas satisfaits: telle est l'origine de toutes ces pensées. C'est pourquoi nous attachons tant d'importance à la consécration dans notre yoga, car c'est seulement par la consécration (en particulier celle de l'ego vital) que ces mouvements peuvent disparaître; accepter le Divin pour le Divin et pour nul autre motif, à la manière du Divin et non à votre propre manière ou selon vos propres conditions.

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1045

C'est la soumission psychique dans le physique dont vous commencez à avoir l'expérience.

Toutes les parties sont essentiellement offertes, mais la soumission doit être rendue complète par un don de soi psychique grandissant en chacune des parties et dans tous leurs mouvements, ensemble et séparément.

Appartenir au Divin, c'est être entièrement soumis, si bien que l'on sent la Présence, le Pouvoir, la Lumière et l'Ânanda du Divin possédant tout l'être, au lieu de sentir qu'on les possède soi-même pour sa propre satisfaction. Il y a une bien plus grande extase à être soumis ainsi au Divin et possédé par Lui, qu'à être soi-même le possesseur. Et en même temps, par cette soumission, vient une heureuse et calme maîtrise de soi et de la nature.

Les Bases du Yoga, chapitre II. Traduction de la Mère.

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1046

J'ai dit que si le principe de la consécration et de l'union est établi dans le mental et dans le cœur, il n'est pas difficile de l'étendre aux parties plus obscures du physique et du subconscient. Comme vous avez cette consécration et cette union centrale, vous pouvez facilement les rendre complètes partout. Il suffit d'aspirer en toute tranquillité à la conscience complète. Alors la lumière pénétrera la partie matérielle et le subconscient comme le reste; alors viendront une quiétude, une immensité, une harmonie dénuées de toute réaction, qui seront la base de la transformation finale.

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1047

Il existe un état où le sâdhak a conscience de la Force divine qui travaille en lui, ou tout au moins de ses résultats, et où il ne fait pas obstruction à sa descente ou à son action par ses propres activités mentales, son agitation vitale ou son obscurité et son inertie physiques. C'est cela, l'ouverture au Divin. La soumission est le meilleur moyen de s'ouvrir; mais tant que la soumission n'est pas faite, l'aspiration et la tranquillité peuvent y mener jusqu'à un certain point. Se soumettre signifie consacrer au Divin tout ce qui est en soi, lui offrir tout ce que l'on est et tout ce que l'on a, ne pas insister sur ses idées, ses désirs, ses habitudes, etc., mais permettre à la Vérité divine de les remplacer par sa connaissance, sa volonté et son action partout.

Lumières sur le Yoga, chapitre III. Traduction de la Mère.

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1048

L'ouverture se produit d'elle-même par la sincérité de la volonté et de l'aspiration. Être ouvert, c'est être capable de recevoir les forces supérieures qui viennent de la Mère.

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1049

L'ouverture de soi a pour but de permettre à la force du Divin de se déverser au-dedans, apportant la lumière, la paix, l'Ânanda, etc., et d'y accomplir la transformation. Quand l'être reçoit ainsi la Divine Shakti et qu'elle agit en lui et produit des effets (qu'il soit entièrement conscient du processus ou non), on dit qu'il est ouvert.

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1050

Ce sont des actes du mental, alors que l'ouverture est un état de la conscience dans lequel celle-ci reste tournée vers la Mère, sans autres mouvements; un état où elle se tient dans l'attente de ce qui peut venir du Divin et est capable de le recevoir.

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1051

C'est par la confiance en la Mère que viendra l'ouverture nécessaire quand votre conscience sera prête.

Ce n'est pas par la méditation seule que viendra ce qui est nécessaire. C'est par la foi et l'ouverture à la Mère.

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1052

Veillez à rester ouvert à la Mère, souvenez-vous d'elle toujours et laissez sa Force travailler en vous, en rejetant toutes les autres influences; c'est la règle du yoga.

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1053

Dans la pratique du yoga, le but cherché ne peut être atteint que par l'ouverture de l'être à la force de la Mère et par le rejet persistant de tout égoïsme, de toute exigence, tout désir, tout motif, sauf l'aspiration à la Vérité divine. Si l'on fait cela comme il convient, la lumière et le Pouvoir divins se mettront à l'œuvre et amèneront la paix et l'équanimité, la force intérieure, la dévotion purifiée, une conscience et une connaissance de soi croissantes, car tels sont les fondements nécessaires à la siddhi du yoga.

Les Bases du Yoga, chapitre II, Traduction de la Mère.

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1054

Le principe même de notre yoga est de s'ouvrir à l'Influence divine. Elle est là, au-dessus de vous, et si vous pouvez une fois en être conscient, vous n'avez qu'à l'appeler en vous. Elle descend dans le mental et dans le corps comme une Paix, une Lumière, une Force qui travaille, une Présence divine avec ou sans forme, un Ânanda. Avant d'avoir cette conscience, il faut avoir la foi et aspirer à s'ouvrir. L'aspiration, l'appel, la prière, ne sont que des formes différentes d'une seule et même chose, et toutes sont efficaces. Vous pouvez adopter la forme qui se présente à vous ou celle qui vous est la plus facile. L'autre manière est la concentration; vous concentrez votre conscience dans le cœur (certains le font dans la tête ou au-dessus de la tête), vous méditez sur la Mère dans le cœur et vous l'appelez là. On peut suivre l'une ou l'autre méthode, ou les deux à des moments différents, selon ce qui vient à vous naturellement ou ce que vous êtes porté à faire sur le moment. La seule grande nécessité, surtout au commencement, est de tranquilliser le mental, de rejeter pendant la méditation toutes les pensées et tous les mouvements étrangers à la sâdhanâ. Dans le mental tranquille se fera une préparation progressive à l'expérience. Mais vous ne devez pas vous impatienter si tout ne se fait pas immédiatement; il faut du temps pour établir dans le mental une tranquillité parfaite; vous devez persister jusqu'à ce que la conscience soit prête.

Les Bases du Yoga, chapitre II. Traduction de la Mère.

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1055

Dans notre yoga, tout dépend si l'on peut s'ouvrir à l'Influence ou non. S'il y a une aspiration sincère et une patiente volonté d'arriver à la conscience supérieure en dépit de tous les obstacles, l'ouverture viendra sûrement sous une forme ou une autre. Mais cela prend plus ou moins de temps suivant l'état du mental, du cœur et du corps, et leur degré de préparation. Ainsi, si l'on n'a pas la patience nécessaire, les difficultés du commencement peuvent faire abandonner la tentative. Il n'y a pas de méthode dans notre yoga, sauf de se concentrer — de préférence dans le cœur — et d'appeler la présence et le pouvoir de la Mère pour qu'elle occupe l'être et que par l'action de sa force, elle transforme la conscience. On peut se concentrer dans là tête ou entre les sourcils; mais pour beaucoup, c'est une ouverture trop difficile. Quand le mental se tranquillise et que la concentration devient forte et l'aspiration intense, c'est qu'il y a un début d'expérience. Plus grande est la foi, plus on peut s'attendre à un résultat rapide. Pour le reste, on ne doit pas dépendre de son propre effort seulement, mais réussir à établir le contact avec le Divin et une réceptivité au Pouvoir et la Présence de la Mère.

Les Bases du Yoga, chapitre II. Traduction de la Mère.

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1056

Votre mental et votre être psychique sont concentrés sur le but spirituel et ouverts au Divin; c'est pourquoi l'Influence descend seulement dans la tête et jusqu'au cœur; mais elle ne descend pas plus loin car l'être vital et la conscience physique sont sous l'influence de la nature inférieure. Tant que l'être vital et l'être physique ne seront pas soumis ou n'appelleront pas d'eux-mêmes la vie supérieure, le conflit continuera probablement.

Que tout en vous se soumette. Rejetez tout autre désir ou intérêt, faites appel à la Shakti divine pour qu'elle ouvre la nature vitale et fasse descendre le calme, la paix, la lumière et l'Ânanda dans tous les centres. Aspirez et attendez avec foi et patience le résultat. Tout dépend de la perfection de la sincérité ainsi que de l'intégralité de l'aspiration et de la consécration.

Le monde vous tourmentera aussi longtemps qu'une partie quelconque de vous appartiendra au monde. C'est seulement si vous appartenez entièrement au Divin que vous pouvez devenir libre.

Les Bases du Yoga, chapitre III. Traduction de la Mère.

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1057

L'ouverture est la même pour tous. Elle commence par une ouverture du mental et du cœur, puis du vital proprement dit; quand elle atteint le vital inférieur et le physique, elle est complète. Mais l'ouverture doit s'accompagner du plein don de soi à ce qui descend: c'est la condition de la transformation complète. La vraie difficulté apparaît au dernier stade et c'est là que tout le monde trébuche jusqu'à ce qu'elle soit surmontée.

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1058

Restez toujours en contact avec la Force divine. Le mieux pour vous est de faire cela tout simplement et de la laisser accomplir son œuvre. Partout où ce sera nécessaire, elle s'emparera des énergies inférieures et les purifiera; à d'autres moments, elle vous videra des forces inférieures et vous remplira d'elle-même. Mais si vous laissez votre mental gouverner, discuter, décider de ce qu'il faut faire, vous perdrez le contact avec la Force divine, et les énergies inférieures commenceront à agir à leur guise, et tout deviendra confusion et mouvement faux.

Lumières sur le Yoga, chapitre III. Traduction de la Mère.

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1059

1. Offrez-vous de plus en plus: toute la conscience, tout ce qui s'y passe, tout votre travail, toute votre action.

2. Si vous avez des défauts ou des faiblesses, présentez-les au Divin pour qu'ils soient changés ou abolis.

3. Essayez de faire ce que je vous ai dit, concentrez-vous dans le cœur jusqu'à ce que vous y sentiez la Présence constante.

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1060

L'ouverture et, chaque fois que c'est nécessaire, la passivité, mais à la conscience supérieure, pas à tout ce qui se présente.

Par conséquent, même la passivité doit s'accompagner d'une certaine vigilance tranquille. Autrement il peut y avoir soit des mouvements erronés, soit de l'inertie.

Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre III.

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1061

Abandonner toute retenue serait donner libre cours au vital et par là laisser entrer toutes sortes de forces. Tant que la conscience supramentale n'est pas venue pour tout maîtriser et tout pénétrer, dans l'être tout entier, depuis le surmental jusqu'en bas, le jeu des forces est ambigu et chaque force, si divine soit-elle dans son origine, peut être utilisée par les pouvoirs de Lumière ou interceptée par les Pouvoirs de l'ombre lorsqu'elle passe par le mental et le vital. La vigilance, la discrimination, la maîtrise ne peuvent être abandonnées avant que la victoire ne soit complète et la conscience transmuée.

Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre III.

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1062

Non, la vigilance ne doit pas se relâcher. En fait, c'est seulement quand la Connaissance et l'action automatiques se sont établies dans l'être qu'une vigilance constante cesse d'être nécessaire; même alors, on ne peut pas l'abandonner tout à fait avant que la pleine Lumière soit venue.

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1063

Trois possibilités principales s'offrent au sâdhak: (1) compter sur la Grâce et s'en remettre au Divin; (2) tout faire par lui-même comme l'adwaïtin et le bouddhiste; (3) prendre la voie du milieu et avancer par aspiration, rejet, etc., avec l'aide de la Force.

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1064

Chaque mental peut avoir sa propre manière d'approcher la Vérité suprême; il y a pour chacun une porte d'entrée et aussi mille routes pour y parvenir. Il n'est pas nécessaire que chacun croie en la Grâce ni qu'il reconnaisse une Divinité distincte de son propre Moi suprême: certains n'ont besoin d'aucune forme de yoga; ils atteignent leur réalisation par une sorte de pression du mental, du cœur ou de la volonté, qui crève l'écran tendu entre ceux-ci et ce qui, à la fois, les dépasse et en est l'origine. L'écran une fois déchiré, la suite dépend de l'action de la Vérité sur la conscience et des tendances de la nature. Il n'y a par conséquent aucune raison que X n'obtienne pas la réalisation de son être à sa manière, par une croissance du dedans; non par la Grâce divine, si son mental s'oppose à cette définition, mais par ce que nous pourrions appeler le mouvement spontané du Moi en lui.

Car cette "Grâce", nous la décrivons ainsi parce que nous sentons, dans l'Esprit infini ou l'Existence absolue, une Présence ou un Être, une Conscience — c'est ce que nous appelons le Divin — qui détermine non pas une personne séparée, mais l'Être unique dont notre moi individuel est une parcelle ou un réceptacle. Mais il n'est pas indispensable que tous l'envisagent ainsi. Supposons qu'il ne soit rien d'autre que le Moi impersonnel de tous; l'Oupanishad dit pourtant de ce Moi et de sa réalisation: "Cette compréhension ne peut être acquise ni par le raisonnement, ni par la tapasyâ, ni par une longue étude; mais celui que ce Moi choisit, il lui révèle son propre corps." Eh bien, c'est la même chose que ce que nous appelons la Grâce divine. C'est une action d'en haut ou du dedans, indépendante de causes mentales, qui décide elle-même de ses propres mouvements. Nous pouvons l'appeler Grâce divine; nous pouvons dire que c'est le Moi intérieur qui choisit son heure et sa manière de se manifester à l'instrument mental de surface; nous pouvons l'appeler épanouissement de l'être intérieur ou de la nature intérieure en une réalisation du moi et une connaissance du moi. Quelque chose en nous l'aborde d'une certaine manière, ou elle-même se présente à nous sous une certaine forme, et c'est ainsi que le mental la verra. Mais en réalité c'est la même chose et le même processus de l'être dans la Nature.

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1065

Je voudrais vous parler de la Grâce divine, car vous semblez penser que c'est une sorte de Raison divine dont la démarche diffère assez peu de celle de l'intelligence humaine. Il n'en est rien. Ce n'est pas non plus une Compassion divine universelle qui agit impartialement à l'égard de tous ceux qui l'approchent et exauce toutes les prières. Elle ne choisit pas le juste pour rejeter le pécheur. La Grâce divine vient en aide au persécuteur (Paul de Tarse), elle est venue à saint Augustin le débauché, à Jagaï et Madhaï,6 tristement célèbres, à Bilwamangal et à bien d'autres dont la conversion a de quoi scandaliser le puritanisme de l'intelligence morale humaine; mais elle peut aussi venir aux justes et les guérir de leur pharisaïsme pour les mener plus loin, vers une conscience plus pure. C'est un pouvoir supérieur à toute règle, même à la Loi cosmique, car tous les voyants spirituels ont fait la distinction entre la Loi et la Grâce. Elle n'est pourtant pas sans discernement; seulement elle a un discernement à elle, qui voit les choses, les personnes, le moment et l'époque justes, dans une vision différente de celle du Mental ou de tout autre pouvoir normal. Souvent, un état de Grâce se prépare dans l'individu derrière des voiles épais, par des moyens que le mental ne peut calculer, et quand vient l'état de Grâce, alors la Grâce elle-même agit. Il y a trois pouvoirs: (1) la Loi cosmique, karma ou autre; (2) la Compassion divine qui agit sur tous ceux qu'elle peut saisir en dépit des filets de la Loi, pour leur donner leur chance; (3) la Grâce divine dont l'action est plus incalculable, mais aussi plus irrésistible que celle des deux autres. Toute la question est de savoir si, derrière toutes les fluctuations de la vie, quelque chose peut répondre à l'appel et s'ouvrir, même avec difficulté, au point de devenir prêt à recevoir l'illumination de la Grâce divine; et ce quelque chose ne doit pas être un mouvement mental et vital, mais un quelque chose d'intérieur très visible pour la vision intérieure. Si ce quelque chose est là et devient actif au premier plan de l'être, alors la Compassion peut agir, même si parfois la Grâce, pour déployer tout son action, doit encore attendre la décision finale ou la transformation définitive; car celles-ci peuvent être reportées à plus tard si une parcelle ou un élément de l'être, qui n'est pas encore prêt à la recevoir, vient s'interposer.

Mais pourquoi, permettre à n'importe quoi d'intervenir entre vous et le Divin, n'importe quelle idée, n'importe quel incident? Quand vous êtes plein d'aspiration et de joie, rien ne doit compter, rien ne doit avoir d'importance si ce n'est le Divin et votre aspiration. Si l'on veut le Divin rapidement, absolument, totalement, tel doit être l'esprit dans lequel on l'aborde: absolu, embrassant tout, objectif unique auquel rien ne doit s'opposer.

Quelle valeur peuvent avoir les idées mentales sur le Divin, les idées sur ce qu'il devrait être, comment il devrait agir, comment il ne devrait pas agir? Elles ne peuvent que barrer la route. Le Divin seul importe. Quand votre conscience embrassera le Divin, alors vous pourrez savoir ce qu'est le Divin, pas avant. Krishna est Krishna, on ne se soucie pas de savoir ce qu'il a fait ou n'a pas fait; tout ce qui compte, c'est de le voir, de le rencontrer, de sentir la Lumière, la Présence, l'Amour et l'Ânanda. Ainsi en est-il toujours de l'aspiration spirituelle: telle est la loi de la vie spirituelle.

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1066

"L'action ordinaire du Divin est une intervention constante dans la loi même des choses": qu'il en soit ainsi ou non, ce n'est pas ce que l'on appelle en général la Grâce divine. La Grâce divine n'est pas prévisible, elle n'est liée par aucune condition que puisse fixer l'intellect; bien que d'ordinaire un appel, une aspiration, une intensité de l'être psychique suscite son intervention, elle agit parfois sans cause apparente, pas même une cause de ce genre.

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1067

Il n'est pas indispensable que la Grâce agisse d'une manière accessible au mental humain; d'ordinaire elle ne le fait pas. Elle agit à sa propre manière qui est "mystérieuse". Au début, elle agit en général derrière le voile, prépare les choses sans se manifester. Ensuite elle peut se manifester, mais le sâdhak ne comprend pas très bien ce qui se passe; quand enfin il est capable de comprendre, il sent et comprend à la fois ou du moins commence à le faire. Certains sentent et comprennent dès le début ou très tôt, mais d'habitude ce n'est pas le cas.

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1068

Il n'y a rien d'inintelligible dans ce que j'ai dit sur la force du sâdhak et la Grâce. La force a sa valeur pour la réalisation spirituelle, mais dire que cette réalisation ne peut être atteinte que par la force à l'exclusion de tout autre moyen est une furieuse exagération. La Grâce n'est pas une invention, c'est un fait d'expérience spirituelle. Nombreux sont ceux qui seraient considérés comme des rien du tout par les sages et les forts et qui ont réussi par la Grâce: illettrés, sans pouvoir mental, sans instruction, sans "force" de caractère ou de volonté, ils ont pourtant aspiré et ont grandi soudain, ou très vite, dans la réalisation spirituelle, parce qu'ils avaient la foi ou parce qu'ils étaient sincères. Je ne vois pas pourquoi ces faits, qui sont des faits de l'histoire spirituelle et d'une expérience spirituelle tout à fait ordinaire, devraient être discutés, niés ou débattus comme s'ils étaient matière à spéculation.

La force, si elle est spirituelle, est un pouvoir de réalisation spirituelle; la sincérité est un pouvoir plus grand; le plus grand de tous les pouvoirs est la Grâce. Je l'ai dit et répété, si un homme est sincère, il ira jusqu'au bout, en dépit de la longueur du chemin et du poids accablant des difficultés. J'ai parlé à de nombreuses reprises de la Grâce divine. J'ai cité très souvent le verset de la Guîtâ:

"Je te délivrerai de tout péché et de tout mal, ne t'afflige point."7

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1069

C'est une question à laquelle il ne peut y avoir de réponse tranchée, parce qu'elle met en opposition deux aspects dont chacun est une vérité. Sans la Grâce du Divin rien ne peut être fait, mais pour que la Grâce se manifeste dans sa plénitude, le sâdhak doit s'être lui-même préparé. Si tout dépend de l'intervention divine, alors l'homme n'est qu'un pantin, la sâdhanâ est sans utilité et il n'y a ni conditions, ni loi des choses, par conséquent pas d'univers, mais seulement le Divin qui fait rouler les choses ça et là selon son bon plaisir. On peut, sans aucun doute, dire qu'en dernier ressort tout est le travail cosmique du Divin, mais c'est par l'intermédiaire des personnes et des forces qu'il se fait, selon les conditions imposées par la Nature. Des interventions spéciales, il peut y en avoir, mais tout ne peut pas être intervention spéciale. Quant à l'expérience citée, elle se déroulait probablement sur le plan vital: son caractère vif et soudain porte la marque du vital, mais les expériences de ce genre ne durent pas, elles ne sont qu'une préparation. C'est d'ordinaire quand on est entré en contact avec ce qui est au-delà du mental, du vital et du corps et que l'on s'est élevé jusque-là que viennent les grandes réalisations fondamentales et durables.

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1070

Le yoga est un effort, une tapasyâ; il ne peut cesser de l'être que lorsqu'on s'offre sincèrement à une Action supérieure, que l'on garde cette attitude d'offrande et qu'on la rend complète. Ce n'est ni une fantaisie dénuée de toute raison et de toute cohérence, ni un pur miracle. Il a ses lois et ses conditions et je ne vois pas comment vous pouvez exiger du Divin qu'il bouleverse tout par miracle.

Je n'ai jamais dit que notre yoga était sans danger: aucun yoga n'en est dépourvu. Chacun a ses dangers, comme toute grande tentative de la vie humaine. Mais il peut être mené à bien si l'on a une sincérité centrale et une fidélité au Divin. Ce sont les deux conditions nécessaires.

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1071

Ce que dit Brahmânanda sur la tapasyâ est évidemment vrai. Si l'on n'est pas prêt à s'adonner au labeur et à la tapasyâ, à maîtriser le mental et le vital, on ne peut pas exiger de grands bénéfices spirituels, car le mental et le vital trouveront toujours des astuces et des prétextes pour prolonger leur règne, imposer leurs goûts et dégoûts et retarder le jour où il leur faudra devenir des instruments obéissants et de libres passages pour l'âme et l'esprit. La Grâce peut parfois apporter des fruits immérités ou qui semblent tels, mais on ne peut pas exiger la Grâce comme un droit et un privilège, car alors elle ne serait plus la Grâce. Vous l'avez vu, on ne peut pas prétendre qu'il suffit de crier pour que vienne la réponse. Par ailleurs j'ai toujours constaté qu'une longue préparation, à laquelle on n'avait pas prêté attention, avait précédé l'intervention de la Grâce, et aussi qu'après cette intervention il faut encore beaucoup œuvrer pour conserver et développer ce que l'on a reçu, comme c'est le cas pour tout le reste tant que la siddhi n'est pas complète. Lorsqu'elle est achevée, le labeur est bien sûr terminé et la possession sûre. La tapasyâ, d'un genre ou d'un autre, est donc inévitable.

Vous avez raison aussi de parler d'obstacles imaginaires... C'est pourquoi nous avons toujours dénigré les constructions mentales et les formations vitales: elles sont les lignes de défense qu'élèvent le mental et le vital pour ne pas être la proie du Divin. Quoi qu'il en soit, la première chose à faire est de prendre conscience de tout cela, ce que vous avez maintenant réalisé; le secret est de continuer avec fermeté à tout jeter à bas et à faire une table rase, à établir une fondation de calme, de paix, d'ouverture heureuse où puisse s'élaborer la vraie construction.

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1072

La meilleure méthode est de permettre à la Grâce divine d'agir en vous, de ne jamais vous opposer à elle, de ne jamais manquer de reconnaissance envers elle, de ne jamais vous retourner contre elle, mais au contraire de toujours la suivre vers le but de Lumière, de Paix, d'Unité, d'Ânanda.

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1073

Rares sont ceux à qui la Grâce est retirée; nombreux sont ceux qui se retirent de la Grâce.

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1074

Le don de soi est bon quel que soit le moyen employé, mais de toute évidence l'Impersonnel ne suffit pas, car le don de soi à l'Impersonnel peut n'avoir qu'un résultat limité à l'expérience intérieure, sans aucune transformation de la nature extérieure.

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1075

Oui, la soumission au Divin impersonnel (sans forme) laisserait certaines parties de l'être assujetties aux gouna et à l'ego, car les parties statiques seraient libérées dans le sans-forme alors que la nature active resterait livrée au jeu des gouna. Nombreux sont ceux qui se croient libérés de l'ego parce qu'ils ont le sentiment d'une existence sans forme. Ils ne voient pas que des éléments égoïstes subsistent dans leurs actes tout comme avant.

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1076

Vous parlez de l'Impersonnel comme si c'était une Personne. L'Impersonnel n'est pas Lui, c'est Cela. Comment un Cela pourrait-il guider ou aider? Le Brahman impersonnel est inactif, lointain, indifférent, il ne se soucie pas de ce qui se passe dans l'univers. C'est le Permanent du Bouddha. Quelle que soit la Vérité ou la Lumière impersonnelle, il vous faut la découvrir, l'employer et en faire ce que vous pouvez. Elle ne prend pas la peine de vous courir après. Vous devez tout faire par vous-même: c'est la conception bouddhiste.

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1077

On dit que la soumission au Gourou surpasse toutes les soumissions parce qu'en elle, vous vous donnez non seulement à l'impersonnel, mais aussi au personnel, non seulement au Divin dans le moi mais aussi au Divin extérieur à vous; ainsi vous avez l'occasion de surmonter l'ego non seulement par un retrait dans le moi où l'ego n'existe pas, mais aussi en demeurant dans la nature personnelle où il est le maître. C'est le signe que la volonté de se donner au Divin tout entier est complète, samagram mām. ...mānuṣīm tanum āśritam. Pour que tout cela soit vrai, il faut, c'est évident, que la soumission spirituelle soit authentique.

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1078

Le Gourou doit être accepté de toutes les manières: transcendante, impersonnelle, personnelle.

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1079

Le Gourou est le Guide dans le Yoga. Quand le Divin est accepté comme Guide, Il est accepté comme Gourou.

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1080

La relation entre Gourou et disciple n'est que l'une des nombreuses relations que l'on peut avoir avec le Divin et dans notre yoga, où le but est une réalisation supramentale, il n'est pas habituel de lui donner ce nom; le Divin est plutôt considéré comme la Source, le vivant Soleil de Lumière, de Connaissance, de Conscience et de réalisation spirituelle, et tout ce que l'on reçoit, on le sent venir de là, on sent que tout l'être est remodelé par la Main divine. C'est une relation plus grande et plus intime que la relation entre Gourou humain et disciple qui relève d'un idéal mental plus limité. Néanmoins si l'intellect a encore besoin de cette conception mentale, qui lui est plus familière, elle peut être conservée tant qu'elle est nécessaire; seulement ne permettez pas à l'âme de s'y attacher, ne laissez pas cette conception mentale restreindre l'afflux d'autres relations avec le Divin et de formes d'expérience plus vastes.

Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre III.

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1081

Le mot gourou n'est pas employé d'habitude dans le yoga supramental; ici tout vient du Divin lui-même. Mais si quelqu'un veut l'utiliser, il le peut, pour le moment.

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1082

Non, la soumission au Divin et la soumission au Gourou sont deux choses différentes. En se soumettant au Gourou, c'est au Divin en lui que l'on se soumet; si le don de soi ne s'adressait qu'à l'entité humaine, il serait inefficace. Mais c'est la conscience de la Présence divine qui fait du Gourou un vrai Gourou, de sorte que même si le disciple se soumet à lui en pensant à l'être humain auquel il se soumet, cette Présence rendra tout de même le don de soi efficace.

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1083

Tous les vrais Gourous sont un même Gourou, le Gourou unique, parce que tous sont le Divin unique. C'est là une vérité fondamentale et universelle. Mais il est vrai aussi qu'ils sont différents: le Divin réside dans des personnalités dont chacune a un mental et un enseignement différents, une influence différente, afin de pouvoir guider vers la réalisation, par des voies différentes, des disciples différents qui ont chacun leurs besoins, des caractères et des destins qui leur sont propres. Parce que tous les Gourous sont le même Divin, il ne s'ensuit pas que le disciple ait raison d'abandonner celui qui lui était destiné pour en suivre un autre. La tradition indienne exige de chaque disciple la fidélité au Gourou. "Tous sont le même" est une vérité spirituelle, mais vous ne pouvez pas convertir sans discrimination cette vérité en actes: on ne peut pas traiter toutes les personnes de la même manière parce qu'elles sont toutes le Brahman unique; si l'on agissait ainsi le résultat pratique serait un affreux gâchis. C'est la rigidité de la logique mentale qui crée la difficulté; mais en matière de spiritualité la logique mentale se trompe aisément: l'intuition, la foi, une souple raison spirituelle sont ici les seuls guides.

Quant à la foi, elle n'est pas, au sens spirituel, une croyance mentale qui peut vaciller et changer. Elle peut revêtir cette forme dans le mental, mais alors cette croyance n'est pas la foi, elle n'en est que la forme extérieure. De même le corps — la forme extérieure — peut changer alors que l'esprit ne change pas. La foi est une certitude de l'âme qui ne dépend ni du raisonnement, ni de telle ou telle conception mentale, ni des circonstances, ni de tel ou tel état passager du mental, du vital ou du corps. Elle peut être cachée, éclipsée, elle peut même sembler éteinte, .elle réapparaît après la tempête ou l'éclipsé; on la voit brûler encore dans l'âme alors qu'on la Croyait morte à jamais. Le mental peut être un mouvant océan de doutes, et pourtant il se peut que la foi soit là, au-dedans, et s'il en est ainsi elle maintiendra le mental dans le chemin, même s'il est labouré par les doutes, de sorte qu'en dépit de lui-même il poursuivra sa marche vers le but qui lui est assigné. La foi est une certitude spirituelle de l'existence de l'esprit, du divin, de l'idéal de l'âme, quelque chose qui s'accroche à eux même s'ils ne se réalisent pas dans la vie, même quand les données immédiates ou les circonstances persistantes semblent les nier. Cette expérience est générale dans la vie de l'être humain; s'il n'en .était pas ainsi, l'homme serait le pantin d'un mental changeant ou le jouet des circonstances.

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1084

À la lecture des lettres de X je ne suis pas frappé d'admiration par l'aperçu8 qu'elles donnent des courants de pensée actuels et des tendances générales; ce que j'ai trouvé admirable, c'est plutôt son pouvoir de prendre un recul aussi total à l'égard de ces pensées et de ces tendances et de les contempler à partir d'une source de connaissance nouvelle (pour lui) et permanente. S'il avait continué à s'intéresser à ces mouvements actuels de l'humanité et qu'il était resté en contact avec eux, je ne pense pas qu'il en aurait tiré davantage que Romain Rolland ou un autre. Mais il est parvenu au point de vue yoguique, à la vision d'en haut, et c'est la spontanéité avec laquelle il a été capable de le faire qui m'a frappé.

J'expliquerais le fait que son progrès l'ait mené si loin non pas entièrement par sa propre supériorité, je veux dire par une aptitude générale au yoga, mais par la rapidité et la perfection avec lesquelles il a pris l'attitude intérieure du bhakta et du disciple. Il est rare qu'un mental moderne y parvienne, que ce soit celui d'un Européen ou d'un Indien "éduqué"; car le mental moderne est analytique, dubitatif, instinctivement "indépendant" même quand il ne veut pas l'être; il se retient et hésite devant la Lumière et l'Influence qui viennent à lui; il n'y plonge pas avec une simplicité directe pour s'écrier: "Me voici, prêt à rejeter loin de moi tout ce qui était ou semblait être moi, si par là je puis entrer en Toi; remodèle ma conscience en la Vérité à Ta manière, la manière du Divin." Quelque chose en nous est prêt à le faire, mais l'autre élément intervient et tisse un rideau de non-réceptivité; je sais par expérience — la mienne et celle des autres — combien peut s'en trouver allongée une route qui jamais, pour nous peut-être qui cherchons l'entière vérité, n'eût été courte ni aisée: nous aurions pourtant pu nous épargner bien des errances, bien des arrêts, des reculs et des détours. J'en admire d'autant plus l'aisance avec laquelle X semble avoir surmonté ce formidable obstacle.

Je ne sais pas si son Gourou est toujours à la hauteur, mais avec l'attitude que X a prise, ses lacunes, s'il en a, sont sans importance. Les défauts humains du Gourou ne peuvent pas constituer un obstacle quand l'ouverture psychique, la confiance et la soumission sont là. Le Gourou est le canal du Divin, son représentant ou sa manifestation, selon la mesure de sa personnalité ou de sa réalisation; mais quel qu'il soit, c'est au Divin que l'on s'ouvre en s'ouvrant à lui et si le pouvoir du canal détermine quelque chose, l'attitude intrinsèque inhérente à la conscience réceptrice est encore plus déterminante: un élément émerge dans son mental de surface, confiance simple ou don de soi inconditionnel et direct, et une fois que cet élément est là, l'essentiel peut être obtenu même de quelqu'un qui paraît, à tout autre que le disciple, une source spirituelle inférieure; le reste grandira de soi-même dans le sâdhak par la Grâce du Divin, même si l'être humain dans le Gourou n'est pas capable de le donner. C'est ce que X semble avoir fait, peut-être dès le début; mais de nos jours la plupart des disciples ne semblent pouvoir adopter cette attitude qu'avec difficulté, après beaucoup d'hésitations, de retards et d'ennuis. En ce qui me concerne, je dois le premier tournant décisif de ma vie intérieure à quelqu'un qui m'était de très loin inférieur par l'intellect, l'éducation et la capacité et qui n'était en aucun cas spirituellement parfait ou suprême; mais puisque j'avais vu derrière lui un Pouvoir et que j'avais décidé de m'adresser à ce Pouvoir pour recevoir son aide, je me suis remis entièrement entre ses mains et j'ai suivi ses directives avec la passivité d'un automate. Il en était lui-même stupéfié et a dit aux autres disciples que jamais il n'avait rencontré personne qui soit capable de se soumettre aussi totalement, sans réserve ni discussion, à la direction de celui qui était là pour l'aider. Le résultat fut une série d'expériences transformatrices d'un caractère si radical qu'il était incapable de suivre et qu'il a dû me dire de m'abandonner à l'avenir au Guide intérieur avec une soumission aussi totale que celle que j'avais manifestée à l'égard de son canal humain. Je donne cet exemple pour montrer comment ces choses fonctionnent; elles ne se conforment pas aux calculs que la raison humaine voudrait imposer, mais à une loi plus mystérieuse et plus grande.

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1085

Votre Gourou peut être inférieur en capacités spirituelles (à vous-même ou à d'autres Gourous), porter en lui de nombreuses imperfections humaines, et pourtant si vous avez la foi, la bhakti, l'étoffé spirituelle qu'il faut, vous pouvez par son intermédiaire entrer en contact avec le Divin, accéder à des expériences spirituelles, à la réalisation spirituelle, avant que le Gourou lui-même y parvienne. Notez bien le "si" car cette stipulation est indispensable; n'importe quel disciple ne peut pas le faire avec n'importe quel Gourou. D'un charlatan, vous n'obtiendrez rien que son charlatanisme. Le Gourou doit avoir en lui quelque chose qui rend possible le contact avec le Divin, quelque chose qui agit même si dans son mental extérieur, il n'a pas tout à fait conscience de cette action. S'il n'a rien de spirituel en lui, ce n'est pas un Gourou, mais une contrefaçon. Nul doute que la réalisation spirituelle puisse être très différente d'un Gourou à un autre; mais elle dépend beaucoup de la relation intérieure entre Gourou et śiṣya. On peut s'adresser à un très grand maître spirituel et ne rien recevoir de lui, ou n'en recevoir que peu de chose; on peut s'adresser à un homme d'une moindre capacité spirituelle et en recevoir tout ce qu'il a à donner et plus. Les causes de cette disparité sont diverses et subtiles; je n'ai pas besoin de m'étendre là-dessus. C'est différent avec chacun. Je crois que le Gourou est toujours prêt à donner ce qui peut être donné, si le disciple peut recevoir ou, peut-être, quand il est prêt à recevoir. S'il refuse de recevoir ou s'il se conduit, à l'intérieur ou à l'extérieur, de telle manière qu'il soit incapable de recevoir, s'il n'est pas sincère ou prend la mauvaise attitude, alors les choses deviennent difficiles. Mais si l'on est sincère, fidèle et que l'on a l'attitude juste, et si le Gourou est un vrai Gourou, alors après un temps plus ou moins long, cela viendra.

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1086

Râmakrishna a eu lui-même la siddhi avant de commencer à donner aux disciples; il en est de même de Bouddha. Pour les autres, je ne sais pas. Par perfection on entend évidemment siddhi dans son propre sentier, réalisation. Râmakrishna a toujours posé comme règle que l'on ne doit pas enseigner aux autres avant d'en avoir la pleine autorité.

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1087

L'action de la Force n'exclut pas la tapasyâ, la concentration et la nécessité de la sâdhanâ. Elle vient plutôt en réponse à leur appel ou pour les aider. Il est vrai que la Force agit parfois sans elles; très souvent, elle répond à ceux qui ne s'y sont pas prépares et ne semblent pas être prêts. Mais elle n'agit pas toujours ou pas généralement ainsi, ce n'est pas non plus une sorte de magie qui fonctionne dans le vide ou sans aucune méthode. Pas plus que ce n'est une machine qui agirait de la même manière sur tout le monde ou en toutes conditions et circonstances; ce n'est pas une Force physique, c'est une Force spirituelle et son action ne peut pas se réduire à quelques règles.

En ce qui concerne le pouvoir du Gourou qui se bornerait à être celui d'un instructeur capable de montrer la voie, mais non d'aider ni de guider, c'est la conception de certains chemins de yoga comme le pur Adwaïta et le bouddhisme selon lesquels vous devez vous reposer uniquement sur vous-même sans que personne ne puisse vous aider; cependant, le pur adwaïtin lui-même se repose en fait sur le gourou et le principal mantra du bouddhisme préconise le śaraṇam en Bouddha. Dans d'autres sentiers de sâdhanâ, en particulier ceux qui, comme celui de la Guîtâ, admettent la réalité de l'âme individuelle, "parcelle éternelle" du Divin, ou qui croient à la fois en la réalité du Bhagavân et en celle du bhakta, on a toujours considéré l'aide du gourou comme un appui indispensable.

Je ne comprends pas l'objection contre la validité de l'expérience de Vivékânanda: c'est exactement la réalisation décrite dans les Oupanishad comme l'expérience suprême du Moi. Il est inexact qu'une expérience acquise en samâdhi ne puisse pas se prolonger dans l'état de veille.

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1088

Oui, c'est un défaut du vital; la volonté de se discipliner est absente. On doit recevoir l'enseignement du professeur et agir selon ses instructions, parce que le professeur connaît le sujet et sait comment il doit être appris, tout comme en matière spirituelle on doit obéir à un gourou qui a la connaissance et connaît le chemin. Si l'on apprend tout par soi-même on risque d'apprendre tout de travers. À quoi sert la liberté d'apprendre de travers? Évidemment, si l'élève est plus intelligent que le professeur, il apprendra plus que le professeur, de même que par une grande capacité spirituelle on peut parvenir à une réalisation que le gourou n'a pas; même dans ce cas, cependant, la surveillance et la discipline sont indispensables dans les premiers stades.

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1089

Aucun homme libéré ne s'est élevé jusqu'à présent contre le Gourouvâda; en général, seuls ceux qui vivent dans le mental ou le vital et ont l'orgueil du mental et l'arrogance du vital trouvent qu'il est au-dessous de leur dignité de se reconnaître un gourou.

Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre III.

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1090

Tout cela, c'est du yoga populaire. Le contact du gourou ou sa grâce peuvent ouvrir quelque chose, mais les difficultés n'en doivent pas moins être résolues. La vérité, c'est que si la soumission est complète et s'accompagne de la prédominance du psychique, ces difficultés ne sont plus ressenties comme des entraves ou des obstacles, mais seulement comme des imperfections superficielles que l'action de la grâce éliminera.

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1091

Je pense que cette parole de Râmakrishna9 témoigne d'un certain événement caractéristique dans la sâdhanâ et ne peut pas être interprétée dans un sens général et absolu, car dans ce sens elle peut difficilement être vraie. Toutes les difficultés disparaissant en une minute? Vivékânanda avait la grâce de Râmakrishna dès le début, et pourtant la difficulté causée par ses doutes a duré, je crois, assez longtemps; jusqu'à la fin de sa vie il a eu des difficultés à maîtriser la colère au point de dire que tout ce qui était bon en lui était un don de son gourou, alors que ces défauts (colère, etc.) lui appartenaient en propre. Ce qui est peut-être vrai, c'est que la difficulté centrale peut disparaître par un certain contact entre le gourou et le disciple. Mais qu'entend-on par kṛpā? Si c'est la compassion et la grâce générales du gourou, on pourrait penser qu'elles sont toujours sur le disciple; le fait même d'avoir été accepté comme disciple est une grâce et l'aide est là pour que le disciple la reçoive. Mais le contact de la grâce, de la grâce divine, qu'elle vienne directement ou par l'intermédiaire du gourou, est un phénomène spécial qui a deux aspects: la grâce du gourou ou du Divin — en fait les deux ensemble — d'une part, et de l'autre un "état de grâce" dans le disciple. Cet "état de grâce" est souvent préparé par une longue tapasyâ ou une longue purification où rien de décisif ne semble se produire, tout au plus des contacts, des aperçus ou des expériences passagères, et il apparaît soudain sans prévenir. Si c'est bien de cela qu'il s'agit dans cette parole de Râmakrishna, alors il est vrai que, lorsque vient cet état de grâce, les difficultés fondamentales peuvent disparaître en un moment et en général c'est ce qu'elles font. Ou du moins quelque chose se passe qui rend la suite de la sâdhanâ — si longue soit-elle — sûre et sans danger.

C'est aux disciples du type "petit chat" que ce contact décisif vient le plus facilement, à ceux qui, à un certain point situé entre le psychique et le vital émotif, ont un mouvement rapide et décisif de soumission au Gourou ou au Divin. J'ai constaté que lorsque ce mouvement est possible et qu'un sentiment de dépendance consciente et centrale domine aussi le mental et le reste du vital, la difficulté fondamentale disparaît. Si d'autres difficultés subsistent, elles ne sont pas ressenties comme telles, mais comme des choses qui doivent tout simplement être faites et dont on n'a pas besoin de se préoccuper. Parfois aucune tapasyâ n'est nécessaire; on se contente d'en référer au Pouvoir que l'on sent guider ou faire la sâdhanâ et on consent à son action en rejetant tout ce qui s'y oppose. Le Pouvoir élimine alors ce qui doit être éliminé, transforme ce qui doit être transformé par un mouvement rapide ou lent; mais cette rapidité ou cette lenteur paraissent sans importance puisqu'on est sûr que ce sera fait. Si une tapasyâ est nécessaire, on la sent si fortement soutenue qu'elle n'a rien d'austère ni de pénible.

Quant aux autres disciples, ceux du type "petit singe" ou ceux qui, encore plus indépendants, suivent leurs propres conceptions, font la sâdhanâ par eux-mêmes et ne demandent qu'un enseignement ou une aide, la grâce du gourou est là, mais elle agit selon la nature du sâdhak et accompagne ses efforts dans une mesure plus ou moins grande; elle donne son aide, porte secours dans la difficulté, sauve au moment du danger, mais le disciple n'est pas toujours conscient de ce qui se fait, il en est peut-être à peine conscient, tout absorbé qu'il est en lui-même et dans son effort. Dans les cas de ce genre le mouvement psychologique décisif, le contact qui éclaircit tout, peut exiger plus de temps.

Mais pour tous la kṛpā est là à l'oeuvre, d'une manière ou d'une autre, et elle ne peut abandonner le disciple que si le disciple lui-même l'abandonne ou la rejette par une révolte décisive et définitive, par le rejet du gourou, en coupant les amarres et en déclarant son indépendance, ou par un acte ou un parti pris de trahison qui le sépare de son être psychique. Même dans ces cas, sauf peut-être le dernier s'il est poussé à l'extrême, un retour à la grâce n'est pas impossible.

Telle est ma connaissance et telle est mon expérience en la matière. Quant à savoir ce qu'il y a derrière cette parole de Râmakrishna et s'il l'entendait lui-même dans un sens général et absolu, je ne me prononce pas.

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1092

n a toujours dit qu'en prenant des disciples on prenait sur soi les difficultés des disciples autant que les siennes propres. Mais si le gourou ne s'identifie pas au disciple, ne l'inclut pas dans sa conscience, le laisse à l'extérieur et se contente de lui donner l'upadeśa en le laissant faire tout le reste, il est évident que le risque est très minimisé, devient pratiquement nul.

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1093

Lorsqu'on est sincèrement déterminé à se soumettre, il ne faut rien dissimuler qui soit de quelque importance pour la vie de la sâdhanâ. La confession aide à purger la conscience des éléments qui l'encombrent, débarrasse l'atmosphère intérieure et rend plus proche, plus intime et plus efficace la relation entre le gourou et le disciple.

VI

1094

Tout est ainsi sur le chemin de la sâdhanâ: il faut persévérer quel que soit le temps requis; c'est la seule façon de réussir.

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1095

Le pouvoir nécessaire dans le yoga, c'est le pouvoir d'endurer l'effort, les difficultés ou les vicissitudes sans être fatigué, déprimé, découragé ni impatient et sans interrompre son effort, sans abandonner son but ou sa résolution.

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1096

Quelle que soit la méthode utilisée, la persistance et la persévérance sont essentielles. Car quelle que soit la méthode utilisée, la complexité de la résistance naturelle sera là pour la combattre.

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1097

Un yoga comme celui-ci exige de la patience, car il consiste à transformer à la fois les mobiles fondamentaux de la nature et chacune de ses parties, chacun de ses détails. Cela n'avance à rien de dire: "Hier j'avais décidé de me donner tout entier à la Mère et voyez, ce n'est pas fait, au contraire, toutes les vieilles choses qui s'y opposent reviennent une fois de plus." Évidemment, quand vous en êtes au point où vous prenez une résolution de ce genre, tout ce qui y est contraire se soulève aussitôt; c'est ce qui arrive, invariablement. Ce qu'il faut faire, c'est reculer d'un pas, observer et rejeter, ne pas permettre à ces choses de s'emparer de vous, tenir votre volonté centrale séparée d'elles et faire appel à la Force de la Mère pour qu'elle les affronte en vous; si l'on s'y laisse prendre, comme cela arrive souvent, il faut se dégager le plus vite possible et se remettre à avancer. C'est ce que tout le monde fait, c'est ce qui se fait dans tous les yogas: être déprimé parce qu'on ne peut pas tout faire à toute allure est tout à fait contraire à la réalité des choses.

La régularité que vous avez acquise n'est pas une vertu personnelle; elle ne peut persister que si vous maintenez le contact avec la Mère; car c'est sa Force qui est derrière, comme elle est à l'arrière-plan de tous les progrès que vous pouvez faire. Apprenez à compter sur cette Force, à vous ouvrir plus complètement à elle et à rechercher même le progrès spirituel non pour vous-même, mais pour le Divin; alors vous avancerez avec moins d'à-coups.

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1098

Il est certain qu'une ardente aspiration pour le Divin aide à progresser, mais la patience est nécessaire aussi. Le changement à faire est très grand et bien qu'à certains moments il puisse être très rapide, il ne l'est jamais tout le temps. Les vieilles choses essaient de se cramponner le plus longtemps possible; les nouvelles doivent se développer et il faut du temps à la conscience pour qu'elle les assimile et en fasse des éléments normaux de la nature.

Gardez ferme dans votre mental la foi que ce qui est nécessaire est en train de se faire et sera fait entièrement. Il ne peut y avoir aucun doute à ce sujet.

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1099

Il est vrai qu'une grande patience et une grande fermeté sont nécessaires. Soyez donc ferme, patient, fixé sur les buts de la sâdhanâ, mais ne soyez pas trop avide de les atteindre tout de suite. Un travail doit être fait en vous et il est en train d'être fait; aidez-le à se faire en conservant une ferme attitude de foi et de confiance. Les doutes apparaissent en tous, ils sont naturels au mental physique humain: rejetez-les. L'impatience et un désir trop ardent d'obtenir un résultat immédiat sont naturels au vital humain: c'est par la ferme confiance en la Mère qu'ils disparaîtront. Opposez à tous les sentiments contraires l'amour et la croyance qu'Elle est le Divin à qui votre vie est donnée; alors ces sentiments contraires, après un certain temps, ne pourront plus venir en vous.

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1100

L'impatience est toujours une erreur, elle n'aide pas mais retarde. Une foi et une confiance heureuses et tranquilles sont la meilleure fondation pour la sâdhanâ et, pour le reste, une ouverture large et constante de soi pour recevoir et une aspiration qui peut être intense, mais doit toujours être calme et soutenue. La pleine réalisation yoguique ne vient pas tout d'un coup, elle vient après une longue préparation de l'Âdhâr, qui peut prendre beaucoup de temps.

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1101

Il ne peut y avoir aucun doute au sujet de la Grâce divine. Il est aussi tout à fait vrai que si un homme est sincère, il atteindra le Divin. Mais il ne s'ensuit pas qu'il l'atteindra immédiatement, aisément et sans tarder. C'est là que réside votre erreur: vous fixez au Divin un délai — cinq ans, six ans — et vous doutez parce que le résultat n'est pas encore atteint. Un sâdhak peut avoir une sincérité centrale et pourtant beaucoup de choses en lui doivent encore être transformées avant que la réalisation puisse commencer. Sa sincérité doit le rendre capable de persévérer toujours, car elle est une passion pour le Divin que rien ne peut éteindre: aucun retard, aucune déception, aucune difficulté ni rien d'autre.

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1102

"J'essaierai encore" ne suffit pas; ce qu'il faut, c'est essayer toujours, fermement, avec un cœur qui ne se décourage pas, comme dit la Guîtâ, anirviṇṇacetasā. Vous parlez de cinq ans et demi comme s'il s'agissait d'une durée interminable pour parvenir à un tel but, mais un yogi qui serait capable, en cet espace de temps, de transformer radicalement sa nature et d'avoir l'expérience décisive et concrète du Divin devrait être considéré comme l'un des rares à avoir parcouru la Route spirituelle au galop. Personne n'a jamais dit que la transformation spirituelle était chose facile; tous les chercheurs spirituels diront que c'est difficile, mais suprêmement digne d'être fait. Si le désir pour le Divin est devenu le désir dominant, on peut bien y consacrer toute sa vie sans rechigner et sans marchander ni le temps, ni la difficulté, ni le labeur.

En pariant de vos expériences, vous dites aussi qu'elles sont vagues et semblables à des rêves. D'abord le dédain des petites expériences de la vie intérieure n'est pas un signe de sagesse, de raison ou de bon sens. Les petites expériences viennent tour à tour au début de la sâdhanâ et se poursuivent longtemps, et si on leur donne toute leur valeur, ce sont elles qui préparent le terrain, édifient une conscience préparatoire et abattent un jour les murs pour laisser la voie libre aux grandes expériences. Mais si vous les méprisez dans l'idée ambitieuse que vous devez avoir les grandes expériences ou rien du tout, il n'est pas surprenant qu'elles viennent une fois tous les trente-six du mois et ne puissent pas faire leur travail. En outre, toutes vos expériences n'étaient pas petites. Quiconque ayant une certaine connaissance spirituelle aurait reconnu certaines d'entre elles (comme, par exemple, la descente dans le corps d'un Pouvoir qui vous immobilisait, que vous aviez coutume d'appeler un engourdissement) comme un premier pas décisif vers la Paix et la Lumière d'en haut. Mais elles n'étaient pas conformes à votre attente et vous ne leur avez accordé aucune valeur particulière. Vagues et comme des rêves... vous les ressentez ainsi parce que vous les regardez, comme tout ce qui se passe en vous, du point de vue du mental physique extérieur et de l'intellect qui ne peut considérer comme réelles, importantes et vivantes que les choses physiques, et pour qui les phénomènes intérieurs sont des choses irréelles, vagues et sans vérité. L'expérience spirituelle ne méprise pas même les visions et les rêves: elle sait que beaucoup d'entre eux ne sont en rien des rêves, mais sont des expériences sur un plan intérieur, et si l'on n'accepte pas les expériences des plans intérieurs qui mènent à l'ouverture du moi intérieur vers le moi extérieur afin de l'influencer et de le transformer, si l'on n'accepte pas les expériences de la conscience subtile et de la conscience de transe, comment la conscience de veille pourra-t-elle s'étendre hors de l'étroite prison du corps, du mental corporel et des sens? Car pour le mental physique non touché par la conscience intérieure éveillée, même l'expérience de la conscience cosmique ou celle du Moi éternel peut fort bien sembler purement subjective et peu convaincante. Le mental physique penserait: "Curieux, sans aucun doute, assez intéressant, mais très subjectif, ne trouvez-vous pas? Hallucinations, certes!" La première chose à faire, pour le chercheur spirituel, est de sortir du point de vue du mental extérieur et de regarder les phénomènes intérieurs avec un mental tourné vers l'intérieur, pour lequel ils deviennent bientôt des réalités puissantes et stimulantes. Si on le fait, alors on commence à voir qu'il y a là un vaste domaine de vérité et de connaissance où l'on peut aller de découverte en découverte pour atteindre la découverte suprême. Mais le mental physique extérieur, s'il a une quelconque idée du Divin et de la spiritualité, n'a que des idées hâtives et préconçues, à mille lieues du terrain solide de la vérité et de l'expérience intérieures.

Je ne me suis pas réservé assez de temps pour m'étendre sur les autres questions. Vous parlez des exigences sévères du Divin et de dures conditions; mais quelles exigences sévères, quelles conditions de fer imposez-vous au Divin! Pratiquement, vous lui dites: "Je douterai de toi, je te renierai à chaque pas, mais tu dois me remplir de Ta Présence indubitable; je serai plein de tristesse et de désespoir chaque fois que je penserai à toi ou au yoga, mais tu dois noyer ma tristesse sous le flot irrésistible de Ton Ânanda extatique; je ne viendrai vers toi qu'avec ma conscience et mon mental physiques extérieurs, mais tu dois me donner en. eux le Pouvoir qui transformera rapidement toute ma nature". Eh bien, je ne dis pas que le Divin ne veuille pas ou ne puisse pas le faire, mais si un tel miracle doit s'opérer, vous devez lui laisser un peu de temps et lui donner ne serait-ce qu'un millionième de chance.

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1103

Le Divin est peut-être difficile, mais on peut surmonter cette difficulté si l'on s'attache à lui sans relâche.

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1104

Cette sâdhanâ est difficile et il ne faut pas lésiner sur le temps; c'est seulement aux derniers stades que l'on peut compter sur des progrès constants et très rapides.

Quant à la Shakti, sa descente n'est pas sans danger si elle se produit avant que le vital soit pur et soumis. Mieux vaut pour X qu'il prie pour obtenir la purification, la connaissance, l'aspiration intense du cœur et l'action du Pouvoir dans la mesure où il peut la supporter et l'assimiler.

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1105

Restez toujours intériorisé et agissez sans être absorbé dans l'action; rien de néfaste ne pourra alors vous arriver, et même si c'était le cas, aucune conséquence grave n'en résulterait.

L'idée de partir, pour quelque raison que ce soit, est bien entendu absurde et il n'en est pas question. Huit ans est une période très brève pour la transformation. La plupart des sâdhak mettent autant ou plus de temps pour devenir conscients de leurs défauts et acquérir la volonté sérieuse de se transformer; ensuite, il faut encore beaucoup de temps pour que cette volonté devienne un accomplissement total et définitif. Chaque fois que l'on trébuche, on doit reprendre pied et continuer avec une résolution nouvelle; c'est en agissant ainsi que vient la transformation complète.

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1106

Ce que je vous demande en plus d'aspirer à la foi? Eh bien, seulement d'aller un peu plus au fond des choses et de persévérer dans la méthode! N'aspirez pas pendant deux jours pour sombrer ensuite dans les humeurs noires en bâtissant un évangile de cataclysmes, de Schopenhauer plus l'âne10 et tout le reste. Donnez au Divin une chance équitable. Quand il allume quelque chose en vous ou prépare une lumière, n'étouffez pas cette pauvre flamme sous le bonnet de nuit de votre désespoir. "Ce n'est qu'une petite bougie qui est allumée, direz-vous, ce n'est rien du tout!" Mais en ces matières, quand l'obscurité du mental, de la vie et du corps de l'homme doit être dissipée, une bougie, c'est déjà un début: une lampe peut la suivre, puis un soleil; mais il faut permettre au commencement d'avoir une suite, et non mettre entre lui et sa conséquence naturelle de gros blocs de tristesse, de doute et de désespoir. Au début, et pendant longtemps, les expériences viennent en effet en petits quanta entrecoupés d'espaces vides; si on laisse évoluer ce commencement, les espaces diminueront, et la théorie des quanta fera place à la continuité newtonienne de l'esprit. Mais jamais encore vous ne lui avez donné une vraie chance. Les espaces vides ont été peuplés de doutes et de négations, et ainsi les quanta se sont faits rares, le commencement reste un commencement. Vous avez fait face à d'autres difficultés et les avez rejetées, mais celle-ci, vous l'avez bercée pendant si longtemps qu'elle a pris des forces; il faut l'affronter avec persévérance. Je ne dis pas que tous les doutes doivent disparaître avant qu'autre chose puisse venir; cela rendrait la sâdhanâ impossible, car le doute est l'assaillant acharné du mental. Tout ce que je dis, c'est: ne laissez pas l'assaillant devenir un compagnon, ne lui ouvrez pas toute grande la porte et ne le faites pas asseoir au coin du feu. Par-dessus tout, ne chassez pas le Divin en lui opposant le rebutant bonnet de nuit de votre tristesse et de votre désespoir!

Pour parler plus sérieusement, acceptez une fois pour toutes que ce yoga doit être fait, que c'est la seule chose qui vous reste à faire, à vous ou à la terre. Au dehors il y a les cataclysmes, les Hitler et une civilisation croulante et, plus généralement, l'âne et l'inondation. Raison de plus pour se diriger vers la seule chose à faire: vous avez été envoyé pour aider à ce qu'elle soit faite. C'est difficile, la route est longue et les encouragements dispensés sont maigres? Et alors? Pourquoi s'attendre à ce que quelque chose de si grand soit facile, ou à ce qu'il doive y avoir un succès rapide ou rien du tout? Il faut faire face aux difficultés et plus on y fait face avec bonne humeur, plus tôt elles seront surmontées. La seule chose à faire est de répéter le mantra du succès, de maintenir la détermination à vaincre, la résolution inébranlable: "Je dois l'avoir et je l'aurai." Impossible? Rien n'est impossible; il y a des difficultés et des travaux de longue baleine,11 mais pas d'impossibilités. La chose que l'on est fermement déterminé à faire sera faite tôt ou tard: elle devient possible. Chassez le sombre désespoir et poursuivez bravement votre yoga. A mesure que l'obscurité disparaîtra, les portes intérieures s'ouvriront.

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1107

Que ce soit par la tapasyâ ou par la soumission importe peu; la seule chose qui importe est de garder fermement le visage tourné vers le but. Une fois que l'on a posé le pas sur le chemin, comment peut-on revenir en arrière pour retomber dans les voies inférieures? Si l'on reste ferme, les chutes n'ont pas d'importance; on se relève et on va de l'avant. Pour celui qui est résolu à atteindre le but, il ne peut pas y avoir d'échec définitif sur le chemin qui mène au Divin. Et s'il y a en vous quelque chose qui pousse en avant — ce qui est sûrement le cas — les défaillances, les chutes et les vacillements de la foi ne font finalement aucune différence. Il faut persister jusqu'à ce que le conflit soit passé et que s'ouvre devant vous le chemin libre, droit et sans épines.

Les Bases du Yoga, chapitre II. Traduction de la Mère.

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1108

Vous n'avez qu'à demeurer tranquille et ferme dans votre marche sur le sentier et dans votre volonté d'aller jusqu'au bout. Si vous le faites, les circonstances finiront par être contraintes de se modeler selon votre volonté parce qu'elle sera la Volonté du Divin en vous.

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1109

Aux premiers stades, il y a toujours des difficultés et des entraves au progrès, et jusqu'à ce que l'être soit prêt, un délai dans l'ouverture des portes intérieures. Si chaque fois que vous méditez, vous sentez la quiétude et les éclairs de la Lumière intérieure, et si l'attraction du dedans devient si forte que l'emprise du dehors diminue et que les perturbations vitales perdent de leur force, c'est déjà un grand progrès. Le chemin du yoga est long; chaque pouce de terrain doit être conquis contre une grande résistance, et il n'est pas de qualité plus nécessaire au sâdhak que la patience et une persévérance sans fluctuations, avec une foi qui reste inébranlable à travers toutes les difficultés, les retards et les échecs apparents.

Les Bases du Yoga, chapitre III. Traduction de la Mère.

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1110

Celui qui a peur de la monotonie et qui veut toujours du nouveau ne sera pas capable de faire le yoga, ou du moins ce yoga-ci qui demande une persévérance et une patience inépuisables. La peur de la mort témoigne d'une faiblesse vitale qui, elle aussi, est contraire à l'aptitude au yoga. De même, celui qui est sous la domination de ses passions trouvera le yoga difficile, et à moins qu'il ne soit soutenu par le vrai appel intérieur, par une aspiration sincère et forte à la conscience spirituelle et à l'union avec le Divin, il pourra très facilement faire une chute fatale et son effort n'aboutira à rien.

Les Bases du Yoga, chapitre II. Traduction de la Mère.

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1111

La détermination est nécessaire et aussi une ferme patience; il ne faut pas être découragé par tel ou tel échec. C'est une transformation des habitudes de la nature physique qui nécessite un travail de détail long et patient.

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1112

Votre attitude devant la transformation nécessaire et la vie nouvelle est la bonne. Une persévérance tranquille et vigilante qui ne s'afflige de rien est la meilleure manière d'y parvenir. Pour que l'intimité intérieure se rétablisse, la tranquillité doit s'approfondir afin que le psychique puisse émerger dans le physique, comme il a émergé dans les parties supérieures.

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Celui qui n'a pas le courage de faire face avec patience et fermeté à la vie et à ses difficultés ne sera jamais capable de venir à bout des difficultés intérieures bien plus grandes de la sâdhanâ. La toute première leçon dans notre yoga est d'affronter la vie et ses épreuves avec un mental tranquille, un ferme courage et une confiance complète en la Shakti divine.

Les Bases du Yoga, chapitre III. Traduction de la Mère.

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Demeurez ferme et tourné dans une seule direction: vers la Mère.

 

1 Célèbre saint vishnouïte (8°-9° siècle). Sa conversion soudaine, après "ne jeunesse de débauche, en fit un mystique passionné. Il est l'auteur d'un Poème dévotionnel à Krishna.

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2 La Mère avait donné aux fleurs des significations symboliques. "C'est quand la Mère met sa Force dans la fleur que celle-ci devient plus qu'un symbole. Elle peut alors devenir très efficace si celui à qui Mère la donne est réceptif." (Sri Aurobindo, lettre du 10 juillet 1937 in Édition du Centenaire, volume XXV, page 294.)

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3 En français dans le texte.

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4 "La consécration ne vous diminuera pas, mais vous augmentera; elle ne réduira pas, ni n'affaiblira, ni ne détruira votre personnalité, mais au contraire la fortifiera et l'agrandira." (Entretiens 1929, 4 août).

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5 En français dans le texte.

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6 Deux voleurs de grand chemin que Chaïtanya convertit d'un regard avant de les mener jusqu'à la Réalisation.

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7 Aham tvā sarvapāpebhyo mokṣayiṣyāmi mā śucaḥ

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8 En français dans le texte.

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9 "Par la grâce (kṛpā) du Gourou toutes les difficultés peuvent disparaître en un éclair, comme se dissipe une obscurité immémoriale dès l'instant où vous craquez une allumette."

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10 Dans une correspondance antérieure, le disciple avait évoqué la fable suivante: un âne vivait auprès d'un sage yogi. Un beau jour la rivière voisine déborda et inonda la contrée. Le yogi se réfugia en haut d'une colline; l'âne, emporté par le courant, se mit à braire: "Le monde se noie!" À quoi le yogi répondit: "Mais non, âne, c'est toi qui te noies." "Mais, rétorqua l'âne, si je me noie, comment puis-je être sûr que ce vaste monde survivra?"

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11 En français dans le texte.

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Sur russe

À l'anglais

in German