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SRI AUROBINDO

Lettres sur le Yoga

Volume 2. Section 3

10. Expériences et réalisations

II   III  IV V VI  VII

1733

Le mot expérience s'applique à presque tout ce qui se passe dans le yoga; seulement lorsqu'un état se stabilise, ce n'est plus une expérience, mais une partie de la siddhi: par exemple, la paix qui va et vient est une expérience; quand elle est stable et ne s'en va plus, c'est une siddhi. La réalisation, c'est autre chose: vous aspirez à une chose et elle devient réelle pour vous; par exemple, vous avez l'idée du Divin en tous, mais ce n'est qu'une idée, une croyance; quand vous sentez ou quand vous voyez le Divin en tous, c'est devenu une réalisation.

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1734

Vous faites là toutes sortes de distinctions inutiles. L'expérience d'une vérité, qu'elle se produise dans la substance du mental, dans le vital ou dans le physique, est un commencement de réalisation. Quand j'ai l'expérience de la paix, je commence à réaliser ce qu'elle est. L'expérience, en se répétant, mène à une réalisation plus complète et plus permanente. Lorsqu'elle est établie, où que ce soit, sa réalisation est complète dans tel ou tel endroit, telle ou telle partie de l'être.

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1735

On peut parler de spiritualité quand on commence à percevoir une conscience autre que l'ego et à vivre de plus en plus en elle ou sous son influence. C'est cette conscience vaste, infinie, existant en soi, dénuée d'ego, etc. que l'on appelle l'Esprit (Moi, Brahman, Divin); par conséquent c'est bien là le sens du mot spiritualité. La réalisation, c'est cela, et aussi toutes les autres choses qu'apportent l'expérience et la croissance de cette conscience plus grande.

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1736

Le yogi est quelqu'un dont la réalisation est déjà stable; le sâdhak est celui qui est en train d'atteindre la réalisation ou s'efforce encore de l'atteindre.

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1737

Aucune loi n'interdit à un sentiment d'être une expérience; les expériences sont de toutes sortes et, dans la conscience, elles prennent toutes les formes. Quand la conscience subit, voit ou sent quelque chose de spirituel, de psychique ou même d'occulte, c'est une expérience, au sens technique du yoga, car il y a évidemment toutes sortes d'expériences qui ne relèvent pas de ce domaine. Les sentiments sont eux-mêmes très divers. Le mot sentiment est souvent employé pour désigner une émotion, et certaines émotions psychiques ou spirituelles font partie des expériences yoguiques, par exemple une vague de śuddhā bhakti ou la montée de l'amour vers le Divin. Un sentiment, c'est aussi la perception de quelque chose que l'on sent: perception dans le vital, dans le psychique ou dans la substance essentielle de la conscience. J'ai même souvent entendu qualifier de sentiments des perceptions mentales, quand elles étaient très vives. Si vous excluez tous ces sentiments, et d'autres similaires, en disant que ce sont des sentiments et non des expériences, alors vous laissez très peu de place aux expériences. Le sentiment et la vision sont les formes principales de l'expérience spirituelle. On voit et on sent le Brahman partout; on sent une force pénétrer en soi ou en émaner; on sent, ou on voit, la présence du Divin au-dedans ou autour de soi; on sent, ou on voit, la descente de la Lumière; on sent la descente de la Paix ou de l'Ânanda. Envoyez promener tout cela sous prétexte que ce ne sont que des sentiments, et vous balayez la plupart des choses que nous appelons des expériences. Nous sentons aussi un changement dans la substance de la conscience ou dans son état. Nous sentons que nous nous élargissons et que le corps est un petit objet dans cette immensité (nous pouvons aussi le voir); nous sentons que a conscience du cœur est vaste et non plus étroite, malléable et non plus dure, illuminée et non plus obscure, de même pour la conscience cérébrale, la conscience vitale et même la conscience physique; nous sentons des milliers de choses de toutes sortes, et pourquoi ne les appellerions-nous pas des expériences? C'est bien entendu une vision intérieure, une sensation intérieure, une sensation subtile et non pas matérielle comme celle d'un vent froid, d'une pierre ou d'un objet quelconque, mais à mesure que la conscience intérieure s'approfondit, elle n'en est ni moins vive ni moins concrète, bien au contraire.

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1738

Une expérience est une chose incontestable que l'on doit apprécier à sa juste valeur. Le mental peut exagérer lorsqu'il y pense, sa valeur n'en est pas abolie pour autant.

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1739

Il ne s'agit pas de donner une valeur égale à tout ce que vous faites, mais de reconnaître à chacun des éléments divers de la sâdhanâ sa valeur propre. On ne peut pas établir une règle selon laquelle les transes auraient peu de valeur ou les expériences seraient d'une importance inférieure, pas plus que l'on ne peut dire que le travail est sans importance ou d'une importance mineure.

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1740

Dans un sens plus profond et plus spirituel, une réalisation concrète est celle qui rend la chose réalisée plus réelle, plus dynamique, plus intimement présente à la conscience que ne peut l'être n'importe quelle chose physique. Une telle réalisation du Divin personnel, ou du Brahman impersonnel, ou du Moi, ne vient en général ni dès le début d'une sâdhanâ, ni dans les premières années, ni durant de nombreuses années. Ceux à qui elle vient ainsi sont très peu nombreux. Mais le fait de s'y attendre et de l'exiger si tôt serait considéré par tout yogi ou sâdhak expérimenté comme une impatience anormale et plutôt inconsidérée. Beaucoup diraient qu'un développement lent est le meilleur qu'on puisse espérer pendant les premières années, et que l'expérience définitive ne peut venir que lorsque la nature est prête et pleinement concentrée sur le Divin. Chez certains, de rapides expériences préparatoires peuvent venir à un stade relativement précoce; même ceux-là ne peuvent cependant échapper au labeur de la conscience, qui fera culminer ces expériences en une réalisation durable et complète. La question n'est pas de savoir si cela vous plaît ou non; c'est affaire de fait, de vérité et d'expérience. C'est un fait que ceux qui sont pleins de bonne humeur et prêts à aller pas à pas, même à pas lents s'il le faut, avancent en réalité plus vite et plus sûrement que ceux qui sont impatients et pressés. C'est ce que j'ai toujours constaté.

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1741

[La réalisation du moi] ne prend pas beaucoup de temps! Souvent toute la vie et plusieurs vies encore ne suffisent pas à l'accomplir. Le gourou de Râmakrishna a mis trente ans pour l'atteindre et même alors il ne prétendait pas y être arrivé.

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1742

Votre supposition [que vous ne pouvez pas aimer le Divin avant d'en avoir eu l'expérience d'une manière ou d'une autre] est en contradiction avec l'expérience de nombreux sâdhak. Je crois que Râmakrishna a indiqué quelque part que l'amour, la joie, l'ardeur étaient bien plus intenses dans la quête que dans l'accomplissement. Je ne suis pas d'accord avec lui, mais cela montre au moins que l'amour intense est possible avant la réalisation.

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1743

Mon argument est que des centaines de bhakta aiment le Divin et le cherchent sans en avoir eu aucune expérience concrète, sans rien pour les soutenir que leur conception mentale ou leur croyance émotive en Lui. C'est là toute la question: il est faux que l'on doive avoir une expérience décisive ou concrète avant de pouvoir ressentir l'amour pour le Divin. C'est contraire aux faits, aux faits les plus ordinaires de l'expérience spirituelle.

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1744

Le bhakta ordinaire n'a pas un cœur de lion. Les sâdhak au cœur de lion ont des expériences relativement tôt, alors que le bhakta ordinaire est souvent obligé de se nourrir de son propre amour ou de son désir d'amour pendant des années... ce qu'il fait.

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1745

Ce que je voulais dire, au sujet des expériences, est simplement ceci: vous vous êtes fait vos propres idées sur ce que vous voulez obtenir du yoga et vous avez toujours mesuré d'après cette norme ce qui commençait à venir; et parce que ce n'était pas conforme à votre attente ou à la hauteur de votre norme, au bout d'un moment vous vous êtes dit: "Ce n'est rien, ce n'est rien." À chaque pas cette insatisfaction vous exposait à une réaction ou à un recul qui empêchait tout développement continu. Le yogi expérimenté sait que les petits commencements sont de la plus grande importance, que l'on doit les chérir et leur permettre, avec une grande patience, de se développer. Il sait, par exemple, que la tranquillité neutre si peu satisfaisante pour l'ardeur vitale du sâdhak est le premier pas vers la paix qui dépasse toute compréhension, que le petit courant ou frémissement de délice intérieur est le premier ruisselet de l'océan d'Ânanda, que le jeu des lumières ou des couleurs est la clé qui ouvre les portes de la vision et de l'expérience intérieures, que la descente qui raidit le corps en une immobilité concentrée est le premier contact de quelque chose qui débouchera sur la présence du Divin. Il n'est pas impatient; il prend grand soin au contraire de ne pas déranger l'évolution qui commence. Assurément certains sâdhak ont des expériences fortes et décisives au début, mais celles-ci sont suivies d'un long labeur accompagné de nombreuses périodes de vide et de nombreuses périodes de lutte.

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1746

Il n'y a certes pas lieu de désespérer. La béatitude vient toujours goutte à goutte au début, ou en un ruisselet intermittent. Vous devez persévérer avec bonne humeur et en pleine confiance jusqu'à ce qu'elle se déverse en cascade.

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1747

Si vous décidez vraiment, dans toute votre conscience, d'offrir votre être au Divin afin qu'il le modèle comme Il le veut, la plupart de vos difficultés personnelles disparaîtront — je veux dire celles qui subsistent encore — et il ne restera plus que les difficultés mineures de la transformation de la conscience ordinaire en une conscience yoguique, qui sont normales à toute sâdhanâ. Votre difficulté mentale a été tout au long de vouloir modeler la sâdhanâ, la réception des expériences, la réponse du Divin, sur les idées préconçues de votre mental, sans laisser au Divin aucune liberté d'agir ou de se manifester selon Sa vérité et Sa réalité propres et selon les besoins de votre âme et de votre esprit, et non ceux de votre mental et de votre vital. C'est comme si votre vital présentait au Divin un verre multicolore en Lui disant: "Maintenant, verse-toi là-dedans et je t'y enfermerai pour te regarder à travers les couleurs," ou bien, d'un point de vue mental, comme si vous lui offriez de la même manière une éprouvette en disant: "Entre là-dedans et je te soumettrai à des essais pour voir ce que tu es." Mais le Divin recule devant de tels procédés et Ses objections ne sont pas tout à fait inintelligibles.

Quoi qu'il en soit, je suis heureux que l'expérience soit revenue; c'est le résultat de l'effort que nous avons fait, vous et moi, durant ces derniers jours, et pratiquement cela nous rappelle que la porte d'entrée à l'expérience yoguique est toujours là et peut s'ouvrir au contact approprié. Vous m'avez accusé l'autre jour de m'être trompé au sujet de votre expérience de la respiration accompagnée du nom, et vous m'avez reproché de tirer une grande conclusion d'un très petit phénomène, ce que, soit dit en passant, les hommes de science font quotidiennement sans que votre raison ne soulève la moindre objection. Vous aviez la même idée, je crois, lorsque j'ai reconnu dans vos expériences passées — ce courant et cette descente d'immobilité dans le corps — des signes du yogi en vous. Mais ces idées naissent d'une ignorance du domaine spirituel et de ses phénomènes et montrent seulement l'incapacité de la raison intellectuelle extérieure à jouer le rôle que vous voulez lui faire jouer: celui de juge suprême de la vérité spirituelle et de l'expérience intérieure; incapacité tout à fait naturelle, puisque la raison ne connaît pas même l'abc de ces choses, et que l'on puisse être juge d'une chose à laquelle on ne connaît rien dépasse mon entendement. Je sais que les "hommes de science" le font constamment avec les phénomènes supraphysiques extérieurs à leur domaine: eux qui n'ont jamais eu la moindre expérience spirituelle ou occulte font la loi sur les phénomènes occultes et le yoga; mais cela ne les rend en rien plus raisonnables ou plus excusables. Tout yogi qui sait quelque chose du prânâyâma ou du japa vous dira que le nom qui se répète dans le souffle n'est pas un phénomène mineur, mais qu'il a une grande importance dans ces pratiques, et s'il vient naturellement, cela indique que quelque chose dans l'être intérieur a fait une sâdhanâ de ce genre dans le passé. Quant au courant, c'est le signe habituel d'un premier contact de la conscience supérieure qui se déverse sous la forme d'un cours d'eau (comme l'"onde" de lumière du physicien) pour se préparer à prendre possession du mental, du vital et du physique dans le corps. De même, l'immobilité et la rigidité du corps dans votre expérience antérieure étaient un signe de la même descente de la conscience supérieure sous sa forme immobile et silencieuse ou dans sa tendance à l'immobilité et au silence. On est parfaitement fondé à conclure que celui qui a ces expériences au début a en lui une aptitude au yoga et la capacité de s'ouvrir, même si l'ouverture est retardée par d'autres mouvements appartenant à sa nature ordinaire. Ces choses font partie de la science du yoga, elles sont aussi familières que les expériences cruciales des sciences de la matière pour le chercheur scientifique.

Quant à l'impression de vous évanouir, c'est simplement parce que vous n'étiez pas endormi, comme vous l'avez imaginé, mais dans un premier état de ce qu'on appelle d'ordinaire svapna-samādhi, transe de rêve. Ce que vous avez ressenti comme un évanouissement était seulement la tendance à entrer plus profondément au-dedans dans un svapna-samādhi plus profond, ou encore dans une transe de suṣupti, celle-ci étant ce que le mot "trance" signifie d'ordinaire en anglais, mais on peut aussi l'étendre à la catégorie de la svapna. Pour le mental extérieur, cette perte profonde de la conscience extérieure semble être un évanouissement, bien qu'il ne soit en réalité rien de tel, d'où cette impression. De nombreux sâdhak de l'Ashram ont par moment, et parfois pendant longtemps, ce svapna-samādhi profond, état qui a commencé comme un sommeil; le résultat en est qu'une sâdhanâ consciente se poursuit pendant qu'ils dorment autant que lorsqu'ils sont éveillés. Ces expériences sont différentes des expériences de rêve que l'on a sur le plan mental ou vital et qui sont non des rêves ordinaires, mais des expériences réelles sur les plans du mental, du vital, du psychique ou du physique subtil. Plusieurs de vos rêves — ceux dans lesquels vous rencontriez la Mère — étaient des expériences de rêve dans le vital, et récemment vous avez eu un contact semblable sur le plan mental; pour ceux qui comprennent ces choses, cela signifie que la conscience intérieure se prépare dans le mental tout autant que dans le vital et c'est un grand pas en avant.

Vous allez me demander pourquoi cela se produit soit pendant le sommeil, soit dans une méditation intériorisée, et non à l'état de veille. La raison en est double. D'abord, dans le yoga, ces phénomènes commencent d'habitude à apparaître dans un état intériorisé et non à l'état de veille; c'est seulement dans le cas où le mental de veille est prêt, ou lorsqu'il l'est devenu, qu'ils viennent aussi aisément dans l'état de veille. De surcroît, chez vous, le mental de veille s'attachait trop activement aux idées et aux fonctionnements de la conscience extérieure pour que le mental intérieur ait une chance de se projeter dans l'état de veille. Mais c'est par l'intermédiaire de la conscience intérieure, et en premier lieu par le mental intérieur que ces choses viennent; si le passage de l'intérieur à l'extérieur n'est pas dégagé, c'est donc forcément dans les états intérieurs qu'elles apparaissent tout d'abord. Si le mental de veille est soumis ou consacré à la conscience intérieure et accepte de devenir son instrument, alors même dès le début ces ouvertures peuvent venir par l'intermédiaire de la conscience de veille. Cela aussi, c'est une loi bien connue du yoga.

Je puis ajouter que lorsque vous vous plaignez de l'absence de réponse, vous vous attendez sans doute dans l'immédiat à une sorte de manifestation directe du Divin, ce qui, en règle générale — et bien qu'il y ait des exceptions — vient seulement lorsque des expériences antérieures ont préparé la conscience à sentir, comprendre, reconnaître la réponse. D'ordinaire la conscience spirituelle ou divine — ce que j'ai appelé la conscience supérieure — vient d'abord, la présence ou manifestation vient ensuite. Mais cette descente de la conscience supérieure est en réalité le contact ou l'influx du Divin lui-même, bien que de prime abord la nature inférieure ne le reconnaisse pas.

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1748

Je ne dis pas que ces expériences soient uniformément sans valeur, mais qu'elles sont si mélangées et si confuses que si on les recherche sans aucun discernement, elles finissent soit par vous fourvoyer — parfois de façon tragique — soit par vous mener dans un néant plein de confusion.

Cela ne signifie pas que toutes les expériences de ce type soient inutiles ou sans valeur. Certaines sont solides et d'autres ne le sont pas; celles qui sont salutaires, conformes à la vérité, sont tantôt des poteaux indicateurs, tantôt des étapes sur le chemin de la réalisation, tantôt la substance et la matière mêmes de la réalisation. Celles-ci, naturellement et à juste titre, on les recherche, on les appelle, on s'efforce de les obtenir ou du moins on s'ouvre dans l'attente confiante qu'elles arriveront tôt ou tard. Vos principales expériences ont peut-être été peu nombreuses ou discontinues, mais je ne peux pas dire qu'elles n'étaient pas solides ou ne vous ont pas aidé. Je dirais que mieux vaut avoir quelques-unes de ces expériences qu'une multitude des expériences de l'autre type. Tout ce que je voulais dire, c'est qu'il ne faut pas se laisser impressionner par la seule abondance des expériences; il ne faut pas croire que cela suffit à faire un grand sâdhak, ni que son absence est nécessairement une infériorité, une déplorable privation ou une carence de la seule chose désirable.

Deux catégories d'événements se produisent dans le yoga: les réalisations et les expériences. Il y a réalisation lorsque la conscience reçoit et que s'y stabilisent les Vérités fondamentales du Divin, de la Nature supérieure ou divine, de la conscience cosmique et du jeu de ses forces, du moi et de sa nature réelle, et de la nature intérieure des choses, et lorsque leur pouvoir grandit en soi au point qu'elles fassent partie de la vie et de l'existence intérieure; comme, par exemple, la réalisation de la Présence divine, la descente et l'établissement de la Paix, de la Lumière, de la Force, de l'Ânanda supérieurs dans la conscience, leurs fonctionnements dans cette conscience, la réalisation de l'amour divin ou spirituel, la perception de notre être psychique, la découverte de notre être mental vrai, vital vrai, physique vrai la réalisation de la conscience surmentale ou supramentale, la claire perception de la relation de toutes ces choses avec notre présente nature inférieure et leur action sur elle pour la transformer. Cette liste pourrait bien entendu s'allonger indéfiniment. Quand ces choses viennent seulement par éclairs, par bribes, ou en de rares occasions, on les appelle souvent aussi des expériences; on ne les qualifie de réalisations complètes que lorsqu'elles deviennent très positives ou très fréquentes, très continues ou très normales.

Puis il y a des expériences qui aident à la réalisation des choses spirituelles ou divines ou y mènent, qui apportent des ouvertures ou des progrès dans la sâdhanâ, ou sont des soutiens sur le chemin: expériences d'un caractère symbolique, visions, contacts d'un genre ou d'un autre avec le Divin ou les opérations de la Vérité supérieure, comme par exemple l'éveil de la Koundalinî, l'ouverture des chakra, les messages, les intuitions, l'ouverture de pouvoirs intérieurs, etc. Le seul point sur lequel on doit être prudent est de voir si elles sont authentiques et sincères, et cela dépend de votre propre sincérité; car si l'on n'est pas sincère, si l'on accorde plus d'intérêt à satisfaire l'ego, à être un grand yogi, à devenir un surhomme, qu'à rencontrer le Divin ou à acquérir la conscience divine qui vous permettra de vivre dans le Divin ou avec lui, alors un flot de pseudo-expériences ou d'expériences falsifiées s'introduit, on est conduit dans les dédales de la zone intermédiaire, ou on tourne en rond dans les ornières de ses propres formations. Telle est la vérité en la matière.

Alors pourquoi X dit-il que l'on ne doit pas faire la chasse aux expériences, mais seulement aimer et rechercher le Divin? Cela signifie simplement que vous ne devez pas faire des expériences votre but principal, mais que votre seul but doit être le Divin, et si vous agissez ainsi, vous aurez plus de chances de recevoir les expériences vraies et salutaires et d'éviter les fausses. Si quelqu'un recherche principalement les expériences, son yoga peut devenir un simple abandon aux choses mineures des mondes du mental, du vital, du physique subtil, ou aux choses spirituelles d'importance secondaire; ou il peut faire descendre un tourbillon, un maelström d'expériences mélangées, totalement ou à moitié imitées, et élever un obstacle entre l'âme et le Divin. C'est une règle très judicieuse de la sâdhanâ. Mais toutes ces règles, toutes ces constatations doivent être prises avec un certain sens de la mesure et dans leurs limites appropriées; cela ne signifie pas que l'on ne doive pas faire bon accueil aux expériences salutaires, ou qu'elles n'ont aucune valeur. De même, quand s'ouvre une voie d'expériences solides, il est tout à fait licite de la suivre, sans perdre de vue le but central. Tous les contacts, en rêve ou en vision, qui aident et qui soutiennent, comme ceux dont vous parlez, doivent être acceptés et bien accueillis. Les expériences de la bonne catégorie sont un soutien et une aide vers la réalisation: elles sont sous tous les rapports admissibles.

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1749

Ne recherchez pas les expériences avec trop d'ardeur: les expériences, vous pourrez toujours les avoir une fois que vous aurez rompu la barrière entre le mental physique et les plans subtils. Ce à quoi vous devez aspirer le plus, c'est à améliorer la qualité de la conscience réceptrice en vous, à acquérir la discrimination du mental, à jeter sur tout ce qui se passe en vous et autour de vous le regard détaché et impersonnel du Témoin, à atteindre la pureté dans le vital, une calme équanimité, une patience persévérante, une absence d'orgueil et de sentiment de la grandeur, et plus particulièrement à développer l'être psychique en vous: consécration, don de soi, humilité psychique, dévotion. C'est une conscience faite de tout cela, fondue dans ce moule, qui peut sans se briser, sans faire de faux pas ni dévier dans l'erreur, supporter l'irruption des lumières, du pouvoir et des expériences des plans supraphysiques. Une perfection entière à ces égards n'est guère possible avant que la nature tout entière, depuis le mental supérieur jusqu'au physique subconscient, soit unifiée dans la lumière qui est plus grande que le mental, mais une fondation suffisante et une conscience sans cesse en train de s'observer, vigilante et possédant tout cela de plus en plus est indispensable; car la parfaite purification est la base de la parfaite siddhi.

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1750

Ce qu'il faut, dans la sâdhanâ, c'est arriver à une certaine tranquillité du mental intérieur qui rend la méditation fructueuse, ou à une tranquillité du cœur qui crée l'ouverture psychique. C'est seulement par une concentration régulière, une aspiration constante et une volonté de purifier le mental et le cœur de ce qui les trouble et les agite que l'on peut y parvenir. Quand une certaine base a été établie dans ces deux centres, les expériences viennent d'elles-mêmes. Nul doute que de nombreux sâdhak puissent recevoir certaines formes d'expériences: visions, etc., avant que la base soit bien établie, par une sorte d'aptitude mentale ou vitale; mais de telles expériences ne mènent pas à elles seules à la transformation ou à la réalisation: c'est par la tranquillité du mental et l'ouverture psychique que ces objectifs supérieurs peuvent être atteints.

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1751

Il faut insister sur trois points:

1) une totale tranquillité et un calme complet du mental et de tout l'être;

2) une poursuite du mouvement de purification décrit dans le post scriptum pour que l'être psychique (l'âme) puisse gouverner toute la nature;

3) le maintien, en toutes conditions et dans toutes les exppériences, de l'attitude d'adoration et de bhakti pour la Mère.

Telles sont les conditions dans lesquelles on peut croître en sécurité à travers toutes les expériences et obtenir un juste déroulement de la réalisation complète sans que l'organisme soit perturbé, ou sans que l'on soit emporté par l'intensité des expériences. Le calme, la pureté psychique, la bhakti et l'humilité spirituelle devant le Divin sont les trois conditions. Vos expériences sont en elles-mêmes justes et salutaires.

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1752

Je ne crois pas que vous ayez des raisons d'être insatisfait des progrès que vous avez faits. Nombreux sont ceux à qui les expériences viennent avant que la nature ne soit prête à en tirer pleinement profit; pour d'autres, une période plus ou moins prolongée de purification et de préparation de la substance de la nature ou des instruments vient tout d'abord, tandis que les expériences sont tenues en réserve jusqu'à ce que ce processus soit achevé, dans l'ensemble ou en totalité. Cette dernière méthode, qui semble avoir été adoptée dans votre cas, est la plus sûre et la plus solide des deux. À cet égard il nous paraît évident que vous avez fait un progrès considérable, par exemple dans la maîtrise de la violence, de l'impatience et de la passion qui sont naturelles à l'énergie volcanique de votre tempérament; dans la sincérité aussi, en infléchissant vers une tranquillité et une harmonie plus grandes de l'être dans son ensemble les impulsions tortueuses et vagabondes d'un mental et d'un tempérament actifs à l'extrême. Le processus doit sans aucun doute être achevé, mais quelque chose de très fondamental semble s'être accompli. Il est plus important de considérer votre évolution sous son aspect positif que sous son aspect négatif. Les choses qui doivent s'établir sont: brahmacaryam śamaḥ satyam praśāntir ātmasaṃyamaḥ brahmacaryam, la' pureté sexuelle complète; śamaḥ, la tranquillité et l'harmonie dans l'être dont les forces doivent être entretenues, mais maîtrisées, harmonisées, disciplinées; satyam, la vérité et la sincérité dans toute la nature; praśānti, un état général de paix et de calme; ātmasaṃyamaḥ, le pouvoir et l'habitude de maîtriser tout ce qui a besoin de l'être dans les mouvements de la nature. Quand ces choses sont bien établies, on a posé une fondation sur laquelle on peut faire croître la conscience yoguique, et avec la conscience yoguique vient une ouverture aisée à la réalisation et à l'expérience.

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1753

Vous avez eu des expériences qui dénotent une possibilité future. Pour obtenir davantage durant les dix-huit premiers mois, il faudrait avoir l'attitude complète du sâdhak et abandonner celle de l'homme qui vit dans le monde. C'est seulement ainsi que le progrès peut être rapide dès le début.

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1754

Tous ces renoncements [à la nourriture, au thé, etc.] sont des choses extérieures qui ont leur utilité; mais ce que je veux dire, [par "attitude complète du sâdhak"] c'est quelque chose de plus intérieur. J'entends par là ne pas s'intéresser aux choses extérieures pour elles-mêmes, ne pas les rechercher par désir, mais être à tout moment attentif à son âme, vivre en ayant pour centre l'être intérieur et son progrès, ne considérer les circonstances et l'action extérieures que comme un moyen de progrès intérieur.

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1755

Mais pourquoi être accablé par une abondance d'expériences de n'importe quel ordre? À quoi cela revient-il, après tout? La qualité d'un sâdhak n'en dépend pas: une seule grande réalisation spirituelle directe et centrale fera souvent un grand sâdhak ou un grand yogi, et non une multitude d'expériences yoguiques intermédiaires, ce qui a été amplement prouvé par une foule d'exemples... Vous n'avez par conséquent pas besoin de comparer cette richesse à votre pauvreté. La seule chose nécessaire est de vous ouvrir à la descente de la conscience supérieure (l'être véritable) et même si elle vient après un long effort et de nombreux échecs, cela vaut mieux qu'un galop fou qui ne mène nulle part.

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1756

Dans la sâdhanâ, l'expérience ne peut manquer de commencer par le plan mental; la seule chose nécessaire est que l'expérience soit saine et authentique. La pression de l'entendement et de la volonté dans le mental et l'élan émotionnel du cœur vers Dieu sont les deux premiers agents du yoga, et la paix, la pureté et le calme (avec une trêve de l'agitation inférieure) sont précisément la première base qui doit être posée. Obtenir cela est beaucoup plus important au début que d'entrevoir les mondes supraphysiques ou d'avoir des visions, entendre des voix et obtenir des pouvoirs. La purification et le calme sont de première nécessité dans le yoga. Sans eux, on peut avoir une grande richesse d'expériences de ce genre (mondes, visions, voix, etc.) mais survenant dans une conscience impure et agitée, ces expériences sont le plus souvent pleines de désordre et de mélange.

Au début, la paix et le calme ne sont pas continus; ils viennent et repartent, et d'ordinaire il faut longtemps avant qu'ils s'établissent dans la nature. Il est donc préférable d'éviter l'impatience et de poursuivre résolument ce que l'on fait. Si vous désirez avoir quelque chose en plus de la paix et du calme, que ce soit l'ouverture complète de l'être intérieur et la perception du Pouvoir divin qui travaille en vous. Aspirez à cela avec sincérité et une grande intensité, mais sans impatience, et cela viendra.

Les Bases du Yoga, chapitre 1. Traduction de la Mère.

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1757

Tout à fait exact. À moins que l'âdhâr ne soit purifié, ni la vérité supérieure (intuitive, illuminée, spirituelle), ni la vérité surmentale, ni la vérité supramentale ne peuvent se manifester; les forces, quelles qu'elles soient, qui en descendent se mêlent à la conscience inférieure et la demi-vérité, ou même parfois une dangereuse erreur, se substitue à la Vérité.

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1758

À un certain stade de la sâdhanâ, au début (ou presque) des expériences plus intenses, il arrive parfois que l'on ait l'intense réalisation d'un certain aspect du Divin, une sorte de communion avec cet aspect: on le voit partout et on voit tout comme lui. C'est une phase transitoire; ensuite, on reçoit l'expérience plus vaste du Divin (personnel) dans tous ses aspects et au-delà de tous les aspects. Tout au long de l'expérience, une partie de l'être doit l'observer et la comprendre; quelquefois, en effet, des sâdhak ignorants sont transportés par leur expérience et ne vont pas plus loin, ou se mettent à divaguer. Vous devez considérer cela comme une expérience par laquelle il faut passer.

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1759

Les expériences particulières qui vous adviennent en ce moment sont des aperçus de ce qui doit être, de ce qui grandit et s'annonce; elles aident à y préparer la conscience. Il n'est donc pas surprenant qu'elles changent et soient remplacées par d'autres; c'est ce qui se produit d'habitude, car ce ne sont pas ces formes qui doivent se perpétuer, mais l'essence même de ce qu'elles apportent. Ainsi la seule chose qui, maintenant, doit s'accroître le plus est le silence, la tranquillité, la paix, la vacuité libre dans laquelle les expériences peuvent venir, la sensation de fraîcheur et le sentiment de libération. Quand la conscience en sera pleinement possédée, alors un autre élément, essentiel lui aussi à la vraie conscience, y pénétrera, et s'y établira; c'est en général ainsi que les choses se passent. Il n'y a rien d'étrange, par conséquent, à ce que certaines expériences d'un caractère particulier cessent lorsque vous en avez fait part à la Mère, de vive voix ou par écrit, et soient suivies par d'autres. Quand les formes de réalisation plus permanentes commenceront à apparaître, il n'en sera plus ainsi.

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1760

Je ne mets nullement en doute l'intensité personnelle ou le caractère concret de vos expériences intérieures, mais les expériences peuvent être intenses et pourtant très adultérées dans leur vérité et leur caractère. Dans vos expériences, votre propre subjectivité et parfois les poussées de votre ego interviennent dans une large mesure et déterminent leur forme et l'impression qu'elles font sur vous. Si la réaction psychique est pure, la forme donnée à l'expérience a quelque chance d'être la bonne et les mouvements du mental et du vital se présenteront dans leur vraie nature. Sinon le mental, le vital et l'ego conféreront à l'expérience leur coloration, leur tendance, très souvent leur déformation. intensité ne garantit pas la vérité et l'exactitude entières de l'expérience; seule la pureté de la conscience peut donner une vérité et une exactitude entières.

La présence de la Mère est toujours là; mais si vous décidez d'agir par vous-même — selon votre propre idée, votre propre conception des choses, votre propre volonté, votre exigence à l'égard des choses — alors très probablement sa présence se voilera: ce n'est pas elle qui se retirera de vous, c'est vous qui reculerez devant elle. Mais cela, votre mental et votre vital ne veulent pas l'admettre, parce qu'ils se préoccupent sans cesse de justifier leurs propres mouvements. Si vous aviez laissé prédominer le psychique, cela ne serait pas arrivé; il aurait senti le voile, mais aurait dit aussitôt: "Il doit y avoir en moi quelque chose d'erroné, une brume s'est levée en moi"; il se serait observé et aurait découvert la cause.

Il est parfaitement vrai que tant que le don de soi ne sera pas sans réserve à la fois à l'intérieur et à l'extérieur, il y aura toujours des voiles, des périodes sombres et des difficultés. Mais si le don de soi était sans réserve à l'intérieur, le don de soi sans réserve à l'extérieur suivrait naturellement; si cela ne se produit pas, cela signifie que l'intérieur n'est pas consacré sans réserve; qu'il y a des réticences dans une certaine partie du mental qui insiste pour imposer ses idées et ses conceptions; qu'il y en a dans une certaine partie du vital qui veut imposer ses propres exigences, ses impulsions, ses mouvements, les idées de son ego, ses formations; qu'il y en a dans le physique intérieur qui tient à conserver ses vieilles habitudes de toutes sortes, et tous réclament consciemment, semi-consciemment ou subconsciemment que ces choses soient maintenues, respectées, satisfaites, considérées comme un élément important du travail, de la "création" ou du yoga.

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1761

Les expériences sur les plans du mental, du vital et du physique subtil, ou les formations de pensée et les formations vitales, se présentent souvent comme des événements extérieurs concrets; les véritables expériences sont, de la même manière, déformées par des excroissances et des adjonctions mentales et vitales. L'une des premières nécessités, dans notre yoga, est une discrimination et un tact psychique qui distinguent le faux du vrai, mettent chaque chose à sa place et lui donnent sa vraie valeur — ou constatent sa nullité — sans se laisser emporter par l'exaltation du mental ou de l'être vital.

II

1762

Le simple fait d'avoir des expériences de la conscience supérieure ne transformera pas la nature. Ou bien la conscience supérieure doit, par une descente dynamique, pénétrer l'être tout entier et le transformer; ou bien elle doit s'établir dans l'être intérieur en descendant jusqu'au physique intérieur, afin que celui-ci se sente séparé de l'être extérieur et soit capable d'agir sur lui en toute liberté; ou encore le psychique doit venir en avant et transformer la nature; ou enfin la volonté intérieure doit s'éveiller et forcer la nature à se transformer. Telles sont les quatre manières dont peut s'opérer la transformation.

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1763

Ce qui est difficile dans le yoga, ce n'est pas d'obtenir des expériences ou de parvenir à une réalisation subjective de la Vérité: c'est d'objectiver la Vérité, c'est-à-dire de faire de la conscience extérieure, jusqu'à son niveau le plus matériel, une expression de la Vérité intérieure. Tant que ce n'est pas fait, les attaques de la Nature inférieure peuvent toujours survenir.

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1764

La conscience cosmique, la connaissance et l'expérience surmentales sont une connaissance intérieure, mais leur effet est subjectif. Dès lors qu'on les possède on peut être libre dans son âme, mais pour transformer la nature extérieure il faut quelque chose de plus.

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1765

Subjectif ne veut pas dire faux. Cela signifie seulement que l'on a l'expérience de la Vérité au-dedans, mais que cette Vérité n'a pas encore pris en main les relations dynamiques avec l'existence extérieure. C'est une expérience intérieure de la conscience cosmique et de la connaissance surmentale.

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1766

Je vous ai déjà dit un jour que vos expériences sont subjectives, et dans le domaine subjectif elles sont en substance correctes, en tant que telles. Mais pour entrer dans le surmental, l'expérience subjective ne suffit pas. Il faut d'abord avoir suffisamment appliqué l'intuition et le surmental à la vie.

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1767

Qu'entendez-vous par vrai? Vous avez une expérience subjective qui appartient à un plan supérieur de conscience. Quand vous descendez, vous descendez avec elle dans le matériel et vous voyez toute l'existence dans la vérité de cette conscience, tout comme celui qui, lorsqu'il a la vision du Divin partout, voit tout, jusqu'au monde matériel en bas, comme le Divin.

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1768

Cela se produit ainsi dans la conscience subjective du sâdhak. Évidemment cela ne signifie pas que le monde tout entier, la conscience de chacun devienne la même... Si votre expérience était objective, cela voudrait dire que le monde aurait changé, que tous seraient devenus conscients, qu'il n'y aurait ni chagrin ni souffrance nulle part. Le monde matériel n'a pas changé objectivement de la sorte, cela va sans dire; seulement dans votre conscience, subjectivement, vous voyez le Divin partout, toute disharmonie disparaît, le chagrin et la souffrance deviennent impossibles, au moins à ce moment-là: c'est une expérience subjective.

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1769

Cela dépend de ce que vous entendez par subjectif et objectif. La Connaissance et l'Ignorance sont, par nature, subjectives. Mais du point de vue personnel, la Force d'Ignorance peut se manifester comme quelque chose d'objectif, d'extérieur à soi, de sorte que même si l'on a soi-même la Connaissance, on ne peut pas éliminer l'Ignorance alentour. Puisqu'il en est ainsi, l'Ignorance n'est pas simplement une force subjective que l'on a en soi, elle est là dans le monde.

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1770

C'était, semble-t-il, une série d'expériences des divers bhâva de la bhakti, et elle n'est venue que pour donner une expérience ou pour diversifier la bhakti. Ces expériences sont bien entendu purement subjectives, elles ont pour objet d'éduquer la conscience et n'ont aucune valeur précise pour la manifestation elle-même. Elles ont simplement pour but l'expérience et la connaissance subjectives.

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1771

La lumière dorée est en général une lumière qui vient du supramental, une lumière de la Connaissance-de-Vérité (parfois, cela peut être la Connaissance-de-Vérité supramentale changée en vérité surmentale ou intuitive). L'orangé indique souvent un pouvoir occulte. Vous avez un puissant pouvoir de formation créatrice (subjective), principalement, je crois, dans le mental, mais aussi en partie sur le plan vital. Ce genre de faculté formatrice peut être utilisée à des fins objectives, si elle s'accompagne d'une connaissance solide des forces occultes et de leur fonctionnement; prise isolément, cependant, son résultat le plus fréquent est que l'on se construit son propre monde intérieur où l'on peut vivre entièrement satisfait, tant que l'on vit en soi-même et à l'écart de tout contact étroit avec la vie physique extérieure; mais elle ne résiste pas à l'épreuve de l'expérience objective.

Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 7.

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1772

Dans chaque plan il y a un aspect objectif et un aspect subjectif. Le plan physique et la vie physique ne sont pas les seuls à être objectifs.

Quand on a le pouvoir de formation dont je parlais, tout ce qui est suggéré au mental, le mental en fabrique et en établit une forme en lui-même. Mais ce pouvoir est à double tranchant: il peut induire le mental à construire de simples images de la réalité et à les prendre pour la réalité elle-même. C'est l'un des nombreux dangers d'un mental trop actif.

Vous faites une formation en vous-même, dans votre mental ou sur le plan vital: c'est une sorte de création, mais elle est seulement subjective; elle n'affecte que votre propre être mental ou vital. À l'aide d'idées, de formes de pensée, d'images, vous pouvez créer tout un monde, en vous-même ou pour vous-même; mais cela ne va pas plus loin.

Certains ont le pouvoir de faire consciemment des formations qui sortent et affectent les autres: leur mental, leurs actions, leurs mouvements vitaux, leur vie extérieure. Ces formations peuvent être destructrices autant que créatrices.

Il y a enfin le pouvoir de faire des formations qui deviennent des réalités effectives ici-bas, dans la conscience terrestre, dans son mental, sa vie et son existence physique. C'est ce que nous entendons d'ordinaire par création.

Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 7.

III

1773

La réalisation mentale est utile au début et prépare l'expérience spirituelle.

Elle peut aussi aider au début, mais elle peut également retarder. Cela dépend des sâdhak.

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1774

L'expérience de Wordsworth était elle aussi mentale. Les expériences mentales sont bien entendu une bonne préparation, mais en s'arrêtant là on reste bien loin de la vraie chose.

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1775

[La réalisation du Divin dans le mental] C'est une certaine sorte de cognition vivante qui comprend deux parties: dans la pensée, une perception vivante qui s'élève jusqu'à l'intuition ou la révélation et, dans la substance du mental, le vif sentiment mental et la reproduction de ce qui est ainsi connu. Ainsi le mental sent l'Un en tous, le voit, le réalise par une sorte de sens mental intérieur. La réalisation spirituelle est plus concrète: on a la connaissance par une sorte d'identité jusque dans la substance de soi-même.

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1776

On ne peut le savoir que par expérience. La perception mentale et la réalisation mentale sont deux choses différentes: la première est seulement une idée, dans la seconde le mental reflète ou reproduit la vérité dans sa substance même. L'expérience spirituelle est plus que l'expérience mentale: elle se déroule dans la substance même de l'être.

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1777

La perception mentale du Divin n'est pas identique à sa réalisation spirituelle; de même, le sentiment vital ou mental de l'unité n'a ni le même caractère essentiel, ni le même effet que la réalisation spirituelle de l'unité. La conscience d'un plan est différente de la conscience d'un autre plan. L'amour spirituel et l'amour psychique sont différents de l'amour mental, vital ou physique; ainsi en est-il de tout le reste. Il en est de même de la perception de l'unité et de ses conséquences. C'est pourquoi les différents plans ont leur importance; sinon leur existence n'aurait pas de signification.

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1778

Votre expérience est le début de la réalisation fondamentale et décisive qui transporte la conscience hors du mental limité dans la vraie vision spirituelle, dans l'expérience spirituelle véritable où tout est un et tout est le Divin. C'est cette expérience constante et vivante qui est la vraie fondation de la vie spirituelle. On ne peut douter de sa vérité et de sa valeur, car elle est de toute évidence vivante et dynamique et elle va bien au-delà d'une réalisation mentale. Divers aspects pourront s'y adjoindre plus tard, mais vous avez maintenant la réalisation essentielle et fondamentale. Quand elle devient permanente, on peut dire que l'on est sorti du demi-jour du mental pour entrer dans la Lumière de l'Esprit.

Ce que vous devez faire maintenant, c'est permettre à la réalisation de croître et de se développer. Les mouvements nécessaires viendront probablement d'eux-mêmes, comme ceux-ci sont venus, pourvu que votre volonté reste une et fidèle à la Lumière et à la Vérité. Elle vous a déjà guidé vers la prochaine étape: cessation du flot de la pensée, silence du mental intérieur. Une fois cela acquis, il est probable que la paix, la libération, l'immensité s'établiront. Le besoin de simplicité et de transparence que vous ressentez est aussi un mouvement vrai qui vient du même guide intérieur. C'est nécessaire pour que l'élément divin intérieur le plus profond, derrière le mental, la vie et le corps, vienne pleinement au premier plan; quand ce sera fait, vous pourrez devenir conscient du guide intérieur en vous et d'une Force qui agit pour la transformation spirituelle complète. Cette simplicité, on l'acquiert en se séparant des mouvements multiples et tortueux du mental et du vital qui mènent l'être dans toutes les directions: on l'acquiert par une tranquillité, un détachement dans le cœur qui orientent l'être uniquement vers la Vérité unique et la Lumière unique jusqu'à ce qu elles prennent en charge la totalité de l'être et de la vie.

Placez votre confiance en la grâce de l'Unique, du Divin qui déjà vous a touché et vous a ouvert sa porte, et reposez-vous sur elle pour tout ce qui doit venir.

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1779

J'ai lu le récit des expériences de X. Il en ressort qu'il a, jusqu'à un certain point, pris un bon départ et qu'il a été capable d'établir un commencement de calme mental et une sorte d'ouverture psychique, mais ni l'un ni l'autre n'a pu jusqu'à présent aller bien loin. La raison en est sans doute qu'il a tout fait par une vigoureuse maîtrise mentale et en forçant les mouvements mentaux, émotifs et vitaux à se calmer, mais qu'il n'a pas encore établi le véritable calme spirituel qui ne peut venir que par l'expérience de l'être supérieur au-dessus du mental, ou par la soumission à cet être supérieur. C'est ce qu'il doit acquérir pour jeter les bases d'un progrès plus substantiel.

1. Il a raison de penser que le calme et le silence intérieurs doivent être la base non seulement du travail extérieur, mais aussi de toutes les activités intérieures et extérieures. Mais obtenir un intellect tranquille dans le silence mental ou l'inaction ne suffit pas, bien que ce soit utile dans les premiers stades. Le calme mental doit être transformé d'abord en une paix spirituelle plus profonde, śānti, et ensuite en un calme et un silence supramentaux pleins de la lumière et de la force supérieures et pleins que En outre il ne suffit pas de tranquilliser le mental seul. La conscience vitale et physique doit s'ouvrir et là aussi, la même fondation doit être établie. De plus l'esprit de dévotion dont il parle ne doit pas être un simple sentiment mental, mais une aspiration, venue du fond du cœur et de la volonté, à la vérité au-dessus, une aspiration à ce que l'être s'élève pour pénétrer dans cette vérité, et qu'elle descende et gouverne toutes les activités.

2. Le vide qu'il ressent dans le mental est souvent la condition nécessaire pour qu'il soit débarrassé de ses mouvements ordinaires afin de pouvoir s'ouvrir à une conscience plus haute et à une expérience nouvelle, mais en lui-même ce vide est purement négatif; c'est un calme mental qui ne contient rien de positif et si l'on ne va pas plus loin, l'apathie et l'inertie dont il se plaint apparaissent inévitablement. Il a besoin de s'ouvrir, dans ce vide et ce silence du mental, à l'action du pouvoir, de la lumière et de la paix supérieures au-dessus du mental, d'attendre cette action ou de l'appeler.

3. La survivance des habitudes perverses dans le sommeil est facile à expliquer et appartient à l'expérience courante. C'est une loi psychologique bien connue que tout ce qui est réprimé dans le mental conscient subsiste dans l'être subconscient et réapparaît soit à l'état de veille, lorsque cesse la contrainte, soit dans le sommeil. La maîtrise mentale ne peut, à elle seule, rien extirper définitivement de l'être. Le subconscient de l'homme ordinaire comprend la plus grande partie de l'être vital et du mental physique ainsi que la conscience corporelle cachée. Pour opérer une transformation véritable et complète, on doit rendre conscientes toutes ces parties de l'être, voir clairement les choses qu'elles contiennent encore et les rejeter, couche après couche, jusqu'à ce qu'elles aient été entièrement éliminées de l'existence personnelle. Même alors elles peuvent subsister dans les forces universelles environnantes et de là, s'attaquer de nouveau à l'être; c'est seulement lorsqu'aucune partie de la conscience ne réagit plus à ces forces du plan inférieur que la victoire et la transformation sont absolument complètes.

4. Selon son expérience, chaque fois qu'il remporte une victoire sur le plan mental, les forces du karma passé — c'est-à-dire, en réalité, les forces de l'ancienne nature — l'attaquent de nouveau avec une vigueur redoublée. Cette expérience est elle aussi fréquente. L'explication psychologique en est donnée au paragraphe précédent. Toute tentative de transformation de l'être est une bataille contre des forces universelles qui ont longtemps régné et il est vain de s'attendre à les voir abandonner la lutte dès la première défaite. Aussi longtemps qu'elles le peuvent, elles cherchent à garder leur empire et même lorsqu'elles seront rejetées, elles essaieront, tant qu'il y aura la moindre chance de réaction dans l'être conscient ou subconscient, de réapparaître et de reconquérir leur emprise. Il est inutile de se laisser décourager par ces attaques. Ce qu'il faut faire, c'est veiller à les rendre de plus en plus extérieures et leur refuser tout assentiment jusqu'à ce qu'elles faiblissent et s'estompent. Non seulement le Chitta et la Bouddhi doivent refuser leur consentement, mais aussi les parties inférieures de l'être: vital et physique vital, mental physique et conscience corporelle.

5. Les défauts du mental récepteur et de la Bouddhi discriminatrice dont il parle sont habituels à l'intellect et l'on ne peut s'en débarrasser entièrement tant que l'action intellectuelle n'est pas remplacée par une action supra-intellectuelle plus haute, et finalement par la lumière harmonisante de l'être supramental.

Venons-en aux expériences psychiques. La région de gloire qu'il a sentie au sommet de la tête n'est que le contact ou le reflet du soleil supramental au niveau de la partie supérieure du mental. Le mental et l'être doivent s'ouvrir tout entiers à cette lumière qui doit descendre et emplir tout l'organisme. L'éclair et le courant électrique sont la force d'Agni (vaidyuta) du soleil supramental, qui atteint le corps et essaie de s'y déverser. Les autres signes sont des promesses d'expériences futures, psychiques et autres. Mais rien de tout cela ne peut s'établir avant l'ouverture aux forces supérieures. Le yoga mental ne peut être qu'une préparation à ce nouveau départ plus vrai.

Je me suis borné à expliquer ses expériences, mais il me semble qu'il a suffisamment avancé pour jeter les bases préparatoires au yoga supérieur. S'il veut le faire, il doit remplacer sa maîtrise mentale par une croyance en la Présence et la Force du Suprême au-dessus du mental et par une soumission à cette Présence et à cette Force, par une aspiration dans le cœur, accompagnée d'une volonté dans le mental supérieur, à la vérité suprême et à la transformation de tout l'être conscient par la descente et le pouvoir de cette vérité. Il doit, dans sa méditation, s'y ouvrir silencieusement et appeler la descente, d'abord d'un calme et d'un silence profonds, puis de la force d'au-dessus qui agit dans tout l'organisme, et enfin de la gloire supérieure dont il a eu un aperçu, pour qu'elle se déverse dans tout son être et l'illumine du mouvement de vérité du Divin.

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1780

Oui, tant que l'attitude est mentale, elle est peu solide parce qu'elle est imposée à la nature: la direction et la maîtrise émanent du mental. Mais avec l'expérience spirituelle, la conscience commence à changer dans sa substance même; par ce changement, à mesure qu'il se stabilise et se confirme, commence naturellement ce que nous appelons la transformation de la nature.

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1781

Non, cette expression ["substance de la conscience"] veut simplement dire la conscience elle-même.

À mesure que l'expérience yoguique se développe, la conscience est ressentie comme une chose tout à fait concrète où se produisent des mouvements et des formations qui sont ce que nous appelons pensées, sentiments, etc.

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1782

Votre sentiment est tout à fait juste. Toute expérience spirituelle est une expérience de substance: la conscience et même que sont ressentis comme quelque chose de substantiel. Il est vrai aussi que ce qui ressent est quelque chose de plus profond que le mental; c'est le mental qui convertit les réalités concrètes en abstractions.

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1783

Ces inconvénients de la connaissance mentale existent, indubitablement. Mais je doute que quiconque puisse se simuler mentalement l'expérience de l'Un partout ou le déversement de la paix. On peut prendre une première réalisation mentale pour la réalisation spirituelle profonde ou croire que la descente a eu lieu dans le physique alors que c'était le mental qui influençait le corps au moyen de l'enveloppe mentale du corps subtil; mais ceux qui n'ont aucune connaissance mentale peuvent aussi s'y méprendre. Le désavantage, pour celui qui n'a pas de connaissance mentale, est qu'il reçoit l'expérience sans la comprendre, ce qui peut constituer un obstacle ou retarder le développement; il ne rectifierait pas aussi aisément une erreur qu'une personne mentalement plus éclairée.

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1784

D'ordinaire, ils [ceux qui n'ont pas la connaissance mentale du Moi universel] le ressentent d'abord par l'intermédiaire du psychique, par l'union avec la Mère, et ne l'appellent pas le Moi; ou alors ils ressentent simplement une immensité et une paix dans la tête ou dans le cœur. La connaissance mentale préalable n'est pas indispensable. Dans plus d'un cas, j'ai vu des sâdhak recevoir la réalisation du Brahman et demander: "De quoi s'agit-il?", tout en la décrivant avec beaucoup de vivacité et d'exactitude, mais sans employer aucun des termes consacrés.

Alors que je venais d'écrire ces quelques lignes, j'ai reçu une lettre d'une sâdhikâ qui me dit: "Je vois ma tête devenir très calme, pure, lumineuse, universelle, viśvamaya." Eh bien, c'est le commencement de la réalisation du Brahman universel: c'est le Moi dans le mental, mais si je lui parlais en ces termes elle ne comprendrait rien.

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1785

Même les expériences que l'on imagine (si on les imagine honnêtement) peuvent aider à la réalisation mentale, et la réalisation mentale peut être un pas vers la réalisation totale.

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1786

Lorsqu'on vit dans le mental physique, la seule manière de s'en échapper, c'est l'imagination. Soit dit en passant, c'est la raison pour laquelle la poésie, l'art, etc. ont une telle emprise. Mais ces imaginations sont souvent, en réalité, des ombres de l'expérience supraphysique, et dès que la barrière du mental physique est brisée ou même légèrement entr'ouverte, les expériences elles-mêmes viennent, si le tempérament s'y prête. De là naissent les visions et autres phénomènes similaires, tous ceux que l'on appelle à tort des phénomènes psychiques.

Quant à la prière, aucune règle stricte ne peut être fixée. Certaines prières reçoivent une réponse, mais pas toutes. Alors, me demanderez-vous, pourquoi toutes les prières ne sont-elles pas exaucées? Mais pourquoi faudrait-il qu'elles le soient? Ce n'est pas un mécanisme: introduisez une prière dans la fente et vous aurez ce que vous demandez. Par ailleurs, étant donné le nombre de choses contradictoires pour lesquelles l'humanité prie au même moment, Dieu serait dans une position plutôt inconfortable s'il devait les exaucer toutes; cela ne marcherait pas.

IV

1787

La purification du cœur qui était l'objet de vos efforts n'a rien d'impossible et quand le cœur est purifié, d'autres choses qui semblaient impossibles auparavant deviennent faciles, même la consécration intérieure qui vous paraît maintenant impraticable.

Si l'humilité et la résignation sont fermement établies dans le cœur, d'autres choses, comme par exemple la confiance, viennent naturellement par la suite. C'est une expérience fréquente. Une fois établis la lumière et le bonheur du psychique, ces bienfaits qu'apportent l'humilité et la résignation, il est difficile à d'autres forces d'obscurcir cet état et il leur est impossible de l'anéantir. C'est l'expérience générale.

La purification et la consécration sont deux grandes nécessités de la sâdhanâ. Ceux qui ont des expériences avant d'être purifiés courent un grand risque: il vaut beaucoup mieux avoir d'abord le cœur pur, car alors la voie devient sûre. C'est pourquoi je recommande de procéder d'abord à la transformation psychique de la nature, car elle entraîne la purification du cœur, son orientation entière vers le Divin, soumission du mental et du vital à la domination de l'être intérieur, de l'âme. Quand l'âme est au premier plan, on reçoit toujours du dedans la bonne indication de ce qu'il faut faire, de ce qu'il faut éviter, de ce qui est faux et de ce qui est juste dans la pensée, le sentiment, l'action. Mais cette indication intérieure émerge de plus en plus, à mesure que la conscience se fait de plus en plus pure.

Chez X, la pierre d'achoppement était l'ambition, l'orgueil, la vanité, le désir de devenir un grand yogi doté de pouvoirs occultes. Faire descendre des pouvoirs occultes dans un mental, un cœur et un corps non purifiés... vous pouvez certes vous y essayer, si vous voulez danser au bord d'un précipice; ou bien si vous avez pour but de devenir non pas un être spirituel, mais un occultiste; car alors vous pourrez suivre les méthodes appropriées et recevoir l'aide des puissances occultes. Par contre, vous pouvez faire descendre les vraies forces et les vrais mystères occultes et spirituels, ou ils peuvent descendre sans que vous les ayez appelés, à condition que cela soit subordonné au seul véritable objectif qui est la recherche du Divin, et que cela fasse partie du plan divin en vous. Les pouvoirs occultes, pour l'homme spirituel, ne peuvent être autre chose qu'un ensemble d'instruments à la disposition du Pouvoir divin; ils ne peuvent être ni le but, ni l'un des buts de la sâdhanâ. Beaucoup de gens ont l'habitude de faire le yoga selon leurs propres idées, sans se soucier de la direction du Gourou, dont par ailleurs ils attendent une entière protection et le succès dans la sâdhanâ, même s'ils gambadent ou caracolent dans les pires sentiers.

Par méthodes subtiles, je voulais dire les procédés psychologiques, non mécaniques, par exemple la concentration dans le cœur, la consécration, la purification, la transformation de la conscience opérée par des moyens intérieurs. Cela ne signifie pas qu'il n'y aura pas de transformation extérieure: la transformation extérieure est nécessaire niais comme une partie de la transformation intérieure. S'il y a. au-dedans, de l'impureté ou de l'insincérité, la transformation extérieure ne se fera pas, mais si le travail intérieur est sincère, la transformation extérieure y contribuera et accélérera le processus... Le plus important, pour la purification du cœur, est une sincérité absolue. Ne pas se jouer la comédie à soi-même, ne rien cacher au Divin, ni à soi-même, ni au Gourou, regarder en face ses propres mouvements, avoir une volonté droite de les rectifier. Le temps que cela prend importe peu; on doit être prêt à faire de la recherche du Divin la tâche de toute sa vie. Purifier le cœur est après tout un accomplissement assez considérable et il ne sert à rien de se laisser abattre, de se désespérer, etc., parce qu'on trouve en soi des choses qui ont encore besoin d'être changées. Si l'on conserve la vraie volonté et la vraie attitude, les intuitions ou les indications intérieures commenceront à augmenter, à devenir claires, précises, indubitables, et la force de les suivre croîtra aussi: et alors avant même que vous ne soyez content de vous-même, le Divin sera content de vous et commencera à retirer le voile par lequel il se protège et protège ceux qui le cherchent contre "ne possession prématurée et périlleuse de la plus grande chose à laquelle l'humanité puisse aspirer.

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1788

Cette tendance automatique est un bon signe, car elle indique que c'est l'être intérieur qui, en s'ouvrant à la Vérité, cherche à hâter les transformations nécessaires.

Comme vous le dites, c'est parce qu'on ne parvient pas à adopter l'attitude juste que l'on ne peut triompher des épreuves pour s'acheminer vers une transformation de la nature. L'urgence de ce changement de caractère devient maintenant plus pressante, plus encore que le besoin d'une expérience yoguique décisive; car si l'expérience vient, elle ne parvient pas à être décisive parce que le changement de nature requis n'a pas été opéré. Le mental, par exemple reçoit l'expérience de l'Un en tous, mais le vital ne peut pas suivre parce qu'il est dominé par la réaction et les motivations de l'ego, ou parce que les habitudes de la nature extérieure entretiennent une certaine manière de penser, de sentir, d'agir, de vivre qui est en désaccord total avec l'expérience. Ou bien le psychique et une partie du mental et de l'être émotif se sentent souvent proches de la Mère, mais le reste de la nature n'est pas offert et va son propre chemin en prolongeant la séparation d'avec Elle, en créant la distance. Cela ne suffit pas, et il est grandement nécessaire que cela change.

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1789

Je ne sais pas ce qu'a dit X ni dans quel article, je ne l'ai pas sous la main. Mais s'il déclare que nul ne peut avoir une méditation réussie ni réaliser quoi que ce soit avant d'être pur et parfait, je ne puis le suivre: c'est contraire à mon expérience. J'ai toujours eu la réalisation d'abord en méditation, et la purification commençait après, elle en était la conséquence. J'ai vu de nombreux sâdhak obtenir des réalisations importantes et même fondamentales en méditation, alors qu'on ne pouvait pas dire qu'ils étaient intérieurement très développés. Les yogis dont les méditations ont été fructueuses et qui ont obtenu de grandes réalisations dans leur conscience intérieure ont-ils tous une nature parfaite? Il ne me semble pas. Je ne puis ajouter foi aux généralisations absolues dans ce domaine, parce que le développement de la conscience spirituelle est une affaire extrêmement vaste et complexe où toutes sortes de choses peuvent arriver, et l'on pourrait presque dire que pour chacun c'est différent selon sa nature et que rien n'est essentiel sinon l'appel intérieur, l'aspiration et la persévérance à les suivre jusqu'au bout, quel que soit le temps requis, quels que soient les obstacles et les difficulté, parce que rien d'autre ne satisfera l'âme au-dedans de nous.

Il est tout à fait vrai qu'une certaine dose de purification est indispensable pour avancer et que plus la purification est complète, mieux cela vaut, parce qu'alors les réalisations, quand elles commencent à venir, peuvent suivre leur cours sans grandes difficultés ni reculs importants et sans aucune possibilité de chute ni d'échec. Il est vrai aussi que pour beaucoup de sâdhak, la purification est la première nécessité" certaines choses doivent être écartées du chemin avant que l'on puisse avoir une expérience intérieure suivie. Mais la principale nécessité est une certaine préparation de la conscience, afin qu'elle soit capable de répondre de plus en plus librement à la Force supérieure. Dans cette préparation beaucoup de choses sont utiles: la poésie et la musique que vous pratiquez peuvent vous aider, car elles agissent comme une sorte de śravaṇa et de manana et même, si le sentiment suscité est intense, comme une sorte de nididhyāsana naturel. La préparation psychique, le balayage des formes les plus grossières de l'ego mental et vital, l'ouverture du mental et du cœur au Gourou et bien d'autres choses encore aident énormément: le préliminaire indispensable n'est pas la perfection ni la libération complète à l'égard des dualités ou de l'ego, c'est l'état de préparation, une certaine capacité de l'être intérieur qui permet de réagir et de recevoir sur le plan spirituel.

Il n'y a donc aucune raison de prendre pour parole d'évangile ces exigences qui ont pu être bonnes pour X sur le sentier qu'il a emprunté, mais ne peuvent être imposées a tous; la loi de l'Esprit n'est ni si contraignante, ni si inexorable.

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1790

Il y a un ou deux jours, X a eu l'expérience de l'ascension au-dessus de la tête, de l'immensité de paix et de joie de l'Infini (dans l'oubli du corps et de la sensation de ses limites) et aussi de la descente jusqu'au Moûlâdhâra. Elle n'en connaît ni la terminologie, ni la technique, mais sa description minutieuse et pleine de détails ne laisse aucun doute. Trois ou quatre autres sâdhak ont eu récemment la même expérience; nous pouvons donc supposer que la Force n'agit pas complètement en vain, puisque cette expérience est une affaire sérieuse considérée, lorsqu'elle devient stable, comme le sommet des anciens yogas; pour nous, elle n'est que le début de la transformation spirituelle. Bien que cela soit confidentiel, je vous le raconte pour vous faire comprendre que les défauts et les obstacles intérieurs de la nature ou une attitude apparemment non yoguique ne signifient pas forcément qu'une personne ne peut pas faire la sâdhanâ ou ne la fait pas.

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1791

C'est une erreur de trop s'appesantir sur la nature inférieure et ses obstacles; c'est seulement le côté négatif de la sâdhanâ. Il faut les voir et les purifier, mais s'en préoccuper comme de la seule chose importante n'apporte aucune aide. Le côté positif de l'expérience de la descente est ce qui importe le plus. Si l'on devait attendre que la nature inférieure soit entièrement et définitivement purifiée avant de solliciter la descente de l'expérience positive, on pourrait attendre à jamais. Il est vrai que plus la nature inférieure est purifiée, plus la descente de la Nature supérieure est facile; mais il est également vrai — sinon davantage — que plus la Nature supérieure descend, plus la nature inférieure est purifiée. Ni la purification complète ni la manifestation parfaite et permanente ne peuvent se produire tout d'un coup; c'est une affaire de temps et de progrès patient. L'une et l'autre, purification et manifestation, avancent de pair et deviennent de plus en plus fortes en s'aidant mutuellement. Tel est le cours habituel de la sâdhanâ.

Lumières sur le Yoga, chapitre 1. Traduction de la Mère.

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1792

Transformer la nature n'est pas facile et prend toujours du temps, mais s'il n'y a pas d'expérience intérieure, pas d'émergence graduelle de l'autre conscience plus pure qui est dissimulée par toutes ces choses que vous voyez maintenant, ce serait presque impossible même pour la volonté la plus forte. Vous dites que vous devez d'abord vous débarrasser de tout cela et ensuite avoir les expériences intérieures. Mais comment le faire? Tout cela: colère, jalousie, désir, c'est la substance même de la conscience vitale ordinaire de l'homme. Elle ne pourrait pas être transformée s'il n'y avait, plus profondément au-dedans, une conscience d'un tout autre caractère. Il y a en vous un être psychique qui est divin, qui est directement une partie de la Mère, pur de tous ces défauts. Il est recouvert et dissimulé par la conscience et la nature ordinaires, mais quand il se dévoile et peut venir au premier plan pour gouverner l'être, alors il transforme la conscience ordinaire, jette au-dehors tous ces éléments non divins et transforme complètement la nature extérieure. C'est pourquoi nous voulons que les sâdhak se concentrent et ouvrent cette conscience cachée: par la concentration, de quelque sorte qu'elle soit, et par les expériences qu'elle apporte, on s'ouvre et on devient conscient au-dedans, la conscience et la nature nouvelles commencent a grandir et à émerger. Bien entendu nous voulons aussi ils fassent usage de leur volonté et rejettent les désirs et les mouvements faux dû vital, car c'est ce qui permet à la vraie conscience d'émerger. Mais le rejet ne peut à lui seul réussir; c'est par le rejet accompagné de l'expérience et de la croissance intérieures que cela peut être fait.

Vous dites que toutes ces choses se dissimulaient en vous. Non; elles n'étaient pas enfouies profondément, elles étaient dans la nature extérieure, dans la nature de surface seulement vous n'en étiez pas suffisamment conscient, parce que l'autre conscience, la conscience véritable, ne s'était pas ouverte et développée en vous. Maintenant, grâce aux expériences que vous avez eues, le psychique a grandi peu à peu et c'est à cause de cette nouvelle conscience psychique que vous êtes capable de voir clairement tout ce qui doit être éliminé. Le vital avait tellement l'habitude de ces choses qu'elles ne s'en vont pas tout de suite, mais maintenant il faudra qu'elles partent, parce que votre âme veut s'en débarrasser et devient plus forte en vous. Vous devez donc à la fois vous servir de votre volonté, aidée par la force de la Mère, pour vous en débarrasser, et poursuivre vos expériences psychiques intérieures; c'est par les deux ensemble que tout sera fait.

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1793

Une fois que ces expériences ont commencé, d'ordinaire elles se répètent, que la condition générale soit bonne ou non. Mais naturellement elles ne peuvent opérer un changement radical avant de s'être stabilisées et d'être devenues normales pour tout l'être ou au moins sa partie intérieure. Dans ce dernier cas, les anciens mouvements peuvent encore se produire, mais on les ressent comme quelque chose de tout à fait superficiel et la sâdhanâ se développe malgré eux. Il ne s'agit pas d'être bon ou méchant. Si l'être s'est ouvert, ne serait-ce que dans l'une de ses parties, les expériences viennent.

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1794

Oui, c'est ainsi en vérité que les choses fonctionnent- D'abord l'état qui doit s'établir vient avec difficulté et est ressenti comme anormal, comme une expérience que l'on perd facilement; ensuite il vient de lui-même, mais n'est pas encore durable; enfin il devient fréquent et intrinsèque à l'être et se fait constant et normal. Par ailleurs toutes les confusions, toutes les erreurs autrefois habituelles à la nature sont expulsées; d'abord elles réapparaissent souvent, mais ensuite elles deviennent à leur tour anormales et étrangères à la nature, se font moins fréquentes et finissent par disparaître.

V

1795

Les hauts et les bas dont vous parlez sont communs à toutes les voies de yoga. Il y en a sur le chemin de la bhakti, mais on rencontre aussi ces alternances entre les états de lumière et les états d'obscurité, parfois d'une obscurité totale et prolongée, lorsqu'on suit le chemin de la connaissance. Ceux qui ont des expériences occultes connaissent des périodes où toutes les expériences cessent et semblent même terminées à jamais. Même si les réalisations ont été nombreuses et permanentes, elles semblent partir derrière le voile et ne rien laisser en façade sinon un engourdissement neutre qui n'est rempli, le cas échéant, que d'attaques et de difficultés répétées. Ces alternances résultent de la nature de la conscience humaine et ne sont pas la preuve d'une inaptitude ou d'une prédestination à l'échec. On doit y être préparé et les franchir. Elles sont "le jour et la nuit" des mystiques védiques.

Quant à la consécration, chacun a sa propre manière de s'en approcher; mais si elle est due à la peur, aux "convenances" ou au sens du devoir, alors elle n'a certes rien d'une consécration: tout cela n'a rien à voir avec la consécration. De surcroît la consécration complète et totale n'est pas si facile que certains semblent l'imaginer. Il y a toujours de vastes et nombreuses réticences; même si l'on n'en est pas conscient, elles existent. C'est par un amour et une bhakti complets que la consécration complète vient le plus aisément. La bhakti, au contraire, peut commencer sans soumission, mais à mesure qu'elle prend forme elle y conduit naturellement.

Vous avez assurément tort de penser que la difficulté que vous éprouvez à abandonner vos convictions intellectuelles est une pierre d'achoppement qui vous est particulière, à vous plus qu'à d'autres. L'attachement à ses propres idées et convictions, l'obstination à les conserver sont fréquents. Ils peuvent être éliminés par une lumière de connaissance venue d'en haut qui vous apporte le contact direct de la Vérité ou son expérience lumineuse et qui, en retirant toute valeur aux opinions, aux idées ou aux convictions purement intellectuelles, en abolit la nécessité, ou par une conscience juste qui apporte avec elle les idées justes, le sentiment juste, l'action juste et le juste tout le reste. Ou alors cela doit venir par une humilité spirituelle et mentale qui est rare dans la nature humaine, surtout l'humilité mentale, car le mental est toujours prompt à penser que ses idées, vraies ou fausses, sont justes. Plus tard c'est la croissance psychique qui rend cette consécration possible également, et elle aussi vient plus facilement par la bhakti. De toute façon l'existence de cette difficulté n'est pas en elle-même un bon argument pour prédire l'échec dans le yoga.

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1796

La raison des fluctuations dont vous vous plaignez est qui telle est la nature de la conscience: après une brève période d'éveil, elle ressent le besoin de dormir un peu. Très souvent, au début, les périodes d'éveil sont courtes, les périodes de sommeil longues; puis elles tendent à s'égaliser et plus tard, les périodes de sommeil deviennent de plus en plus courtes. Une autre raison de ces fluctuations, quand on reçoit d'en haut, est le besoin que ressent la nature de se fermer pour assimiler. Elle est peut-être capable de beaucoup absorber, mais tandis que l'expérience se déroule, elle ne peut pas absorber comme il le faudrait ce que celle-ci apporte, alors elle se renferme pour assimiler. Une troisième cause apparaît pendant la période de transformation: une partie de la nature se transforme et, pendant un certain temps, on a l'impression qu'une transformation complète et permanente s'est opérée. Mais on est déçu de constater qu'elle cesse et qu'une période d'aridité ou d'abaissement de la conscience la suit. C'est parce qu'une autre partie de la conscience émerge pour être transformée; il s'ensuit une période de préparation et de fonctionnement voilé qui semble être une période non illuminée ou pire. Ces événements effraient, déçoivent ou déconcertent l'ardeur et l'impatience du sâdhak, mais si on les accepte tranquillement et que l'on sait comment s'y prendre pour les utiliser ou adopter la bonne attitude, on peut faire aussi de ces périodes non éclairées une partie de la sâdhanâ consciente. Les Rishi védiques parlent ainsi de l'alternance "du Jour et de la Nuit qui tous deux allaitent l'Enfant divin". Ce que vous sentez dans la tête est probablement la première descente consciente de la Force divine qui, d'en haut, pénètre dans le corps. Jusqu'à présent, elle agissait sans doute de derrière le cœur sans que vous la sentiez. Si la concentration se produit d'elle-même dans la tête, vous devez la laisser faire, mais cette capacité a été préparée par la concentration précédente dans le cœur; vous n'avez donc pas besoin de cesser cette concentration, à moins que la force qui agit en vous n'exige que vous vous concentriez uniquement au-dessus. L'aspiration peut se poursuivre de la même manière jusqu'à ce que vous sentiez clairement que le pouvoir de la Mère conduit la sâdhanâ et que cela vous devienne normal.

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1797

Oui, c'est juste. Tout le monde subit ces fluctuations parce que la conscience n'est pas tout entière capable de demeurer sans cesse au-dessus de la tête. Le problème est que la tranquillité doit régner durant les intervalles, au moins dans être intérieur: aucune agitation, aucune insatisfaction, aucune lutte. Si ce stade est atteint, la sâdhanâ peut se poursuivre sans heurts; non qu'il n'y aura pas de difficultés, mais il n'y aura pas d'inquiétude, d'insatisfaction, etc., etc.

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1798

Le bhajan vishnouïte est un chant qui stimule aisément l'être vital et si, dans l'assistance, certains auditeurs sont d'une nature inférieure, toutes sortes de forces obscures et basses viennent se nourrir de leur exaltation... L'accomplissement spirituel viendra en son temps, par un développement régulier de l'être et de la nature. Il ne dépend pas du fait que l'on saisisse telle ou telle occasion favorable.

Il y a une autre chose que vous devez apprendre. Si votre sâdhanâ est interrompue [...] vous devez simplement garder votre calme intérieur et attendre la fin de l'interruption. Si vous apprenez à le faire, l'état intérieur ou l'expérience se poursuivra ensuite comme si de rien n'était. Si vous y attachez une importance exagérée et que vous en êtes bouleversé, vous transformez au contraire l'interruption en trouble et l'état intérieur ou l'expérience cesse. Gardez toujours la tranquillité intérieure et la confiance en toutes circonstances; ne permettez à rien de vous déranger ni de vous agiter. Un calme intérieur stable, une volonté tranquille, une foi et une bhakti psychiques sont, pour votre sâdhanâ, la seule fondation véritable.

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1799

Par base tranquille et égale, on entend un état de la sâdhanâ où l'on n'est pas balloté entre les ardeurs explosives de l'expérience et un état dépressif inerte ou semi-inerte; que ce soit dans le progrès ou dans les difficultés, il y a sans cesse à l'arrière-plan une conscience tranquille tournée vers le Divin dans la confiance et la foi.

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1800

Il arrive à tout le monde d'avoir des chutes de conscience accidentelles. Les causes en sont variées: un contact du dehors; quelque chose qui n'est pas encore changé ou pas suffisamment changé dans le vital, surtout dans le vital inférieur; une inertie ou une obscurité qui monte des parties physiques de la nature. Quand cela arrive, restez tranquille; ouvrez-vous à la Mère et rappelez la vraie condition; aspirez à un discernement clair et sans trouble qui vous montrera du dedans la cause de ce qui doit être rectifié.

Les Bases du Yoga, chapitre 3. Traduction de la Mère.

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1801

Entre deux mouvements, il y a toujours des pauses de préparation et d'assimilation. Vous ne devez pas les regarder avec mauvaise humeur ni impatience comme si c'était de fâcheuses interruptions dans la sâdhanâ. En outre, la Force monte en soulevant une partie de la nature à un plan supérieur, puis elle redescend à une couche inférieure pour la soulever à son tour; ce mouvement d'ascension et de descente est souvent très éprouvant, parce que le mental, qui préférerait une montée en ligne droite, et le vital, impatient d'un accomplissement rapide, ne peuvent ni comprendre ni suivre ce mouvement compliqué, et ont tendance à s'en affliger ou à s'en irriter. Mais la transformation de la nature entière n'est pas une chose facile à accomplir, et la Force qui la fait sait mieux ce qu'il faut que notre ignorance mentale ou notre impatience vitale.

Les Bases du Yoga, chapitre 3. Traduction de la Mère.

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1802

Tout ce que l'on a acquis est là et peut être retrouvé. Le yoga ne procède pas d'un seul élan décisif dans un sens ou dans l'autre: c'est la construction d'une conscience nouvelle, et c'est plein de hauts et de bas. Mais si l'on s'y tient, les hauts ont pour habitude d'aboutir, par accumulation, à une transformation décisive; par conséquent la seule chose à faire est de persévérer. Après une chute, ne gémissez pas en disant: "C'en est fait de moi!", mais relevez-vous, époussetez-vous et poursuivez votre route dans le bon chemin.

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1803

L'oubli complet de l'expérience signifie simplement qu'il n'y a pas encore un pont suffisant entre la conscience intérieure qui a l'expérience dans une sorte de samâdhi, et la conscience extérieure de veille. Quand la conscience supérieure aura établi le pont entre les deux, la conscience extérieure aussi commencera à se souvenir.

Les Bases du Yoga, chapitre 3. Traduction de la Mère.

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1804

Des fluctuations de ce genre sont inévitables et quand elles se produisent, on doit rester très tranquille, se détacher de l'état de surface et attendre que cela passe, tout en appelant la force de la Mère. Un état neutre de ce genre a son utilité dans l'économie de la purification et de la transformation: il amène à la surface des éléments qui doivent être transformés ou rejetés, soulève une certaine partie de l'être pour l'exposer à la force transformatrice. Si l'on peut comprendre, rester tranquille et détaché des mouvements de surface et ne pas s'identifier à eux, cet état disparaît plus vite, la Force peut évacuer rapidement ce qui est apparu et ensuite on s'aperçoit que quelque chose a été acquis et qu'un progrès a été fait.

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1805

Ces fluctuations dans la force de l'aspiration et dans le pouvoir de la sâdhanâ sont inévitables et communes à tous les sâdhak jusqu'à ce que l'être soit tout entier prêt à la transformation. Quand le psychique est au premier plan ou actif et que le mental et le vital sont consentants, l'intensité est là. Quand le psychique est moins évident et que le vital inférieur est laissé à ses mouvements ordinaires ou le mental à son action ignorante, alors, à moins que le sâdhak ne soit très vigilant, les forces adverses peuvent entrer. L'inertie provient d'habitude de la conscience physique ordinaire, surtout quand le vital ne soutient pas activement la sâdhanâ. Ces choses ne peuvent se guérir qu'en faisant descendre avec persistance la conscience spirituelle supérieure dans toutes les parties de l'être.

Les Bases du Yoga, chapitre 3. Traduction de la Mère.

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1806

Des chutes de concentration, il en arrive à tout le monde; il ne faut pas les prendre au tragique ni leur permettre d'engendrer une dépression.

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1807

Ces variations de conscience pendant le jour sont communes à presque tout le monde dans la sâdhanâ. Les oscillations, les relâchements, les rechutes dans une condition normale ou inférieure et antérieure, hors d'une condition supérieure dont on avait l'expérience mais qui n'était pas encore fixée dans la réalisation, ou bien qui était réalisée mais pas encore parfaitement stable, deviennent très forts et marqués quand la sâdhanâ travaille dans la conscience physique. Car il y a dans la nature physique une inertie qui ne permet pas facilement à l'intensité naturelle de la conscience supérieure de rester constante; le physique retombe toujours dans quelque chose de plus ordinaire. La conscience supérieure et sa force doivent travailler longtemps et revenir à maintes reprises avant de pouvoir devenir constantes et normales dans la nature physique; Ne soyez pas troublé ni découragé par ces variations ou ce retard, quelque longs et fastidieux qu'ils soient; ayez soin seulement d'être toujours tranquille, d'une tranquillité intérieure, et aussi ouvert que possible au Pouvoir supérieur, sans permettre à aucune condition vraiment adverse de s'emparer de vous. S'il n'y a pas de vague adverse, le reste n'est que la persistance d'imperfections que tous ont en abondance; la Force doit travailler sur cette persistance et cette imperfection pour les éliminer; mais pour cette élimination, il faut du temps.

Les Bases du Yoga, chapitre 5. Traduction de la Mère.

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1808

Cette expérience est fréquente (bien que je ne pense pas qu'elle soit générale), non seulement en ce qui concerne la paix, mais pour d'autres choses aussi: la conscience a tendance à s'abaisser dans la soirée. Par ailleurs, pour certains sâdhak, c'est le contraire. Je ne crois pas que cela dépende vraiment du fait que l'on travaille et que l'on ne soit pas seul, bien que cela puisse engendrer la lassitude; je constate que c'est plus souvent une sorte de rythme de flux et de reflux dans la conscience au cours de la journée. Même quand la paix est parfaitement établie, ce rythme peut apparaître pour d'autres choses qui sont en train de se développer.

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1809

Il n'y a aucune raison que puisse définir le mental et qui agisse automatiquement pour qu'elle [la chute dans l'inertie] vienne dans la soirée plutôt qu'à deux heures de l'après-midi, au milieu de la nuit ou dans la matinée. Chez certains la chute vient dans la soirée, chez d'autres le matin, chez d'autres encore à d'autres moments; il en est de même de la montée. Mais ces alternances affectent la plupart des sâdhak selon un rythme ou un autre. L'heure varie selon les per' sonnes et peut même varier chez la même personne. Il n'est pas possible de définir la raison pour laquelle cette variation se produit à un moment particulier, sinon qu'elle est devenue habituelle à ce moment-là. Le reste relève du jeu des forces que l'on peut observer, mais dont les raisons échappent à toute définition mentale.

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1810

[Raisons des fluctuations dans la sâdhanâ]: Je ne sais pas. Les heures et les saisons varient en fonction de l'équilibre des forces dans la conscience, de leur flux et reflux. Ce phénomène n'est pas de ceux auxquels on peut assigner une explication rationnelle et systématique. On peut le sentir et le comprendre dans l'essence de la conscience, mais non en formuler avec précision la cause et l'effet.

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1811

Je ne puis que répéter ce que j'ai dit auparavant: le mental ne peut déterminer aucune raison "spécifique" [aux fluctuations dans le fonctionnement de la Force]. Cela dépend de l'état général et de l'action réciproque des forces. On doit s'accrocher à l'aspiration et tenir le regard fixé vers le but, sans se laisser troubler par ces inégalités et ces fluctuations.

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1812

Il n'y a pas de règle fixe [aux fluctuations dans l'action de la Force]. Simplement, il y a une masse de tendances et de forces avec lesquelles il faut se familiariser. Ce n'est pas une machinerie fixe que l'on peut diriger par des mécanismes ou en poussant tel ou tel bouton. C'est seulement par la volonté intérieure, par l'aspiration constante, par le détachement et le rejet, en faisant descendre la vraie conscience, la vraie force, etc., que cela peut être fait.

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1813

La chute de conscience vient en général d'une certaine inertie qui pénètre dans la conscience par la fatigue ou la simple habitude de se détendre; ou bien elle vient par l'intermédiaire d'une réaction vitale que l'on peut ou non remarquer, ou encore d'un mouvement faux du mental. Telles sont les causes immédiates de cette chute, mais à l'arrière-plan, il y a le fait que ces fluctuations sont presque inévitables tant que la conscience est, d'une manière ou d'une autre, soumise à l'ancienne nature. Les périodes où la sâdhanâ ne se fait pas peuvent cependant être longues ou courtes selon les circonstances intérieures (principalement le pouvoir de la volonté, de l'être psychique ou de l'être supérieur de rétablir rapidement le véritable équilibre).

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1814

La dépression n'est pas la seule cause de l'interruption des expériences. Il y en a d'autres comme l'inertie, etc. Si les expériences peuvent demeurer constantes malgré ces obstacles, cela signifie qu'une partie de la conscience s'est nettement séparée du reste et est capable de subsister malgré la résistance extérieure.

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1815

Oui, si la paix est établie, les chutes n'ont lieu qu'en surface, elles n'affectent pas la conscience intérieure.

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1816

Même si la fatigue physique apparaît de temps en temps, il n'est pas inévitable qu'elle gêne la sâdhanâ. Le mouvement intérieur peut toujours se poursuivre.

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1817

En général c'est quand quelque chose dans le mental ou le vital accepte les forces inférieures et s'y complaît que cette incapacité à réintégrer la vraie conscience persiste avec autant d'obstination. Le tamas physique peut produire de longs interrègnes de la conscience obscure, mais une obstruction aussi virulente n'est pas habituelle; d'ordinaire e est plutôt amorphe et obstinée.

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1818

De pareilles intensités ne durent pas tant que la conscience n'est pas transformée: il faut une période d'assimilation. Tant que l'être est inconscient, l'assimilation se fait derrière le voile ou sous la surface, et pendant ce temps la conscience superficielle ne voit que stagnation et perte de ce qu'elle avait acquis. Mais lorsqu'on devient conscient, on peut voir l'assimilation se poursuivre et on s'aperçoit que rien n'est perdu qu'il s'agit seulement d'une stabilisation tranquille de ce qui est descendu.

L'immensité, le calme et le silence irrésistibles dans lesquels vous vous sentez immergé sont ce que l'on appelle l'Âtman ou le Brahman silencieux. De nombreux yogas ont pour seul but d'obtenir cette réalisation de l'Âtman ou Brahman silencieux, et d'y vivre. Dans notre yoga, ce n'est que la première étape de la réalisation du Divin et de ce passage de l'être en la Conscience supérieure ou divine que nous appelons transformation.

Lumières sur le Yoga, chapitre 1. Traduction de la Mère.

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1819

Lorsqu'on a atteint un certain stade, on ne peut plus perdre ce que l'on a acquis: les gains peuvent être voilés, ils reviennent; ils sont seulement rentrés à l'intérieur et remontent à la surface.

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1820

Lorsque la conscience physique prédomine, il arrive souvent que l'on ne sente aucun signe ni aucun effet des expériences, même si elles sont là.

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1821

Comment pouvez-vous vous attendre à ce que quelque chose aussi obtus et d'aussi oublieux que la conscience physique subisse l'effet des expériences, si celles-ci ne se répètent pas? C'est comme lorsqu'on apprend une leçon: on doit la répéter jusqu'à ce que le mental physique s'en soit saisi, sinon elle ne s'intègre pas à la conscience.

VI

1822

Le vide que vous décrivez dans votre lettre d'hier n'était pas mauvais en soi; souvent, dans le yoga, ce vide intérieur et extérieur se transforme en un premier pas vers la nouvelle conscience. La nature humaine est comme une coupe remplie d'eau sale; il faut jeter l'eau, alors la coupe est propre et vide pour que la liqueur divine vienne l'emplir. La difficulté est que la conscience physique de l'homme a du mal à supporter ce vide, elle a l'habitude d'être occupée par toutes sortes de petits mouvements mentaux et vitaux qui sans arrêt l'intéressent et l'amusent ou qui, même si ce sont des ennuis ou des chagrins, la maintiennent en activité. Lorsque cette activité cesse, elle a du mal à le supporter, commence à s'ennuyer, à s'agiter et à souhaiter ardemment le retour des intérêts et des mouvements du passé. Mais par cette agitation, elle trouble la tranquillité et fait revenir ce qui avait été rejeté. C'est ce qui crée la difficulté et l'obstruction que vous éprouvez en ce moment. Si vous pouvez admettre que ce vide est un passage vers la vraie conscience et les vrais mouvements, alors il vous sera plus facile de vous débarrasser de cet obstacle.

Tous dans l'Ashram ne souffrent pas de ce sentiment d'ennui et de manque d'intérêt, mais beaucoup l'éprouvent parce que la Force qui descend cherche à éliminer les anciens mouvements du mental physique et du mental vital qu'ils appellent la vie, et ils n'ont pas l'habitude d'accepter d'y renoncer ou de laisser entrer la paix ou la joie du silence.

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1823

L'état de vide n'est pas mauvais en soi, si ce n'est pas le vide triste et agité du vital mécontent. Dans la sâdhanâ, le vide est très souvent un passage nécessaire entre un état et un autre. Quand le mental et le vital se tranquillisent et que cessent leurs mouvements, leurs pensées et leurs désirs agités, alors on se sent vide. Souvent c'est d'abord un vide neutre qui ne contient rien, rien de bon ni de mauvais, rien d'heureux ni de malheureux, aucune impulsion, aucun mouvement. Cet état neutre est fréquemment ou même en général suivi de l'ouverture à l'expérience intérieure. Il y a aussi un vide fait de paix et de silence, lorsque la paix et le silence sortent du dedans, du psychique, ou descendent de la conscience supérieure. Ce vide n'est pas neutre: il contient souvent un sentiment de paix, souvent aussi un sentiment d'élargissement et de liberté. Il existe également un vide heureux accompagné du sentiment que quelque chose, qui n'est pas encore là, est proche, ou s'approche, par exemple la présence de la Mère ou toute autre expérience préparatoire. Ce que vous décrivez, c'est la tranquillité neutre. Il n'y a pas lieu de s'inquiéter. Quand cet état vient, on n'a qu'à rester tranquille, ouvert et tourné vers la Mère jusqu'à ce que quelque chose se développe du dedans.

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1824

Être un réceptacle vide est une très bonne chose, si l'on sait comment se servir de ce vide.

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1825

Si ce n'est que du vide, il n'y a pas de mal. Les alternances de vide et de plénitude sont tout à fait normales dans la sâdhanâ.

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1826

Le vide (si par là vous voulez dire le silence et l'absence de pensées, de mouvements, etc.) est l'état de base dans lequel peut couler la conscience supérieure.

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1827

Le vide est l'état le plus approprié à une pleine réceptivité.

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1828

Le vide peut venir de n'importe où: du mental, du vital ou d'au-dessus.

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1829

Le vide est en général l'effet d'un déblaiement complet ou partiel de la conscience. La conscience devient, tout entière ou en partie, comme une coupe vide dans laquelle peut se déverser quelque chose de nouveau. Le vide le plus élevé est la pure existence du moi où toute manifestation peut se produire.

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1830

Le vide, en tant que tel, n'est pas caractéristique de la conscience supérieure, bien que le vital humain, lorsqu'on a la pure réalisation du Moi, trouve qu'elle y ressemble parce que tout est immobile: pour le vital, tout ce qui n'est pas plein d'activité paraît vide. Mais le vide qui vient au mental, au vital ou au physique est quelque chose de spécial; son but est de faire de la place pour ce qui doit descendre.

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1831

Un vide dans le mental ou le vital peut être spirituel sans que le vide soit une caractéristique essentielle de la conscience supérieure. S'il l'était, il ne pourrait y avoir ni Force, ni Lumière, ni Ânanda dans la conscience supérieure. Le vide n'est qu'un effet produit par une certaine action de la Force supérieure sur l'être, afin que la conscience supérieure puisse y pénétrer. C'est un vide spirituel, par opposition au vide engourdi et inerte du tamas complet qui n'a rien de spirituel.

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1832

L'état de vide est un état tranquille du mental, du vital ou de toute la conscience, où aucun mouvement mental ou vital ne fait intrusion, qui est ouvert à la Pure Existence et prêt à devenir celle-ci, ou encore qui tend à devenir cette Pure Existence ou l'est déjà devenu, mais ne l'a pas réalisée avec le plein pouvoir de son être. Quant à savoir duquel de ces états il s'agit, cela dépend de chaque cas particulier. L'état du Moi ou l'état de pure existence est aussi appelé parfois un vide, mais seulement au sens où il est un état de repos purement statique de l'être, sans aucun contact avec la Nature mouvante.

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1833

Le néant1 Cela n'existe pas. Par vide, on entend une vacuité dépourvue de tout contenu si ce n'est l'existence pure et simple. Sans cela on ne peut pas réaliser le Brahman silencieux.

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1834

Le vide est l'état du Moi: libre, vaste et silencieux. Il paraît vide au mental, mais en réalité, il est simplement un état de pure conscience et de pure existence, Sat et épreuves accompagnés de Shânti.

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1835

Le vide peut être de diverses sortes: une certaine forme de vide spirituel, ou le vide qui prépare une expérience nouvelle. Mais l'épuisement de l'énergie vitale est quelque chose de très différent. Cela peut venir de la fatigue, de quelque chose ou de quelqu'un qui épuise la force vitale, ou d'une invasion de tamas. Mais je ne vois pas pourquoi cela devrait être lié à l'étude de l'anglais et ne se produire qu'à cette occasion.

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1836

Le vide a généralement pour effet de calmer toutes les perturbations vitales; il n'arrête cependant pas l'action mécanique et répétitive du mental, à moins qu'il ne soit complet.

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1837

Si c'est un véritable vide, on peut s'y reposer pendant des années; c'est parce que le vital est agité et plein de désirs (et non vide) qu'il est ainsi. Le mental physique, lui non plus, n'est nullement au repos. Si les désirs étaient rejetés au-dehors, si l'ego était moins actif et que le mental physique restait immobile, la connaissance d'en haut remplacerait les stupidités du mental physique, le mental vital pourrait se calmer et se tranquilliser; la Force de la Mère pourrait se charger de l'action et la conscience supérieure commencer à descendre. C'est la conséquence normale du vide.

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1838

Je n'ai pas pu écrire que vous êtes seul à ressentir le silence comme un vide, puisque quantité de sâdhak le ressentent de la même façon au début. On le sent vide parce qu'on a coutume d'associer l'existence à la pensée, aux sentiments et aux mouvements, ou à des formes et à des objets, alors que le silence ne contient rien de tout cela. Mais il n'est pas vraiment vide.

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1839

Vous m'avez écrit que la Force descendait et même parfois qu'elle emplissait toutes les parties de l'être, alors pourquoi ce "jamais"? Je n'ai nullement voulu dire qu'il y a un processus automatique par lequel chaque fois qu'il y a vide, vient un remplissage complet. Cela dépend du stade de la sâdhanâ. Le vide peut venir souvent ou persister longtemps avant qu'il y ait la moindre descente; ce qui le remplit peut être du silence, de la paix ou de la Force, ou de la Connaissance, et ils peuvent remplir le mental seul, ou le mental et le cœur, ou le mental, le cœur et le vital, ou tout. Mais ces deux processus n'ont rien de fixe ni d'automatique.

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1840

Le silence de l'être est le premier objectif naturel du yoga. X et quelques autres n'y trouvent pas de satisfaction parce qu'ils n'ont pas surmonté le mental vital qui veut toujours une certaine activité, un changement, faire quelque chose, que quelque chose se passe. L'immobilité éternelle du Brahman silencieux est une chose qu'il n'apprécie pas. Aussi quand vient le vide, il le trouve terne, inerte, monotone.

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1841

Le vital ne peut certes trouver aucun intérêt à un état neutre. Si vous prenez appui;sur votre vital, vous ne pouvez pas prolonger cet état. C'est l'esprit qui ressent une libération dans le silence vide de toute activité mentale ou autre, car dans ce silence il devient conscient de lui-même. Pour que l'état soit vraiment neutre, il faut être entré dans le Pourousha ou Conscience-Témoin. Si vous le contemplez avec votre mental ou votre vital, alors l'état n'est pas neutre: même s'il n'y a pas de pensées distinctes, il y a forcément une attitude mentale ou des vibrations mentales, par exemple le manque d'intérêt que vous ressentez.

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1842

Il n'y a pas de raison que le vide soit un état monotone ou malheureux. C'est l'habitude ordinaire du mental et du vital de n'associer le bonheur ou l'intérêt qu'à l'activité; la conscience spirituelle n'a pas ces limitations.

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1843

Je ne vois vraiment pas quelle sorte de joie vous voulez Toutes les expériences ne s'accompagnent pas de joie. L'intérêt, c'est autre chose.

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1844

Le physique a tendance à substituer au vide sa propre inertie. Le vrai vide est le commencement de ce que j'appelle, dans l'Ârya, śama — repos, calme, paix du Moi éternel — qui doit en fin de compte remplacer le tamas, l'inertie physique. Le tamas est une dégradation de śama, tout comme le radjas est une dégradation de tapas, la Force divine. La conscience physique essaie toujours de substituer sa propre inertie au calme, à la paix et au repos de la vraie conscience, tout comme le vital essaie toujours de substituer son radjas à l'action vraie de la Force.

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1845

Le physique ne se fatigue pas de l'état neutre. Il peut se sentir tamasique à cause de sa propre tendance à l'inertie, mais d'ordinaire il n'a pas d'objection contre le vide. Évidemment il peut s'agir du physique vital. Vous n'avez qu'à rejeter cela comme un résidu des anciens mouvements.

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1846

Au cours de la sâdhanâ, un état neutre, un "calme neutre" comme celui-ci apparaît souvent, surtout lorsque la sâdhanâ se situe dans la conscience physique. Ce n'est pas parce que l'aspiration est partie, c'est parce qu'elle ne se manifeste pas pour le moment, car tout est devenu d'une tranquillité neutre. Cet état est éprouvant pour le mental et le vital humains qui ont l'habitude d'être toujours en activité et considèrent que cet état est sans vie. On ne doit cependant pas se sentir troublé ni déçu quand cela se produit, mais rester calme et pleinement confiant que ce n'est qu'une étape, un espace qu'il faut traverser dans la sâdhanâ. Quel que soit l'état, on doit garder présentes à l'esprit la foi et l'idée constante de la consécration. Quant aux brefs mouvements d'agitation, ils s'apaiseront si l'on garde cette attitude; le mental et le vital tranquilles s'imposeront à nouveau rapidement.

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1847

L'état neutre n'est rien d'autre qu'un état dans lequel la réalisation doit venir. Si l'aspiration est nécessaire pour cela, il faut l'utiliser; si la réalisation vient d'elle-même, l'aspiration n'est évidemment pas nécessaire.

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1848

L'"état" dont je parlais n'était pas un état neutre, mais autre chose; je vois en relisant ce passage de votre lettre qu'il s'agissait d'un état "dans lequel l'aspiration n'est pas nécessaire". Ce n'est pas un état neutre, mais un état où la force de la Mère est présente à la conscience et fait tout.

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1849

Chaque forme de réalisation: moi infini, conscience cosmique, Présence de la Mère, Lumière, Force, Ânanda, Connaissance, réalisation du Satchidânanda, niveaux divers de conscience jusqu'au supramental, tout cela peut venir dans le silence qui persiste, mais cesse d'être neutre.

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1850

Le silence peut subsister quand l'état neutre a disparu. Toutes sortes de choses peuvent se déverser et pourtant le silence demeure: si vous devenez plein de force, de lumière, que, de connaissance, etc., vous ne pouvez plus dire que vous êtes neutre.

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1851

Si le vide est spirituel, on n'aura pas l'impression qu'il: contrecarre le sâdhanâ.

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1852

L'état neutre que vous décrivez est le même que celui que vous aviez auparavant. C'est un état de transition dans lequel l'ancienne conscience a cessé d'être active alors que la nouvelle se prépare derrière une tranquillité neutre. Il faut l'accepter tranquillement et attendre qu'il se transforme en un état de paix spirituelle et de bonheur psychique qui n'a rien à voir avec la joie et le chagrin du vital. N'avoir ni joie vitale, ni chagrin vital est considéré par les yogis comme une libération très souhaitable; ainsi l'on peut passer des sentiments vitaux ordinaires de l'homme à la vraie paix, à la vraie joie ou au vrai bonheur intérieurs permanents. Je suppose que vous n'avez pas le temps de méditer en ce moment. Le besoin impérieux de dormir est un besoin de s'intérioriser et si l'on a l'habitude de méditer, on peut transformer le sommeil qui vient ainsi en une sorte de samâdhi de sommeil où l'on est conscient de diverses expériences et de divers progrès de l'être intérieur.

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1853

L'état que vous ressentez est bien connu dans la sâdhanâ. C'est une sorte de passage ou de transition, un état intériorisé qui se développe, mais n'est pas encore achevé; à ce moment-là, parler ou se projeter dans l'activité extérieure est pénible. Ce qu'il faut, c'est être très tranquille et rester en soi-même tout le temps jusqu'à ce que ce mouvement soit terminé; on ne devrait pas parler, si ce n'est très peu et à voix basse et tranquille, ni concentrer le mental sur des choses extérieures. Vous ne devez pas non plus prêter attention à ce que disent les gens ou à leurs questions; bien qu'ils pratiquent la sâdhanâ, ils ne savent rien de ces états et si l'on devient tranquille et intériorisé, ils croient que l'on est triste ou malade. La Mère ne vous a pas trouvé ainsi, triste ou malade; c'est simplement une phase, un état temporaire dans, la sâdhanâ dont elle a l'expérience et qu'elle connaît fort bien.

Cet état dure souvent plusieurs jours, parfois longtemps, jusqu'à ce que commence quelque chose de précis. Restez confisant et tranquille.

VII

1854

Selon la règle que donnent d'ordinaire les yogis, on ne doit pas parler de ses expériences aux autres — sauf évidemment au Gourou — lorsque la sâdhanâ est en cours, parce que l'expérience est gaspillée: il se produit ce qu'ils appellent le kṣaya de la tapasyâ. Les yogis ne parlent de leurs expériences que lorsqu'elles appartiennent à un lointain passé, et même dans ce cas ils ne le font pas sans une certaine réserve.

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1855

La Lumière vous a quitté parce que vous en avez parlé à quelqu'un qui n'était pas un adhikāri. Le plus sûr est de ne parler de ces expériences à personne, sauf au Gourou ou à quelqu'un qui peut vous aider. Il est fréquent qu'une expérience disparaisse dès que l'on en parle, et c'est pour cette raison que de nombreux yogis se font une règle de ne jamais parler de ce qui se passe en eux, à moins qu'il ne s'agisse d'une expérience du passé ou d'une réalisation stabilisée que rien ne peut aliéner. Une réalisation permanente et stable demeure, mais dans ce cas il s'agissait plutôt d'expériences qui viennent pour rendre possible, dans la conscience, une ouverture à quelque chose de plus complet, pour la préparer à la réalisation.

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1856

Je croyais qu'il était entendu que ce que je vous écrivais au sujet des autres était confidentiel. Les expériences — les siennes propres ou celles des autres, s'il arrive qu'on en ait connaissance — ne doivent pas faire l'objet de conversations ou de commérages. On ne peut en parler que si d'autres peuvent en tirer un profit spirituel, et même dans ce cas, seulement si elles appartiennent au passé. Autrement elles deviennent comme les nouvelles d'Abyssinie ou d'Espagne, quelque chose de banal et d'insignifiant pour le mental vital de la masse qui les remâche ou les engloutit.

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1857

Si vous voulez conserver cette joie, il serait sage de ne pas en parler aux autres. Les choses dont on parle prennent des ailes et essaient de s'échapper.

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1858

Montrer ce qui a été écrit au sujet des expériences, ou parler aux autres de ses propres expériences, présente toujours un risque. Il vaut beaucoup mieux garder cela pour soi.

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1859

S'il s'agit de la connaissance générale, c'est une autre affaire; elle est intellectuelle et l'intellect s'enrichit par cette activité intellectuelle qu'est l'enseignement. En outre si, dans le yoga, il ne s'agissait que de dispenser par l'intellect la connaissance mentale que l'on a du sujet, cette règle s'appliquerait peut-être; mais cet aspect mental n'est qu'une petite partie du yoga. Quelque chose de plus complexe en constitue la plus grande partie. En enseignant le yoga à quelqu'un, on devient dans une certaine mesure un maître qui a des disciples. Les yogis ont toujours dit qu'en acceptant des disciples, on prenait sur soi les difficultés des disciples en plus des siennes; c'est pourquoi il est recommandé de ne pas prendre de disciples avant d'être devenu siddha et même dans ce cas, à moins d'avoir reçu du Divin l'autorité de le faire, ce que Râmakrishna appelait recevoir le caprās. En second lieu il y a le danger de l'égoïsme; quand on en est libéré, cette objection ne tient plus. Raconter ses expériences aux autres soulève un problème distinct. La plupart des yogis le déconseillent aussi avec force; ils disent que c'est nuisible à la sâdhanâ. Dans quantité de cas. que j'ai vus ou dont j'ai entendu parler, où les gens avaient un flot d'expériences, le flot se perdait quand ils en parlaient; il doit donc bien y avoir du vrai dans cette objection. Je suppose cependant qu'elle cesse d'être applicable lorsqu'on a atteint depuis longtemps une certaine stabilité dans l'expérience, c'est-à-dire lorsque l'expérience est assimilable à une réalisation définitive et permanente, à quelque chose qui s'est ajouté à la conscience de façon définitive et irrévocable. Je note que ceux qui gardent pour eux leurs expériences et ne se confient pas semblent avoir une sâdhanâ plus régulière que d'autres; mais je ne sais pas si cette règle est immuable. Elle ne s'appliquerait probablement plus, passé un certain stade de réalisation.

 

1 En français dans le texte.

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