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Sri Aurobindo

Le Secret du Véda
Suivi de hymnes choisis du Rig-Véda

Avec commentaires

9. Saraśvati et ses compagnes

C’est dans la figure emblématique de la déesse Saraśvati que le symbolisme du Véda transparaît le plus clairement. Chez beaucoup d’autres dieux, l’équilibre entre le sens secret et l’image présentée est soigneusement préservé. Il arrive que le voile se déchire ou que ses coins se soulèvent, même pour l’être ordinaire qui écoute la Parole; mais il n’est jamais complètement levé. On peut douter qu’Agni soit autre chose que la personnification du feu sacrificiel ou du principe physique de la lumière et de la chaleur dans les choses, ou Indra autre chose que le dieu du ciel et de la pluie ou de la lumière matérielle, ou Vayu autre chose que la divinité du vent et de l’air ou au mieux du souffle physique de la vie. Chez les dieux subalternes, l’interprétation naturaliste s’avère plus contestable; car il va de soi que Varuna n’est pas simplement un Uranus ou un Neptune védique, mais un dieu doté de fonctions morales étendues et importantes; Mitra et Bhaga partagent cette même dimension psychologique; les Ribhus, “qui forment les choses par le mental” (1-20-2) et se servent du travail pour construire l’immortalité, peuvent difficilement être ramenés de force, comme Procuste l’aurait fait, à la taille étriquée d’une mythologie naturaliste. Certes, en incriminant chez les poètes des hymnes védiques leurs idées confuses et chaotiques, on peut à la rigueur tourner la difficulté, sinon la surmonter. Mais Saraśvati refusera de se soumettre à un tel traitement. Elle est manifestement et incontestablement la déesse du Verbe, la déesse d’une Inspiration divine.

S’il fallait en rester là, nous en serions réduits à constater une évidence, à savoir que les Rishis védiques, loin d’être uniquement des barbares vouant un culte à la nature, possédaient certaines notions psychologiques et étaient capables d’inventer des symboles mythologiques représentant non seulement les opérations visibles de la Nature matérielle qui concernaient leur vie au grand air, agricole et pastorale, mais aussi les démarches intérieures du mental et de l’âme. Si nous décidons de concevoir l’histoire de la pensée religieuse archaïque comme un mouvement progressant du physique au spirituel, d’une vision purement naturaliste à une vision de plus en plus éthique et psychologique de la Nature et du monde et des dieux – et ceci, bien que nullement avéré, est à l’heure actuelle le point de vue reconnu1 –, nous devons supposer que les poètes védiques avaient déjà néanmoins amorcé ce passage menant d’une conception physique et naturaliste à une conception éthique et spirituelle des dieux. Mais Saraśvati n’est pas simplement la déesse de l’Inspiration, elle est en même temps l’un des sept fleuves du monde aryen de jadis. Une question se pose alors aussitôt: d’où vient ce rapprochement extraordinaire? Et comment s’établit, dans les hymnes védiques, le lien entre les deux idées? Et ce n’est pas tout; car ce qui compte chez Saraśvati, ce n’est pas seulement la déesse elle-même mais les relations qu’elle entretient avec son entourage. Avant de poursuivre, examinons-les donc de façon rapide et sommaire pour voir ce que nous pouvons en apprendre.

Associer fleuve et inspiration poétique se retrouve aussi dans la mythologie grecque; mais là, les Muses ne sont pas perçues comme fleuves; elles sont juste reliées, de manière peu explicite, à un cours d’eau terrestre particulier. Ce cours d’eau est le fleuve Hippocrène, la source du Cheval, qui prit naissance, comme le raconte une légende expliquant l’origine de son nom, sous le sabot du divin cheval Pégase; car dès que son sabot eut frappé la montagne, les eaux de l’inspiration jaillirent à l’endroit de l’impact. Cette légende n’était-elle qu’un conte de fées grec, ou avait-elle une signification spéciale? En admettant qu’elle signifie quelque chose, et puisqu’elle fait manifestement allusion à un phénomène subjectif – le jaillissement des flots de l’inspiration –, elle a dû avoir, c’est évident, une connotation psychologique; elle a dû chercher à traduire en images concrètes certaines réalités psychologiques. La transcription phonétique du mot Pégase en langue aryenne primitive donne, notons-le, Pājasa, qui fait clairement penser au sanskrit pājas, voulant dire au départ force, mouvement, ou quelquefois emplacement, endroit où poser le pied. Il est à rapprocher du grec pēgē, cours d’eau. Il y a donc, dans l’énoncé même de cette légende, une association constante avec l’image d’un mouvement violent d’inspiration. Pour en revenir aux symboles védiques, nous constatons qu’Ashva, le Cheval, représente la grande force dynamique de la Vie, l’énergie vitale et nerveuse, qui se conjugue sans cesse à d’autres images figurant la conscience. Adri, la colline ou le roc, symbolise l’existence formelle et en particulier la nature matérielle et physique, et c’est de cette colline ou crocher que sont délivrés les troupeaux du Soleil et que s’échappent les eaux. Les coulées de madhu, le miel, le Soma, sont elles aussi, dit-on, extraites de cette colline ou de ce rocher. Ce coup de sabot du Cheval sur le roc, libérant les eaux de l’inspiration, deviendrait ainsi une métaphore évidente. Et rien non plus ne nous oblige à supposer que Grecs et Indiens étaient incapables jadis d’une telle observation psychologique, ou ne pouvaient la transcrire dans l’imagerie poétique et mystique qui a constitué le corps même des anciens Mystères.

Nous pourrions en vérité pousser plus loin et nous demander s’il n’existait pas au départ un lien entre ce héros monté sur le Cheval divin, Bellérophon tueur de Bellerus, et Indra Valahan, meurtrier dans le Véda de Vala, l’ennemi qui accapare la Lumière. Mais ceci nous éloignerait de notre sujet. Cette interprétation de la légende de Pégase ne nous avance guère en fait, elle a pour seul mérite de souligner une certaine tournure d’esprit naturelle aux Anciens et d’indiquer comment ils s’y prirent pour représenter le flot de l’inspiration par le débit réel d’une eau courante. Sarasvati veut dire “celle ayant un courant, celle dont le mouvement coule”, c’est donc une appellation toute indiquée pour un fleuve comme pour la déesse de l’inspiration. Mais par quel processus de pensée ou quel processus associatif le concept général du fleuve de l’inspiration a-t-il fini par se rattacher à un cours d’eau terrestre particulier? Et dans le Véda, il ne s’agit pas d’un fleuve unique qui, du fait de son contexte naturel et légendaire, pourrait être jugé plus apte que tout autre à symboliser la notion d’inspiration sacrée. Car il est question ici non pas d’un seul mais de sept fleuves, toujours associés dans le mental des Rishis et relâchés tous ensemble grâce à l’intervention du dieu Indra, quand il frappa le Python qui, s’enroulant en travers de leurs sources, empêchait leur écoulement. Il semble impossible de supposer qu’un seul fleuve dans tout ce septuple jaillissement ait acquise une signification psychologique, alors que le reste se contentait de faire allusion à la chute annuelle des pluies au Punjab. Le sens psychologique de Saraśvati implique un sens psychologique pour l’ensemble du symbole des eaux védiques2.

Saraśvati ne se rattache pas seulement à d’autres rivières mais aussi à d’autres déesses, qui sont clairement des symboles psychologiques, et en particulier à Bharati et lia. Dans les formes tardives du culte puranique, Saraśvati est la déesse du langage, du savoir et de la poésie et Bharati est l’un de ses noms; mais dans le Véda, Bharati et Saraśvati sont des divinités distinctes, Bharati est aussi appelée Mahi, l’Immense, la Grande, la Vaste, Dans les incantations où Agni convie les dieux au sacrifice, une formule consacrée les réunit toutes les trois, lia, Mahi ou Bharati et Saraśvati: “Puissent lia, Saraśvati et Mahi, les trois déesses créatrices de félicité, prendre place sur le siège du sacrifice, elles qui ne faillissent (ou, n’errent), pas”, ou qui “ne peuvent être attaquées”, ou ne blessent pas.

iḷā sarasvatī mahī tisro devīr mayobhuvaḥ

barhiḥ sīdantv asridhaḥ (1.13.9)

L’épithète veut dire, à mon avis, elles qui sont exemptes de faux mouvements entraînant des conséquences funestes, duritam, qui ne peuvent jamais succomber aux traquenards du péché et de l’erreur. La formule est développée dans l’hymne cent-dix du dixième Mandala: Que Bharati se dépêche d’approcher notre sacrifice, qu’Ila vienne ici sous forme humaine (sous l’aspect d’un Manu) éveiller notre conscience (ou, connaissance, ou, perception), et aussi Saraśvati; que les trois déesses, remplissant bien leur Mission, prennent place sur ce siège de félicité.

ā no yajñam bhāratī tūyam etv iḷā manuṣvad iha cetayantī

tisro devīr barhir edaṃ syonaṃ sarasvatī svapasaḥ sadantu (10.110.8)

Il est clair, et cela deviendra plus clair encore par la suite, que ces trois déesses jouissent de fonctions qui se correspondent étroitement, voisines du pouvoir d’inspiration de Saraśvati. Saraśvati est, dans mon hypothèse, la Parole, l’inspiration provenant de la conscience-de-Vérité, le ṛtam. Bharati et lia doivent être elles aussi des manifestations différentes de cette même Parole ou connaissance. Dans le huitième hymne de Madhucchandaś, un Rik donne à Bharati le nom de Mahi: Ainsi, pour Indra, vérité heureuse dans sa nature, à l’abondance débordante, pleine de rayons lumineux, Mahi devient comme une branche mûre pour celui qui offre le sacrifice.

evā hy asya sūnṛtā virapśī gomatī mahī

pakvā śākhā na dāśuṣe (1.8.8)

Les rayons, dans le Véda, sont ceux de Surya, le Soleil. Faut-il supposer que la déesse est une divinité de la lumière matérielle, ou faut-il traduire go par vache et en déduire que Mahi est pleine de vaches pour celui qui sacrifie? Le caractère psychologique de Saraśvati nous sauve de cette dernière et absurde supposition, mais il dément aussi l’interprétation naturaliste. Cette caractérisation de Mahi, compagne de Saraśvati dans le sacrifice, sœur de la déesse de l’inspiration, avec laquelle elle se confondra plus tard dans la mythologie, n’est qu’une preuve parmi une centaine d’autres que la lumière dans le Véda symbolise la connaissance, l’illumination spirituelle. Surya est le seigneur de la Vision suprême, la Vaste Lumière, bṛhaj jyotiḥ (5.2.9) ou, comme on l’appelle parfois, la Vraie Lumière, ṛtaṃ jyotiḥ. Et la connexion entre les mots ṛtam et bṛhat est constante dans le Véda.

Il me semble impossible de lire dans ces expressions autre chose que l’indication d’un état de conscience illuminée, naturellement vaste ou large, bṛhat, plein de la vérité d’être, satyam, et de la vérité de connaissance et d’action, ṛtam. Les dieux possèdent cette conscience. Agni, par exemple, est appelé ṛtacit, celui qui a la conscience-de-Vérité. Mahi est pleine des rayons de ce Surya, elle porte en elle cette illumination. Elle est, en outre, sūnṛtā, cette parole de vérité heureuse, tout comme Saraśvati est “l’instigatrice des vérités heureuses”, codayitrī sūnṛtānāṃ (1-3-11). Elle est enfin virapśī, immense ou s’émancipant dans l’abondance, terme qui nous rappelle que la Vérité est aussi une Immensité, ṛtaṃ bṛhat. Et dans un autre hymne (1-22-10), on dit qu’elle est varūtrī dhiṣaṇā, pouvoir de la pensée qui recouvre ou embrasse amplement. Mahi est donc cette étendue lumineuse de la Vérité, elle représente l’Immensité, bṛhat, du superconscient en nous, en qui réside la Vérité, ṛtaṃ. Elle est par conséquent “pour celui qui sacrifie comme une branche chargée de fruits mûrs”,

lia elle aussi est cette parole vraie; plus tard son nom devait se confondre avec l’idée de langage et en devenir synonyme. Sarasvati est celle qui “éveille la conscience aux pensées justes ou aux états justes du mental”, cetantī sumatīnām (1-3-11), Ila, comme elle, se rend au sacrifice pour “éveiller la conscience à la connaissance”, cetayantī (10.110.8). Elle est pleine d’énergie, suvīrā et apporte la connaissance. Elle est elle aussi liée à Surya, le Soleil; par exemple, lorsque Agni, la Volonté, est invité (5.4.4) à “faire travailler les rayons du Soleil”, seigneur de la vraie Lumière, “étant de connivence avec lia”, iḷayā sajoṣā yatamāno raśmibhiḥ sūryasya. Elle est la mère des Rayons, les troupeaux du Soleil. Son nom veut dire celle qui cherche et atteint, et il comporte la même association d’idées que les mots ṛtam et Rishi. lia pourrait bien être par conséquent la vision du Voyant qui atteint la vérité.

Si Saraśvati représente l’écoute vraie, śruti, qui confère la Parole inspirée, lia, pour sa part, représente dṛṣṭi, la vision vraie. Dans ce cas, puisque dṛṣṭi et śruti sont les deux pouvoirs du Rishi, le Kavi, le Voyant de la Vérité, nous comprenons mieux pourquoi lia et Saraśvati sont si étroitement liées. Bharati ou Mahi figure l’immensité de la conscience-de-Vérité qui, se levant sur le mental limité de l’homme, amène avec elle les deux Puissances-sœurs. Nous réalisons aussi comment ces distinctions subtiles et concrètes finirent par tomber en désuétude à mesure que déclinait la connaissance védique, tandis que Bharati, Saraśvati et lia ne faisaient progressivement plus qu’une.

On dit de ces trois déesses, notons-le également, qu’elles enfantent pour l’homme la Béatitude, mayas. J’ai déjà insisté sur la relation constante, dans la conception des voyants védiques, entre la Vérité et la Béatitude ou Ananda. C’est quand chez l’homme émerge la conscience vraie ou infinie que celui-ci, quittant ce “mauvais rêve” de douleur et de souffrance, cette création fragmentée, entre dans la Béatitude, l’état bienheureux, décrit dans le Véda de façon diverse par des termes comme bhadram, mayas (amour et félicité), svasti (l’existence faste, la bonne façon d’être) et d’autres, à usage moins spécifique, tels que vāryam, rayiḥ, rāyaḥ. Pour le Rishi védique, la Vérité est le passage et le vestibule, la Béatitude de l’existence divine est le but, ou encore la Vérité est le fondement, la Béatitude le résultat suprême.

Voilà donc ce qui caractérise Saraśvati en tant que principe psychologique, sa fonction particulière et sa relation avec les membres les plus proches de la famille divine. Cela éclaire-t-il aucunement ses rapports, en tant que rivière védique, avec ses six rivières-sœurs, et jusqu’à quel point? Comme dans la plupart des écoles de pensée très anciennes, le chiffre sept joue un rôle capital dans le système védique. Il se retrouve constamment – les sept délices, sapta ratnāni; les sept flammes, langues ou rayons d’Agni, sapta arciṣaḥ, sapta jvālāḥ; les sept formes du, principe de la Pensée, sapta dhītayaḥ; les sept Rayons ou Vaches, aspects de la Vache invulnérable, Aditi, la Mère des dieux, sapta gāvaḥ; les sept rivières, les sept mères ou vaches nourricières, sapta mātaraḥ, sapta dhenavaḥ, terme appliqué indifféremment aux Rayons et aux Rivières. Toutes ces septuples combinaisons dépendent, me semble-t-il, de la classification védique des principes fondamentaux, les tattvas, de l’existence. Le mental spéculatif des Anciens s’est beaucoup interrogé sur le nombre de ces tattvas, et la philosophie indienne apporte des réponses très diverses qui, partant de l’Un, seul et unique, dépassent la vingtaine. La pensée védique a choisi pour base le nombre des principes psychologiques, parce que les Rishis concevaient toute existence comme un mouvement d’être conscient. Si parfaitement étranges et stériles que puissent paraître à la mentalité actuelle de telles spéculations et classifications, elles n’avaient rien de pures et sèches distinctions métaphysiques, mais correspondaient à une pratique psychologique vivante, sur laquelle s’appuyait en grande partie la réflexion; et de toute façon, il nous faut les comprendre clairement, si nous souhaitons nous faire une idée tant soit peu exacte d’un système datant d’une époque si lointaine.

Dans le Véda donc, le nombre des principes est diversement représenté. L’Un était considéré comme la base et le contenant; cet Un comportait les deux principes, divin et humain, mortel et immortel. Le nombre deux s’applique aussi, par ailleurs, aux couples Ciel et Terre, Mental et Corps, Âme et Nature, principe en qui l’on voit le père et la mère de tous les êtres. Il est significatif cependant que le Ciel et la Terre, quand ils symbolisent deux formes de l’énergie naturelle, la conscience mentale et la conscience physique, ne sont plus père et mère, mais les deux mères. Il y a deux exemples du chiffre trois: d’abord, dans le principe divin triple correspondant au futur Sat-cit-ananda, la divine existence-conscience-béatitude, puis dans le principe cosmique triple. Mental, Vie et Corps, qui fonde le triple monde du Véda et des Puranas. Toutefois on admet généralement qu’ils sont sept au total. On arrivait à ce chiffre en ajoutant les trois principes divins aux trois principes cosmiques et en insérant un septième principe servant de trait d’union, qui est précisément celui de la conscience-de-Vérité, Ritam Brihat, appelée plus tard Vijñana ou Mahas. Ce dernier terme signifie le Vaste et est donc synonyme de Brihat. Il existe d’autres classifications basées sur les nombres cinq, huit, neuf et dix, voire même douze, semble-t-il, mais celles-ci ne nous intéressent pas dans l’immédiat.

Tous ces principes, notons-le bien, sont censés être absolument inséparables et omniprésents, et s’appliquent donc à chacune des formations séparées de la Nature. Les sept Pensées, par exemple, sont le Mental s’appliquant à chacun des sept plans, comme nous les appellerions maintenant, et exprimant le mental-Matière, si nous pouvons nous permettre la formule, le mental nerveux, le mental pur, le mental de vérité et ainsi de suite jusqu’au sommet absolu, paramā parāvat (4.50.3). Les sept rayons ou vaches figurent Aditi, la Mère infinie, la Vache invulnérable, Nature suprême ou Conscience infinie, qui donnera naissance plus tard au concept de Prakriti ou Shakti – le Purusha, lui, est représenté dans ce symbolisme pastoral primitif par le Taureau, Vrishabha –, la Mère des choses s’incarnant sur les sept plans de son action dans le monde en tant qu’énergie de l’être conscient. Il en va de même pour les sept fleuves, courants conscients correspondant à la substance septuple de l’océan de l’être, substance qui prend pour nous la forme des sept mondes énumérés par les Puranas. C’est leur diffusion intégrale dans la conscience humaine qui constitue l’activité entière de l’être, son trésor complet de substance, son jeu complet d’énergie. Selon l’image védique, les vaches de l’être boivent l’eau des sept fleuves.

Si l’on accepte ce symbolisme, et il va de soi qu’une fois admise l’existence de telles conceptions, ces images seraient celles que choisirait naturellement un peuple menant la vie, et placé dans les conditions, des anciens Aryens – aussi parfaitement naturelles et inévitables pour eux que l’est pour nous l’image des “plans” avec laquelle nous a familiarisé la pensée théosophique –, le rôle de la rivière Saraśvati dans le concert des sept fleuves s’éclaire; alors. Elle est ce courant qui descend du principe de Vérité, du Ritam ou Mahas; et le Véda mentionne en effet ce principe, notamment dans le passage qui conclut notre troisième hymne, l’appelant la Grande Eau, maho arṇas (1-3-12) – expression qui nous précise du même coup l’origine du futur terme Mahas-, ou quelquefois mahān arṇavaḥ. Ce troisième hymne nous montre la relation étroite qui existe entre Saraśvati et cette grande eau. Examinons donc d’un peu plus près cette relation, avant de passer à l’étude des vaches védiques et d’envisager leur rapport avec le dieu Indra et avec la proche cousine de Saraśvati, la déesse Sarama. Car il est nécessaire de définir ces rapports avant de nous lancer dans l’analyse des autres hymnes de Madhucchandaś, tous sans exception adressés à la grande divinité védique, au Roi du Ciel qui, dans notre hypothèse, symbolise chez l’être humain le Pouvoir du Mental, et plus particulièrement le Mental divin ou spontanément lumineux.

 

1 Je ne pense pas que les données matérielles concrètement en notre possession permettent de déterminer l’origine première et l’histoire ancienne des idées religieuses. Ce que les faits révèlent, en réalité, c’est un enseignement primitif à la fois psychologique et naturaliste, c’est-à-dire à deux visages, le premier finissant par être plus ou moins occulté, mais ne disparaissant jamais complètement, même chez les races barbares, même chez des races comme les tribus d’Amérique du Nord. Mais cet enseignement, bien que préhistorique, était tout sauf primaire.

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2 Les fleuves prendront plus tard un sens symbolique dans la pensée indienne; par exemple le Gange, la Yamuna et la Saraśvati et leur confluent sont dans l’imagerie tantrique des symboles yoguiques, et ils sont utilisés, bien que d’une façon différente, dans le symbolisme yoguique en général.

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