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Sri Aurobindo

Le Secret du Véda
Suivi de hymnes choisis du Rig-Véda

Avec commentaires

15. Le Soleil disparu et les Vaches perdues

La conquête ou le recouvrement du Soleil et de l’Aurore est un sujet auquel les hymnes du Rig-Véda font fréquemment allusion. Il s’agit tantôt de découvrir Surya, tantôt de découvrir ou conquérir Svar, le monde de Surya. Sayana, il est vrai, fait du mot Svar un synonyme de Surya; mais Svar est indéniablement, plusieurs passages en font foi, le nom d’un monde ou d’un Ciel suprême, au-dessus du ciel et de la terre ordinaires. Il arrive en effet qu’on l’emploie pour désigner la lumière solaire, celle aussi bien de Surya que du monde formé par son illumination. Les eaux qui descendent du Ciel, ou qui sont conquises et savourées par Indra et par les mortels devenus ses amis, sont appelées svarvatīr apaḥ (5.2.11, 8.40.10). Sayana, prenant ces apaḥ pour des eaux terrestres, a dû trouver un autre sens pour, svarvatīḥ, qui veut dire, déclare-t-il, saraṇavatīḥ, mouvant; mais c’est visiblement un sens fictif, que le terme lui-même ne suggère pas et qu’il peut difficilement se permettre. La foudre d’Indra se nomme la pierre céleste, svaryam aśmānam; sa lumière, autrement dit, est la lumière issue de ce monde des splendeurs solaires. Indra lui-même est svarpati, le maître de Svar, du monde lumineux.

Par ailleurs, la découverte et le recouvrement des Vaches sont communément attribués à Indra, tâche accomplie souvent avec l’aide des Rishis Angiras et la contribution du mantra et du sacrifice, d’Agni et de Soma. Il en va de même pour la découverte et le recouvrement du Soleil. Du reste, les deux actions sont continuellement associées. Le Véda contient lui-même, me semble-t-il, une foule d’indications attestant que tout cela fait en réalité partie d’une mission unique. Les Vaches sont les rayons cachés de l’Aurore ou de Surya; leur délivrance hors de l’obscurité entraîne, ou révèle, le lever du Soleil qui était dissimulé dans cette obscurité; telle est, encore une fois, la condition – toujours avec le concours actif du sacrifice, de son rituel et de ses auxiliaires divins – de la conquête de Svar, le monde suprême de la Lumière. Tout cela, d’après moi, la langue même du Véda le suggère sans équivoque possible; mais elle laisse aussi entendre que ce Soleil symbolise le Pouvoir divin d’illumination, que Svar figure le monde de la Vérité divine, et la conquête de la Vérité divine l’objectif réel des Rishis védiques et le sujet de leurs hymnes. Je vais maintenant passer en revue, aussi rapidement que possible, ce qui autorise une telle conclusion.

Et nous constatons d’abord que Svar et Surya représentent dans l’esprit des Rishis védiques des notions distinctes et néanmoins toujours étroitement liées. Prenons par exemple ce vers de l’hymne de Bharadvaja à Soma et Indra (6.72.1): “Tous les deux vous avez découvert le Soleil, vous avez découvert Svar, vous avez supprimé toute obscurité et toute petitesse”; et dans un hymne de Vamadéva à Indra (4.16.4), qui célèbre cet exploit d’Indra et des Angiras, “Quand, grâce aux hymnes de l’illumination, arkaiḥ, fut trouvé Svar parfaitement visible, quand ils (les Angiras) tirèrent de la nuit et firent resplendir la grande lumière, il (Indra) rendit précaires les ténèbres aveugles (c’est-à-dire desserra leur ferme étreinte), afin que les hommes puissent obtenir la vision.” Le premier extrait fait, nous le voyons, une nette distinction entre Svar et Surya, et montre que Svar n’est pas simplement un synonyme de Surya; la découverte de Svar et celle de Surya sont cependant considérées comme étroitement associées et constituent en fait un mouvement unique conduisant à la suppression de toute obscurité et toute limitation. De même dans le deuxième passage, la découverte et la révélation de Svar s’accompagnent du jaillissement d’une grande lumière hors de l’obscurité, figurant, des descriptions similaires nous l’ont appris, le recouvrement par les Angiras du Soleil qui gisait caché dans l’obscurité. Surya est découvert par les Angiras, grâce au pouvoir de leurs hymnes ou vrais; mantrāḥ. Svar est lui aussi découvert et rendu visible par les hymnes des Angiras, arkaiḥ. Svar a donc clairement pour substance une grande lumière qui est celle de Surya, le Soleil.

Nous pourrions même supposer que le mot Svar signifie soleil, lumière ou ciel, si d’autres passages n’indiquaient pas franchement que ce terme désigne un monde. On dit fréquemment de lui que c’est un monde au-delà des rodasī, outrepassant ciel et terre, appelé aussi le vaste monde, uru loka, ou le vaste autre monde, uru u loka, ou simplement ce monde (autre), u loka On le dépeint comme un monde de vaste lumière et largement affranchi de la peur, où les vaches, les rayons de Surya, s’ébattent en liberté. Ainsi, en VI-47-8, nous lisons: “Toi, par ta connaissance, tu nous guides vers le vaste monde, vers Svar, vers la Lumière qui est l’absence de peur, dans le bonheur de l’être, svarvaj jyotir abhayaṃ svasti.” En III-2-7, on voit Agni Vaishvanara “occupant la terre et le ciel et le vaste Svar, ā rodasī apṛṇad ā svar mahat”; et dans son hymne à Vishnu, Vasishtha a une formule similaire (7.99.3 et 4): “Tu as étayé fermement, ô Vishnu, ce ciel et cette terre, et soutenu de tous côtés la terre avec les rayons (de Surya). Pour le (c’est-à-dire comme fruit du) sacrifice, vous avez tous les deux créé ce vaste autre monde, urum u lokam, donnant ainsi naissance au Soleil, à l’Aurore et à Agni”, où se retrouve cette correspondance étroite de Svar, le vaste monde, avec la naissance ou apparition du Soleil et de l’Aurore. On fait de Svar l’aboutissement du sacrifice, le terme de notre pèlerinage, notre vaste patrie, notre destination, l’autre monde qu’atteignent ceux qui s’acquittent bien de la tâche sacrificielle, sukṛtām u lokam. Envoyé en émissaire, Agni fait la navette entre la terre et le ciel, puis de son être “il embrasse cette vaste patrie, kṣayam bṛhantam pari bhūṣati” (3.3.2). C’est un monde de félicité, c’est la plénitude de cette richesse totale à laquelle aspire le Rishi védique: “Ô Toi qui connais toutes les naissances, celui, remplissant bien sa mission, pour qui tu crées cet autre monde de béatitude, atteint le bonheur parfait, une richesse et une félicité peuplées de Chevaux (les élans de sa vie), de Fils (les enfants de son âme), de Héros (les armées de son énergie) et de Vaches (les troupeaux de lumière)” (5.4.11). Et c’est la Lumière qui permet d’atteindre cette Béatitude; c’est en faisant naître le Soleil et l’Aurore et les Jours que les Angiras y parviennent, au nom du genre humain, pour ceux qui le désirent: “Indra, le conquérant de Svar, qui donne naissance aux jours, a vaincu les armées qu’il attaquait avec l’aide de ceux qui le souhaitent (ou se portent candidats, uśigbhiḥ, terme servant comme nṛ, à désigner hommes et dieux, mais parfois aussi, tout comme nṛ, plus particulièrement les Angiras); pour l’homme, il a fait resplendir la vision (sagesse clairvoyante) des jours, ketum ahnām, et trouvé la Lumière pour le vaste Délice, avindaj jyotir bṛhate raṇāya” (3.34.4).

Si l’on se base sur ces extraits, et d’autres passages isolés, on pourrait fort bien interpréter tout ceci comme une sorte de représentation d’un monde matériel par-delà ciel et terre, un monde imaginé par quelque Indien peau-rouge, fait de rayons de soleil, où l’être humain, affranchi de la peur et des contraintes – naturellement, ce monde est vaste –, voit tous ses désirs exaucés et jouit d’un nombre quasiment illimité de chevaux, de vaches, de fils et d’escortes. Mais nous avons justement entrepris de démontrer qu’il n’en est rien et que ce vaste monde, bṛhad dyau ou Svar, où nous devons nous rendre en dépassant ciel et terre – (car c’est ainsi qu’on l’évoque, notamment dans 1-36-8: “Les êtres humains, manuṣaḥ, ayant abattu Vritra l’Obstructeur, ont franchi le ciel et la terre et ont fait du vaste monde leur demeure, ghnanto vṛtram ataran rodasī apa uru kṣayāya cakrire)” –, cette étendue supra-céleste, cette lumière illimitable est au contraire un ciel supramental, le ciel de la Vérité supramentale, de la Béatitude immortelle, et que la lumière qui est sa substance et réalité constitutive est celle de la Vérité. Mais, pour l’instant, contentons-nous de souligner qu’il s’agit d’un ciel caché à notre vision par une sorte d’obscurité, qu’il doit être découvert et rendu visible, et que cette vision et cette découverte dépendent de la naissance de l’Aurore, du lever du Soleil, du jaillissement des Troupeaux solaires hors de leur caverne secrète. Les âmes qui ont accompli avec succès leur sacrifice deviennent svardṛś et svarvid, elles voient Svar et découvrent Svar ou le connaissent; car la racine vid veut dire aussi bien trouver, obtenir et connaître, et est remplacée, à une ou deux reprises, par la racine moins ambiguë jñā ailleurs le Véda parle même de faire connaître la lumière en la tirant de l’obscurité. Pour le reste, s’interroger sur la nature de Svar, ou du vaste monde, est d’une importance primordiale pour interpréter le Véda, puisque là-dessus repose toute la différence entre la théorie faisant de ce texte un recueil d’hymnes composé par des barbares et celle qui y voit le livre d’une antique connaissance, un réel Véda. La question ne pourrait être traitée de façon exhaustive qu’en discutant les quelque cent passages qui traitent de ce vaste monde, ce qui sortirait tout à fait du cadre de la présente étude. Nous aurons cependant à y revenir, quand nous examinerons les hymnes des Angiras et dans les chapitres suivants.

La naissance du Soleil et de l’Aurore doit par conséquent être considérée comme la condition préalable pour voir ou atteindre Svar, et c’est ce qui explique pourquoi le Véda attache une telle importance à cette légende ou parabole, ainsi qu’au concept d’une lumière émergeant de l’obscurité, allumée, découverte, mise au monde grâce à l’hymne vrai, le satya mantra. C’est ce qu’accomplissent Indra et les Angiras, et quantité de passages y faisant allusion montrent Indra et les Angiras découvrant Svar ou le Soleil, avindat, l’illuminant ou le faisant briller, arocayat, lui donnant naissance, ajanayat (il faut se rappeler que le Véda parle constamment de naissance lorsque des dieux se manifestent dans le sacrifice), et enfin s’en emparant et le possédant, sanat. Souvent, il est vrai, Indra est le seul à être mentionné. C’est lui qui “crée la lumière à partir des nuits et donne naissance au Soleil”, kṣapāṃ vastā janitā sūryasya (3.49.4), lui qui “donne naissance au Soleil et à l’Aurore” (11-12-7), ou, en développant la formule, “donne naissance à la fois au Soleil, au Ciel et à l’Aurore” (6.305). “Son éclat illumine l’Aurore, son éclat fait flamboyer le Soleil, haryann uṣasam arcayaḥ sūryaṃ haryann arocayaḥ” (3.44.2). Tels sont “ses exploits, il a donné naissance au Soleil et à l’Aurore, jajāna sūryam uṣasaṃ sudaṃsāḥ” (3.32.8); “Aidé par ses radieux compagnons, il conquiert le champ (s’agirait-il du champ où l’Atri a aperçu les vaches lumineuses?), conquiert le Soleil, conquiert les eaux, sanat kṣetraṃ sakhibhiḥ śvitnyebhiḥ sanat sūryaṃ sanad apaḥ suvajraḥ” (1-100-18). C’est encore lui, nous l’avons vu, qui “a conquis Svar, svarṣā, en donnant naissance aux jours” (3.34.4). Pris séparément, certains passages pourraient chacun faire croire que cette naissance du Soleil se réfère à la création originelle du Soleil par les dieux. Mais ce n’est plus le cas quand on les considère tous ensemble. Cette naissance est bien alors une naissance commune, celle du Soleil et celle de l’Aurore, une naissance hors de la Nuit, que le sacrifice rend possible, “Indra, en accomplissant parfaitement le sacrifice, donna naissance aux Aurores et à Svar, indraḥ suyajña uṣasaḥ svar janat” (11-21-4), et qui se réalise avec la collaboration de l’homme (1-100-6), “Avec l’aide de nos hommes il conquiert le Soleil, asmākebhir nṛbhiḥ sūryaṃ sanat”; plusieurs hymnes en font du reste l’aboutissement du travail des Angiras et l’associent à la délivrance des vaches ou à l’éclatement de la montagne.

C’est ce détail, entre autres, qui nous empêche de voir, comme nous aurions été tentés de le faire, dans la naissance ou découverte du Soleil une simple description du ciel (Indra) retrouvant quotidiennement le soleil à l’aurore. Quand on dit de lui qu’“Il trouve la lumière même dans l’obscurité aveugle, so andhe cit tamasi jyotir vidat” (1-100-8), il s’agit évidemment de la même lumière que celle trouvée par Agni et Soma – “La lumière unique pour la multitude de ces créatures, avindataṃ jyotir ekam bahubhyaḥ, quand ils ont soustrait les vaches aux Panis” (1-93-4), – “Cette lumière vigile, de dieu à dieu, qu’ont fait naître ceux qui grandissent (dans) la vérité” (8.89.1), – “Lumière secrète, gūḍhaṃ jyotiḥ, que les pères”, les Angiras, “ont découverte quand ils ont donné naissance à l’Aurore par la vérité des pensées de leurs mantras” (7.76.4). C’est de cela qu’il est question dans l’hymne mystique au panthéon védique (8.29.10), attribué à Manu Vaivaśvata ou à Kashyapa, où on déclare: “Certains d’entre eux, chantant le Rik, ont médité sur le puissant Sāman et ainsi ont fait luire le Soleil”. Rien n’indique que cela se soit produit avant la création de l’homme; car il est dit en VII-91-1: “Les dieux qui grandissent par notre obéissance, eux qui étaient jadis irréprochables et plaignaient l’homme assiégé (tourmenté par les pouvoirs de l’ombre), ont fait resplendir l’Aurore grâce au Soleil”. Il s’agit ici de la découverte par les Angiras, après dix mois de sacrifice, du Soleil tapi dans l’obscurité. Cette parabole ou légende, quelle qu’en soit l’origine, est ancienne, largement répandue et suppose une longue disparition du Soleil, période pendant laquelle l’homme vécut plongé dans les ténèbres. Nous la retrouvons non seulement chez les Aryens de l’Inde, mais aussi chez les Mayas en Amérique, dont la civilisation préfigurait peut-être, sous une forme plus fruste, la culture égyptienne; on y retrouve en effet cette même légende du soleil, resté caché plusieurs mois dans l’obscurité, puis retrouvé grâce aux incantations et prières des sages (les Rishis Angiras?). Dans le Véda, le rétablissement de la Lumière est d’abord effectué par les Angiras, les sept sages, les anciens pères humains, et ensuite, grâce à leur intervention celui-ci se répète constamment dans l’expérience humaine.

Cette analyse montre que les deux légendes – et les deux restitutions, l’une et l’autre accomplies par Indra et les Angiras –, celle du Soleil disparu retrouvé grâce au sacrifice et au mantra, et celle des Vaches perdues retrouvées grâce au même mantra, ne sont pas deux mythes différents, ils ne font qu’un. Nous avons déjà affirmé cette identité, quand nous avons discuté des relations entre les vaches et l’Aurore. Les vaches sont les rayons de l’Aurore, les troupeaux du Soleil, et non pas du bétail ordinaire. Les vaches égarées figurent les rayons manquants du Soleil; leur retour annonce le retour du Soleil disparu. Mais il convient maintenant d’établir cette identité de façon irréfutable en nous appuyant sur les déclarations explicites du Véda lui-même.

Car le Véda nous le dit expressément: les vaches représentent la Lumière et l’enclos qui les dissimule, l’obscurité. Non seulement avons-nous le passage déjà cité, 1-92-4, où l’on souligne le caractère purement métaphorique des vaches et de l’enclos: “L’Aurore a ouvert grand l’obscurité comme on ouvre l’enclos de la Vache”; – non seulement avons-nous le rapprochement constant entre l’image des vaches retrouvées et la découverte de la lumière, comme en 1-93-4: “Vous deux avez dérobé les vaches aux Panis... Vous avez trouvé la lumière unique pour la multitude des créatures”; ou dans 11-24-3: “Voilà la tâche qui attend le plus divin des dieux; les places fortes ont été démolies, les citadelles ébranlées; Brihaspati a fait monter les vaches (les rayons), en chantant l’hymne, brahmaṇā, il a brisé Vala, voilé l’obscurité, rendu visible Svar”; – non seulement nous confie-t-on en V-31-3: “Il jeta devant lui les bonnes vaches laitières enfermées dans l’enclos secret, et par la Lumière ouvrit largement l’obscurité omniprésente”; – mais, à supposer que l’on vienne prétendre que, dans le Véda, les membres d’une même phrase n’ont aucun lien entre eux, et que les Rishis sautent allègrement d’une chose à l’autre – l’esprit béatement affranchi des impératifs du sens et de la raison –, passant des vaches au Soleil et de l’obscurité à la grotte des Dravidiens, nous avons en réponse l’identification parfaite de 1-33-1: “Indra, le Taureau, fit de la foudre son alliée (ou peut-être, s’en servit, yujam), par la Lumière il tira les rayons (litt. traya les vaches) de l’obscurité”; – il faut se souvenir que la foudre, étant le svarya aśmā, contient cette lumière de Svar; – et nous avons encore IV-51-2, qui parle des Panis: “Elles (les Aurores), manifestant l’aurore, pures et purifiantes, ouvrirent tout grand les portes de l’enclos de l’obscurité, vrajasya tamaso dvārā”. Si, au vu de tous ces extraits, nous voulons continuer à faire des vaches et des Panis un mythe historique, c’est parce que, ignorant les indications du Véda lui-même, nous avons résolu de l’interpréter ainsi. Sinon, nous devons admettre que cette “suprême et secrète richesse des Panis, nidhiṃ paṇīnāṃ paramaṃ guhā hitam” (2.24.6) n’est pas une abondance de troupeaux terrestres mais, comme l’a clairement affirmé Parucchepa Daivodasi (1-130-3), “Le trésor du ciel caché dans la caverne secrète, tel le petit de l’Oiseau au sein du roc infini, comme en un enclos de vaches, avindad divo nihitaṃ guhā nidhiṃ ver na garbhaṃ parivītam aśmany anante antar aśmani, vrajaṃ vajrī gavām iva siṣāsann”.

Nombreux sont les passages qui exploitent la relation entre les deux légendes ou leur identité; je n’en citerai que quelques-uns qui sont caractéristiques. Un des hymnes évoquant longuement cette légende, 1-62-4 et 5, déclare: “Ô Indra, ô Puissant, avec les Dashagvas (les Angiras), ton cri a déchiré Vala. Célébré par les Angiras, tu as ouvert grand l’obscurité (ou peut-être, révélé le Soma) avec l’Aurore, avec le Soleil et avec les Vaches”. Nous avons aussi VI-17-3: “Écoute l’hymne et grandis par les mots (de l’affirmation), manifeste Surya (le Soleil), terrasse l’ennemi et taille une issue pour les vaches de lumière, ô Indra”. Et puis dans VII-98-6: “Toute cette abondance de vaches que tu vois autour de toi avec l’œil du Soleil est tienne, ô Indra, tu es le maître unique des vaches, gavām asi gopatir eka indra”; et pour montrer de quel type de vaches Indra est le seigneur, nous lisons en III-31-4 à 6, hymne consacré à Sarama et aux Vaches: “Les victorieuses (Aurores) restèrent à ses côtés et par la connaissance discernèrent dans l’obscurité une grande lumière; ayant la connaissance, les Aurores s’élevèrent jusqu’à lui; Indra devint le seul maître des vaches lumineuses, patir gavām abhavad eka indraḥ”; et l’hymne ajoute comment “grâce au mental et grâce à la découverte du chemin complet de la Vérité les sept sages”, les Angiras, “ont fait jaillir les vaches de leur prison fortifiée”, et comment Sarama se rendit sciemment à la caverne dans la montagne, guidée par l’appel des impérissables troupeaux. Nous retrouvons cette même relation entre les Aurores et la découverte de la vaste lumière solaire de Svar dans VII-90-4: “Les Aurores resplendirent, parfaitement lumineuses et indemnes; méditant, ils (les Angiras) découvrirent la vaste Lumière, uru jyotiḥ; ceux qui désirent ouvrirent la vaste étendue des vaches, et du ciel les eaux fondirent sur eux”.

On retrouve en 11-19-3 les jours, le Soleil et les Vaches: “Il donna naissance au Soleil et découvrit les Vaches, manifestant les jours depuis la Nuit”. En IV-1-13, Aurores et vaches coïncident: “Les bonnes laitières qui gîtent dans le roc, les radieuses qui étaient dans leur prison opaque, ils les firent monter, les Aurores répondant à leur appel”, ce qui pourrait aussi signifier que les Aurores, appelées par les Angiras, “nos pères humains”, mentionnés dans le vers précédent, ont fait monter les vaches pour eux. Puis, en VI-17-5, on parle de la rupture de l’enclos permettant au Soleil de resplendir: “Tu as fait briller le Soleil et l’Aurore en démolissant les places fortes; tu as fait trembler sur ses bases la puissante montagne qui enfermait les vaches”; et pour finir, en III-39-4 et 5, nous avons la fusion complète des deux images telles que la légende les présente: “Nul parmi les mortels ne peut blâmer (que je traduirais plutôt par: aucun pouvoir mortel ne saurait enfermer ou entraver) nos pères qui ont lutté pour reprendre les vaches (des Panis); le puissant, le prodigieux Indra leur a livré les enclos hermétiquement fermés; là où, ami avec ses amis, les Navagvas, suivant en rampant les vaches, avec les dix, les Dashagvas, Indra a découvert le vrai Soleil (ou plutôt d’après moi: cette Vérité, le Soleil) établi dans l’obscurité”. Il s’agit ici, le texte est formel, des Vaches des Panis, que les Angiras poursuivent en s’introduisant à quatre pattes dans la grotte. Indra et les Angiras, appelés dans d’autres hymnes Navagvas et Dashagvas, sont ceux qui les découvrent et ce qui est trouvé à l’intérieur de l’enclos abritant les vaches des Panis, dans la caverne de la montagne, ce n’est pas le trésor volé des Aryens, mais “le Soleil établi dans l’obscurité”.

Les vaches du Véda, les vaches des Panis, les vaches dérobées, disputées, poursuivies et retrouvées, les vaches que convoitent les Rishis, les vaches reconquises grâce à l’hymne et grâce au sacrifice, grâce au feu resplendissant, au poème qui grandit les dieux et au Soma qui les enivre, sont donc indiscutablement, c’est désormais acquis, des vaches symboliques, ce sont les Vaches de la Lumière, ce sont, conformément à l’autre sens occulte des termes védiques go, usrā, usriyā, les Brillantes, les Radiances, les Troupeaux du Soleil, les formes lumineuses de l’Aurore, Cette conclusion inéluctable, véritable pierre angulaire de tout l’édifice, achève de fonder une interprétation qui transcende nettement le matérialisme grossier d’un culte barbare, et le Véda se révèle être alors une Écriture symbolique, une allégorie sacrée, célébrant soit le Soleil et l’Aurore, soit une Lumière intérieure et plus haute, le vrai Soleil, satyaṃ sūryam, qui vit caché dans l’obscurité de notre ignorance, tapi comme l’enfant de l’Oiseau, le Hamsa (Cygne) divin, dans le roc infini de cette existence matérielle, anante antar aśmani (1-130-3).

Bien que dans ce chapitre je me sois contenté presque exclusivement de relever les indications prouvant l’identité entre les vaches et la lumière du soleil caché dans l’obscurité, un ou deux extraits cités laisse déjà néanmoins deviner la correspondance avec la lumière de la Vérité et le soleil de la Connaissance. Quand nous examinerons non plus des vers isolés, mais des passages entiers de ces hymnes aux Angiras, on verra que ce pressentiment se change en claire certitude. Mais nous devons d’abord considérer rapidement ces Rishis Angiras, ainsi que ces créatures de la caverne, amies de l’ombre, à qui ils reprennent les troupeaux lumineux et le Soleil disparu – les énigmatiques Panis.

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