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Sri Aurobindo

Le Secret du Véda
Suivi de hymnes choisis du Rig-Véda

Avec commentaires

9. Brihaspati, pouvoir de l’âme (4.50)

4.50.1

यस्त॒स्तम्भ॒ सह॑सा॒ वि ज्मो अन्ता॒न्बृह॒स्पति॑स्त्रिषध॒स्थो रवे॑ण ।

तं प्र॒त्नास॒ ऋष॑यो॒ दीध्या॑नाः पु॒रो विप्रा॑ दधिरे म॒न्द्रजि॑ह्वम् ॥१॥

yaḥ tastambha sahasā vi jmaḥ antān bṛhaspatiḥ tri-sadhasthaḥ raveṇa

tam pratnāsaḥ ṛṣayaḥ dīdhyānāḥ puraḥ viprāḥ dadhire mandra-jihvam

Lui, le puissant, qui par son cri a fixé les extrémités de la terre, Brihaspati, établi au triple monde de notre accomplissement, sur lui méditèrent jadis les premiers Rishis, et, sages illuminés, le placèrent en tête, avec sa langue d’extase.

4.50.2

धु॒नेत॑यः सुप्रके॒तं मद॑न्तो॒ बृह॑स्पते अ॒भि ये न॑स्तत॒स्रे ।

पृष॑न्तं सृ॒प्रमद॑ब्धमू॒र्वं बृह॑स्पते॒ रक्ष॑तादस्य॒ योनि॑म् ॥२॥

dhuna-itayaḥ su-praketam madantaḥ bṛhaspate abhi ye naḥ tatasre

pṛṣantam sṛpram adabdham ūrvam bṛhaspate rakṣatāt asya yonim

Eux, vibrant sous l’impulsion de leur mouvement, goûtant la conscience parfaite, la tissèrent pour nous, ô Brihaspati, généreuse [ou: multicolore], rapide, invincible, vaste; protège, ô Brihaspati, le monde où naquit cet être conscient [ou: la matrice, le siège de sa naissance].

4.50.3

बृह॑स्पते॒ या प॑र॒मा प॑रा॒वदत॒ आ त॑ ऋत॒स्पृशो॒ नि षे॑दुः ।

तुभ्यं॑ खा॒ता अ॑व॒ता अद्रि॑दुग्धा॒ मध्व॑: श्चोतन्त्य॒भितो॑ विर॒प्शम् ॥३॥

bṛhaspate yā paramā parā-vat ataḥ ā te ṛta-spṛśaḥ ni seduḥ

tubhyam khātāḥ avatāḥ adri-dugdhāḥ madhvaḥ ścotanti abhitaḥ vi-rapśam

Ô Brihaspati, cela qui est la culmination suprême de l’existence, c’est là que parviennent et s’installent ceux qui, venus d’ici-bas, touchent la Vérité. Pour toi sont creusés ces puits de miel qui drainent la montagne et leurs douceurs s’écoulent et débordent de toutes parts.

4.50.4

बृह॒स्पति॑: प्रथ॒मं जाय॑मानो म॒हो ज्योति॑षः पर॒मे व्यो॑मन् ।

स॒प्तास्य॑स्तुविजा॒तो रवे॑ण॒ वि स॒प्तर॑श्मिरधम॒त्तमां॑सि ॥४॥

bṛhaspatiḥ prathamam jāyamānaḥ mahaḥ jyotiṣaḥ parame vi-oman

sapta-āsyaḥ tuvi-jātaḥ raveṇa vi sapta-raśmiḥ adhamat tamāṁsi

Brihaspati, le maître de Sagesse, le premier né [ou: l’origine née] de la vaste lumière dans le suprême éther, manifesté sous de multiples formes avec ses sept faces [ou: bouches] et ses sept rayons, chasse bien loin les ténèbres environnantes par son cri.

4.50.5

स सु॒ष्टुभा॒ स ऋक्व॑ता ग॒णेन॑ व॒लं रु॑रोज फलि॒गं रवे॑ण ।

बृह॒स्पति॑रु॒स्रिया॑ हव्य॒सूद॒: कनि॑क्रद॒द्वाव॑शती॒रुदा॑जत् ॥५॥

saḥ su-stubhā saḥ ṛkvatā gaṇena valam ruroja phali-gam raveṇa

bṛhaspatiḥ usriyāḥ havya-sūdaḥ kanikradat vāvaśatīḥ ut ājat

Lui, avec sa troupe dotée du rythme qui affirme et du chant qui illumine, par son cri a démoli Vala [l’obstructeur ou accapareur]; Brihaspati fait monter les Radieuses, qui hâtent nos offrandes, à leur tête il vocifère, elles meuglent en réponse.

4.50.6

ए॒वा पि॒त्रे वि॒श्वदे॑वाय॒ वृष्णे॑ य॒ज्ञैर्वि॑धेम॒ नम॑सा ह॒विर्भि॑: ।

बृह॑स्पते सुप्र॒जा वी॒रव॑न्तो व॒यं स्या॑म॒ पत॑यो रयी॒णाम् ॥६॥

eva pitre viśva-devāya vṛṣṇe yajñaiḥ vidhema namasā haviḥbhiḥ

bṛhaspate su-prajāḥ vīra-vantaḥ vayam syāma patayaḥ rayīṇām

Ainsi, pour le Père, le dieu universel, le Taureau, puissions-nous préparer nos sacrifices, le don de soi et le don des choses; Ô Brihaspati, féconds, pleins d’énergie héroïque, puissions-nous devenir maîtres des félicités.

4.50.7

स इद्राजा॒ प्रति॑जन्यानि॒ विश्वा॒ शुष्मे॑ण तस्थाव॒भि वी॒र्ये॑ण ।

बृह॒स्पतिं॒ यः सुभृ॑तं बि॒भर्ति॑ वल्गू॒यति॒ वन्द॑ते पूर्व॒भाज॑म् ॥७॥

saḥ it rājā prati-janyāni viśvā śuṣmeṇa tasthau abhi vīryeṇa

bṛhaspatim yaḥ su-bhṛtam bibharti valgu-yati vandate pūrva-bhājam

Il est Roi en vérité et conquiert tout ce qui lui vient des mondes adverses, par sa force héroïque et son énergie, celui qui porte et garde ferme en soi Brihaspati et, dansant d’exultation, l’adore et lui offre les prémices de son bien.

4.50.8

स इत्क्षे॑ति॒ सुधि॑त॒ ओक॑सि॒ स्वे तस्मा॒ इळा॑ पिन्वते विश्व॒दानी॑म् ।

तस्मै॒ विशः॑ स्व॒यमे॒वा न॑मन्ते॒ यस्मि॑न्ब्र॒ह्मा राज॑नि॒ पूर्व॒ एति॑ ॥८॥

saḥ it kṣeti su-dhitaḥ okasi sve tasmai iḻā pinvate viśva-dānīm

tasmai viśaḥ svayam eva namante yasmin brahmā rājani pūrvaḥ eti

Oui, qui s’est solidement installé en sa propre demeure, pour lui lia ne cesse de s’enrichir, à lui spontanément se soumettent les hommes, à ce roi chez qui Brahma, Pouvoir de l’Âme, marche en tête.

4.50.9

अप्र॑तीतो जयति॒ सं धना॑नि॒ प्रति॑जन्यान्यु॒त या सज॑न्या ।

अ॒व॒स्यवे॒ यो वरि॑वः कृ॒णोति॑ ब्र॒ह्मणे॒ राजा॒ तम॑वन्ति दे॒वाः ॥९॥

aprati-itaḥ jayati sam dhanāni prati-janyāni uta yā sa-janyā

avasyave yaḥ varivaḥ kṛṇoti brahmaṇe rājā tam avanti devāḥ

Inattaquable, il conquiert entièrement les richesses, celles des mondes adverses [ou: du dehors] et celles du monde où il vit [ou: de son propre monde au-dedans]; qui, pour le Pouvoir de l’Ame désireux de se manifester et grandir, crée en soi ce bien suprême, celui-là est chéri des dieux.

4.50.10

इन्द्र॑श्च॒ सोमं॑ पिबतं बृहस्पते॒ऽस्मिन्य॒ज्ञे म॑न्दसा॒ना वृ॑षण्वसू ।

आ वां॑ विश॒न्त्विन्द॑वः स्वा॒भुवो॒ऽस्मे र॒यिं सर्व॑वीरं॒ नि य॑च्छतम् ॥१०॥

indraḥ ca somam pibatam bṛhaspate asmin yajñe mandasānā vṛṣaṇvasū iti vṛṣaṇ-vasū

ā vām viśantu indavaḥ su-ābhuvaḥ asme iti rayim sarva-vīram ni yacchatam

Ô Brihaspati, toi et Indra buvez le vin de Soma, savourant ce sacrifice, prodiguant substance [et richesse]; que les pouvoirs de son délice vous pénètrent et s’incarnent parfaitement, qu’ils dominent en nous une félicité riche de toutes les énergies.

4.50.11

बृह॑स्पत इन्द्र॒ वर्ध॑तं न॒: सचा॒ सा वां॑ सुम॒तिर्भू॑त्व॒स्मे ।

अ॒वि॒ष्टं धियो॑ जिगृ॒तं पुरं॑धीर्जज॒स्तम॒र्यो व॒नुषा॒मरा॑तीः ॥११॥

bṛhaspate indra vardhatam naḥ sacā sā vām su-matiḥ bhūtu asme iti

aviṣṭam dhiyaḥ jigṛtam puram-dhīḥ jajastam aryaḥ vanuṣām arātīḥ

Ô Brihaspati, ô Indra, ensemble grandissez (en) nous, que soit créée alors chez nous cette perfection de votre mentalité; nourrissez les pensées, éveillez les pouvoirs multiples du mental [ou: les occupantes de la cité], finissez les misères venant de ceux qui veulent conquérir l’Aryen [ou: détruisez les armées de l’ennemi et des assaillants].

Commentaire

Brihaspati, Brahmanaspati, Brahma sont les trois noms du dieu dont le Rishi Vamadéva fait ici l’éloge mystique. Dans les théogonies puraniques qui suivirent, Brihaspati et Brahma sont depuis longtemps devenus des divinités indépendantes: Brahma est le Créateur, l’un des membres de la grande Trinité puranique; Brihaspati est une figure effacée, le précepteur spirituel des dieux et, accessoirement, le dieu tutélaire de la planète Jupiter; Brahmanaspati, le moyen terme qui jadis faisait le lien entre les deux, a disparu. Pour rétablir la personnalité de la divinité védique, il nous faut réunir ce qui a été séparé et corriger notre appréciation des deux termes distincts à la lumière des conceptions védiques originelles.

Brahman dans le Véda signifie d’ordinaire le Verbe védique ou Mantra, sous son aspect le plus profond, en tant qu’expression de l’intuition jaillissant des profondeurs de l’âme ou de l’être. C’est une voix du rythme qui a créé les mondes et qui crée perpétuellement. Tout monde est une expression ou manifestation, une Parole qui crée. L’Être Conscient manifestant lumineusement son propre contenu, spontanément, tmanā, est le superconscient; conservant obscurément en soi ce qu’il contient, il devient le subconscient. Le supérieur, le spontanément lumineux, descend dans le ténébreux, dans la Nuit, dans l’obscurité que cache l’obscurité, tamas tamasā gūḷham (10.129.3), où tout est enfoui dans l’être amorphe, en raison de la fragmentation de la conscience, tucchyenābhvapihitam (d°). Il resurgit de la Nuit grâce au Verbe, pour reconstituer dans le conscient sa vaste unité, tan mahinājāyataikam (d°). Cet Être vaste, cette conscience qui contient et formule tout, c’est Brahman. C’est l’Âme qui chez l’Homme émerge du subconscient et monte vers le superconscient. Et la parole du Pouvoir créateur jaillissant de l’âme est elle aussi brahman.

Le Divin, le Déva, se manifeste comme Pouvoir conscient de l’Âme, crée les mondes par le Verbe, à partir des eaux du subconscient, apraketaṃ salilaṃ sarvam, “l’Océan inconscient qui était ce tout”, comme l’énonce clairement le grand “Hymne de la Création” (10.129.3). Ce pouvoir du Déva est Brahma, le nom insistant davantage en l’occurrence sur le pouvoir d’âme conscient et moins sur le Verbe qui l’exprime. Manifester les différents plans du monde dans l’être humain conscient finit tout en haut par manifester le superconscient, la Vérité et la Béatitude, et c’est la mission du Verbe suprême ou Véda. Cette Parole suprême, Brihaspati en est le maître, l’accent étant mis ici sur la puissance du Verbe plutôt que sur la pensée du pouvoir d’âme en général qui le sous-tend. Brihaspati confère la Parole de connaissance, le rythme exprimant le superconscient, aux dieux et notamment à Indra, le seigneur du Mental, quand leur action en l’homme est celle de pouvoirs “aryens” désireux de mener à bien leur grande tâche. On comprend aisément comment, dans le symbolisme puranique plus diffus mais moins subtil et profond, ces notions finirent par se spécialiser en Brahma, le Créateur, et Brihaspati, le Précepteur des dieux. Dans le terme Brahmanaspati, les deux tendances sont unifiées et harmonisées, le nom servant de lien entre les deux aspects, général et particulier, de la même divinité.

(rik 1) – Brihaspati est celui qui a défini précisément les limites et contours de la Terre, c’est-à-dire de la conscience matérielle. L’existence, origine de toutes les formations, est un mouvement obscur, fluide et indéterminé – salilam, l’Eau. Ce qu’il faut en premier, c’est constituer, à partir de ce flux et de cette agitation, une formation suffisamment stable pour servir de base à la vie du conscient. Brihaspati y pourvoit en produisant la conscience physique et son monde, par la force, sahasā, en exerçant une sorte de contrainte puissante sur la résistance du subconscient. Cette grande création, il la réalise en instaurant le principe triple du mental, de la vie et du corps, toujours concomitants et involués l’un en l’autre ou évolués l’un de l’autre, dans le monde du labeur et de l’accomplissement cosmiques. Tous les trois constituent ensemble le triple siège d’Agni, et c’est là qu’il élabore la tâche progressive de la réalisation ou perfection que vise le sacrifice. Pour donner forme, Brihaspati utilise le son, il crée avec son cri, raveṇa, car le Verbe est le cri que pousse l’âme à mesure qu’elle s’éveille à des perceptions et conceptions toujours nouvelles. “Lui qui a solidement établi par la force les extrémités de la terre, Brihaspati, fixé au triple siège de l’accomplissement, avec son cri.”1

Sur lui, dit-on, méditèrent les anciens ou premiers Rishis; ce faisant, leur mental s’illumina; illuminés, ils l’installèrent à leur tête, lui le dieu à la langue extatique, mandrajihvam,2 cette langue qui savoure le vin grisant du Soma, mada, madhu, goûte ce qui est “la vague de douceur”, madhumān ūrmiḥ (4.58.1, 9.110.11), enfouie dans l’existence consciente avant d’en être progressivement dégagée. Mais de qui s’agit-il? Des sept Rishis divins, ṛṣayo divyāḥ, qui, réalisant la conscience en chacun des sept principes et les harmonisant, supervisent l’évolution du monde, ou des Pères humains, pitaro manuṣyāḥ, qui ont les premiers découvert la connaissance supérieure et formulé pour l’homme l’infinitude de la conscience-de-Vérité? On peut hésiter, mais c’est plutôt la conquête de la Vérité par les Pères humains, les Anciens, qui semble visée ici. Dans le Véda le mot dīdhyāna désigne à la fois ce qui brille, devient lumineux, et celui qui pense, médite, fixe dans la pensée. Il est sans cesse employé avec un sens double ou complexe, figure de style chère aux poètes védiques. Dans le premier sens, il est à rapprocher de viprāḥ, et suggère que les Rishis, leur pensée se clarifiant de plus en plus grâce à la force triomphante de Brihaspati, finissent par devenir des Illuminés, viprāḥ. Dans le second sens, le mot se rattache à dadhire et implique que les Rishis, méditant sur les intuitions qui jaillissent de l’âme grâce au cri de Brihaspati contenu dans le Verbe sacré et illuminateur, et les maintenant fermement dans la pensée, ont vu leur mental s’illuminer, s’ouvrir à l’afflux complet du superconscient. Ils ont su ainsi amener à la surface de l’être conscient ce commerce des pensées d’âme qui, agissant voilé, reste d’habitude en retrait, pour en faire l’activité dominante de leur nature. Ce qui a permis à Brihaspati en eux de goûter pour eux la béatitude de l’existence, le vin de l’Immortalité, le suprême Ananda. Constituer et délimiter la conscience physique est la première étape, s’éveiller à l’Ananda, en privilégiant dans le mental l’âme intuitive pour qu’elle guide nos activités conscientes, est l’aboutissement ou, du moins, la condition de l’aboutissement.

(rik 2) – Cela débouche sur la formation chez l’homme de la conscience-de-Vérité. Les anciens Rishis ont atteint la vibration la plus rapide du mouvement, la ruée la plus complète et la plus prompte du flux de conscience qui constitue notre existence active, non plus obscure comme dans le subconscient, mais pleine de la joie de la conscience parfaite – non pas apraketam, comme l’Océan décrit dans l’Hymne de la Création, mais supraketam. C’est pourquoi on les appelle, dhunetayaḥ supraketaṃ madantaḥ. En atteignant dans la mentalité humaine cette rapidité extrême des activités de la conscience, unies à sa pleine lumière et félicité, ils ont tissé pour le genre humain, avec la toile de ces perceptions vives, lumineuses et joyeuses, la conscience-de-Vérité, ṛtam, bṛhat, qui est la matrice ou patrie de cet être conscient. Car l’existence part du superconscient pour descendre dans le subconscient, emportant avec elle ce qui devient ici en émergeant l’être humain individuel, l’âme consciente. La nature intrinsèque de cette conscience-de-Vérité est abondamment débordante, pṛṣantam, ou peut-être multicolore en raison de la diversité de ses qualités harmonisées; son mouvement est rapide, sṛpram; cette vivacité lumineuse lui permet de triompher de tout ce qui cherche à l’étouffer ou la corrompre, elle est adabdham; et surtout, elle est large, vaste, infinie, ūrvam. C’est tout le contraire du premier mouvement étriqué qui émerge du subconscient, mouvement avare et sombre, lent et gauche, facilement vaincu et brisé par l’antagonisme des pouvoirs hostiles, d’une portée maigre et limitée. Mais l’insurrection des pouvoirs de négation, les Vritras, les Valas, menace encore d’occulter cette conscience-de-Vérité manifestée en l’homme. Aussi le Rishi prie-t-il Brihaspati de lui éviter cette éclipse en faisant agir pleinement la force de son âme.3

(rik 3) – La conscience-de-Vérité est le fondement du superconscient, qui a pour nature la Béatitude. En elle culmine le supraconscient, paramā parāvat, d’où l’Être est descendu, le parama parārdha de l’Upanishad (Katha, I-III-l), l’existence de Sat-cit-ananda. Quittant la conscience physique qui est la nôtre, sortant d’ici, ataḥ, c’est à cette existence suprême que parviennent ceux qui, comme les anciens Rishis, entrent en contact avec la conscience-de-Vérité4. Ils en font leur séjour, leur résidence, kṣaya, okas. Car dans la montagne de l’être physique, pour l’âme sont creusés ces puits gorgés de douceur, qui tirent de sa rigidité opiniâtre le secret Ananda; au contact de la Vérité, les rivières de miel, les coulées rapides du vin de l’Immortalité gouttent et ruissellent et déferlent en un flot généreux sur toute l’étendue de la conscience humaine5.

(rik 4) – Ainsi Brihaspati, premier dieu à se manifester hors de l’immensité de cette Lumière de la conscience-de-Vérité, dans cette étendue céleste tout en haut du suprême superconscient, maho jyotiṣaḥ parame vyoman, se présente au complet sous l’aspect septuple intégral de notre être conscient – multipliant ses naissances dans toutes les formes de l’interaction de ses sept principes, allant du matériel au spirituel le plus pur, dans la lumière de leur septuple rayon qui éclaire chez nous surfaces et profondeurs – et avec son cri triomphant disperse et chasse tous les pouvoirs de la Nuit, toutes les incursions de l’Inconscient, tout ce qui peut encore obscurcir.6

(rik 5) – Ce sont les pouvoirs du Verbe, l’armée cadencée des forces de l’âme, qui permettent à Brihaspati de tout formuler, qui l’aident à dissiper toutes les obscurités qui nous environnent pour mettre fin à la Nuit. Il s’agit des “Brahmas” du Véda, véhicules du Verbe, le brahman, le mantra; ce sont eux durant le sacrifice qui élèvent vers le ciel le Rik divin, le Stubh ou Stoma. Ṛk, apparenté au mot arka signifiant lumière ou illumination, est le Verbe conçu comme pouvoir de réalisation dans la conscience qui s’illumine; stubh est le Verbe conçu comme pouvoir d’affirmation et de confirmation dans le rythme établi des choses. Ce qui doit être exprimé est réalisé dans la conscience, affirmé et, finalement, confirmé par le pouvoir du Verbe. Les “Brahmas” ou forces Brahmanas sont les prêtres du Verbe, ceux qui créent au moyen du rythme divin. C’est grâce à leur cri que Brihaspati brise Vala.

Si Vritra est l’ennemi, le Dasyu, qui accapare le flot des eaux septuples de l’existence consciente – Vritra, la personnification de l’Inconscient –, Vala, lui, est, l’ennemi, le Dasyu, qui confisque dans son antre, sa caverne, bilam, guhā, les troupeaux de la Lumière; il personnifie le subconscient. Vala n’est pas en soi obscur ou inconscient, mais cause d’obscurité. Il a plutôt comme substance la lumière, valaṃ gomantam, valaṃ govapuṣam, mais il garde cette lumière en lui-même et refuse qu’elle se manifeste consciemment. Il doit être brisé, pour que puissent s’échapper les splendeurs cachées. Leur délivrance se caractérise par l’émergence des Radieux, les troupeaux de l’Aurore, fuyant la caverne située au pied de la montagne physique, et leur ascension sous la conduite de Brihaspati vers les cimes de notre être qu’en leur compagnie et grâce à eux nous escaladons. Sa voix, celle de la connaissance superconsciente, les appelle; ils y répondent par l’intuition consciente, et le suivent. En chemin, ils stimulent les activités qui servent de matériau au sacrifice et constituent les offrandes faites aux dieux, et qui, emportées elles aussi dans l’ascension, finissent par atteindre le même but divin.7

(rik 6) – Cette Âme qui spontanément s’exprime, parame, est le Purusha, le Père de toutes choses, c’est la Divinité universelle, c’est le Taureau des troupeaux, le Maître et fécondateur de toutes ces énergies lumineuses, évoluées ou involuées – agissant à découvert ou en secret selon qu’on est dans le jour ou la nuit des choses –, qui constituent le devenir ou l’existence du monde, bhuvanam. Pour le Purusha en la personne de parame, le Rishi souhaite que nous disposions, comme lors d’un sacrifice, tous les matériaux de notre être, en entamant une action sacrificielle où seront remises à l’Ame universelle ces oblations dignes d’être offertes avec adoration et soumission. La grâce de cette divinité intercédant, le sacrifice fera de nous des êtres pleins d’énergie héroïque pour la bataille de la vie, à l’âme féconde, maîtres des félicités qui sont atteintes par l’illumination divine et l’action juste8.

(rik 7) – Car l’énergie et la force triomphante de l’âme se perfectionnent chez l’être humain qui porte en soi et peut supporter sans faiblir ce Pouvoir d’Âme conscient, tiré en avant pour conduire l’action de la Nature, chez l’être qui parvient, grâce à lui, comme l’ont fait les premiers sages, à un mouvement rapide et joyeux des activités intérieures, qui exécute en soi ces sauts et ces galops harmonieux du coursier de la Vie, et ne cesse d’adorer cette divinité, lui offrant le premier fruit de ses succès, un premier échantillon de son bien. Fort de cette énergie, il se jette victorieusement sur tout ce que lui apportent les naissances, les mondes, les plans de conscience qui s’ouvrent à sa perception lors du progrès de l’être. L’ayant maîtrisé, il devient roi, le samrāṭ, souverain du monde qui l’entoure.9

(rik 8) – Une telle âme atteint en effet une existence solidement ancrée dans son domaine propre, la conscience-de-Vérité, la totalité infinie; et pour elle, à tous moments, lia, le Verbe suprême, l’énergie première de la conscience-de-Vérité – la vision révélatrice directe qui connaît et, par cette connaissance, atteint de soi-même, spontanément, la Vérité des choses dans l’action, le résultat et l’expérience –, lia perpétuellement s’étoffe et s’enrichit. Devant un tel être toutes les créatures naturellement s’inclinent, se soumettent à la Vérité en lui, parce qu’elle est une avec la Vérité qui les habite. Car le Pouvoir d’Âme conscient, créateur et réalisateur universel, dirige tout ce que celui-ci fait. Il guide selon la Vérité ses relations avec toutes les créatures, et il agit par conséquent sur elles avec une maîtrise totale et spontanée. Pour que l’homme parvienne à cet état idéal, il faut que la force de l’âme le conduise – Brihaspati, Brahma, la lumière et conseillère spirituelle – et que, réalisant en lui Indra, la divinité royale de l’action, il se gouverne et gouverne tout son entourage, en vertu de leur commune Vérité10.

(rik 9) – Car ce Brahma, cette Âme créatrice, cherche à se manifester et à s’épanouir dans la royauté de la nature humaine; et celui qui atteint cette royauté de lumière et de pouvoir, et crée en soi pour Brahma ce sublime bien humain, tous les pouvoirs cosmiques divins qui œuvrent à l’accomplissement suprême viendront constamment le chérir, le nourrir, le grandir. Il obtient toutes ces possessions de l’âme que réclame la royauté de l’esprit, celles appartenant à son propre plan de conscience et celles qui lui arrivent d’autres plans de conscience. Rien ne peut mettre en péril ou déranger sa marche triomphante11.

(rik 10) – Indra et Brihaspati sont ainsi les deux pouvoirs divins dont la plénitude en nous et la possession consciente de la Vérité conditionnent notre perfection. Vamadéva les exhorte à boire lors de ce grand sacrifice le vin de l’immortel Ananda, pour savourer l’ivresse de ses extases et verser généreusement la substance et les richesses de l’esprit. Ces libations de la béatitude superconsciente doivent imprégner la force d’âme et y prendre existence parfaitement. Naîtra alors une félicité, une harmonie contrôlée, comblée de toutes les énergies et toutes les capacités d’une nature accomplie devenue parfaitement maîtresse de soi et de son monde12.

(rik 11) – Que Brihaspati et Indra grandissent en nous, et cet état de mentalité juste que tous deux élaborent sera manifesté, telle est donc la condition finale. Qu’ils encouragent les pensées adolescentes et favorisent l’expression de ces énergies de l’être mental qu’une pensée enrichie et multiple prépare à l’illumination et à la rapidité de la conscience-de-Vérité. Les pouvoirs qui attaquent le combattant aryen voudraient appauvrir son mental et sa nature émotive, créer chez lui bien des incapacités. Les forces de l’Âme et du Mental, par leur essor conjoint, détruisent toutes ces misères, toutes ces lacunes, et conduisent ensemble l’homme à son couronnement et à sa parfaite royauté.13

 

1 yas tastambha sahasā vi jmo antān, bṛhaspatis triṣadhastho raveṇa

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2 taṃ pratnāsa ṛṣayo dīdhyānāḥ, puro viprā dadhire mandrajihvam

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3 dhunetayaḥ supraketaṃ madanto, bṛhaspate abhi ye nas tatasre

   pṛṣantaṃ sṛpram adabdham ūrvaṃ, bṛhaspate rakṣatād asya yonim

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4 bṛhaspate yā paramā parāvad ata ā ta ṛtaspṛśo ni ṣeduḥ

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5 tubhyaṃ khātā avatā adridugdhā madhvaḥ ścotanty abhito virapśam

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6 bṛhaspatiḥ prathamaṃ jāyamāno maho jyotiṣaḥ parame vyoman

   saptāsyas tuvijāto raveṇa vi saptaraśmir adhamat tamāṃsi

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7 sa suṣṭubhā sa ṛkvatā gaṇena valaṃ ruroja phaligaṃ raveṇa

   bṛhaspatir usriyā havyasūdaḥ kanikradad vāvaśatīr ud ājat

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8 evā pitre viśvadevāya vṛṣṇe yajñair vidhema namasā havirbhiḥ

   bṛhaspate suprajā vīravanto vayaṃ syāma patayo rayīṇām

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9 sa id rājā pratijanyāni viśvā śuṣmeṇa tasthāv abhi vīryeṇa

   bṛhaspatiṃ yaḥ subhṛtaṃ bibharti valgūyati vandate pūrvabhājam

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10 sa it kṣeti sudhita okasi sve tasmā iḷā pinvate viśvadānīm

   tasmai viśaḥ svayam evā namante yasmin brahmā rājani pūrva eti

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11 apratīto jayati saṃ dhanāni pratijanyāny uta yā sajanyā

   avasyave yo varivaḥ kṛṇoti brahmaṇe rājā tam avanti devāḥ

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12 indraś ca somaṃ pibataṃ bṛhaspate ‘smin yajñe mandasānā vṛṣaṇvasū

   ā vāṃ viśantv indavaḥ svābhuvo ‘sme rayiṃ sarvavīraṃ ni yacchatam

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13 bṛhaspata indra vardhataṃ naḥ sacā sā vāṃ sumatir bhūtv asme

   aviṣṭaṃ dhiyo jigṛtaṃ puraṃdhīr jajastam aryo vanuṣām arātīḥ

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