SITE DE SRI AUROBINDO ET LA MÈRE
      
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Mère

l'Agenda

Vol. 1

7 avril 1961

X m’a dit que tu allais mieux?

X a les nouvelles que lui donne le docteur. Il demande au docteur et le docteur lui dit ce qu’il veut. X lui dit: «Je la guérirai complètement», et le docteur répond: «C’est impossible, ça ne se guérit pas!» Alors X lui dit: «Vous n’avez pas la foi», et le docteur répond: «Vous vivez dans des illusions»!

La vérité est que le corps se défend très bien. Mais c’est une affaire formidable. Il paraît qu’ils naissent par millions; alors tu comprends, avant de pouvoir éliminer tout cela, il faudra du temps! Et ils circulent, se promènent; quelquefois pendant deux heures, trois heures, quatre heures, la nuit, ils sont là à piquer du dedans au dehors; ils «prick», n’est-ce pas, comme des aiguilles de feu. Et ça va partout, dans les jambes, le corps, les bras – ils s’amusent, quoi! Mais enfin ça diminue: les jambes sont mieux. Ce n’est pas encore ça, mais ça viendra. Ce n’est rien.

*
*   *

Plus tard:

Chaque fois que X vient ici, toutes les difficultés sont soulevées au maximum: elles deviennent comme absolues. Et je comprends bien, c’est parce que sa puissance agit dans un domaine qui est plein de cela, un domaine...! – Le domaine de la petitesse humaine. Oh! c’est affreux. Et nous n’en sommes pas encore sortis: les querelles, les divisions, les incompréhensions, les mauvaises volontés, tout cela... Je comprends bien: c’est nécessaire pour que ce soit guéri. Mais cela me fait un travail formidable, formidable!

Enfin...

Pour toi, c’est tellement clair: chaque fois qu’il vient, c’est comme si tout se tordait. Et il n’y a pas d’autres raisons, c’est le conflit entre cette force qu’il fait descendre (naturellement quand il vient, j’encourage à ce que ça descende!) et les résistances intérieures; alors cela fait la Contradiction qui devient de plus en plus grande.

Ça précipite le travail, mais ça le rend un peu... laborieux. Et lui, n’est-ce pas, il est encore dans cette façon de travailler qui consiste à éliminer tous les obstacles – juste l’opposé de ce que Sri

Aurobindo faisait. Sri Aurobindo les prenait comme ça (Mère ouvre les bras pour tout embrasser), et puis il agissait dessus pour que ce ne soient plus des obstacles. Mais lui, la première chose qu’il ait dite quand il est venu à l’Ashram la première fois: «Oh! il y a beaucoup d’éléments ici qui ne devraient pas y être.» Et il vous parlait de «purge»: éliminer-éliminer-éliminer. Alors c’est éliminer tout de la vie, qui ne répond pas au Divin; alors qu’est-ce qui restera?

Sûrement il n’a pas compris le yoga de Sri Aurobindo. C’est inutile d’ailleurs de vouloir lui expliquer.

Il a commencé à comprendre. Au bout d’un an, il a commencé à comprendre. Il comprend beaucoup mieux maintenant, seulement il est enfermé dans sa construction. Il n’a pas cette personnalité pour qui la terre est toute petite. Au fond, c’est cela qu’il faut avec Sri Aurobindo: il faut que la terre soit seulement un tout petit champ d’expérience... dans une éternité.

Mais ça, c’est difficile.1

*
*   *

(Après le travail, Mère aborde un autre thème:)

Je continue ma lecture du Véda. J’ai été obligée d’arrêter pendant des jours parce que j’avais attrapé un mal de gorge qui m’empêchait. Mais enfin, j’ai recommencé.

Au fond, cela a été écrit par des gens qui se souvenaient d’une expérience radicale qui a dû avoir lieu sur la terre à un moment donné comme un exemple de ce qui serait (cela arrive toujours dans le yoga: on a une première expérience radicale qui est comme l’annonciatrice de la réalisation future que l’on doit avoir). Alors, dans le yoga terrestre – dans le yoga de la terre, de la planète terre –, il y a eu un moment où c’est venu; ce qu’ils appellent les forefathers [les pères des hommes], ont dû, par leur effort et leur yoga, faire au moins une image de la réalisation supramentale. Et ceux qui ont écrit les Védas, qui ont composé tous ces hymnes, se souvenaient de cela, ou avaient eu la tradition de cette expérience. Et alors, mon petit, cela m’a fait le même effet que quand j’ai lu le «Yoga de la Perfection de Soi» dans «La Synthèse» (Mère souffle): il y a un tel abîme entre ce que nous sommes, ce qu’est la vie sur la terre maintenant, ce qu’est la conscience humaine, même chez ceux qui sont les plus éclairés, les plus avancés, et puis ÇA!...

Je ne sais pas si c’est parce que j’ai été comme cela, si violemment attaquée par toutes ces énergies malveillantes – abrutie comme à coups de marteau, n’est-ce pas –, mais en tout cas, j’ai eu un sentiment très aigu de l’immensité formidable de ce qu’il fallait faire... pour que ÇA puisse se réaliser.

(silence)

Quand les difficultés extérieures se calment, quand le corps devient passif et tranquille, qu’il n’est pas tout le temps à tirer l’attention; quand on peut vivre dans cette conscience supramentale, cela ne vous paraît pas si difficile: on a l’impression que c’est tellement – c’est d’une essence tellement victorieuse que ça viendra à bout de toutes les difficultés.

Mais pour cela, il faut pouvoir rester un peu là-haut, n’est-ce pas, dans cette conscience-là; pas être tout le temps, tout le temps tirée en bas et avoir à lutter à chaque minute pour durer – et durer de toutes les façons: non seulement personnellement, mais collectivement.2 C’est une lutte de chaque-chaque minute, pour durer. Et combien de temps il faut durer pour que ce soit fait?

Alors la période est difficile.

Et il y a eu un fléchissement dans la santé de tout le monde. Un tas de gens sont malades. Les maladies sont plus sérieuses. Il y a eu un fléchissement.

Naturellement, il faut toujours regarder cela avec le sourire (je le regarde avec le sourire aussi), mais je dois dire que... le côté enthousiaste (n’est-ce pas, cette ardeur, cet enthousiasme), ça a reçu une tape. C’est-à-dire qu’il n’y a pas lieu de s’exciter, nous avons le temps.

Il faut, il faut marcher. Il faut continuer à marcher: un pas après l’autre, un pas après l’autre, un pas après l’autre, sans se demander combien de pas il faudra, et sans se rappeler combien de pas on a faits.

Au fond, c’est cela qu’il faut faire: réduire à la minute la minute, au moment le moment; vivre toujours dans le présent, comme ça, avec obstination (Mère pose un poing sur le bras du fauteuil, puis un autre, et ainsi de suite, comme dans une avance obstinée, lente, imperturbable).

Pourtant, Sri Aurobindo semblait dire que quand le Supramental descendrait, quand même les choses seraient plus faciles.

Mais oui. Mais oui, c’est évident! Mais plus faciles, mon petit, plus faciles que quoi?

Je ne sais pas. Il avait l’air de dire que le travail serait plus facile. Justement j’ai relu des textes de Lui... Qu’est-ce qui s’est passé pour que ce ne soit pas comme cela? Partout II avait l’air de dire: les choses vont être plus faciles, le travail sera plus facile...

Mais oui. Mais «plus facile» est seulement un comparatif.

Tu veux dire que c’est quand même plus facile qu’avant?

Ah! oui. C’est-à-dire que ça se fait, tandis qu’avant, ça ne se faisait pas.

Ah!...

(silence)

Ce n’est pas «miraculeux», n’est-ce pas. Le mental humain... au fond, il a toujours besoin de quelque chose de miraculeux pour être satisfait. Il a associé, dans sa perception, le miraculeux et le Divin. Je le sais parce que je suis née comme ça. Quand j’étais toute petite, j’étais comme ça. Et c’est parce que la vie m’a donnée des démentis – n’est-ce pas, d’une brutalité extrême – qu’il est venu en moi cette espèce de... justement d’attitude raisonnable et rassise. Tu sais (je t’ai dit cela l’autre jour), c’est dégoûtant! (Mère rit) toute la jolie fleur est partie... Et ça, ce sont les coups de la vie. Parce que je suis née avec cette impression que... oui, que la Vérité c’est quelque chose de miraculeux qui n’a qu’à paraître pour s’imposer.

Ce serait comme ça, sans forces adverses.

L’univers serait comme ça s’il n’y avait pas eu cette déviation des forces adverses – je vois cela très clairement. C’est la perversion, la perversion froidement cruelle de mauvaises volontés absolues, qui empêche que ce soit comme cela. Et ça, c’est l’intervention... – ils disent tous «l’accident», mais cela nous fait une belle jambe que ce soit un «accident»! – Le fait est là.

C’est la force adverse qui empêche que quand le Divin paraît, Il s’épanouisse miraculeusement. Parce que je sais que partout où la Matière – si peu que ce soit – n’est pas sous l’influence de cette volonté adverse, immédiatement elle s’épanouit. Et dans le cœur humain, dans la conscience humaine, dans la pensée humaine, tout ce qui est un peu à l’abri de cette influence adverse (à l’abri à cause du psychique, de la Présence divine), ça s’épanouit, ça devient... ça devient tout de suite merveilleux, sans obstacle – tous les obstacles viennent de là. Alors c’est très joli de nous dire «un accident», mais...

Il est évident que c’est réparable, cela ne fait pas l’ombre d’un doute, mais à quel prix? Et combien ça complique la chose.

Il nous est dit que ce sera encore beaucoup plus beau après – j’en suis convaincue, absolument; je ne doute pas une minute, mais...

Tel qu’il est, n’est-ce pas, le monde... On ne peut pas dire, même quand on est dans les hauteurs les plus parfaites, c’est douloureux. C’est douloureux.

Il m’est arrivé, tu sais, dans des expériences suprêmes d’union parfaite dans un Amour merveilleux, de tourner vers le monde – tourner la conscience simplement, une seconde, vers le monde tel qu’il est et... (je me souviens, n’est-ce pas, c’était l’aspiration que TOUT participe) et, réellement, dans cet état d’extase, il y a eu des... des larmes d’une douleur brûlante. C’est venu comme cela.

Théoriquement, ça ne devrait pas exister; mais en fait, c’est comme cela. Il y a quelque chose qui ne pourra être parfait que quand cet accident sera aboli. Voilà, ça, c’est mon expérience.

Et pour aller à cette expérience, j’avais passé par l’état de la plus suprême indifférence où toute la manifestation terrestre est une illusion; j’avais passé par là: c’était au-delà de cela que j’avais mon expérience. Et c’est au-delà que... au moment de la suprême extase, c’était comme des larmes de feu, de douleur.

(silence)

Quelquefois il vient en moi: est-ce que c’est... – cette idée d’une tapasya3 extraordinaire qui pourrait obtenir ça? Mais...

(silence)

Mais vraiment, un courage indomptable et une endurance à toute épreuve: ça, c’est une base indispensable – et depuis les cellules du corps les plus matérielles jusqu’à la conscience la plus haute, depuis en haut jusque tout en bas, en-tiè-re-ment. Autrement on n’est pas bon à grand-chose.

Et vraiment je suis dans les conditions les plus favorables parce que mon corps dit oui; il dit oui-oui-oui – il ne s’est pas plaint (peut-être était-ce cela le sens de toute cette maladie et de ces difficultés), il ne s’est pas plaint un seul jour.

L’autre nuit encore (pas la nuit dernière, celle d’avant), j’ai été réveillée à minuit (pas «réveillée», mais enfin je suis sortie de ma transe à minuit) avec de ces piqûres brûlantes du dedans au dehors, depuis le bout des pieds jusque là, partout, dans le dos... ça a duré quatre heures, sans arrêter. Eh bien, mon corps ne s’est pas plaint une fois. Il n’a pas demandé une fois que ça cesse; il est resté comme ça, tranquille, à dire: «Que Ta Volonté soit faite.» Et non seulement à le dire mais à le sentir, comme ça, tranquille – quatre heures de petites tortures. Il n’a rien dit.

Que moi, je ne dise rien, c’est élémentaire! Mais lui n’a rien dit, il ne s’est même pas agité, il n’y a même pas eu cela, n’est-ce pas, la sensation: «Quand est-ce que ça va être fini?» – Rien. Resté tranquille-tranquille. J’étais comme une statue dans mon lit, et les piqûres du haut en bas. Alors vraiment je ne peux pas me plaindre! l’instrument qu’on m’a donné est vraiment de bonne qualité. Une bonne volonté à toute épreuve.

Mais que ce soit diabolique, ça ne fait pas l’ombre d’un doute.

(silence)

Voilà, mon petit.

Et vraiment, si tu veux me faire plaisir (je crois que tu veux me faire plaisir!) si tu veux me faire plaisir, concentre-toi sur le livre sur Sri Aurobindo – tu n’imagines pas comme ça m’intéresse! Et comme je vois (pas comme cela, avec cette petite conscience-là), je vois dans l’avenir: c’est une chose qui a une grande importance, une grande importance, et qui aura une grande action. Par conséquent, je veux te déblayer la route maintenant pour qu’on puisse avoir le temps.

J’aurais sûrement besoin de tranquillité mentale pour préparer le travail.4

Oui, mais oui.

Finir cette lecture et rester tranquille à digérer. Parce que si je ne peux pas recevoir l’inspiration, je ne me sens pas capable du tout d’écrire, pas du tout.

Mais non! mais tu la recevras.

Oui, ça, j’ai la foi.

Pour moi, ça ne fait pas l’ombre d’un doute. C’est une certitude. C’est une certitude.

Je n’ai jamais rien écrit ni dit à X, mais par le contact mental je lui ai dit je ne sais combien de fois: «Satprem a une oeuvre à accomplir infiniment plus importante que de répéter des mantras. Que ce soit une aide pour se discipliner lui-même, c’est très bien, mais ce n’est rien d’autre que cela; ce n’est pas en répétant des mantras qu’il fera son œuvre, il a quelque chose à faire et il le fera.» Je le lui ai martelé dans la tête (Mère rit).

Voilà, petit, à demain.5

L'enregistrement du son fait par Satprem    

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1 L’enregistrement de cette première partie n’existe plus.

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2 Notons qu’il y a quelques jours, les caisses de l’Ashram étaient complètement vides. Mère a vendu ses derniers bijoux.

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3 Tapasya: ascèse, austérité, discipline – un sacrifice extrême qui pourrait obtenir «ça».

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4 Le disciple veut parler d’un gros travail matériel qui se double de sept heures de japa quotidien.

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5 Il existe un enregistrement de cette conversation.

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