SITE DE SRI AUROBINDO ET LA MÈRE
      
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Mère

l'Agenda

Vol. 1

27 juin 1961

62 – J’ai entendu un sot débiter avec autorité d’absolues sottises et me suis demandé ce que Dieu voulait dire par là. Alors j’ai réfléchi et j’ai vu un masque déformé de la vérité et de la sagesse.

On peut se demander si vraiment il n’existe pas d’idiotie absolue ou de mensonge absolu et si toujours les choses ont une vérité derrière, s’il n’y a pas de fausseté absolue?

Il ne peut pas y avoir de fausseté absolue. Pratiquement cela ne peut pas être, puisque le Divin est derrière toute chose.

C’est comme ceux qui demandent si certains éléments disparaîtront de l’univers? Qu’est-ce que cela peut vouloir dire, la destruction d’un univers? Si nous sortons de notre sottise, qu’est-ce qu’on peut appeler «destruction»? – C’est seulement la forme qui est détruite, l’apparence (ça, toutes les apparences sont détruites, l’une après l’autre). On dit aussi (c’est écrit partout, on dit beaucoup de choses) que les forces adverses, ou bien seront converties, c’est-à-dire qu’elles prendront conscience de la Divinité en elles et deviendront divines, ou bien elles seront détruites. – «Détruites», cela veut dire quoi! Leur forme? – Leur forme de conscience peut être dissoute, mais le «quelque chose» qui fait que ça existe, que tout existe, comment cela pourrait-il être détruit?... C’est difficile à comprendre, ça, mon petit. L’univers est une objectivation, une prise de conscience objective de Ce qui est de toute éternité, alors? Comment est-ce que le Tout peut cesser d’être? le Tout infini et éternel, c’est-à-dire qui n’a de limites d’aucune façon, qu’est-ce qui peut sortir de là? Il n’y a nulle place où sortir! (Tu comprends, c’est à se casser la tête!) Sortir où? Il n’y a que ça.

Et encore, quand nous disons «Il n’y a que ça», nous le situons quelque part – ce qui est tout à fait idiot. Alors qu’est-ce qu’on peut faire sortir de là?

Naturellement, on peut concevoir qu’un certain univers soit projeté hors de la manifestation actuelle, ça oui; on peut concevoir que des univers se soient succédés et que, ce qui était dans les premiers univers ne soit plus dans les autres, c’est même évident. On peut concevoir que tout un ensemble de fausseté et de mensonge (qui est pour nous, maintenant, fausseté et mensonge) n’appartienne plus au monde tel qu’il sera dans le déroulement; tout cela, on peut le comprendre. Mais «détruire»? – Où est-ce que cela va pour être détruit? Quand nous disons détruire, c’est seulement une forme qui est détruite (ce peut être une forme de conscience, ce peut ne pas être une forme matérielle, mais c’est toujours une forme), mais ce qui est sans forme, comment cela peut être détruit?

Alors parler d’un absolu mensonge qui disparaîtra, cela voudrait simplement dire que tout un ensemble de choses vivront éternellement dans le passé mais n’appartiendront pas aux manifestations à venir, c’est tout.

On ne peut pas sortir de ça, n’est-ce pas, voilà!

Mais elles resteront dans le passé?

Il nous est dit qu’il existe un état de conscience, quand on monte au-dessus, quand on peut arriver à passer au-dessus du côté Néant ou Nirvana et au-dessus du côté Existence (il y a le côté Nirvana et le côté Existence: ce sont les deux aspects simultanés et complémentaires du Suprême), où tout est simultanément et éternellement. Alors on peut concevoir (Dieu sait! c’est peut-être encore une idiotie!) on peut concevoir qu’il y ait un ensemble de choses qui passe dans le Non-Être, et alors ce serait cela qui, pour notre conscience, serait la disparition ou la destruction.

Est-ce que c’est possible? – Je ne sais pas. Il faudrait demander au Seigneur! Mais généralement Il ne répond pas à ces questions: Il sourit!

Tu comprends, il y a un moment où, vraiment, on ne peut plus rien dire; on a l’impression que tout ce que l’on dit, si ce n’est des âneries absolues, cela frôle l’ânerie, et qu’en pratique il vaudrait mieux se taire. C’est cela, la difficulté. Et dans certains de ces Aphorismes, on sent que, tout d’un coup, Il a attrapé quelque chose qui est au-delà – au-delà de tout ce qui peut se penser –, alors qu’est-ce qu’on peut faire?

(silence)

Naturellement, si on redescend ici, on peut – oh! on peut dire beaucoup de choses!

Si on veut plaisanter (on peut toujours plaisanter, mais les gens prennent si sérieusement vos plaisanteries que cela vous fait hésiter), on peut très bien dire, sans être tout à fait dans l’erreur, que l’on apprend quelquefois beaucoup plus à écouter un fou ou un sot qu’à écouter un homme raisonnable – moi, j’en suis convaincue! Au fond, il n’y a rien de plus desséchant que les gens raisonnables.

Cette simultanéité du passé, présent et futur, cela ne peut quand même pas être une simultanéité physique?

Ah! non, pas ici.

J’ai entendu une théorie curieuse de quelqu’un qui disait que l’on pouvait se réincarner dans le passé.

Se réincarner dans le passé?

Oui, c’est-à-dire de maintenant aller se réincarner dans une époque passée de l’Histoire.

C’est encore une façon de dire.

Réincarner? – Non. On peut revivre le passé; ça, oui, très bien, très bien.

J’ai eu une expérience qui s’est répétée plusieurs fois, où je revivais le passé1 (mais cela, c’est un phénomène de conscience parce que tout est conservé et continue d’exister quelque part), avec une sorte de volonté – qui serait le signe d’un pouvoir – de le changer. Je ne sais pas, mais en le revivant, au moment de le revivre, au lieu de revivre ce qui a été conservé, il y a un pouvoir qui s’introduisait pour faire que ce passé soit autrement. Je ne parle pas du pouvoir de changer les conséquences du passé (ça, c’est évident et ça fonctionne tout le temps), mais ce n’était pas même cela: c’était le pouvoir de changer les circonstances elles-mêmes (des circonstances pas tout à fait matérielles mais du physique subtil, avec une dominante de psychologie). Et puisque la volonté était là, c’est que, pour la conscience, ça se passait effectivement; c’est-à-dire que les circonstances, au lieu de se dérouler dans un sens, se déroulaient dans un autre. Ça doit donc correspondre à quelque chose de réel, autrement je n’aurais pas eu cette expérience. Ce n’était pas un effet de l’imagination; ce n’était pas quelque chose que l’on pense et on «voudrait bien» que ce soit autrement – ce n’est pas cela; c’était un phénomène de conscience: la conscience revivait certaines circonstances (qui sont tout à fait vivantes et qui continuent à être dans leur domaine, c’est évident), mais alors elle les revivait avec le pouvoir et la connaissance acquises par ma conscience entre ce moment-là et celui-ci, et avec un pouvoir de changer ce moment-là. Dans la scène (si l’on peut dire) ou dans la circonstance revécue, entrait un pouvoir nouveau qui faisait que ça tournait de ce côté-ci au lieu de tourner de ce côté-là. C’est une expérience que j’ai eue plusieurs fois, qui m’a toujours laissée surprise – pas un phénomène d’imagination mentale (ça, c’est tout à fait autre chose).

Alors ça ouvre la porte à tout.

Mais c’est du passé.

Est-ce que le passé... Il reste présent quelque part, nous le savons, et par le fait qu’il reste présent quelque part, est-ce qu’il peut participer au mouvement progressif (qui, pour nous, est progressif) de changement universel, dans la manifestation? – Il n’y a pas de raison que non.

Mais il reste présent par ses conséquences...

Non-non-non! le passé en lui-même. En lui-même. Pas par ses conséquences, c’est autre chose: en lui-même. Et cela, dans l’atmosphère terrestre (pas dans le plan le plus matériel, mais très-très près, très près).

J’ai une impression, que l’on pourrait appeler tactile, que le contenu de l’atmosphère subtile augmente (ce qui n’appartient pas à l’espace matériel tel que nous le concevons ou le voyons tout à fait matériellement où il faut déplacer une chose pour en mettre une autre – Mère déplace la gomme sur la table –, et encore cela – riant –, je crois que c’est une illusion! c’est comme cela parce que cela nous paraît comme cela!) Eh bien, pas là, pas dans le plan tout à fait matériel, mais juste derrière ou dedans (comment dire cela?)... le contenu augmente. Et comme c’est dans les dimensions intérieures, ça peut augmenter pour ainsi dire indéfiniment; ce sont des choses qui s’imbriquent, n’est-ce pas, de plus en plus: là où il y avait un phénomène de conscience, il peut y en avoir maintenant des centaines imbriqués dans les dimensions intérieures; c’est-à-dire que, par exemple, si nous prenons seulement notre petite, toute petite terre, elle devient de plus en plus compacte et riche avec tout ce qui a été depuis le commencement de la formation de la terre – parce que c’est là, c’est encore là.

Au fond, dès que l’on n’est pas tout à fait, tout à fait lié par les organes des sens matériels... Par exemple, je fais cette expérience de plus en plus, de la qualité de la vision qui change. Ces jours derniers (c’était hier ou avant-hier, ou il y a deux jours, enfin tout dernièrement), j’étais assise dans la salle de bains en train de m’essu-yer la figure avant de sortir, et puis j’ai levé les yeux (j’étais assise devant un miroir; je ne me regarde généralement pas), mais j’ai levé les yeux et j’ai regardé, et j’ai vu beaucoup de choses (Mère rit, très amusée)... Et à ce moment-là, j’ai eu une expérience, et je me suis dit: «Ah! c’est pour cela que j’ai une vision qui, au point de vue physique, purement matériel, semble être blurred, un peu floue», parce que, ce que je voyais, était beaucoup plus clair et infiniment plus expressif. Et alors je me suis souvenue que c’est avec ces yeux-là que je vois au balcon et que je reconnais mes gens (je reconnais tous mes gens au balcon). Et c’est cette vision-là (mais c’est avec les yeux ouverts!) qui... C’est un autre genre.

Quand j’en serai là dans le Yoga de la Perfection de Soi, je vais étudier ce que dit Sri Aurobindo. Il dit qu’il y a un moment où les sens changent – ce ne sont pas les sens d’un autre plan, que vous employez (ça, c’est entendu, depuis le commencement on a des sens partout), mais c’est tout à fait différent: ce sont les sens eux-mêmes qui changent. Il annonce cela, il dit que ça arrive. Mais je crois que ça commence comme cela.

Le contenu est différent, mon petit. Je vois... je vois, mais... Par exemple, l’état de conscience dans lequel se trouve la personne que je regarde change, pour mes yeux physiques, son apparence physique. Et ce n’est pas une question ordinaire de psychologie quand on dit que le sentiment qu’on éprouve vous change la physionomie; ce n’est pas ces banalités-là: le contenu de ce que je vois est différent. Et alors les yeux de celui que je regarde ne sont pas les mêmes, et c’est assez... Je ne pourrais pas faire un dessin, mais peut-être que si je faisais une peinture, ça donnerait quelque chose (il faudrait un procédé qui, lui-même, soit un peu flou, pas trop précis). Les yeux ne sont pas tout à fait pareils, et puis le reste de la figure aussi, même la couleur et la forme, et c’est cela qui fait que, parfois, j’ai des hésitations. Je vois les gens (je vois mes gens tous les matins, n’est-ce pas) et je les reconnais, et pourtant ils sont différents, ils ne sont pas tous les jours la même chose (certains sont toujours-toujours-toujours pareils, comme une pierre, mais il y en a qui ne sont pas tous les jours les mêmes), il y en a même, il m’est arrivé d’avoir une hésitation: «Est-ce bien celui-là? Mais alors il est très... C’est celui-là pourtant mais je ne le connais pas tout à fait bien», et généralement ça coïncide avec des changements de conscience.

Tu sais, conclusion: on ne sait rien.

(silence)

C’est ce fait indéniable de la... (oh! comment dire?) la Présence constante – mais «Présence», ça ne veut rien dire... (Mère reste longtemps silencieuse, puis renonce à s’expliquer)

Oh! plus on essaye de l’attraper, plus ça vous glisse des mains.2

*
*   *

(Après avoir écouté le dernier Agenda du 24 juin sur la mort:)

Tu sais, on est juste à la frontière, à la lisière: c’est comme s’il y avait un rideau à demi transparent, et on voit les choses de l’autre côté, on essaye de les attraper, mais on ne peut pas encore. Mais c’est ce sentiment d’une telle proximité!

Parfois, tout d’un coup, je me vois comme une puissance concentrée, formidable, en train de pousser-pousser-pousser, dans une concentration intérieure, pour passer au travers. Cela m’arrive n’importe où, n’importe quand, n’importe quel moment: je vois tout un ensemble de conscience rassemblé dans un pouvoir formidable qui pousse-pousse-pousse pour passer de l’autre côté.

Quand on passera de l’autre côté, ce sera bien.

L'enregistrement du son fait par Satprem    

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1 Il ne s’agit pas d’un passé de cette existence-ci.

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2 Il existe un enregistrement de celte conversation, sauf le bref passage qui suit, pourtant si capital (peut-être étions-nous arrivé au bout de la bande magnétique?)

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