Mère
l'Agenda
Volume 10
L'Unesco veut publier une brochure sur la «tolérance», et ils ont écrit à K pour lui demander un message de moi. Alors j'ai écrit quelque chose (Mère rit), voilà:
«La tolérance n'est qu'un premier pas vers la sagesse. La nécessité de tolérer indique la présence de préférences. Celui qui vit dans la Conscience Divine regarde toutes choses avec une égalité d'âme parfaite.»
Ils se gonflent comme cela, ils se croient encore très supérieurs parce qu'ils ont encore «de la tolérance» – et la tolérance, ça regarde les choses d'en haut avec mépris.
(silence)
Est-ce que je t'ai vu depuis cette expérience?... J'ai eu une nuit, je ne me souviens plus laquelle, mais c'était étrange... J'étais avec Sri Aurobindo, mais un Sri Aurobindo... (comment dire?) tout joyeux, plein d'animation, et un petit peu plus matériel que ce que je vois d'habitude, comme si... pas matériel mais (je ne sais pas comment expliquer) plus précis, et nous avons passé des heures ensemble à travailler: à voir des choses, à voir des gens, faire des choses, etc.; mais alors, ce qui était curieux, ce qui était particulier, c'était que cela ne dépendait pas de ce que mon corps dorme: il ne dormait pas, il était seulement tranquille, mais j'ai été obligée au milieu de me lever, et en me levant, cette conscience et cette activité n'ont pas cessé. Et c'était la conscience ordinaire (c'est-à-dire la perception des choses ordinaires: de la chambre et de tout cela) qui était un peu moins précise. C'était comme retourné, tu comprends. Et c'est resté longtemps, même dans la matinée, jusqu'au moment où j'ai été obligée de voir des gens et de faire des choses.
C'était très particulier, c'est la première fois que c'est arrivé comme cela. C'est-à-dire que cette conscience un peu intérieure était plus concrète que la conscience ordinaire.
Ce qui est drôle, c'est que cette conscience ordinaire, ces choses ordinaires, ce n'est pas qu'elles s'estompent et qu'elles s'effacent: elles deviennent... comme du papier! (Mère rit) du papier ou de l'écorce ou... quelque chose de sec – sec et mince et sans réalité véritable, simplement comme une apparence mince. La sensation comme cela (Mère fait le geste de palper): comme du papier ou une écorce.
C'était la première fois que cela arrivait.
Et un Sri Aurobindo tout joyeux... C'est curieux... C'était comme s'il était très content de la manière dont les choses se passent.
(Mère reste longtemps silencieuse)
Je t'ai dit qu'il y avait en Italie un vétérinaire qui a trouvé la gué-rison du cancer?... C'est un homme qui a découvert que les chèvres, l'espèce chèvre (chèvres et boucs) n'ont jamais de cancer! Ils ont été même jusqu'à essayer de leur faire avoir le cancer, et ils n'ont pas réussi. Conclusion: dans leur constitution, il y a quelque chose qui est contraire au cancer; et ils ont découvert ce quelque chose dans l'estomac (je ne sais pas au juste): il a fait un sérum. Lui, étant vétérinaire, n'a pas le droit de le donner, mais il a des amis docteurs et ces docteurs (une douzaine à peu près) ont essayé – guérison extraordinaire, immanquable. Mais c'est différencié: la chèvre guérit certains cas et le bouc d'autres cas; ce n'est pas la même chose chez la chèvre et le bouc, ça guérit des espèces de cancer différentes (je n'y entends rien). Enfin, il est quelque part en Italie, je ne sais où, et je lui ai fait demander s'il viendrait ici – et il a accepté. Et il va venir: il y a tout un groupe de jeunes Italiens qui veulent venir pour le yoga de Sri Aurobindo à la fin de cette année, et probablement il viendra avec eux, ou bien il viendra avec Paolo si Paolo veut bien lui payer son voyage. Et moi, je compte le mettre en rapport avec le docteur S, qu'ils voient ensemble, et si ça marche bien, je lui demanderai de rester. Parce que tu sais que S a maintenant une espèce de dispensaire à «Auromodèle» (il y a même un jeune étudiant de médecine français qui est venu et qui est là aussi, et qui est très content). Alors on pourrait ouvrir une «clinique pour les cancers», ce serait très intéressant! Parce que, ici, avec la présence de S, il n'y a aucune difficulté – à Auroville, il peut faire ce qu'il veut. Ce serait magnifique!
Il va venir avant la fin de l'année. Et l'autre, le guérisseur, va arriver au mois de septembre... L'autre, on va voir, s'il veut guérir des gens ici, ce sera bien.
Ça donnerait tout de suite une orientation intéressante... «Auroville, la ville où l'on guérit»! Ce serait bien!
Il va falloir que la Nature invente d'autres moyens de se débarrasser du surplus humain!
Oh! il ne manque pas de moyens...
C'est effrayant!
Il y aurait un moyen: c'est de rendre les êtres humains stériles, ce serait le meilleur moyen. Et ma foi, ils ont déjà trouvé quelque chose; si les femmes le prennent régulièrement, elles n'ont pas d'enfant – une pilule.
Oui, mais les gens n'en veulent pas.
Il y en a de plus en plus qui en veulent... Oh! il y a encore ce vieil attachement sentimental. Non, tant qu'il y a la mort, il y a le sentiment de la nécessité de la reproduction; c'est la présence de la mort qui rend les choses comme cela, comme un besoin. Mais s'il n'y avait plus de mort...
Je ne sais pas dans les autres pays, mais ici, tout avortement volontaire était un crime, c'est-à-dire punissable par la loi – ils sont en train de supprimer cela. Il y en a trop.
Quand on regarde simplement Pondichéry, c'est effrayant.
Oh! quand ils sont cinq, six... jusqu'à douze, mon petit! Il y a des familles de douze enfants. Alors vraiment c'est une multiplication trop rapide.1
(long silence)
Cette Conscience qui est en train de travailler depuis janvier, elle insiste beaucoup pour que l'on devienne conscient qu'il faut faire les choses à volonté: que l'on naisse à volonté, que l'on meure à volonté, que l'on soit malade à volonté – que ce soit la volonté qui soit le principe dominant. Elle insiste beaucoup.
Je crois que ça changerait beaucoup de choses.
(silence)
Figure-toi, il m'est venu un souvenir... du commencement du siècle. Je ne sais pas pourquoi, et ça ne veut pas s'en aller. Alors, comme cela ne veut pas s'en aller, je vais te le raconter – peut-être y a-t-il une raison, je ne sais pas du tout.
À quatre, nous avons fait une excursion depuis... je ne sais quel endroit sur les bords du Rhône (je ne me souviens plus de l'endroit), pour aller à Genève à travers la montagne, à pied, à quatre – deux hommes, deux femmes.2 Et on marchait, puis quand on arrivait quelque part à l'heure du déjeuner et que l'on avait faim, on mangeait; quand on arrivait quelque part à l'heure de dormir, on dormait, et puis on continuait – c'était tout à fait l'aventure. On ne connaissait même pas le chemin, on avait des espèces de cartes. Alors, une fois, très loin de toute ville, de tout village, sur une route de montagne, nous sommes arrivés à l'heure du déjeuner à une sorte d'auberge – quelque chose qui ressemblait à une auberge, qui était toute seule, il n'y avait rien autour. Nous sommes entrés. Il y avait là un vieil homme et une vieille femme... qui avaient un air très bizarre. Ils étaient très vifs, très alertes – ils avaient l'air bizarre. Alors on a demandé si l'on pouvait manger. Ils ont dit oui. Ils nous ont regardé, bien regardé, puis ils nous ont fait entrer dans une grande salle où il y avait une table dans un coin, avec des chaises autour, et puis de grands bancs – je ne sais pas à quoi servait cette salle. Et ils nous ont fait manger là. Et ils ont demandé si nous voulions... ils avaient un bon petit vin blanc – si nous en voulions. Alors les trois autres ont dit oui (moi, déjà je ne buvais rien). Ils ont dit oui. Et ils ont bu le vin (c'était un vin léger), ils ont bu le vin en mangeant; moi, je n'y ai pas touché. À la fin du repas, ils ont dit: «Oh! comme nous avons sommeil! nous voudrions bien nous reposer, nous voulons dormir.» Alors ils se sont étendus sur les bancs et ils ont dormi. Moi, j'avais une paire de chaussures qui ne m'allait pas et qui m'abîmait un des gros orteils: ça avait fait une inflammation et ça me faisait mal, et je voulais le baigner pour le désinfecter. Je n'avais pas sommeil du tout; je me suis assise (il y avait une cuvette, de l'eau) et j'ai baigné mon pied... Une demi-heure après, lentement, la porte d'entrée de la chambre s'est ouverte, et les deux vieux sont entrés comme cela (geste furtif)... Moi, j'étais cachée par les tables parce que j'étais assise assez bas, ils ne me voyaient pas. Ils sont entrés sur la pointe des pieds, ils regardaient comme cela, et ils allaient se diriger vers les bancs où étaient couchés les autres... Et alors, à un moment donné, ils m'ont vue... ah! (Mère fait un geste de sursaut) ils se sont arrêtés. Alors j'ai levé la tête et je les ai regardés, j'ai dit: «Vous voulez?...»
– «Oh! (ils ont été très malins, ils ont dit) oh! nous étions venus voir si vous n'aviez besoin de rien.» Et puis ils sont partis.
J'ai su immédiatement qu'ils étaient venus pour voler – qu'ils avaient mis une drogue dans le vin et qu'ils étaient venus pour voler, ils pensaient que moi aussi je dormais... Mais le tableau qui est revenu était tellement vivant, c'était comme s'ils avaient un coutelas dans la main!...
Pourquoi est-ce venu, je n'arrive pas à comprendre?
Les choses viennent quand j'ai quelque chose à faire... C'est une histoire d'il y a presque... ce devait être 1910 ou 12 tout au plus, c'est-à-dire plus de cinquante ans. Ces gens-là étaient vieux, ils sont morts depuis longtemps – pourquoi est-ce venu, qu'est-ce qu'il y avait à m'apprendre? Je ne sais pas... Et c'est resté vivant, n'est-ce pas, comme une chose vivante. Qu'est-ce que cela voulait apprendre?... Naturellement, toujours la présence de la Grâce, c'est une affaire entendue – mais je n'ai pas besoin qu'on me le montre, je le sais!
Ils étaient loin de tout, il n'y avait rien, à une distance de bien des kilomètres...
C'était tout à fait une scène de cinéma, mais tout arrangée: il n'y aurait eu qu'à prendre le film.
C'était en Savoie, côté français, sur la montagne.
(long silence)
This text will be replaced |
1 L'enregistrement du début de cette conversation n'a pas été conservé. Il commence ci-après.
2 Il semble que le peintre Hohlenberg ait été là. Mère a déjà fait allusion à cette excursion dans un ancien Entretien du 5 mai 1951.
3 Il existe un enregistrement de la fin de cette conversation.