Mère
l'Agenda
Volume 10
Je continue à recevoir presque quotidiennement des Aphorismes de Sri Aurobindo, que j'avais totalement oubliés. Il y a vraiment des choses bien intéressantes... Il y en a qui me donnent tout à fait l'impression d'un revêtement (on pourrait dire intellectuel mais ce n'est pas cela, c'est d'un mental supérieur, mais c'est mentalisé, c'est-à-dire que c'est accessible à la pensée), de l'expérience que j'ai eue, de la Conscience supramentale, où cette différence du mal et du bien et tout cela, paraissait un enfantillage, et Sri Aurobindo l'exprime d'une façon accessible à l'intelligence dans ces Aphorismes. Seulement... ceux qui comprennent, ne comprennent pas bien! Parce qu'ils comprennent en dessous.
Tu te souviens de ces Aphorismes?... Il y en a un où il dit: «Si je ne peux pas être Râma, alors je veux être Râvana...» et il explique pourquoi. C'est cette série-là.1
(silence)
J'ai le nom du «maître» de A.R. Je t'ai dit qu'il avait un gourou...
(Mère cherche un papier)
Sitaram Ômkarnath.
Je ne connais pas du tout... En tout cas, il n'est pas célèbre.
Ah! L est allé à Delhi (il a même rencontré A.R.), alors je lui ai demandé pour N.S.; il a dit qu'elle a été très soulagée, mais pas guérie. C'est ce que tous ceux ici ont eu, la même chose: un soulagement, mais pas de guérison.
Oui, pour tous ceux qui sont en rapport avec toi, le cas est différent.
Oui. Mais je vois bien, c'était ce que Sri Aurobindo avait aussi: il y a un certain pouvoir qui vient du rapport avec les forces supra-mentales et que Sri Aurobindo avait, dont j'ai eu l'expérience (quand je disais: «Il enlève les choses comme on les enlève avec une main», il ne reste plus rien), mais ce n'est pas guéri, dans le sens que la faiblesse fait que l'on fait revenir le mal. Je vois bien, j'ai la même expérience maintenant, mais... ce n'est pas ce que j'appelle «guérison»; et je vois bien que, pour guérir, il faudrait autre chose. Il faudrait autre chose. Au fond, pour le dire d'une façon tout à fait banale: on ne peut guérir que si la maladie n'est pas nécessaire au développement de l'individu.
On peut donner au corps l'indication du sens dans lequel il faudrait aller pour guérir, mais... fois sur cent, il ne le fera pas.
Oui, les gens appellent ça des miracles, mais pour moi, ce sont des miracles incomplets!... Dans tous les «transferts» (ce que j'appelle «transfert de pouvoir»), dans le corps, au moment du transfert, il y a une sorte de déséquilibre, et si l'on n'est pas très attentif, ou si ce déséquilibre est un peu plus fort que d'habitude, ça se traduit par une douleur; si on a le malheur de prendre la mauvaise attitude, la douleur se transforme en une maladie; mais avec la vraie attitude, la douleur peut être enlevée en quelques secondes – ça, l'expérience est presque quotidienne, c'est-à-dire que je l'ai eue des centaines de fois. Et pour les autres, c'est la même chose – on peut le faire pour quelqu'un d'autre. Mais tout ce que l'on peut faire, c'est... lui apprendre à comment se guérir – et il n'apprend pas! (Mère rit)
(silence)
Il y a un problème pratique là: on voit bien, il y a certains mouvements que l'on voudrait supprimer parce que l'on se rend compte que c'est une faille, mais on ne sait pas comment faire. Est-ce que c'est d'au-dessus?... On met la lumière là-dessus chaque fois que tel mouvement vient, et puis...
Ça dépend du genre de mouvement, mon petit, dans quelle partie de l'être et quel est le genre de mouvement.
Je suis convaincue que chaque difficulté est un problème spécial. On ne peut pas faire une règle générale.
Par exemple, l'autre jour, tu disais que la naissance était une «purge»...
(Mère rit)
Tu te souviens: que les gens qui avaient tout refoulé, ça ressortait dans les enfants.
Oui-oui!
Et tu disais que cela donnait la clef de ce qu'il ne faut pas faire.
Oui.
Alors je voudrais savoir quelle est la clef de la guérison SANS REFOULEMENT? Parce que, justement, d'habitude, on met la Lumière, et puis le faux mouvement s'enfonce en dessous.
Ah! ça, oui, c'est la règle générale. C'est le contraire qu'il faut! au lieu de repousser, c'est de l'offrir. C'est de mettre la chose, le mouvement lui-même, de le projeter dans la Lumière... Généralement, il se tortille et il refuse! Mais... (riant) c'est la seule façon. C'est pour cela que c'est si précieux, cette Conscience... N'est-ce pas, ce qui a produit le refoulement, c'est l'idée du bien et du mal – une espèce de mépris, de honte de ce qui est considéré comme mal –, et alors, on fait comme cela (geste de repousser), on ne veut pas le voir, on ne veut pas le laisser être. Il faut... La première chose – la première chose à réaliser, c'est que c'est l'infirmité de notre conscience qui fait cette division, et qu'il y a une Conscience (maintenant j'en suis sûre), il y a une Conscience où ça n'existe pas, où ce que nous appelons «mal» est aussi nécessaire que ce que nous appelons «bien», et que si nous pouvons projeter notre sensation – ou notre activité ou notre perception –, la projeter dans cette Lumière-là, c'est ça qui guérit.2 Au lieu de refouler ou de rejeter comme une chose que l'on veut détruire (ça ne peut pas se détruire!), il faut le projeter dans la Lumière. Ça, j'ai eu plusieurs jours d'une expérience très intéressante à cause de cela; justement, au lieu de vouloir rejeter loin de soi certaines choses (que l'on n'admet pas, qui produisent un déséquilibre dans l'être), au lieu de cela: les accepter, les prendre comme une partie de soi-même et... (Mère ouvre les mains) les offrir – elles ne veulent pas être offertes, mais il y a un moyen de les obliger. Un moyen de les obliger: la résistance est diminuée d'autant que nous pouvons diminuer en nous le sens de désapprobation. Si nous pouvons remplacer ce sens de désapprobation par une compréhension supérieure, alors on arrive. C'est beaucoup plus facile.
J'avais tout un bagage comme cela, qui restait, de choses que j'avais faites quand j'étais jeune; ça restait comme cela (geste de côté), et justement, après cette expérience supramentale, j'ai pu rassembler tout cela et puis, tout d'un coup, ça s'est tout éclairé et j'ai tout compris et... ça s'est évaporé. Des choses que je traînais depuis très longtemps – je ne voulais pas savoir, tu comprends, je ne voulais plus rien avoir à faire avec elles –, et puis c'est tout fini. Ça fond, ça s'est éclairé comme... Tiens, c'était à sa place.
Je crois que c'est cela. Tous-tous les mouvements qui tirent vers le bas, il faut les mettre en contact avec la compréhension supérieure.
Seulement, c'est évidemment au-delà du mental. Parce que je disais tout à l'heure que ces Aphorismes de Sri Aurobindo étaient des expressions compréhensibles pour l'intellect, mais ça diminue tout de même; ça diminue, ce n'est plus cet éblouissement de la compréhension sans mots – c'est LÀ, c'est là que les choses peuvent être arrangées.
Et même quand on se les explique à soi-même, ça diminue. Il ne faut rien dire: c'est comme si... (riant) on mettait une couche de peinture qui déforme!
(Mère prend soudain un bloc-note près d'elle et écrit la réponse à une lettre qu'elle avait lue au début de l'entrevue.)3
Est-ce que ça peut se lire? Parce que je ne suis pas sûre, je ne vois pas clair.
(le disciple lit)
«C'est une heure excellente pour lire, méditer et, petit à petit, entrer dans un silence réceptif qui permettra à la Conscience supérieure d'entrer dans le corps pour le transformer.»
C'est venu comme cela; c'est comme cela que ça se produit: tout d'un coup, brff! et puis ça reste, ça ne veut plus s'en aller jusqu'à ce que j'écrive. C'est amusant!
C'est amusant parce que ça ne correspond pas... (je ne peux même pas dire à «ce que je pense» parce que, à dire vrai, je ne pense plus), à mon expérience, mais à ce dont l'autre a besoin. La réponse est dictée pour l'autre. Les mots, les expressions, la tournure de phrase, la présentation diffèrent tout à fait suivant les gens à qui c'est écrit. Et cette conscience-là (celle de Mère) qui est là (geste au-dessus), n'y est pour rien du tout. Elle reçoit. Elle reçoit, et alors ça descend et puis ça fait comme ça (geste de martèlement) jusqu'à ce que j'écrive! Ça ne veut pas s'en aller avant que ce soit écrit. C'est très amusant... Comme cela, on peut faire beaucoup de travail sans fatigue!
J'aimerais bien en prendre de la graine!
Tiens! (Mère donne ses mains en riant)
Parce que, même dans un silence mental (je suis toujours habitué à écrire dans le silence mental), mais malgré tout, dans ce silence, je me méfie que ce ne soient pas de vieilles formations ou réactions qui viennent s'exprimer dans le silence.
Ah! oui.
J'ai peur de cela.
Oui, de vieilles choses qui remontent.
Mais tu ne sens pas que ça vient d'en haut?
Je sens que la Force est là et que ça descend.
Oui, et alors?
Eh bien, oui, mais après, quand j'ai écrit certaines choses, je me dis...
Ah! ça se mélange.
Je me dis: peut-être n'aurais-je pas dû dire cela?
Mais alors c'est le mental qui intervient.
Je ne sais pas.
Ça m'arrive aussi. Parfois, j'écris et puis j'envoie, et après, je me souviens de ce que j'ai écrit, je me dis: «Diable! je n'aurais pas dû dire cela!...» Et je m'aperçois, après, que c'est très bien – que c'est la réaction qui est une réaction mentale.
Ça m'est arrivé plusieurs fois. Par exemple l'autre jour, j'ai dû écrire à C.S. [un traducteur d'allemand]. Il m'avait écrit des choses... Très souvent, il écrit des choses inadmissibles, mais je ne dis rien; et l'autre jour, j'ai écrit une lettre assez forte pour lui dire: «Qu'est-ce que ça signifie?» Et après, je me suis dit: «Non, il ne faut pas bouger», et je n'ai pas envoyé ma lettre... Qu'est-ce qu'il faut faire, je ne sais pas?
Ça, mon petit... (silence)
C'est difficile.
Oui... Mais quand tu te tournes vers le haut, ou que tu aspires ou que tu es comme cela, ouvert à la Conscience Suprême, c'est concret?
Ah! oui, c'est solide.
C'est concret? Il faudrait que... Tu comprends, il n'y a qu'UN moyen, c'est que l'ego s'en aille, voilà. C'est cela. C'est quand, là, au lieu de «je», il n'y a plus rien: tu sais, c'est tout à fait plan comme cela (geste immense, uni, sans une ride), avec une espèce de... pas même exprimé par des mots, mais une sensation très STABLE de: «Ce que Tu voudras, comme Tu voudras.» (Les mots deviennent tout petits.) Vraiment avoir une sensation concrète que ça (le corps), ça n'existe pas, c'est seulement comme «utilisé» – qu'il n'y a que Ça. Ça qui fait comme cela (geste de pression). Cette impression de Ça, cette immensité consciente qui (Mère étend ses bras)... On finit par le voir, n'est-ce pas (le «voir», ce n'est pas une vision avec des images, mais c'est une vision... je ne sais pas avec quoi! mais c'est très concret, c'est beaucoup plus concret que les images), vision de cette Force immense, cette Vibration immense, qui presse-presse-presse-presse... et puis alors, le monde qui gigote dessous (!) et la chose qui s'ouvre, et quand ça s'ouvre, ça entre et ça se répand.
C'est vraiment intéressant.
C'est la seule solution, il n'y en a pas d'autres. Tout le reste, c'est... des aspirations, des conceptions, des espoirs, des... c'est encore du super-homme, mais ce n'est pas du supramental. C'est d'une humanité supérieure qui essaye de tirer toute son humanité vers le haut, mais ça... ça ne sert à rien. Ça ne sert à rien.
L'image est très claire, de toute cette humanité qui s'accroche pour grimper, qui essaye d'attraper comme cela, mais qui, elle, ne se donne pas – elle veut prendre! Et ça, ça ne va pas. Il faut qu'elle s'annule. Alors autre chose peut venir, peut prendre sa place.
Tout le secret est là.
Par exemple, tout ce côté (tout ce qu'ici, à l'Ashram, Y représente), de cette humanité qui veut prendre par force les choses et qui les tire là (geste à hauteur du front)... C'est intéressant (on ne peut pas dire: c'est intéressant!), mais c'est pas ça! C'est pas ça! il faut que toutes ces possibilités soient épuisées pour que quelque chose dans l'humanité comprenne... qu'il n'y a que ça (Mère ouvre les mains dans un geste d'abandon), voilà, et puis se laisser aplatir jusqu'à disparition.
Au fond, c'est ça le plus difficile: apprendre à disparaître.
(silence)
Bien, mon petit (riant), on y arrivera!4
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1 221 – «Les hommes parlent d'ennemis, mais où sont-ils? Je ne vois que des lutteurs d'un camp ou d'un autre dans la grande arène de l'univers.»
222 – «Le saint et l'ange ne sont pas les seules divinités: admire aussi le Titan et le Géant.»
223 – «Les anciennes Écritures disent que les Titans sont "les aînés des dieux". Ils le sont encore; et nul dieu n'est entièrement divin à moins qu'un Titan ne soit aussi caché en lui.»
224 – «Si je ne peux pas être Râma, alors je voudrais être Râvana, car il est le côté sombre de Vichnou.» (Râma est une incarnation divine, tandis que Râvana est l'incarnation d'un démon.)
Mère avait commenté ce dernier Aphorisme en disant: «Ceci veut dire que la douceur sans la force, et la bonté sans la puissance, sont incomplètes et ne peuvent exprimer totalement le Divin. Je pourrais dire que la charité et la générosité d'un Asoura converti sont infiniment plus efficaces que celles d'un ange innocent.»
2 Lorsque nous avons publié cette partie de la conversation dans les Notes sur le Chemin, Mère a ajouté le commentaire suivant: «Dans cette Conscience où les deux contraires, les deux opposés, sont joints, tous les deux changent de nature. Ils ne restent pas ce qu'ils sont. Ce n'est pas qu'ils soient joints et qu'ils restent les mêmes: tous les deux changent de nature. Et ça, c'est tout à fait important. Leur nature, leur action, leur vibration sont tout à fait différentes, de la minute où ils sont joints. C'est la séparation qui en fait ce qu'ils sont. Il faut supprimer la séparation, et alors leur nature même change: ce n'est plus le "bien" et le "mal", mais quelque chose d'autre, qui est complet. C'est complet.»
3 Il s'agissait d'une lettre où un disciple disait qu'il avait du temps libre entre 13h et 15h et demandait comment employer ce temps?
4 II existe un enregistrement de cette conversation.