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Mère

l'Agenda

Volume 12

18 décembre 1971

Bonjour! Tiens, je revoyais mes mouchoirs ces jours derniers, alors j’en ai gardé trois pour toi! Ça va? quoi de neuf?

Eh bien, ils ont arrêté de se battre à l’Ouest1...

(Mère hoche la tête)

Si bien que l’affaire n’est pas terminée.

Ce ne sera pas encore pour cette fois-ci.

Ça ne se fera pas comme cela. J’ai vu comment. Ce n’est pas avec une bataille que ça se fera: ce seront les différentes parties du pays du Pakistan qui demanderont à se séparer. Il y en a cinq. Et alors, en se séparant, ils viendront dans l’Inde – cela fait une sorte de confédération. C’est comme cela que ça se fera.

Oui, ça se désintégrera du dedans.

C’est cela. C’est comme cela que ça se fera.

J’ai vu, je ne me souviens plus quel jour (dernièrement), il y a eu tout d’un coup, pendant plusieurs heures, le contact avec la Puissance et la Vision divines – c’était... c’était magnifique, les choses devenaient extraordinaires; mais alors, immédiatement le lendemain, toutes les nouvelles ont changé. Ça a été vraiment extraordinaire. Mais ce n’est pas ce que j’ai vu qui s’est réalisé, parce que c’est vu des années en avant... Mais ça ne fait rien, c’est bien.

(Sujata entre en retard,
Mère lui tend des mouchoirs en riant)

C’est mes mouchoirs!

Nous sommes toujours pressés, parce que la vie terrestre est courte, mais quand on voit comment c’est vu... (geste vaste, général). Seulement, c’est beau, c’est beaucoup mieux! Cela prend plus de temps, mais c’est beaucoup mieux.

L’une des choses prévues, c’est la conversion de l’Amérique, des États-Unis, mais cela prendra du temps.

La conversion des États-Unis.

Déjà, la majorité du pays est contre ce Président, mais il faut que ce soit assez fort pour que... cette politique disparaisse.2

C’est-à-dire, comme toujours, il faut que cela aille jusqu’au bout de l’absurde pour que les gens comprennent comme c’est faux.

Oui. Oui.

(long silence)

Tu as quelque chose?

Rien... Peut-être des questions personnelles.

Bon, demande.

J’ai l’impression que depuis un an, il n’y a aucune force créatrice qui vient en moi – aucune inspiration et aucune force créatrice. Et alors, je parlais de cela avec Sujata il y a quelques jours, et elle a eu une vision: elle a vu comme deux énormes portes d’argent – qui étaient fermées. Alors je ne sais pas, je me demande ce que cela veut dire. Pourquoi cette fermeture?

(après un silence)

Mais depuis quelque temps, il y a beaucoup plus d’insistance sur la transformation personnelle que sur la création, pour toi. Ça, je l’ai vu. Mais pour moi, cela me paraît d’une importance capitale, tu comprends?... C’est une insistance spéciale sur la transformation personnelle. C’est-à-dire que quand ça, ce sera fait, la création sera d’un ordre TRÈS supérieur, très supérieur.

Il n’y a pas à s’inquiéter?

Non-non, au contraire.

Vraiment, pour le dire d’une façon enfantine, la Sagesse divine est beaucoup plus grande que la nôtre. Tout le temps, je m’aperçois de cela. Nous avons la vue très courte – très courte et très limitée. Et la Sagesse divine est... On a tellement l’impression que l’on ne sait rien quand on compare sa façon de voir et la façon de voir du Divin (je le dis d’une façon tout à fait enfantine).

Oui, mais pratiquement, il y a deux attitudes possibles vis-à-vis de cette force créatrice: ou bien d’être complètement passif et d’attendre (mais alors, est-ce que cette passivité n’est pas simplement une espèce d’inertie?), ou bien de faire comme ceux qui créent, c’est-à-dire qu’ils appellent la Force et ils tirent. C’est-à-dire qu’activement, ils interviennent pour créer.

Il y a une troisième attitude. C’est la meilleure. C’est d’être très attentif; au lieu d’être passif et inerte, d’être très attentif et très éveillé. Et alors, de sentir quand il y a l’Impulsion de faire une chose, et de la faire. Et ça, je l’ai mis en pratique ces jours derniers, et c’est la solution. N’est-ce pas, la difficulté, c’est l’activité SANS LES LIMITATIONS PERSONNELLES – c’est étroitement mélangé dans notre conscience, et la passivité dont tu parles, c’est pour séparer les deux; mais une fois qu’on a... je ne sais pas, la perception ou la sensation de l’état où l’on est complètement ouvert à l’Impulsion Divine, alors on peut permettre à l’action de revenir. Et ça, c’est la solution.

C’est très difficile à expliquer, mais j’ai eu l’expérience ces jours-ci (hier ou avant-hier; c’est tout récent), l’expérience de cette attitude de réceptivité sans mélange – sans mélange de l’activité personnelle –, d’une activité dont l’impulsion vient seulement du Divin (pour cette guerre, pour les événements, c’est là que j’ai eu cette expérience, et c’est comme cela que j’ai compris). Seulement on ne peut pas expliquer.

(long silence)

Alors, les choses prévues, c’est une fédération de tous les États de l’Inde, et une autre chose prévue, c’est une conversion des États-Unis. Une fédération des États de l’Inde d’après L’idéal de l’unité humaine, comme elle est conçue et expliquée par Sri Aurobindo. Et la conversion des États-Unis, c’est dans la même idée, à travers justement la révélation de Sri Aurobindo. Mais cela prendra du temps.

Ça, c’est venu d’une façon imperative.

Et puis j’ai entendu quelque chose que Sri Aurobindo a écrit, disant que pour que le Supramental soit manifesté sur la terre, il faut que le mental physique le reçoive et le manifeste, et c’est justement le mental physique, c’est-à-dire le mental corporel, le mien, le seul qui me reste maintenant. Et alors, il m’est venu d’une façon tout à fait claire que c’est pour cela que seul celui-là est resté. Et il est en train de se convertir d’une façon très rapide et très intéressante. Ce mental physique3 est en train de se développer sous l’influence supramentale. Et c’est justement cela que Sri Aurobindo a écrit, que c’était indispensable pour que le Supramental puisse se manifester d’une façon permanente sur la terre.4

Alors, ça va bien – ce n’est pas commode! (Mère rit) Mais ça va.

Oui, justement c’est un problème que je me suis posé. Tu dis que, pour moi, par exemple, l’insistance est sur la transformation personnelle – eh bien, j’ai vu une chose (enfin «j’ai vu», j’ai senti une chose), que cette transformation (de la nature inférieure, par exemple) n’est pas vraiment possible à moins qu’il n’y ait une sorte de radical changement de position dans la conscience, ou de changement de vision...

Oui.

... À moins de voir autrement les choses et les êtres.

Oui, oui.

Mais alors, je me demande comment c’est possible?

C’est possible comme cela.

Mais il faut que ce soit quelque chose de très radical.

Mais c’est radical, mon petit! Tu n’imagines pas, c’est comme... Je pourrais dire vraiment que je suis devenue une autre personne. Il n’y a que ça (Mère touche l’apparence de son corps) qui reste comme cela, semblable à lui-même... Dans quelle mesure il pourra changer? Sri Aurobindo a dit que si le mental physique est transformé, la transformation du corps suivra tout naturellement. Nous verrons.

Mais est-ce que tu pourrais me donner une clef, ou un levier, pour opérer ce changement radical?

Ah! je ne sais pas parce que, pour moi, on m’a simplement enlevé tout – le mental parti complètement. Si tu veux, en apparence, j’étais devenue imbécile, je ne savais rien. Et c’est le mental physique qui s’est développé petit à petit, petit à petit.

Moi, je ne sais pas, on a fait le travail pour moi – je n’ai rien fait. Ça a été fait comme cela, d’une façon tout à fait radicale. Ça a pu se faire parce que j’étais très consciente de mon psychique (de l’être psychique qui s’est formé à travers toutes les existences), j’étais très consciente, et lui est resté; il est resté et justement il a permis que j’aie affaire avec les gens sans que cela fasse de différence, grâce à cette présence psychique. C’est pour cela qu’il y a eu très peu d’apparents changements. Alors je ne peux dire que ce que je sais, et je dirai cela: il faut que le psychique reste très «dominant» tout l’être – tout l’être corporel – et guidant la vie, alors le mental a le temps de se transformer. Le mien, on l’a simplement renvoyé.

N’est-ce pas, la transformation du mental corporel était indispensable parce que je n’avais plus que celui-là, tu comprends?... Il y a peu de gens qui accepteraient cela. (Riant) Moi, ça a été fait sans me demander mon avis! Le travail était très facile.

C’est cela justement qui s’est passé.

Je voudrais bien quelque chose de radical...

(Mère rit)

Je me disais, par exemple (c’est enfantin), mais je me disais l’autre jour: si je pouvais arriver à voir avec les yeux de Sri Aurobindo...

(Mère rit)

Au lieu que ce soient mes yeux, que je voie les choses par ses yeux.

Mais ce n’étaient pas ses yeux physiques. Ce n’étaient pas ses yeux physiques.

Je voudrais que ce soit comme cela. Mais est-ce possible?

C’est-à-dire, voir avec la conscience de Sri Aurobindo?

Oui, c’est cela. Mais voir PHYSIQUEMENT les êtres, les choses, les circonstances, les voir comme cela.

C’est possible. C’est possible... Mais est-ce que tu accepterais ce qui m’est arrivé, c’est-à-dire que l’individu, la personne se sente absolument imbécile?

Oh! je suis prêt.

Est-ce que cela ne te désespérerait pas?

Non-non – non.

N’est-ce pas, c’est une chose qui s’installe d’une façon pour ainsi dire permanente: la nullité de la personne – absolument la nullité, l’incapacité. Et alors on est..., on est bien; on est tout naturellement comme un enfant, on dit au Divin: «Fais tout pour moi» (il n’y a plus rien, on ne peut rien faire!), alors ça va bien tout de suite – tout de suite.

N’est-ce pas, le corps s’est donné entièrement, il avait même dit au Divin: «Je Te prie de me faire vouloir ma dissolution si je dois mourir», afin que Même là, je ne résiste pas s’il est nécessaire que ce corps meure – vouloir ma dissolution. Voilà son attitude, il était comme cela (geste mains ouvertes). Et au lieu de cela, est venue une sorte de... (je pourrais traduire par des mots, mais ce n’étaient pas des mots): «Si tu acceptes la souffrance et les malaises, la transformation est mieux que la dissolution.» Et alors, quand il a du malaise, il accepte.

Ce n’est pas ça; ce que je dis est [inadéquat]. Ce n’est pas vraiment cela, mais c’est quelque chose de difficile à expliquer. C’est vraiment une attitude nouvelle et une sensation nouvelle, je ne peux pas dire.

Et évidemment, pour chacun, ce doit être différent... Pour moi, ça a été très radical – je n’avais pas le choix, tu comprends: c’était comme cela, c’est comme cela. Voilà.

Mais il faut vraiment... Ce qui a rendu la chose facile, c’est que la conscience psychique était tout à fait en avant et gouvernait la vie, alors elle a continué tranquillement sans s’occuper de ça.

C’est comme la vue et l’ouïe, je me suis aperçue que ce n’est pas une déchéance physique: c’est simplement que je ne comprends et je n’entends les gens que quand ils pensent clairement ce qu’ils disent. Et je ne vois que ce qui est... ce qui exprime la vie intérieure, autrement c’est... flou ou voilé. Et ce n’est pas que les yeux ne voient pas, c’est «quelque chose», c’est quelque chose d’autre – tout est nouveau.

(silence)

C’était ce que Sri Aurobindo m’avait dit quand je lui avais demandé de partir (nous savions tous les deux qu’il fallait que l’un des deux s’en aille); je lui ai dit immédiatement: «C’est moi qui m’en irai.» Alors il a dit non, il m’a dit: «Ton corps est beaucoup plus capable que le mien de supporter ce travail de transformation.» Sri Aurobindo m’avait dit cela. Et alors il a accepté, mais...

C’est vrai, il faut que le corps soit de TRÈS bonne volonté – il se trouve que le mien est de bonne volonté; et ce n’est pas une bonne volonté mentale, n’est-ce pas, c’est vraiment une bonne volonté corporelle. Il accepte, il accepte tous les inconvénients... Mais c’est l’attitude qui est importante, ce ne sont pas les conséquences (je suis convaincue que les inconvénients ne sont pas indispensables), c’est l’attitude qui est importante. N’est-ce pas, il faut que ce soit comme cela (geste mains ouvertes). Vraiment, je me suis aperçue que dans la majorité des cas, la soumission au Divin ne veut pas dire confiance en le Divin – parce que l’on fait la soumission au Divin, on dit: «Même si Tu me fais souffrir, je me soumets», mais c’est un manque absolu de confiance! Ça, c’est vraiment amusant, la soumission N’IMPLIQUE PAS la confiance; la confiance c’est quelque chose d’autre, c’est... une espèce de connaissance – de connaissance unshakable [inébranlable], que rien ne peut troubler – que c’est NOUS qui changeons en difficultés, en souffrances, en misères, ce qui, dans la Conscience divine, est... paix parfaite. C’est nous qui faisons cette petite «transformation».

Et des exemples extraordinaires sont venus... Il faudrait des heures pour expliquer.

Vraiment, c’est la conscience qui doit changer – et même la conscience DES CELLULES, tu comprends?... Ça, c’est un changement radical.

Et nous n’avons pas de mots pour exprimer cela, parce que ça n’existait pas sur la terre – c’était latent, mais ce n’était pas manifesté.

Tous les mots sont... à côté, ce n’est pas tout à fait ça.

(silence)

Si tu veux, on pourrait dire qu’à chaque minute, on a l’impression que, ou on peut vivre éternellement ou on peut mourir (geste de légère bascule d’un côté ou de l’autre). À chaque minute, c’est comme cela. Et la différence [entre les deux côtés] est tellement insensible que l’on ne peut pas dire: faites ça et vous serez de ce côté, faites ça et vous serez de l’autre côté – ce n’est pas possible. C’est une manière d’être presque indescriptible.5

(silence)

Quand es-tu venu à l’Ashram?

Il y a dix-sept ans, douce Mère.

Tu avais vu Sri Aurobindo?

Oui, une fois.

Le 24 novembre? quand?

Je ne me souviens plus quand je l’ai vu, mais c’était en 1947.

Oh! en 1947 – trois ans...

Je l’ai vu une fois seulement.

Seulement une fois?

(silence,
puis Mère plonge longuement)

Tu as senti quelque chose?

Beaucoup ta force. Beaucoup la Force, oui.

(Mère hoche la tête négativement)

C’est une Paix si extraordinaire! Tu ne sens pas?

Si, je sens la Force, la Paix, la Puissance...

Mais moi, quand c’est comme cela, j’ai conscience qu’il n’y a plus de temps. Je ne sais pas comment expliquer. C’est tout à fait en dehors du temps – ce peut être une minute, ce peut être une heure... quelque chose d’autre.

(le disciple se retire, Sujata s’approche)

Et toi? Qu’est-ce que tu sens?

Moi, douce Mère, c’est très physique.

Oui.

Physique: un silence absolu...

Ah!

... Partout: intérieur, extérieur.

C’est physique, n’est-ce pas, c’est cela, c’est PHYSIQUE.

Les nerfs qui sont un peu tendus, tout cela se détend, absolument.

Oui, c’est cela. Ça, c’est bien. C’est bien.6

L'enregistrement du son fait par Satprem    

This text will be replaced

 

1 Sur le front du Cachemire et du Rajasthan, c’est-à-dire la route du Pakistan occidental, le foyer de l’infection.

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2 Elle réapparaîtra dix ans plus tard, en 1981.

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3 Notons bien que la «terminologie» de Mère n’était pas fixée, probablement parce que l’expérience est en train de se vivre, mais presque toujours c’est du mental corporel qu’il s’agit, comme le montre encore la suite de cette conversation.

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4 Peut-être Mère fait-elle allusion à ce texte de Sri Aurobindo: «Il y a aussi un mental obscur, un mental du corps, des cellules mêmes, des molécules, des corpuscules. Haeckel, le matérialiste allemand, a parlé quelque part d’une volonté dans l’atome, et la science récente [Heisenberg], en présence des imprévisibles variations individuelles dans les activités de l’électron, est sur le point de s’apercevoir que ce n’est pas une métaphore mais l’ombre projetée par une réalité secrète. Ce mental corporel est très tangiblement réel: par son obscurité, son attachement obstiné et mécanique aux mouvements passés, sa facilité à oublier, son refus du nouveau, il est l’un des obstacles principaux à la pénétration de la force supramentale dans le corps et à la transformation du fonctionnement corporel. Par contre, une fois effectivement converti, ce sera l’un des instruments les plus précieux pour stabiliser la lumière et la force supramentales dans la Nature matérielle.» (XXII.340)

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5 Les brèves répliques qui suivent ont été omises de l’enregistrement.

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6 Il existe un enregistrement de cette conversation.

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