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Sri Aurobindo

Savitri

A Legend and a Symbol

traduction de Satprem

Livre Deux: Le Livre du Voyageur des Mondes

Chant Six
Les Royaumes et les Divinités de la Vie plus Large

Comme l’un qui marche entre de vagues murs fuyants

Vers la lointaine lueur d’une bouche de tunnel,

Espérant la lumière,

Il allait maintenant d’un pas plus libre

Sentant l’approche d’un souffle d’air plus large;

Ainsi s’est-il échappé de cette grise anarchie.

Il est arrivé dans un monde infructueux,

Une région sans but, qui n’arrivait pas à naître

Où l’existence fuyait la non-existence et osait vivre

Mais n’avait pas la force de durer longtemps.

Au-dessus, miroitait le front d’un ciel songeur

Tourmenté, sillonné par les ailes d’une brume d’incertitude

Voletant, aventurées avec la voix des vents errants,

Plaintives, cherchant une direction dans le vide

Comme des âmes aveugles en quête d’un moi perdu

Égarées parmi des mondes inconnus;

Des ailes vaguement questionneuses rejoignaient les plaintes de l’Espace.

Après la négation, venait l’espoir douteux d’une aurore,

L’espoir d’un moi, d’une forme, d’une permission de vivre

Et d’une naissance de ce qui, jamais encore, n’avait pu être,

La joie des périls du mental, des choix du cœur,

La grâce de l’inconnu et les soudains coups de surprise

Et une note de sûr délice dans les choses incertaines:

Son voyage touchait à une étrange région indécise

Où la conscience jouait avec un moi inconscient

Et la naissance était une tentative, un épisode.

Un enchantement s’approchait mais ne pouvait pas garder son charme

Une Puissance passionnée qui n’arrivait pas à trouver son chemin,

Un Hasard qui choisissait une arithmétique bizarre

Et n’arrivait pas à y tenir les formes qu’il créait,

Une multitude qui ne savait pas garder sa somme

Et devenait moins de zéro ou un de trop.

Arrivée à un large sens obscur

Qui ne se souciait pas de définir sa course fugitive

La vie œuvrait dans un étrange air mythique

Dénudée de ses soleils doux et somptueux.

En des mondes imaginés, mais jamais devenus vrais encore,

Comme une lueur qui traîne au bord de la création,

La vie vagabondait et rêvait, et jamais ne s’arrêtait pour accomplir:

Accomplir aurait détruit la magie de cet Espace.

Les prodiges de ce pays des merveilles de la pénombre

Plein d’une beauté étrangement créée, futilement créée,

Ce flot de réalités fantasques

Annonciatrices indécises d’une Splendeur scellée au-dessus,

Éveillaient la passion du désir des yeux

Forçaient la foi de la pensée amoureuse

Et séduisaient le cœur, mais ne le conduisaient nulle part.

Une magie coulait, comme des scènes mouvantes

Qui gardaient un moment la délicatesse fugitive

De leurs lignes ténues, silhouettées par un art abstrait

D’un léger coup de pinceau rêveur dans une rare lumière diffuse

Sur un fond d’incertitude argenté.

Une rougeur naissante des cieux, proche de l’aurore,

Un feu intense, conçu mais jamais allumé,

Caressait l’air d’un ardent soupçon de jour.

Le parfait avait soif du charme de l’imperfection,

L’illuminé était pris au piège de l’Ignorance,

Des créatures éthérées séduites par l’attrait du corps

Venaient en cette région prometteuse, battant d’invisibles ailes,

Affamées des joies de la vie limitée,

Mais trop divines pour fouler un sol créé

Et partager le sort des choses périssables.

Les Enfants du Rayon sans corps

Sortis d’une pensée encore informe dans l’âme

Et poursuivis par un impérissable désir

Passaient par l’horizon du regard qui les poursuivait.

Une volonté impersistante œuvrait là et échouait:

La vie était une quête mais la découverte ne venait jamais.

Là, rien ne satisfaisait, mais tout charmait,

Les choses semblaient être ce qu’elles n’étaient jamais entièrement,

Des images surgissaient qui ressemblaient à des actes vivants

Et les symboles cachaient le sens qu’ils prétendaient montrer:

De pâles rêves devenaient réels pour les yeux du rêveur.

Là, venaient des âmes qui s’efforçaient en vain de naître

Et les esprits trappés pouvaient errer pendant des âges

Sans jamais trouver la vérité qui les faisait vivre.

Tout courait comme un espoir à la chasse d’une chance tapie;

Rien n’était solide, rien ne se sentait entier:

Tout était hasardeux, miraculeux, à demi vrai.

Comme un royaume où les vies n’avaient pas de base.

Puis s’est levée l’aurore d’une recherche plus grande, d’un ciel plus large,

Un voyage sous les ailes d’une Force qui couve.

D’abord vint le royaume de l’étoile du matin:

Une beauté du petit jour frémissait sous sa flèche

Et le battement d’une promesse de Vie plus vaste.

Puis, lentement, s’est levé un grand soleil hésitant

Et dans sa lumière, Elle fit un monde du moi.

Un esprit était là, qui cherchait son propre moi profond,

Encore content des fragments qui passaient devant lui

Et des bouts d’existence qui ne s’accordaient pas au Tout

Mais qui, un jour, raboutés, pourraient être vrais.

Quelque chose enfin semblait accompli.

Une intensité grandissante de la volonté d’être,

Un texte de vie, un tracé de force,

Un scénario des actes, une musique des formes conscientes

Chargées de sens qui échappaient à l’écoute de la pensée

Et remplies des mille murmures du cri rythmique de la vie,

Pouvaient s’inscrire au cœur des choses vivantes.

Dans un début foisonnant de la puissance secrète de l’Esprit,

Quelque réponse de délice dans la Vie et dans la Matière

Quelque face de la beauté immortelle pouvaient se laisser prendre

Et prêter l’immortalité à un moment de joie,

Quelque vocable pouvait incarner la Vérité suprême

Jailli au hasard d’une tension de l’âme,

Quelque couleur de l’Absolu pouvait tomber sur la vie,

Quelque éclat de connaissance et de vision intuitive,

Quelque passion du cœur ravi de l’Amour.

Hiérophante du Mystère sans corps

Emprisonné dans une invisible enveloppe spirituelle,

La Volonté qui pousse les sens à dépasser leurs limites

Pour sentir la lumière et la joie intangibles,

Trouvait à demi son chemin dans la paix de l’ineffable,

Captait à demi la douceur d’un désir enfoui

Qui appelait du fond d’une poitrine de Félicité mystérieuse,

Manifestait à demi la Réalité voilée.

Une âme qui n’était pas enveloppée dans son manteau mental

Pouvait apercevoir le sens vrai du monde des formes:

Illuminée par une vision dans la pensée

Soulevée par la flamme de compréhension du cœur,

Elle pouvait saisir dans le firmament conscient de l’esprit

La divinité d’un univers de symboles.

Ce royaume nous inspire nos espoirs plus vastes;

Ses forces ont atterri sur notre globe

Ses signes ont marqué leur type sur nos vies:

Il prête un mouvement souverain à notre destinée,

Ses vagues errantes motivent la haute lame de notre vie.

Tout ce que nous cherchons est préfiguré là

Et tout ce que nous n’avons pas connu ni même cherché

Et qui pourtant un jour naîtra dans le cœur des hommes

Afin que l’Éternel puisse s’accomplir dans les choses.

Incarnée dans le mystère des jours,

Éternelle dans un Infini à découvrir,

Une possibilité sans fin

Une haute échelle de rêve sans sommet

Grimpe à jamais dans l’extase consciente de l’Être.

Par cette échelle, tout monte vers un invisible dénouement.

Une Énergie perpétuellement passagère anime

Le voyage d’où nul retour n’est sûr,

Ce pèlerinage de la Nature vers l’Inconnu.

Dans son ascension vers sa source perdue, Elle semblait

Vouloir dérouler tout ce qui, à jamais, pourrait être;

D’étape en étape, sa haute procession se meut,

D’une vision à une autre plus grande, son progrès bondit,

D’une forme à une autre plus ample, sa marche se transforme,

Une caravane de l’inépuisable

Sème les formations d’une Pensée et d’une Force sans limite.

Sa Puissance immémoriale, autrefois bercée

Au sein d’un Calme sans commencement ni fin,

Maintenant séparée de l’immortelle félicité de l’Esprit,

Bâtit un type de toutes les joies qu’elle a perdues;

Obligeant une substance éphémère à prendre forme

Elle espère se délivrer par l’acte créateur,

Un jour sauter par dessus le gouffre qu’elle ne peut emplir,

Guérir un moment la blessure de la séparation,

S’échapper de la prison de petitesse des heures

Et retrouver les vastes sublimités de l’Éternel

Dans le champ temporel hasardeux qui nous échoit ici.

Presque, elle arrive à ce qui jamais ne peut être accompli;

Elle enferme l’éternité dans une heure

Et emplit d’infini une petite âme;

L’Immobile se penche à son appel enchanté;

Elle chemine sur un rivage au milieu de l’Illimitable,

Perçoit l’Habitant sans forme dans toutes les formes

Et sent l’embrasse de l’Infinitude autour d’elle.

Sa tâche ne connaît pas de fin, elle ne poursuit aucune utilité,

Elle s’acharne seulement, poussée par une Volonté sans nom

Qui était venue sans forme de quelque Vastitude inconnaissable.

C’est là son secret et son impossible tâche:

Prendre l’illimité dans le filet de la naissance

Semer l’esprit dans une forme physique

Prêter la parole et la pensée à l’ineffable;

Elle est poussée à révéler l’à-jamais Non-manifeste.

Et pourtant, par son ingéniosité, l’impossible s’est accompli:

Elle suit son sublime plan irrationnel,

Invente les mécanismes de son art magique,

Cherche toujours de nouveaux corps pour l’Infini

Et des images de l’inimaginable:

Elle a séduit l’Éternel dans les bras du Temps.

Même maintenant, elle ne sait pas elle-même ce qu’elle a fait.

Car tout se trame derrière un masque déconcertant:

Une semblance autre que sa vérité cachée

Une apparence qui imite un tour d’illusionniste

Une irréalité feinte poussée par le temps,

La création inachevée d’une âme changeante

Dans un corps qui change avec l’habitant.

Infimes, ses moyens, infinie son œuvre;

Sur un immense champ de conscience informe

Par de toutes petites touches du mental et des sens

Sans fin elle déroule une vérité sans limite;

Un mystère sans temps se joue lentement dans le Temps.

La grandeur dont elle rêvait, ses actes ne l’ont pas saisie,

Son labeur est une passion et une douleur,

Une ivresse et une angoisse, sa gloire et sa malédiction;

Et pourtant, elle ne peut pas vouloir autrement, elle doit œuvrer encore;

Son cœur puissant lui interdit d’abandonner.

Tant que dure le monde, son échec vit

Surprenant et déroutant le regard de la Raison,

Une extravagance et une beauté inexprimables

Une superbe folie de la volonté de vivre,

Une audace, un délire de délice.

Telle est la loi de son être, sa seule ressource;

Jamais la satisfaction ne vient, mais

Elle assouvit sa volonté affamée de prodiguer partout

Les mille images de ses fables du Moi

Et les mille façons de l’unique Réalité.

Elle a fait un monde qui effleure une vérité fuyante,

Un monde coulé dans le moule du rêve qu’il cherche

Une icône de vérité, une ébauche consciente du mystère.

Ce monde-là ne traînait pas comme le mental terrestre

Parqué dans les barrières solides des faits apparents,

Il osait se fier au mental de rêve et à l’âme.

Chasseur des vérités spirituelles

Pensées seulement encore ou devinées ou croyantes,

Il saisissait par l’imagination et enfermait

Un oiseau peint du paradis dans une cage.

Cette vie plus large est éprise de l’invisible;

Elle appelle quelque Lumière suprême qui la dépasse,

Elle peut sentir le Silence qui délivre l’âme;

Elle sent un contact sauveur, un rayon divin:

La beauté et le bien et la vérité sont ses divinités.

Elle est proche de cieux plus célestes qui échappent aux yeux de la terre,

De ténèbres plus terribles que ne peut le supporter la vie humaine: Elle est parente du démon et du dieu.

Un étrange enthousiasme a pris son cœur;

Elle a faim des hauteurs, elle est passionnée du Suprême.

Elle court après le vocable parfait, la forme parfaite,

Elle bondit vers la pensée des sommets, la lumière des sommets.

Car le Sans-Forme s’approche par la forme

Et toute perfection côtoie l’Absolu.

C’est un enfant des cieux qui n’a jamais vu son pays,

Son élan touche l’éternel, en un point:

Il peut seulement s’approcher et effleurer, il ne peut pas tenir;

Il peut seulement tendre vers quelque brillant extrême:

Sa grandeur est de chercher et de créer.

Sur chaque plan, cette Grandeur doit créer.

Sur la terre, dans les cieux et les enfers, elle est pareille;

Dans chaque destin, elle joue son rôle puissant.

Gardienne du feu qui allume les soleils

Elle est victorieuse dans sa gloire et sa puissance:

Défaite, opprimée, elle porte le besoin de Dieu qui est de naître:

L’esprit survit sur un fond de non-être,

La force du monde dure plus que le choc de désillusion du monde:

Muette, elle est toujours le Verbe, inerte, elle est encore la Puissance.

Déchue ici, esclave de la mort et de l’ignorance,

Elle est contrainte à vouloir les choses immortelles

Et poussée à connaître même l’inconnaissable.

Même inconsciente, nulle, son sommeil crée un monde.

Plus elle est masquée, plus elle œuvre puissamment;

Logée dans l’atome, enterrée dans le corps

Son irrésistible passion créatrice ne peut cesser.

L’Inconscience est sa longue halte gigantesque,

Sa syncope cosmique est une phase prodigieuse:

Née dans le Temps, elle cache son immortalité;

Dans la mort, qui est son lit, elle attend l’heure de se lever.

Même quand la Lumière lui est refusée, qui l’avait envoyée,

Quand l’espoir est mort dont elle avait besoin pour œuvrer,

Même quand ses étoiles les plus brillantes sont englouties par la Nuit,

Nourrie par la dureté et les calamités,

Avec la peine de son corps de servante, de nurse, de masseuse,

Son esprit torturé, invisible, continue encore

À s’acharner même dans les ténèbres, à créer même dans l’agonie;

Elle porte Dieu crucifié sur sa poitrine.

Dans les abîmes insensibles et glacés, là où nulle joie n’existe,

Emmurée, étranglée par la résistance du Vide

Où rien ne bouge et rien ne peut devenir,

Elle se souvient encore, elle invoque encore

L’art que l’Ouvrier des Prodiges lui a donné à sa naissance;

Elle imprime une forme à la somnolence informe,

Révèle un monde là où rien n’était avant.

En des royaumes murés et vaincus dans un cercle de mort

Voués à une noire éternité d’ignorance,

Elle est le tressaillement dans une masse inerte inconsciente,

Ou emprisonnée dans un vortex de Force solidifiée,

Muette et sourde dans l’étreinte aveugle de la Matière

Elle repose, figée, dans la poussière de son sommeil.

Puis, pour punition de son réveil rebelle,

Dotée seulement de la dure mécanique des Circonstances

Pour machiner son art magique,

Elle façonne dans la boue les merveilles d’un dieu;

Dans le plasme, elle plante son immortel besoin muet,

Aide le tissu vivant à penser, les sens fermés à sentir,

Lance par de frêles nerfs des messages poignants,

Aime miraculeusement dans un cœur de chair,

Donne une âme à des corps bruts, une volonté, une voix.

Sans trêve, comme par une baguette de sorcière, elle somme

Des êtres et des formes et des scènes sans nombre,

Porte-flambeau de son cortège à travers le Temps et l’Espace.

Ce monde est son long voyage à travers la nuit,

Les soleils et les planètes éclairent sa route de leur lanterne,

Notre raison est la confidente de ses pensées,

Nos sens sont ses témoins vibrants.

Là, elle trace ses signes dans une substance à demi vraie, à moitié fausse,

Elle peine pour remplacer par des rêves réalisés

La mémoire de son éternité perdue.

Tels sont ses prodiges dans cette énorme ignorance cosmique:

Tant que le voile n’est pas levé, tant que la nuit n’est pas morte,

Dans la lumière ou les ténèbres, elle poursuit son inlassable quête;

Le Temps est la route de son pèlerinage sans fin.

Une unique passion grandiose anime toutes ses œuvres.

Son Amant éternel est la cause de ses actes;

Pour Lui, elle a bondi des Vastitudes invisibles

Et marche ici dans un monde brut et inconscient.

Les drames de ce monde sont ses amours avec l’Hôte caché,

Les états d’âme de l’Amant façonnent son cœur passionné;

Dans la beauté, elle verse le trésor de Son sourire ensoleillé.

Elle a honte de sa riche pauvreté cosmique,

Elle cajole sa Grandeur par de petits cadeaux

Retient la fidélité de Son regard par les scènes du monde

Et courtise les grands yeux de Ses pensées vagabondes

Pour qu’il reste dans les millions de visages de sa Force fougueuse.

L’unique occupation, le seul souci tenace de son cœur

Est d’attirer son Compagnon voilé

Et de le garder contre sa poitrine dans sa robe de bal du monde

De peur qu’il ne quitte ses bras pour retourner à Sa paix sans forme.

Et pourtant, quand Il est si près, elle le sent si loin.

Car la contradiction est la loi de sa nature.

Bien que, toujours, elle soit en Lui, et Lui en elle,

Elle ne semble pas s’apercevoir du lien éternel,

Elle veut enfermer Dieu dans ses œuvres

Et le garder comme son prisonnier bien-aimé

Pour que, plus jamais, ils ne se séparent dans le Temps.

Au début, elle a fait une chambre intérieure profonde,

Une somptueuse crypte du sommeil de l’Esprit

Où il est assoupi comme un hôte oublié.

Mais maintenant, elle veut rompre ce charme oublieux,

Éveiller le dormeur de sa couche sculptée;

Elle retrouve la Présence dans les formes

Et par la lumière qui se réveille avec Lui

Découvre un sens dans la ruée et les pas lourds du Temps,

Même à travers ce mental, qui autrefois obscurcissait l’âme,

Passe une étincelle de l’invisible divinité.

Lançant un rêve lumineux dans l’espace de l’Esprit

Elle bâtit la création comme un pont d’arc-en-ciel

Entre le Silence originel et le Vide.

Elle fait un filet de cet univers mouvant;

Elle tisse un piège pour l’Infini conscient.

En elle, est une connaissance qui cache ses pas

Et semble une Ignorance omnipotente et muette.

En elle, est un Pouvoir qui rend vraies les merveilles;

L’incroyable est sa substance et son fait ordinaire.

Ses desseins, ses chemins s’avèrent des énigmes,

Examinés, ils deviennent autres qu’ils n’étaient.

Expliqués, ils semblent encore plus inexplicables.

Même dans notre monde, un mystère règne

Que la terre cache derrière l’écran habile d’une évidente banalité;

Ses degrés plus larges sont faits de sorcelleries.

Là, l’énigme montre son prisme splendide,

Le lourd déguisement de l’insignifiance disparaît;

Occulte, insondable devient toute expérience,

Toujours neuve est la merveille, un divin miracle.

Il y a un contenu dérobé, une note mystérieuse,

Il y a un mystère de sens caché.

Bien que nul masque de terre ne pèse sur son visage

Elle fuit ses propres yeux au fond d’elle-même.

Toutes les formes sont le signe de quelque idée voilée

Dont le dessein couvert échappe à la poursuite mentale,

Matrice, pourtant, de conséquences souveraines.

Là, chaque pensée, chaque sentiment est un acte

Et chaque acte est un symbole et un signe

Et chaque symbole contient un pouvoir vivant.

Elle bâtit un univers avec des vérités et des mythes

Mais ce dont elle avait le plus besoin, elle ne peut le bâtir;

Tout ce qu’elle étale est une image ou une copie de la Vérité

Mais le Réel lui voile sa face mystique.

Tout le reste, elle le trouve, il manque l’éternité;

Tout est découvert, mais l’Infini échappe.

Une conscience éclairée par une Vérité d’en haut

Se faisait sentir,

Elle voyait la lumière mais non la Vérité:

Elle saisissait l’Idée et en faisait un monde;

Elle bâtissait là une Image et l’appelait Dieu.

Et pourtant, quelque chose d’intérieur et de vrai s’abritait là.

Les êtres de ce royaume d’une vie plus large,

Habitants d’un air plus vaste, d’un espace plus libre,

Ne vivent pas par leur corps ni dans les choses extérieures:

Une existence plus profonde est le siège de leur moi.

Dans cet intense domaine intime

Les objets sont là comme des compagnons de l’âme;

Les actions du corps sont une scène mineure,

Une transcription superficielle de la vie au-dedans.

Dans ce monde-là, toutes les forces sont l’équipage de la Vie

Et le corps et la pensée courent comme ses servantes.

Les étendues universelles lui donnent tout le champ:

Tous les êtres de ce royaume sentent le mouvement cosmique

Dans leurs actes et sont les instruments de la puissance cosmique,

Ou ils font de leur propre moi un univers.

Chez tous ceux qui se sont élevés à la Vie plus large

Une voix des choses à venir murmure à l’oreille;

À leurs yeux, visités par quelque haut soleil,

L’aspiration révèle l’image d’une cime:

Pour faire sortir la semence qu’elle a enfouie dedans,

Pour réaliser son pouvoir en eux, vivent ces créatures.

Chacun est une grandeur qui grimpe vers les hauteurs

Ou se répand en océan depuis son propre centre:

Comme des ondes de pouvoir concentrique qui tournoient

Ils avalent et se repaissent de ce qui entoure.

Même de cette immensité, plus d’un font une cabane;

Parqués en d’étroites contrées aux brefs horizons

Ils vivent contents de la petite grandeur gagnée.

Régner sur un petit empire d’eux-mêmes,

Être un personnage dans leur monde privé

Et partager les joies et les chagrins du milieu

Satisfaire les mobiles de leur vie, les besoins de leur vie

Suffit à l’emploi et aux fonctions de cette énergie,

Telle une camériste de la Personne et de son destin.

C’est là une ligne de transition et un point de départ

Pour tous ceux qui entrent dans cette sphère brillante,

Une première immigration dans les pays du ciel:

Ce sont les parents de notre race terrestre,

Les régions frontalières de notre état mortel.

Ce monde plus large inspire nos mouvements plus nobles,

Ses solides formations bâtissent nos moi grandissants;

Ses créatures sont nos répliques en plus brillant,

Elles couronnent les types dont nous sommes seulement les débutants

Et elles sont fermement ce que nous tâchons d’être.

Comme d’éternels personnages imaginés,

Entiers, non tiraillés comme nous par des courants contraires,

Ils suivent l’invisible guide dans leur cœur,

Leur vie obéit à la loi de la nature intérieure.

Là, sont gardées les mémoires de la grandeur, les empreintes du héros;

L’âme est le bâtisseur vigilant de son propre destin;

Nul n’est un esprit neutre et inerte;

Ils choisissent leur côté, ils voient le dieu qu’ils adorent.

Une bataille s’engage entre le vrai et le faux,

Un pèlerinage commence vers la Lumière divine.

Car là, même l’Ignorance aspire à connaître

Et brille de l’éclat d’une lointaine étoile;

Il y a une connaissance au cœur du sommeil

Et la Nature vient à chacun comme une force consciente.

Un idéal est leur guide et leur roi:

Ils aspirent à la monarchie du soleil

Ils appellent le haut gouvernement de la Vérité

Ils la gardent et l’incarnent dans leurs actes quotidiens

Et emplissent leurs pensées de sa voix inspirée

Et façonnent leur vie comme une respiration de vérité

Jusqu’à ce qu’ils partagent, eux aussi, le soleil d’or de sa divinité.

Ou au contraire, ils adhèrent à la vérité des Ténèbres;

Que ce soit pour le Ciel ou les Enfers, il faut qu’ils fassent la guerre:

Guerriers du Bien, ils servent une cause solaire,

Ou ils sont soldats du Mal, à la solde du Péché.

Car le bien et le mal ont une égale tenure

Tant que la Connaissance est jumelle de l’Ignorance.

Tous les pouvoirs de la Vie tendent vers leur divinité

Dans la largeur et l’audace de cet air;

Chacun bâtit son temple et propage son culte,

Et là, le Péché aussi est une divinité.

Affirmant la beauté et la splendeur de sa loi

Il revendique la vie comme son domaine naturel,

Monte sur le trône du monde ou revêt la robe papale:

Ses adorateurs proclament leur droit sacré.

Ils révèrent un mensonge à la tiare rouge,

Ils adorent l’ombre d’un dieu tordu,

Acceptent l’Idée noire qui pervertit le cerveau

Ou mentent avec le Pouvoir prostitué qui tue l’Âme.

Une vertu impérieuse prend une pose sculpturale,

Ou une passion de titan attise une fière révolte:

Sur l’autel de la Sagesse, ils sont rois et prêtres

Ou sacrifient leur vie à l’idole du Pouvoir.

Ou bien la Beauté brille sur eux comme une étoile vagabonde;

Trop lointaine pour être touchée, ils suivent sa lumière avec passion;

Dans les Arts et dans la Vie, ils saisissent le rayon de la Toute-Beauté

Et font du monde leur somptueux trésor:

Même les formes ordinaires sont enrobées de merveille –

Une grandeur et un charme emprisonnés dans chaque heure

Éveillent la joie qui dort dans toutes les choses créées.

Une splendide victoire ou une splendide chute,

Un trône dans les cieux ou un trou dans l’enfer,

Ils ont justifié l’Énergie ambiguë

Et marqué leur âme de son formidable sceau:

Quoi que le Destin puisse leur faire, ils ont gagné;

Ils ont fait quelque chose, ils ont été quelque chose, ils vivent.

Là, la Matière est le résultat de l’âme, non sa cause.

Contrairement à la balance terrestre de la vérité des choses

Le grossier pèse moins, le subtil compte plus;

Le plan extérieur dépend des valeurs intérieures.

Comme vibre la pensée dans le mot exprimé

Comme brûle dans l’acte la passion de l’âme,

Le dessein apparent et perceptible de ce monde

Reflète la puissance intérieure qui vibre.

Un Mental qui n’est pas limité par les sens extérieurs

Donnait des formes aux impondérables de l’esprit,

Les impacts du monde enregistraient sans sens

Et changeaient en tressaillements concrets dans le corps

Les opérations frappantes d’une Force sans corps;

Les pouvoirs qui agissent ici subliminalement et invisiblement

Ou qui sont tapis à l’affût et attendent derrière le mur

Bondissaient en avant et découvraient leur face.

Là, l’occulte devenait ouvert,

L’évident gardait une allure couverte

Et prenait sur les épaules l’inconnu:

L’invisible se faisait sentir et bousculait les formes visibles.

Dans la communion de deux esprits qui se rencontrent

La pensée regardait la pensée sans besoin de paroles;

L’émotion embrassait l’émotion en deux cœurs,

Chacun sentait le tressaillement de l’autre dans sa chair et ses nerfs

Ou ils se fondaient l’un en l’autre et devenaient immenses

Comme deux maisons qui brûlent, et le feu joint le feu:

La haine empoignait la haine et l’amour se jetait sur l’amour,

Les volontés luttaient contre les volontés sur l’invisible terrain du mental;

Les sensations d’autrui traversaient comme des vagues

Et faisaient vibrer les membres du corps subtil,

Leur colère se précipitait au galop dans une attaque brutale

Telle une charge de sabots qui piétinent un sol ébranlé;

On sentait le chagrin de l’autre envahir la poitrine

La joie de l’autre exultait et courait dans le sang:

Les cœurs pouvaient se serrer par-delà les distances

Et des voix s’approchaient

Qui parlaient sur les rives de mers étrangères.

Là, battait la pulsation d’une communication vivante:

L’être sentait l’être, même au loin,

Et la conscience répondait à la conscience.

Et pourtant, l’ultime unité n’était pas là.

Il y avait une séparation d’âme à âme:

Un mur de silence intérieur pouvait se dresser,

Une armure de force consciente pouvait protéger et faire un bouclier;

L’être pouvait rester claustré au-dedans et solitaire;

On pouvait se tenir à l’écart en soi, seul.

L’identité n’était pas encore là, ni la paix de l’union.

Tout était encore imparfait, à demi su, à demi fait:

Le miracle de l’Inconscience restait en dessous, sans pont,

Le miracle du Supraconscient, inconnu encore,

Enveloppé en lui-même, insenti, inconnaissable,

Regardait d’au-dessus tous ceux-là, origine de tout ce qu’ils étaient.

Comme des formes de l’Infini sans forme, ils étaient venus

Comme des noms de l’Éternité sans nom, ils avaient vécu.

Le commencement et la fin étaient là, éclipsés,

Le terme du milieu œuvrait, inexpliqué, abrupt:

Ils étaient des mots qui parlaient à une immense Vérité sans mot,

Ils étaient des chiffres qui peuplaient une somme inachevée.

Personne, vraiment, ne se connaissait lui-même ni ne connaissait le monde

Ni la Réalité qui vivait là, enterrée dans son autel:

Ils savaient seulement ce que le Mental pouvait bâtir et prendre

Parmi l’énorme resserre du Supramental caché.

Des ténèbres sous eux-mêmes, un Vide brillant au-dessus,

Incertains, ils vivaient, dans un grandiose espace à pic;

Par des mystères, ils expliquaient le Mystère,

Une réponse énigmatique répondait à l’énigme des choses.

À mesure que le Roi avançait dans l’air éthéré de cette vie ambiguë

Il devenait lui-même une énigme pour lui-même;

Il voyait que tout était symbole et il ne trouvait pas leur sens.

Par-delà les sources jaillissantes de la mort et de la vie

Et par-dessus les frontières mouvantes des changements de l’âme,

Chasseur sur la piste créatrice de l’Esprit,

Il suivait les traces infimes, et prodigieuses, de la vie

À la poursuite de sa formidable joie murée

Dans une périlleuse aventure sans dénouement.

Tout d’abord, nul but n’apparaissait dans cette grande marche:

Seule se voyait la vaste source de toutes choses ici

Regardant vers une source plus vaste par-delà.

Car, plus la vie s’écartait des sillons terrestres,

Plus se faisait sentir l’intense attraction de l’Inconnu;

Une perspective plus haute libérait la pensée

Poussait la vie vers des merveilles et des découvertes;

Une haute délivrance des mesquins soucis venait,

Une image plus puissante du désir et de l’espoir

Une formule plus vaste, une scène plus grande.

Sans fin, la vie décrivait des cercles vers une lointaine Lumière:

Ses signes cachaient plus encore qu’ils ne révélaient;

Mais liés à une vue et à une volonté immédiates

Ils perdaient leur but dans une joie utilitaire,

Et finalement, dégradés de leur signification infinie,

Ils devenaient un zéro miroitant d’un sens irréel.

Armée d’un arc magique et hanté

Elle visait une cible qui restait invisible

Et qu’elle croyait à jamais lointaine quand elle était toute proche.

Comme l’un qui épèle des caractères coloriés,

Livre-clef d’une magicienne indéchiffrable,

Le Roi scrutait ses arabesques bizarres et subtilement enchevêtrées

Et le difficile théorème celé de ses indices;

Dans les sables monstrueux d’un Temps désert

Il suivait à la trace les commencements ténus de ses travaux de titan,

Guettait quelque signe dans la charade de ses mouvements,

Déchiffrait le mimodrame nô de ses silhouettes

Et tentait de capter dans sa course impossible

L’enchaînement de sa fantasia tumultueuse

Qui se dérobait dans un mystère rythmique:

Un scintillement de pas fugitifs sur un sol fuyant.

Dans le labyrinthe typique de ses pensées et de ses espoirs

Et les chemins détournés de ses désirs secrets,

Dans ses tournants complexes tassés de rêves

Et ses rondes entrecoupées par l’intrigue d’autres rondes sans suite,

Tel un voyageur égaré parmi des scènes fugitives

Le Roi perdait ses repères et poursuivait chaque devinette défaillante.

Sans cesse, il rencontrait des mots-clef, ignorant de leur clef.

Un soleil qui éblouissait la vue de ses propres yeux,

Une lumineuse énigme sous une cagoule brillante

Allumait de pourpre la barrière dense du ciel de la pensée:

Un vaste sommeil obscur montrait à la nuit ses propres étoiles.

Comme assis près d’un trou au milieu d’une fenêtre ouverte

Il lisait, éclair après éclair, fulgurants, innombrables,

Les chapitres du roman métaphysique de la Nature,

Son idylle de la quête de l’âme vers la Réalité perdue

Et ses fictions tirées d’un fait authentique: l’esprit,

Ses caprices et ses vanités et ses intentions fermées à clef,

Ses bizarreries audacieuses et insaisissables, et ses virages mystifiants.

Il voyait les somptueuses enveloppes de son mystère

Qui cachent dans leurs plis son désirable corps,

Les étranges figures significatives qui tissent sa robe,

Ses linéaments révélateurs de l’âme des choses

Les fausses transparences qui colorent son intention,

Ses riches brocarts cousus de chimères imagées

Et ses masques changeants et les broderies de ses déguisements.

Mille faces de la Vérité, déconcertantes,

Regardaient le Roi du fond de leurs formes

Avec des yeux inconnus,

Et des bouches méconnaissables, sans mots,

Parlaient derrière les visages de sa mascarade

Ou le dévisageaient sous l’énigmatique magnificence

Et la splendeur habile de ses draperies.

En de soudaines scintillations de l’inconnu,

Des sons qui n’expriment rien devenaient véridiques,

Des idées qui semblaient sans sens faisaient étinceler la vérité;

Des voix venues de mondes futurs, invisibles,

Articulaient les syllabes du Jamais-manifesté

Pour vêtir le corps du Verbe mystique;

Et les diagrammes magiques de la Loi occulte

Gardaient scellée une indéchiffrable harmonie exacte

Ou se servaient des couleurs et des formes pour reconstituer

Le blason héraldique des secrets du Temps.

Dans ses solitudes vertes et ses profondeurs terrées,

Dans ses buissons de joie où le danger embrasse le délice,

Il entrevoyait les ailes cachées de ses espoirs chanteurs

Une lueur de bleu et d’or et de feu écarlate.

Dans ses allées couvertes, à la lisière de ses sentiers chanceux,

Près du murmure de ses ruisseaux et de ses lacs tranquilles

Il découvrait les fruits d’or de son ardente félicité

Et la beauté méditative de ses fleurs de rêve.

Comme un miracle du cœur changé par la joie

Il regardait dans l’alchimie radieuse de ses soleils

L’éclatement pourpre d’une unique fleur séculaire

Sur l’arbre du sacrifice de l’amour divin.

Dans la splendeur endormie de ses midi, il voyait

Une perpétuelle répétition des heures,

La danse des libellules de la pensée sur le torrent du mystère

Effleurant sans jamais toucher la source de son murmure,

Et il entendait le rire rosé de ses désirs

Courant comme pour s’échapper des mains longtemps attendues,

Faisant tinter les bracelets charmeurs de sa danse des fantaisies.

Il se mouvait parmi les symboles vivants de son pouvoir occulte

Et sentait l’exacte précision de leurs formes:

Dans cette vie plus concrète que la vie des hommes

Battait le cœur vibrant de la réalité cachée:

Là, était incarné ce que, seulement, nous pensons et sentons,

Là, vivait dans son monde spontané ce qui, ici, prend des formes empruntées.

Compagnon de Silence de ses hauteurs austères

Accepté par sa grandiose solitude,

Le Roi partageait ses pics méditatifs

Là où la vie et l’existence sont un acte sacré

Offert à la Réalité par-delà

Et il la regardait lancer dans l’Infini

Les aigles mantelés de ses intentions,

Messagers de la Pensée vers l’inconnaissable.

Identifié à Elle en vision d’âme et en sens d’âme,

Entrant dans ses abîmes comme dans une maison,

Il devenait tout ce qu’Elle était, ou tout ce qu’Elle rêvait d’être,

Il pensait avec ses pensées et cheminait avec ses pas,

Vivait avec son souffle et sondait chaque chose avec ses yeux

Dans l’espoir d’apprendre le secret de son âme.

Témoin charmé et subjugué par ce qu’il voyait,

Il admirait la splendide façade de ses pompes et de ses jeux

Et les merveilles de ses inventions fertiles et difficiles

Et tressaillait à son appel irrésistible;

Passionné, il supportait les sorcelleries de sa puissance

Sentait s’abattre sur lui ses brusques volontés mystérieuses,

Ses mains qui pétrissent les destins dans leur poigne violente,

Son toucher qui émeut, ses pouvoirs qui captivent et contraignent.

Mais ceci aussi il vit:

Son âme qui pleurait au-dedans,

Ses vaines poursuites pour étreindre la vérité fuyante,

Ses espoirs au regard sombre qui se mariait au désespoir,

La passion qui possédait ses membres impatients,

Le tourment et l’ivresse de sa poitrine ardente,

Sa pensée qui peinait à la tâche, jamais satisfaite de ses fruits,

Son cœur qui ne capturait pas l’unique Bien-Aimé.

Toujours, il se trouvait devant une Force voilée qui cherche,

Une déesse exilée qui bâtissait une imitation de cieux,

Un Sphinx qui lève les yeux vers un Soleil caché.

Partout, il sentait proche un esprit dans les formes:

Cette présence passive était la force de leur nature;

Ceci seulement est réel dans les choses apparentes,

Même sur la terre, l’esprit est la clef de la vie,

Mais nulle part, les dehors solides n’en portent trace.

Sa marque sur les actes de la vie est indécouvrable.

Une douleur des hauteurs perdues est sa supplique.

Parfois seulement, se saisit une ligne incertaine

Qui semble suggérer une réalité voilée.

La vie le regardait en face avec de vagues contours brouillés

Offrant un tableau que les yeux ne savaient pas suivre

Une histoire qui n’était pas encore là écrite.

Tel un fragment de dessin à demi perdu

Les intentions de la vie fuyaient la poursuite du regard.

Le visage de la vie cache aux yeux le vrai moi de la vie;

Le sens secret de la vie est écrit dedans, au-dessus.

La pensée qui lui donne un sens vit loin au-delà;

Elle n’est pas visible dans son dessin à demi terminé.

En vain espérons-nous lire les signes déroutants

En vain, trouver le mot de la charade à demi jouée.

Le royaume de cette vie plus large nous livre seulement

Une pensée hermétique, quelque mot couvert qui interprète,

Qui fait du mythe terrestre un conte intelligible.

Quelque chose se voyait enfin qui avait un air de vérité.

Mais dans la pénombre d’un mystère périlleux

L’œil qui scrute la moitié obscure de la vérité

Distinguait une image vivante au milieu d’un flou,

Puis, plongeant dans une brume aux teintes subtiles,

Le Roi vit un dieu enchaîné, à demi aveugle,

Égaré dans le monde où il bougeait

Et pourtant conscient de quelque lumière qui poussait son âme.

Attiré par d’étranges miroitements au loin,

Conduit par la flûte enchantée d’un Joueur lointain

Le dieu cherchait son chemin parmi les appels et les rires de la vie

Dans le chaos de traces de ses myriades de pas

En quête de quelque infinitude profonde, totale.

Autour de lui, la forêt dense des signes de la vie:

Au hasard, il lisait les flèches bondissantes de la Pensée

Touchant la cible à la devinette ou, par chance lumineuse,

Déchiffrant la route à la lanterne colorée de ses idées changeantes

Et les signaux de ses événements subits et incertains,

Les hiéroglyphes de son apparat symbolique

Et ses jalons sur les chemins enchevêtrés du Temps.

Dans le dédale de ses avances et de ses reculs

De tous côtés, elle l’attire et le rebute,

Mais sitôt proche, elle s’échappe de ses bras;

Par tous les chemins, elle l’entraîne, mais nul chemin n’est sûr.

Séduit par les mille accents merveilleux de son chant,

Captivé par la sorcellerie de ses humeurs

Saisi de joie et de chagrin lorsqu’elle le touche en passant,

Il se perd en elle sans la gagner jamais.

Un paradis fugitif lui sourit par ses yeux;

Il rêve de sa beauté à jamais sienne

Il rêve de maîtriser son corps

Il rêve de l’enchantement de sa poitrine de délice.

Dans les enluminures de son grimoire,

Dans sa traduction fantaisiste du pur texte original de Dieu

Il croit lire l’Écriture du Merveilleux,

La clef hiératique des béatitudes inconnues.

Mais le Mot de Vie est caché dans le grimoire,

Le chant de Vie a perdu sa note divine.

Inaperçu, captif dans une maison de bruit,

Perdu dans la splendeur d’un rêve,

L’esprit écoute une ode d’illusion aux mille voix.

Une tendre trame de sorcellerie gagne le cœur

Ou une magie brûlante allume ses notes et ses couleurs,

Pour éveiller seulement le frisson d’une grâce éphémère;

Une marche errante, ballottée par le Temps vagabond

Invoquait un bref délice insatisfait

Ou se vautrait dans les ravissements du mental et des sens

Mais laissait passer la lumineuse réponse de l’âme.

Un battement de cœur aveugle trouvait la joie par les larmes,

Un soupir vers des pics éternellement inatteints

Une délectation de désir inaccompli

Poursuivent jusqu’au bout la voix de la vie dans sa grimpée vers les cieux.

Les souvenirs des souffrances passées se transmuent

En une douce traîne d’évasions de la vieille tristesse:

Ses larmes se changent en diamant de douleur précieuse,

Ses chagrins, en une guirlande de chansons enchantées.

Un moment, elle capture la félicité

Qui touche la surface, puis s’échappe ou meurt:

L’écho d’une mémoire perdue se répète dans ses gouffres

Une immortelle nostalgie est sienne, l’appel d’un moi voilé;

Prisonnier dans l’enclos d’un monde mortel

Un esprit blessé par la vie pleure dans sa poitrine;

Une souffrance chérie est son cri le plus profond.

Vagabonde sur des routes désespérantes et désolées

Une vaine voix au long des rues bruyantes,

Abandonnée, implore un bonheur oublié.

Égarée dans les cavernes résonnantes du Désir,

Elle abrite le fantôme des espoirs morts d’une âme

Et garde vivant le cri des choses péries,

Ou s’attarde à de tendres notes errantes

Et poursuit le plaisir au cœur de la douleur.

Une main fatale a touché la harpe cosmique

Et l’intrusion d’un accent tourmenté

Recouvre la clef cachée de la musique intérieure

Inentendue, qui guide les cadences de la surface.

Pourtant, c’est une joie de vivre et de créer

Et une joie d’aimer et d’œuvrer, quand même tout échoue

Et une joie de chercher, quand même toutes nos découvertes trompent

Et tous nos soutiens trahissent notre foi;

Et pourtant, dans les profondeurs, quelque chose valait la peine,

Une mémoire passionnée nous hante d’un feu de ravissement.

Sous ses racines, même le chagrin cache une joie:

Car rien n’est vraiment vain qui fut créé par l’Un:

Dans nos cœurs vaincus, la force de Dieu survit

Et l’étoile de la victoire éclaire encore notre route désespérée;

Notre mort est un passage vers des mondes nouveaux.

Par cet hymne de joie, l’Un soulève la musique de la Vie.

À toute chose, la Vie prête la gloire de sa voix;

L’extase des cieux murmure à son cœur, et passe,

Les désirs passagers de la terre crient par ses lèvres, et s’effacent.

Seul, l’hymne donné par Dieu échappe à son art,

Qui était venu avec elle de son pays spirituel

Mais arrêté à mi-chemin et manqué,

Un Verbe silencieux qui vibre en quelque point d’orgue profond des mondes en attente,

Un murmure suspendu dans les calmes de l’éternité:

Mais nul souffle ne vient de la paix suprême:

Un somptueux interlude occupe l’oreille

Et le cœur écoute, et l’âme consent;

Elle répète une musique évanescente

Et gaspille sur l’éphémère l’éternité du Temps.

Les trémolos de la voix des heures oublieuses

Recouvrent le haut thème prévu

Que l’esprit était venu jouer dans son propre corps

Sur le vaste clavicorde des Forces de la Nature.

Seul, ici et là, un grandiose murmure

Du Verbe éternel, de la Voix bienheureuse,

Ou une note de Beauté qui transfigure le cœur et les sens,

Une splendeur errante, un cri mystique,

Rappelle la puissance et la douceur qui ne sont plus entendues.

Tel est le gouffre,

Ici s’arrête ou sombre la force de vie;

Ce hiatus frappe d’indigence l’habileté de la magicienne:

Par cette lacune, tout le reste semble mince et vide.

Une demi-vue ferme l’horizon de la force et de ses actes;

Ses abîmes se souviennent de ce qu’elle était venue faire

Mais le mental a oublié, ou le cœur s’égare:

Dans les voies sans fin de la Nature, le Dieu se perd.

Résumer l’omniscience dans la connaissance

Bâtir l’Omnipotent dans l’action,

Créer ici son Créateur était la vanité de son cœur,

Envahir la scène cosmique avec Dieu total.

Peinant à la tâche pour transformer ce lointain Absolu immobile

En une totale épiphanie accomplie,

En une expression de l’ineffable,

Elle voulait apporter ici la gloire de la force de l’Absolu,

Changer le stable en une danse rythmique de la création,

Marier un ciel de calme à une mer de félicité.

Un feu pour appeler l’éternité dans le Temps

Et que la joie du corps soit aussi vivante que celle de l’âme,

Elle voulait soulever la terre au voisinage des cieux,

Labourer la vie pour l’égaler au Suprême

Et réconcilier l’Éternel avec l’Abîme.

Son pragmatisme de la Vérité transcendante

A peuplé le silence avec les voix des dieux,

Mais dans ce cri, l’unique Voix est perdue.

Car la vision de la Nature grimpe par-delà ses actes.

Une vie des dieux au ciel est ce qu’elle voit au-dessus,

Un demi-dieu sorti d’un singe

Est tout ce qu’elle peut dans notre élément mortel.

Ici, le demi-dieu et le demi-titan sont ses sommets:

Cette vie plus large oscille et flotte entre la terre et le ciel.

Un paradoxe poignant poursuit ses rêves:

Son énergie aux yeux bandés pousse un monde ignorant

À chercher une joie que la passion de sa propre étreinte retarde:

Dans son embrasse, cette joie ne peut pas se tourner vers sa source.

Immense est son pouvoir, sans fin la vaste fougue de ses actes,

Dévoyé et perdu est son sens.

Bien qu’elle porte dans sa poitrine secrète

La loi et la courbe voyageuse de toutes choses nées,

Sa connaissance semble partielle, étroit son but;

Sur un sol assoiffé, elle traîne des heures somptueuses.

Une Nescience de plomb pèse sur les ailes de la Pensée,

Sa puissance étouffe l’être sous les vêtements qu’il porte,

Son action emprisonne le regard immortel.

Un sens des limites hante ses maîtrises

Et nulle part n’est sûre la paix ni la satisfaction:

En dépit de toute la profondeur et la beauté de ses œuvres

Une sagesse manque qui délivrerait l’esprit.

Un vieux charme fané marquait déjà le visage de cette Vie plus large

Son curieux folklore fantasque semblait fade pour le Roi;

Le vaste de son âme réclamait une joie plus profonde que la sienne.

Il cherchait une sortie de ce dédale de chemins;

Mais nulle porte des songes réalisés n’apparaissait

Ni de poterne pour les yeux de l’esprit.

Il n’y avait pas d’issue de cet espace de rêve.

Notre être doit marcher éternellement à travers le Temps;

La mort ne nous aide pas, vain est l’espoir de cesser;

Une Volonté secrète nous oblige de durer.

Le repos de notre vie est dans l’Infini;

Elle ne peut pas finir, sa fin est la Vie suprême.

La mort est un passage, non le but de notre marche:

Une impulsion ancienne, profonde, laboure et continue:

Nos âmes sont tirées comme par une laisse cachée,

Portées de naissance en naissance, de monde en monde;

Après la chute du corps, nos actes prolongent

Le vieux voyage perpétuel sans halte.

Nul pic silencieux n’existe où le Temps puisse se poser.

C’était un torrent magique qui n’arrivait à aucune mer.

Aussi loin qu’allait le Roi, où qu’il se tourne,

La roue des œuvres courait avec lui, et le dépassait;

Toujours, une nouvelle tâche restait à faire.

Un vent de combat et un cri de recherche

Grandissaient à jamais dans ce monde tourmenté;

Un murmure affairé emplissait le cœur du Temps.

Tout était machination et remuement sans trêve,

Cent façons de vivre s’essayaient en vain:

Une même chose feignait mille formes

Cherchait à s’évader de sa longue monotonie

Et créait de nouvelles choses, qui bientôt étaient comme les vieilles.

Un curieux décor trompait l’œil

Et les valeurs nouvelles fourbissaient d’anciens thèmes

Trichant le mental avec une idée de changement.

Un autre tableau, qui était toujours le même,

Apparaissait sur un vague arrière-fond cosmique.

Un autre logement seulement, labyrinthien,

Avec ses créatures et ses affaires et ses événements,

Une cité du trafic des âmes enchaînées,

Un marché des modes et de leurs marchandises

S’offrait à la peine du mental et du cœur.

Une ronde qui finit là où elle a commencé

Se fait appeler la marche éternelle en avant

Du progrès sur la route inconnue de la perfection.

Chaque système définitif conduit au plan qui suit.

Pourtant, chaque départ nouveau semble le dernier:

L’évangile inspiré, l’ultime pic de la théorie

Proclamant une panacée pour tous les maux des Temps

Ou portant la pensée à l’ultime zénith de son envol

Et sonnant la trompette de la suprême découverte;

Chaque brève idée, chaque structure périssable

Publie l’immortalité de son règne,

Sa prétention à la parfaite forme des choses,

Le dernier épitomé de la Vérité, l’élixir d’or du Temps.

Mais rien n’a été accompli qui ait une valeur infinie:

Un monde sans cesse recommencé, jamais complet

Empilait toujours ses demi-tentatives sur des tentatives perdues

Et prenait un fragment pour le Tout éternel.

Dans l’addition montante des choses faites, sans objet,

L’existence semblait le théâtre d’une vaine nécessité,

Une lutte d’éternels contraires

Enlaçant leur antagonisme dans un corps à corps serré,

Un drame sans dénouement et sans idée,

Une marche affamée de vies sans but,

Ou, sur le tableau noir vide de l’Espace,

Une futile somme d’âmes, périodique,

Un espoir qui échouait, une lumière jamais rayonnante,

Le labeur d’une Force inaccomplie

Enchaînée à ses actes dans une obscure éternité.

Il n’y a pas de fin, ou nulle n’est visible à présent:

Même défaite, la vie doit lutter encore;

Toujours elle voit une couronne qu’elle ne sait pas saisir;

Ses yeux sont fixés par-delà cet état déchu.

Dans sa poitrine, comme dans la nôtre, encore palpite

Une gloire qui fut autrefois et n’est plus,

Ou quelque au-delà inaccompli nous appelle

À une grandeur encore insaisie par ce monde claudicant.

Dans une mémoire derrière nos sens mortels

Un rêve persiste, d’un air plus large et plus heureux

Où la joie et l’amour respirent par des cœurs libres,

Oublié par nous, immortel en Temps perdu.

Un fantôme de félicité poursuit les gouffres hantés de la vie;

Car elle se souvient encore, mais si loin maintenant,

D’un règne d’aise doré et de désir heureux

Et d’une beauté et d’une vigueur et d’un bonheur qui étaient à elle

Dans la douceur de son paradis des aurores,

Dans le royaume d’une extase immortelle

À mi-chemin entre le silence de Dieu et les Abîmes.

Cette connaissance, nous la gardons dans nos éléments cachés;

Lorsque s’ouvrent les yeux à l’appel d’un vague mystère

Nous rencontrons une Réalité profonde, inaperçue,

Tellement plus vraie que la face de la Vérité présente du monde:

Nous sommes poursuivis par un moi dont nous ne nous souvenons plus maintenant

Et poussés par un Esprit que nous ne sommes pas encore devenus.

Comme un égaré qui a perdu le royaume de son âme,

Nous regardons en arrière vers quelque phase divine de notre naissance

Autre que cette créature imparfaite ici

Et nous espérons, dans ce monde ou un autre plus divin,

Retrouver quand même, à l’abri patient des Cieux,

Ce qui nous manque par l’oubli de notre mental:

La félicité naturelle de notre être,

La joie de notre cœur, troquée pour le chagrin,

L’ivresse du corps, trafiquée pour de la pure douleur,

Le bonheur auquel aspire notre nature mortelle

Comme le phalène obscur aspire à la Lumière brûlante.

Notre vie est une marche à la victoire jamais gagnée.

Ce ressac d’être qui a soif de délice

Ce tourbillon avide de forces insatisfaites

Ces longues caravanes d’espoirs lointains qui luttent de l’avant

Lèvent des yeux adorateurs vers un Vide bleu appelé ciel

Guettant la Main d’or jamais venue,

L’avènement que toute la création attend,

Le visage merveilleux de l’Éternité

Apparaissant sur les routes du Temps.

Et pourtant, à nous-mêmes, rallumant la foi, nous nous disons:

“Oh! sûrement, un jour, il viendra à notre appel

Un jour, il recréera notre vie à neuf

Et prononcera la formule magique de la paix

Et il apportera la perfection dans l’ordre des choses.

Un jour, il descendra dans la vie et sur la terre

Quittant le mystère des portes éternelles,

Il viendra dans un monde qui crie à son secours,

Et il apportera la vérité qui délivre l’esprit,

La joie qui est le baptême de l’âme,

La force qui est le bras tendu de l’Amour.

Un jour, il soulèvera le redoutable voile de sa beauté,

Il imposera la joie au cœur battant du monde

Et mettra à nu son corps secret de lumière et de félicité.”

Mais maintenant, nous peinons pour atteindre un but inconnu:

Il n’y a point de fin à la recherche et à la naissance,

Il n’y a point de fin à la tombe et au retour;

La vie qui trouve son but demande un but plus grand,

La vie qui manque le but et meurt doit vivre encore;

Tant qu’elle ne se trouve pas elle-même, elle ne peut point cesser.

Ce pour quoi la vie et la mort furent faites doit s’accomplir, jusqu’au bout.

Mais qui dira si, même alors, repos il y a?

Ou bien, repos et action sont pareils

Dans le cœur profond du suprême délice de Dieu.

Dans un haut état où l’ignorance n’est plus,

Chaque mouvement est une vague de paix et de félicité,

Le repos est l’immobile force créatrice de Dieu,

L’action, une onde dans l’Infini

Et la naissance, un geste de l’Éternité.

Un soleil transfigurateur peut briller encore

Et la Nuit, mettre à nu son noyau de lumière mystique;

Le paradoxe de notre propre destruction et de notre propre affliction

Pourrait se changer en un mystère de notre propre lumière radiante,

L’imbroglio, en un miracle joyeux.

Alors, ici, Dieu pourrait être visible et, ici, prendre une forme;

L’identité de l’esprit serait dévoilée,

La vie révélerait sa face vraie, immortelle.

Mais maintenant, un labeur sans limite est son destin:

Dans la décimale récurrente de ses événements

La naissance et la mort semblent être ses ponctuations vibrantes;

Le vieux point d’interrogation margine chaque page finie

Achève chaque volume de l’histoire de son effort.

Un Oui claudicant voyage encore à travers les âges

Accompagné d’un Non éternel.

Tout semble en vain, mais sans fin est le jeu.

Impassible, la Roue tourne à jamais,

La vie n’a pas d’issue, la mort n’apporte pas la délivrance.

Prisonnier de lui-même, l’être vit

Et garde sa futile immortalité;

Le néant, son unique évasion, est refusé.

Une erreur des dieux a fait le monde.

Ou bien, indifférent, l’Éternel attend le Temps.

FIN DU CHANT SIX

in Russian

in English