Sri Aurobindo
Savitri
A Legend and a Symbol
traduction de Satprem
Livre Deux: Le Livre du Voyageur des Mondes
Chant Neuf
Le Paradis des Dieux de la Vie
Autour de lui, brillait un grand Jour de félicité.
Reflet de quelque Infini de ravissement,
Il embrassait dans la splendeur de son rire d’or
Les régions de la joie du cœur délivré,
Enivré du vin de Dieu,
Plongé dans la lumière, perpétuellement divin.
Aimé et intime des Dieux,
Obéissant au divin commandement de joie,
Ce monde était le souverain de son propre délice
Et maître des royaumes de sa force.
Sûr de la félicité pour laquelle furent créées toutes les formes,
Intouché par la peur et le chagrin et des chocs du Destin
Insoucieux du souffle passager du Temps
Introublé par le siège des circonstances adverses,
Il respirait à l’aise dans une douce sécurité sans défense
Libre des faiblesses qui invitent la mort de notre corps,
Hors de la zone dangereuse de notre volonté chancelante.
Il n’avait nul besoin de réprimer ses battements passionnés;
Vibrant de la chaude étreinte des sens satisfaits,
Pris par le merveilleux galop et la flamme
Et le cri de la fougue vitale dans l’ardeur de sa course splendide,
Il vivait dans le rythme exact du rire de Dieu
Et reposait sur la poitrine de l’amour universel.
Invulnérable et sans entraves, l’Esprit de Délice
Laissait vagabonder les troupeaux de son soleil
Et ses flocons de lune
Près du bruissement lyrique des torrents sans chagrin
Dans la fragrance de l’asphodèle sacré.
Un silence de félicité enveloppait les cieux,
Une radiance sans fin souriait sur les hauteurs;
Un murmure de ravissement sans paroles
Tremblait dans les vents et caressait le sol enchanté;
Dans les bras d’un bonheur qui ne cessait pas
Répétant sa note d’harmonie spontanée
Les heures coulaient comme un sanglot d’extase.
Le Roi allait sous un firmament de gloire et de paix,
Voyageur des hauts plateaux et des crêtes méditatives,
Il regardait par le cristal du Magicien des mondes
La prodigieuse imagerie des paysages d’âme à tire-d’aile,
Il traversait des scènes de joie immortelle
Et contemplait des abîmes de beauté et de béatitude.
Autour de lui, brillait une lumière de soleils conscients
Et l’allégresse des grands symboles à venir;
Des plaines peuplées de rayonnante sérénité s’ouvraient à lui,
Des montagnes violettes et des vallées Fortunées
Des ravines de joie profonde et des cascades frémissantes
Et des forêts bruissantes de solitude pourpre;
Au-dessous de lui s’étendaient, tels des joyaux de pensées qui scintillent
Les cités des rois Gandharva1, plongées dans leur rêve.
À travers les vibrations secrètes de l’Espace
Une lointaine musique heureuse ondoyait furtivement; Contre son cœur il entendait passer,
Touchée par d’invisibles mains,
Le son de la harpe des ménestrels divins,
Et des voix d’une mélodie d’ailleurs
Chantaient la gloire de l’amour éternel
Dans l’air bleuté de lune du Paradis.
Au sommet et au centre de ce monde merveilleux,
À l’écart, se dressaient de hautes collines élyséennes sans nom
Brûlant comme des couchers de soleil dans une transe de vigile.
Comme en quête de quelque profondeur inexplorée
Leur assise plongeait dans une tranquille félicité;
Leurs pentes coulaient dans une hâte de rires et de voix,
Traversées par une exubérance de ruisselets bruissants
Adorant le bleu du ciel de leur hymne heureux,
Puis s’enfonçaient dans une forêt d’ombres secrètes:
Là-haut, perdus dans le vaste mystère silencieux,
Leurs pics grimpaient vers une grandeur par-delà la vie.
Les brillants Éden des dieux vitaux
L’accueillaient dans leurs harmonies immortelles.
Tout ce qui fleurit dans le Temps était parfait là;
Là, la Beauté était le moule natif de la création,
La Paix était un frisson de pureté voluptueuse.
L’Amour, là, accomplissait ses rêves d’or rosé
Et la Force, ses puissantes rêveries triomphantes;
Le Désir grimpait comme une flamme rapide et toute-puissante
Et le Plaisir avait la taille des dieux;
Les rêves couraient par la grand-route des étoiles;
Les douces choses banales se changeaient en miracle:
Surpris par la soudaine magie de l’esprit,
Épris par l’alchimie d’une passion divine,
Le moi de douleur, irrésistiblement, se transformait en joie intense
Guérissant l’antithèse du ciel et de l’enfer.
Là, toutes les hautes visions de la vie sont incarnées,
Ses espoirs vagabonds accomplis, ses ruches dorées
Saisies par la langue agile du buveur-de-miel,
Ses devinettes brûlantes, changées en vérités éblouies,
Ses puissants halètements, apaisés dans le calme immortel
Et ses immenses désirs, libérés.
Dans ce Paradis du cœur et des sens parfaits
Nulle note d’en bas ne pouvait briser
Le charme intarissable de sa douceur ardente et immaculée;
Les pas de la vie étaient sûrs de leur chute intuitive.
Après le tourment de la longue lutte de l’âme
Enfin le calme et le repos célestes étaient trouvés
Et, bercé par le flot magique des heures sans chagrin
Les blessures de sa nature guerrière se guérissaient
Dans les bras enveloppants des Énergies aimantes
Qui ne souffrent pas de tache et ne craignent pas leur propre délice.
En des sites interdits à la pâleur de nos sens
Parmi de miraculeuses senteurs et des teintes merveilleuses
Il découvrait les formes qui divinisent la vue,
Écoutait une musique qui peut immortaliser la pensée
Et faire le cœur aussi vaste que l’infini,
Et il captait les inaudibles cadences
Qui éveillent l’oreille secrète:
De l’ineffable silence, elles viennent,
Tremblantes de la beauté d’une langue sans mots
Et de pensées trop grandes et trop profondes pour trouver une voix;
Des pensées dont le vouloir refait à neuf l’univers.
Une gamme de sens qui grimpait avec des notes de feu
À des hauteurs de joie jamais imaginée
Remodelait l’aura de son être en une luminescence de félicité,
Son corps irradiait comme une coquille d’azur;
Ses portes sur le monde étaient balayées par une marée de lumière.
Douée de moyens célestes, sa matière
Abritait un pouvoir qui, maintenant,
N’avait plus besoin de traverser
Les barrières douanières fermées du mental et de la chair
Pour passer en contrebande la divinité chez les hommes.
Cette matière ne reculait plus devant la suprême exigence
D’une capacité de béatitude sans fatigue,
D’une force qui pouvait explorer son propre infini
Et sa beauté et sa passion, et la réponse des abîmes,
Ni n’avait peur de défaillir dans l’heureuse identité
Où l’esprit et la chair se fondent dans une extase intérieure
Annulant la querelle entre le moi et la forme.
De la vue et des sons, sa matière tirait une force spirituelle,
Faisait des sens un pont pour toucher l’intangible:
La matière était pénétrée par les influences divines
Qui bâtissent la substance de l’âme profonde de la vie.
La nature terrestre naissait à neuf, camarade des cieux.
Digne compagnon des Rois immémoriaux,
Égal des dieux Solaires vivants,
Il partageait les passe-temps radieux du Sans-naissance,
Entendait les murmures du Joueur jamais vu
Écoutait sa voix qui captive le cœur
Et nous tire contre la poitrine du désir de Dieu,
Et il sentait son miel de félicité
Couler dans ses veines comme les rivières du Paradis
Faisant de son corps une coupe de nectar de l’Absolu.
En des moments subits de flamme révélatrice,
En des réponses passionnées, presque dévoilées
Il touchait un horizon d’extases inconnues;
Un suprême toucher surprenait son cœur battant,
Un embrassement qui rappelait le Merveilleux,
Et des échappées jaillissaient des blanches béatitudes.
L’éternité s’approchait sous un déguisement d’Amour
Et posait sa main sur le corps du Temps.
Un infime don descend des Immensitudes
Mais son gain de joie est infini pour la vie;
Tout l’Au-delà fabuleux se reflète ici.
Une goutte géante de l’inconnaissable Béatitude
Envahissait ses membres
Et autour de son âme devenait
Un océan de félicité de feu:
Il a coulé, noyé dans une Vastitude douce et brûlante:
Terrible délice qui pourrait briser la chair mortelle,
Il supportait le ravissement qui porte les dieux.
Un plaisir immortel le purifiait dans ses vagues
Et changeait ses forces en un pouvoir impérissable.
L’Immortalité s’emparait du Temps et portait la Vie.
FIN DU CHANT NEUF
1 Chantres et musiciens célestes dans les cieux d’Indra.