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Sri Aurobindo

Savitri

A Legend and a Symbol

traduction de Satprem

Livre Quatre: Le Livre de la Naissance et de la Quête

Chant Quatre
La Quête

Les chemins du monde s’ouvraient devant Savitri.

Tout d’abord, l’étrangeté des scènes nouvelles colorées

Peuplait son mental et retenait son regard physique.

Mais à mesure qu’elle allait ici et là par la terre changeante

Une conscience plus profonde affleurait en elle:

Native de bien des scènes et des climats

Elle avait fait son foyer de chaque sol et chaque pays

Elle avait fait siens tous les clans et tous les peuples

Et finalement, toute la destinée de l’espèce était sienne.

Ces terres étranges sur son chemin

Étaient connues et proches d’un sens intérieur;

Les paysages revenaient comme des champs oubliés,

Les cités et les fleuves et les plaines appelaient ses yeux

Comme de lentes mémoires qui renaissaient devant elle,

Les étoiles de la nuit étaient le scintillement de vieilles amies,

Les vents murmuraient d’anciennes histoires,

Elle rencontrait des frères sans nom, jadis aimés.

Tout était un fragment d’anciens moi oubliés.

Vaguement, ou dans un éclair de soudaine suggestion

Ses actes mêmes lui rappelaient une ligne de force disparue,

Même le but de sa marche n’était pas nouveau:

Voyageuse d’un haut événement préfiguré

Son âme-témoin se souvenait,

Il lui semblait retrouver la trace d’une route souvent faite.

Un Guide fait tourner les roues muettes

Et dans le char de cette course passionnée,

Obscurément masquées, les yeux bandés,

Les déesses chevauchent et vont

Immuablement assignées près de l’homme dès sa naissance,

Dépositaires de la loi intérieure et extérieure

Exécutantes de la volonté de son esprit

Et en même temps témoins et exécutrices de son destin.

Inexorablement fidèles à leur tâche,

Gardiennes des séquences de sa nature

Elles gardent intact le fil tissé par les vieilles vies.

Compagnes du chemin mesuré de son destin

Qui conduisait à des joies gagnées par lui et à des peines appelées par lui,

Elles interviennent jusque dans ses pas les plus fortuits.

Rien de ce que nous faisons ou pensons n’est vain ni nul;

Chaque acte, chaque pensée est une énergie lancée

Et garde son erre.

Les scribes fantômes de notre passé jamais mort

Font de notre destin l’enfant de nos propres actes,

Et dans les sillons creusés par notre volonté

Nous récoltons le fruit de nos gestes oubliés.

Mais puisque l’arbre est invisible, qui a porté ce fruit,

Et puisque nous vivons dans un présent né d’un passé inconnu,

Ces actes semblent l’effet d’une Force mécanique

Pour notre mental mécanique lié par les lois de la terre;

Et pourtant, les déesses masquées sont l’instrument d’une Volonté suprême.

Silencieusement elles sont suivies d’en haut par un Œil omnivoyant.

Un architecte prescient du Destin et du Hasard

Bâtit nos vies sur un plan prévu

Connaît le sens et la conséquence de chaque pas

Et regarde les énergies d’en bas qui trébuchent.

Sur ses hauteurs silencieuses, Savitri était consciente

D’une calme Présence sise au-dessus de son front

Qui voyait le but et choisissait chaque tournant fatidique;

Cette Présence se servait du corps comme d’un piédestal,

Les yeux qui erraient au hasard étaient les feux de Son phare,

Les mains qui tenaient les rênes étaient Ses outils vivants;

Tout était l’opération d’un ancien plan

Un chemin préparé par un infaillible Guide.

Au long des grands midis et des après-midi brûlantes,

Elle regardait la Nature et les formes humaines,

Elle écoutait les voix du monde;

Muette dans les cryptes lumineuses de son cœur,

Poussée du dedans, elle suivait sa longue route

Tel un nuage léger par un jour resplendissant.

Au début, son chemin courait par des étendues peuplées:

Reçue aux portes royales des États

Et au théâtre des actes bruyants de l’homme

Son char sculpté aux roues ciselées

Traversait des marchés criards et des tours de guet

Des portails ornés et de hauts frontons sculptés de rêves

Et des jardins suspendus dans le saphir du ciel,

Des salles hypostyles et leurs gardiens en armes,

Des petits sanctuaires où seule une Image tranquille regardait la vie des hommes

Et des temples taillés comme par des dieux exilés

Pour imiter leur éternité perdue.

Parfois, du crépuscule doré à l’aube d’argent

Tandis que les chandeliers gemmés papillotaient sur les fresques murales

Et les entrelacs de pierres béaient sur les arbres au clair de lune,

À demi consciente, à l’écoute de la nuit tardive,

Vaguement elle glissait entre les rives du sommeil

Reposant dans le palais somnolent des rois.

Des hameaux et des villages voyaient passer le char du destin,

Logis d’une vie courbée sur le sol qu’elle laboure

Pour nourrir ses brefs jours passagers

Qui répètent leur vieille ronde éphémère

Immuablement dans l’orbite d’un ciel

Invariable sur notre labeur mortel.

Loin des heures lourdes de cette créature pensante

Savitri maintenant se tournait vers des espaces libres et sans chagrin

Encore introublés par les joies et les craintes humaines.

Là, verdoyait l’enfance de la terre première

Là, les rêveries sans temps, vastes et heureuses et sereines

Lorsque les hommes n’avaient pas encore empli le monde de leurs soucis,

Steppes impériales de l’éternel semeur

Prairies couchées sous les vents et clignotant au soleil

Vertes songeries des bois et des collines au front échevelé

Bocages bruissants et bourdonnants d’abeilles sauvages

Ou le lent murmure d’argent des fleuves en crue;

Ainsi courait le char de l’épouse d’or

Tel un espoir voyageur en hâte de ses rêves.

Du fond de l’immense passé du monde sans hommes

Montaient des pistes de mémoire et des vestiges sans âge;

Des domaines de lumière dans un fief de calme antique

Écoutaient le son insolite de ce galop,

Ou de vastes silences inviolés

Absorbaient la voyageuse dans leur cachette d’émeraude

Et la lente magie chuchotante des fées fleuries

Enlaçait ses roues dans leurs filets colorés.

Les puissants pas harcelants du Temps

Tombaient doucement sur ces chemins solitaires,

Sa marche de titan, oubliée

Et ses cycles de ruines inexorables.

L’oreille intérieure à l’écoute de la solitude

Penchée sur ses propres profondeurs sans bornes

Pouvait entendre le rythme intense de la Pensée sans mot

Qui se blottit dans le silence derrière la vie;

Et dans la grandiose passion de son sommeil sous les caresses du soleil

La tendre voix sourde de la terre balbutiante

Montait avec son murmure de soif.

Loin de la clameur brute des nécessités criantes

Le mental toujours en marche, apaisé, pouvait sentir,

Tranquille derrière les dehors aveugles de sa volonté,

L’embrasse inlassable de la terre aimante, patiente, muette

Et savoir que la mère de nos formes est une âme.

Cet esprit qui se cogne dans l’arène des sens

Cette créature meurtrie dans le mortier des jours

Pouvait trouver en elle de vastes espaces de délivrance.

Ce monde n’était pas encore tout occupé par le souci.

La poitrine de notre mère gardait encore pour nous

Ses régions austères et ses profondeurs méditatives

Ses étendues impersonnelles, perdues et inspirées

Et la puissance de ses antres d’extase.

La muse de ses lèvres couvrait le symbole de ses mystères

Et gardait pour ses yeux purs le sacrement

De ses cavernes et ses vallons dans sa poitrine de joie,

Les autels de ses montagnes pour les feux de l’aurore

Et les plages nuptiales où l’océan dormait

Et l’immense psalmodie de ses bois prophétiques.

Elle avait des prairies pour son rire solitaire

Des plaines paisibles et heureuses dans les bras de la lumière,

Seule avec le cri des oiseaux, le coloris des fleurs

Et les merveilles sauvages allumées par ses lunes

Et de sages soirs sans éclat qui s’illuminaient aux étoiles

Et d’obscurs frémissements dans l’infinitude de la nuit.

Souveraine, elle exultait sous l’œil de son Créateur

Elle sentait son intimité dans la poitrine de la terre

Parlait encore à une Lumière derrière le voile

Communiait encore avec l’Éternité par-delà.

Elle appelait de rares terriens doués

À partager la joyeuse communion de sa paix;

Le vaste, les sommets étaient leur pays naturel.

Les valeureux et sages rois, leur devoir terminé,

Libérés de la tension guerrière de leur tâche,

Venaient dans la sérénité de ces assises sauvages;

La lutte était finie, le répit s’ouvrait devant eux.

Heureux, ils vivaient avec les oiseaux et les bêtes et les fleurs

Et les rayons du soleil et le bruissement des feuilles,

Ils écoutaient les vents d’orage rouler dans la nuit

Rêvaient avec les étoiles dans leurs immuables constellations muettes

Et logeaient dans les matins comme sous une tente d’azur

Et ne faisaient qu’un avec la gloire des midis.

Quelques-uns plongeaient plus profond;

Délivrés de l’étreinte extérieure de la vie

Appelés par un intime secret brûlant

En ce fond d’âme à l’étoile blanche inassaillie

Ils partageaient une Félicité à jamais vivante;

Dans l’extase et le silence, ils entendaient une Voix profonde

Contemplaient une Lumière qui révèle tout.

Toutes les différences créées par le Temps étaient dépassées,

Les fibres du monde vibraient avec les cordes de leur propre cœur;

Intimement proches du cœur qui bat dans chaque poitrine,

Ils arrivaient au moi qui est un en tous

Par l’amour sans limites.

Accordés au Silence et à la cadence du monde,

Ils dénouaient le nœud de l’emprisonnement mental;

Le vaste regard imperturbé du témoin était atteint,

Le grand œil spirituel de la Nature se dessillait;

Chaque jour, désormais, ils grimpaient au sommet des sommets:

La Vérité se penchait sur eux depuis son royaume suprême;

Au-dessus flamboyaient les soleils mystiques de l’éternité.

Sans nom, sans demeure les ascètes austères,

Abandonnant la parole, le mouvement, le désir,

Siégeaient à l’écart des créatures, immergés, seuls,

Immaculés dans les hauteurs sereines du moi

Concentrés sur les lumineux pics sans voix;

Les ermites aux cheveux torsadés, nus du monde,

Immobiles comme les grandes collines sans passion

Massées à l’entour telles les pensées de quelque vaste état d’âme,

Attendaient l’ordre de l’Infini pour finir.

Accordés à l’universelle Volonté, les voyants

Satisfaits en Celui-là qui sourit derrière les formes terrestres

Restaient inchagrinés par l’assaut des jours.

Autour d’eux, comme les arbres verts qui ceinturent la colline,

De jeunes et graves disciples façonnés par leur toucher,

Entraînés à l’acte simple et à la parole consciente,

Grandissaient en eux-mêmes et grimpaient vers leurs hauteurs.

Chercheurs venus de loin sur le sentier de l’Éternel

Amenés à ces tranquilles fontaines par la soif de leur esprit

Ils buvaient le trésor d’une heure silencieuse

Baignaient dans la pureté de ce regard de douceur

Qui, sans s’imposer, les conduisait dans sa paix

Et sous son influence trouvaient les chemins du calme.

Premiers Enfants de la monarchie des mondes,

Dirigeants héroïques d’un temps à venir,

Fils de rois nourris dans cet air large

Tels des lions qui gambadent au soleil et au ciel

Ils recevaient là, semi-consciemment, leur empreinte divine:

Formés sur le type des hautes pensées qu’ils chantaient

Ils apprenaient la vaste magnificence d’une musique d’âme

Qui nous fait camarades du souffle cosmique;

Sortis des chaînes de leur petit moi séparé,

Souples et fermes sous la main éternelle,

Ils affrontaient la Nature d’un bras audacieux et amical

Et servaient en elle l’Énergie qui façonne ses œuvres.

D’une seule âme avec tous,

Libres des liens qui étouffent

Larges comme un continent au soleil chaleureux

Dans la joie impartiale d’une égalité qui embrasse tout

Ces sages respiraient pour le délice de Dieu dans les choses.

Œuvrant à la lente éclosion des dieux

Semant des pensées immortelles dans les jeunes esprits

Ils enseignaient la grandiose Vérité

Que la race des hommes doit incarner,

Ou, à quelques-uns, ils ouvraient les portes de la liberté.

Transmettant la Lumière à notre monde en lutte

Ils respiraient comme des esprits délivrés du lourd carcan du Temps,

Camarades et instruments de la Force cosmique,

Ils se servaient d’une maîtrise naturelle comme celle du soleil:

Leurs paroles aidaient la terre, leur silence aidait la terre.

Un bonheur magique coulait à leur toucher;

L’Unité était la souveraine de cette paix sylvestre,

La bête sauvage rejoignait en sympathie sa proie;

Persuadant la haine et le conflit de cesser

L’amour qui coule du sein de l’unique Mère

Guérissait par leur cœur ce dur monde blessé.

D’autres s’évadaient des confins de la pensée

Là où le Mental dort sans mouvement, attendant la naissance de la Lumière,

Et revenaient frémissants d’une Force sans nom

Ivres d’un vin d’éclair dans leurs cellules;

La connaissance intuitive bondissait dans les paroles,

Saisis, vibrants, brûlants du mot inspiré,

Écoutant la voix subtile qui enveloppe les cieux,

Transportant la splendeur qui a allumé les soleils,

Ils chantaient les noms de l’Infini et les pouvoirs immortels

En des vers qui réverbéraient le mouvement des mondes,

Des ondes de son jaillissaient de la vision des abysses de l’âme.

Quelques-uns, nus de la personne et de ses bandelettes de pensée

Engloutis dans un immobile océan de Puissance impersonnelle,

Restaient là, grandioses, perdus dans la vision de l’infinie Lumière,

Ou, camarades de la Volonté éternelle,

Traçaient le plan des Temps passés et à venir.

Quelques-uns s’envolaient d’un coup d’aile

Hors des mers cosmiques

Et disparaissaient dans un Vaste ensoleillement sans fond;

D’autres, silencieux, regardaient la danse universelle,

Ou aidaient le monde par leur indifférence du monde.

D’autres ne regardaient plus, fondus dans un Moi solitaire

Absorbés dans une transe d’où nulle âme ne revient,

Toutes les lignes du monde occulte à jamais coupées,

Les chaînes de la naissance et de la personne rejetées:

Quelques-uns, sans compagnon, arrivaient à l’ineffable.

Comme perce un rayon de soleil par une forêt ombreuse,

La vierge d’or dans son char sculpté

Glissait légèrement parmi ces lieux de méditation.

Souvent au crépuscule, lorsque rentrent les troupeaux

Mêlant aux ombres leur poussière épaisse,

Quand le jour bruyant s’efface sous l’horizon,

Elle reposait, arrivée dans un paisible bosquet d’ermite

Enveloppée comme d’un manteau

Dans la patiente songerie de son esprit et sa prière intense.

Ou parfois, près de la crinière fauve de la rivière d’un lion

Parmi les arbres en adoration sur une rive de prière,

Une secrète sérénité sous le dôme d’un air consacré

L’appelait à arrêter ses roues hâtives.

Dans la solennité d’un espace

Où l’esprit semblait se souvenir d’anciens silences

Et de grandes voix d’antan visiter le cœur,

Où la vaste liberté des voyants méditatifs

Avait laissé la longue empreinte de leur scène d’âme

Conscients et éveillés à l’aurore blanche comme à la nuit lunée,

La fille de la Flamme s’inclinait devant cette trace dormante,

Et sous les paupières closes de cette tranquille splendeur

Buvait la parenté du calme éternel.

Mais le matin venait frapper, lui rappelant sa quête;

Se levant de sa natte ou de sa couche agreste,

Poussée sur son chemin inachevé

Elle poursuivait l’orbite fatidique de sa vie

Telle une prière qui interroge les dieux silencieux

Puis passe comme une étoile vers quelque Au-delà brillant.

Ainsi arriva-t-elle à de larges étendues désertes

Où l’homme était un passant vers des lieux humains

Et seul, luttait pour vivre dans les Vastitudes de la Nature

Appelant à l’aide d’invisibles Pouvoirs magnanimes,

Accablé par l’immensité de son monde

Et ignorant de sa propre infinitude.

Sous les yeux de Savitri, la Terre multipliait ses visages changeants

Et l’appelait d’une voix lointaine sans nom.

Les montagnes dans leur solitude d’anachorète,

Les forêts et les mille voix de leur cantique,

Tout lui décelait les portes de la divinité masquée.

Sur des plaines rêveuses, des sables languissants

Comme le lit d’agonisant d’un pâle soir ensorcelé

Sous le faux éclat d’un ciel livide,

Elle reposait impassible comme à la fin d’un âge,

Ou traversait une meute ardente de roches entassées

Qui levaient la tête comme à la chasse d’une tanière de ciel,

Ou elle voyageait par d’étranges terres vides

Et des sommets désolés campés dans un ciel blafard

Telles des sentinelles muettes sous une lune en dérive,

Ou elle errait par quelque énorme bois solitaire

Stridulant à jamais sous le cri des cigales,

Ou elle suivait le long serpent d’une route luisante

À travers des champs et des prairies baignés d’une lumière crue,

Ou elle débouchait sur la beauté vierge d’une étendue stérile

Jamais touchée par une charrue ni pâturée par les troupeaux

Et sommeillait sur des sables nus et assoiffés

Parmi le cri sauvage des bêtes de la Nuit.

Mais toujours sa quête fatidique restait inachevée,

Toujours elle n’avait pas trouvé le visage prédestiné

Celui qu’elle cherchait parmi les fils des hommes.

Un grandiose silence enveloppait les jours majestueux.

Les mois avaient nourri la passion du soleil

Et maintenant un souffle brûlant assaillait la glèbe.

Le tigre en rut rôdait par les terres prostrées,

Tout était lapé par une langue cuisante.

Les vents de printemps avaient manqué, le ciel résistait comme du bronze.

FIN DU CHANT QUATRE
FIN DU LIVRE QUATRE

in Russian

in English