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Sri Aurobindo

Savitri

A Legend and a Symbol

traduction de Satprem

Livre Sept: Le Livre du Yoga

Chant Deux
La Parabole de la Recherche de l’Âme

Comme elle veillait une nuit sans sommeil

Passant de lentes heures lourdes de silence,

Réprimant dans son cœur son poids de chagrin

Regardant fixement les pas feutrés du Temps

Et le Destin toujours plus proche,

Une sommation est venue du sommet de son être,

Un son, un appel a brisé les sceaux de la Nuit.

Au-dessus de son front, où se joignent volonté et connaissance,

Une formidable Voix a envahi l’espace mortel.

Elle semblait venir de hauteurs inaccessibles

Et pourtant elle était au fond du monde entier

Et connaissait le sens des pas du Temps

Et voyait l’immuable scène de l’éternelle destinée

Remplir la lointaine perspective du regard cosmique.

Comme la Voix touchait terre, son corps est devenu raide,

Telle une statue d’or solide dans une transe immobile,

Un roc de Dieu allumé par une âme d’améthyste.

Autour du silence de son corps tout est devenu silencieux:

Son cœur écoutait ses lents battements mesurés,

Son mental abandonné entendait la pensée et restait muet:

“Pourquoi serais-tu venue sur cette lourde terre destinée à la mort,

Cette vie ignorante sous des cieux indifférents,

Liée comme une victime sur l’autel du Temps,

Ô esprit, ô immortelle énergie,

Si c’était pour nourrir le chagrin dans un cœur impuissant

Ou attendre les yeux serrés et sans larmes ta destruction?

Lève-toi ô âme, et vaincs le Temps et la Mort.”

Mais dans la nuit obscure, le cœur de Savitri a répondu:

“Ma force m’a été retirée et donnée à la Mort,

Pourquoi lèverais-je mes mains vers des cieux fermés

Ou lutterais-je contre le Destin inéluctable et muet,

Ou espérerais-je en vain soulever une race ignorante

Qui chérit son sort et se moque de la Lumière sauveuse

Et voit dans la Sagesse du Mental le seul tabernacle,

Dans ses pics sévères ou dans sa base inconsciente

Un roc de salut et une ancre pour dormir?

Existe-t-il un Dieu que nos cris puissent émouvoir?

Il trône en paix et laisse les forces mortelles

Impuissantes contre sa calme Loi omnipotente

Impuissantes contre l’Inconscience et les mains toutes-puissantes de la Mort.

Pourquoi devrais-je, et pourquoi Satyavane devrait-il

Échapper aux mailles noires du filet, à la triste porte,

Ou appeler une Lumière plus puissante dans les chambres closes de la vie

Une Loi plus grande dans le petit monde des hommes?

Pourquoi lutterais-je contre les lois inflexibles de la terre

Ou repousserais-je l’heure inévitable de la mort?

Sûrement, il vaut mieux pactiser avec mon destin

Et suivre tout près derrière les pas de mon amant

Et traverser la nuit pour passer du crépuscule au soleil

De l’autre côté du fleuve ténébreux qui divise

Les paroisses voisines de la terre et des cieux.

Alors nous pourrons rester enlacés, cœur contre cœur,

Sans trouble dans notre pensée, sans trouble dans notre cœur,

Oubliant l’homme et la vie et le temps et ses heures,

Oubliant l’appel de l’éternité, oubliant Dieu.”

Et la Voix de répondre:

“Est-ce suffisant, ô esprit?

Et que dira ton âme lorsqu’elle se réveillera

Et saura que le travail n’est pas fait pour lequel elle était venue?

Ou bien est-ce là tout pour ton être né sur la terre

Chargé d’un mandat de l’éternité?

Ton être qui a écouté la voix des ans

Qui a suivi la piste des dieux

Passera-t-il en laissant inchangées les vieilles lois poussiéreuses?

N’y aura-t-il pas de nouvelles Tables, un Verbe nouveau,

Pas de lumière plus grande qui descendra sur la terre

Pour la délivrer de son inconscience,

Et délivrer l’esprit de l’homme de son destin inaltérable?

N’es-tu pas venue ici pour ouvrir les portes du Destin,

Les portes de fer qui semblaient à jamais closes,

Et conduire l’homme à la vaste route d’or de la vérité

Qui va des finitudes à l’éternité?

Est-ce donc là le récit que je dois faire

Tête baissée, honteusement, devant le siège de l’Éternel:

Ce pouvoir qu’il a allumé dans ton corps a échoué,

Son ouvrière revient, sa tâche inaccomplie?”

Alors le cœur de Savitri est tombé muet et n’a rien dit.

Mais retenant son cœur rebelle tourmenté,

Brusquement debout et ferme, calme comme une montagne,

Dominant les mers de l’ignorance mortelle

Tel un pic immuable au-dessus de l’air mental,

Un Pouvoir en elle a répondu à cette Voix tranquille:

“Je suis une part de toi ici, chargée de ton travail,

Comme toi, mon siège est à jamais au-dessus;

Parle à mes profondeurs, ô Voix souveraine et immortelle,

Commande, car je suis ici pour faire ta volonté.”

La Voix a répondu:

“Souviens-toi de ce pourquoi tu es venue:

Découvre ton âme, retrouve ton moi caché,

Dans le silence de tes profondeurs cherche l’intention de Dieu,

Puis change cette nature mortelle en nature divine.

Ouvre la porte de Dieu, entre dans sa transe.

Rejette de toi la Pensée, cet agile singe de la Lumière:

Dans ce formidable silence où ton cerveau s’arrête,

Sa vaste Vérité s’éveille au-dedans et sait et voit.

Rejette de toi les sens qui voilent la vue de ton esprit:

Dans l’énorme vide de ton mental

Tu verras le corps de l’Éternel dans le monde,

Tu sauras qu’il est dans chaque voix que ton âme entend:

Dans les contacts du monde tu rencontreras Son unique toucher,

Toutes les choses et toutes les créatures t’enlaceront dans Son embrasse.

Conquiers les tressaillements de ton cœur, laisse ton cœur battre en Dieu:

Ta nature sera l’instrument de ses œuvres,

Ta voix portera la puissance de son Verbe:

Alors tu abriteras ma force et conquerras la Mort.”

Alors Savitri s’est assise près de son époux condamné,

Elle était toujours raide dans sa pose d’or immobile

Telle une statue de feu du soleil intérieur.

Dans la nuit noire déchirée par la colère de la tempête,

Le tonnerre éclatait au-dessus d’elle, la pluie sifflait

Ses millions de cascades crépitaient sur le toit.

Impassible dans cette rage et ce tumulte,

Témoin des pensées du mental, des humeurs de la vie,

Elle regardait en elle-même et cherchait son âme.

Un rêve lui a dévoilé le passé cosmique,

La semence énigmatique et les origines mystiques,

Les débuts ténébreux du destin du monde;

Une lanterne symbolique éclairait la vérité cachée

Et lui montrait en images la signification du monde.

Dans l’indéterminé sans forme du Moi

La création a posé ses premiers pas mystérieux

Faisant de la forme du corps une maison d’âme,

Et la Matière apprit à penser, et une personne a grandi;

Savitri vit un Espace peuplé des semences de la vie

Et vit la créature humaine née dans le Temps.

Tout d’abord est apparue une obscure marée d’être

À demi neutre, émergeant du Néant infini:

Une conscience regardait la Vastitude inconsciente

Et le plaisir et la douleur remuèrent dans le Vide insensible.

Tout était l’action d’une Énergie cosmique aveugle:

Inconsciente de ses propres exploits, elle œuvrait,

Façonnant un univers dans l’Inanité.

Elle a pris conscience en des êtres fragmentaires:

Un chaos de petites sensibilités s’est rassemblé

Autour de minuscules egos comme une pointe d’aiguille;

Là-dedans, une créature sentante a trouvé sa base.

Elle bougeait et vivait dans un tout respirant et pensant.

Sur un obscur océan de vie subconsciente

Une conscience informe s’est éveillée à la surface:

Un courant de pensées et de sentiments allait et venait

Une écume de mémoires s’est durcie et devenait

La croûte brillante de sens habituels et de pensée habituelle,

Un siège de personnalité vivante

Et des habitudes récurrentes imitaient une permanence.

Le Mental naissant labourait une forme muable,

Il bâtissait une maison mobile sur des sables mouvants:

Une île flottante sur une mer sans fond.

Par son labeur, un être conscient s’est façonné:

Il regardait autour de lui son champ difficile

Cette verte terre périlleuse et merveilleuse;

Il espérait survivre dans un bref corps

Confiant en la fausse éternité de la Matière.

Il sentait une divinité dans sa maison fragile,

Il voyait le bleu du ciel, rêvait d’immortalité.

Une âme consciente dans un monde Inconscient

Cachée derrière nos pensées et nos espoirs et nos rêves,

Un Maître indifférent qui signe les actes de la Nature

Laissait ce Vice-régent mental comme roi apparent.

Dans sa maison flottante sur les mers du Temps,

Ce régent se met au travail et jamais ne se repose:

C’est une marionnette dans la danse du Temps;

Il est poussé par les heures, les appels du moment,

Il est contraint par la ruée des besoins de la vie

Et la Babel des voix du monde.

Ce mental ne connaît pas le silence ni le sommeil sans rêves;

Dans la ronde sans trêve de ses pas

Les pensées marchent sans fin à travers le cerveau écouteur;

Il travaille comme une machine et il ne peut pas s’arrêter.

Par les nombreux étages des chambres du corps

D’interminables foules déversent les messages du dieu des rêves.

All is a hundred-toned murmur and babble and stir,

Une course, un va-et-vient infatigable,

Une hâte mouvante et des cris sans cesse.

Harcelés, les serviteurs sensoriels répondent aussitôt,

À chaque coup sur les portes extérieures

Ils font entrer les visiteurs de la vie, rapportent chaque appel,

Livrent passage à mille questions, mille visites

Et aux messages des pensées communicantes

Et aux lourdes affaires d’innombrables vies

Et tout le commerce grouillant du monde.

Même dans les moments de sommeil, rare est le repos;

Il imite la marche de la vie en d’étranges rêves subconscients,

Il erre dans un royaume subtil de scènes symboliques,

Il remplit ses nuits avec des visions évanescentes et des formes obscures

Ou de vagues apparitions flottantes

Et passe un moment seulement dans un moi silencieux.

Quand il s’aventure dans l’infini de l’espace mental

Il ouvre les ailes de sa pensée dans l’air intérieur,

Ou voyageant par le train de l’imagination

Traverse le globe, voyage sous les étoiles,

Prend une route éthérée vers les mondes subtils,

Visite les dieux sur les pics miraculeux de la vie,

Communique avec les Cieux, tripote avec l’Enfer.

Telle est la petite surface de la vie des hommes.

C’est cela qu’il est, mais il est tout l’univers;

Il escalade l’invisible, défie l’Abîme de ses profondeurs;

Tout un monde mystérieux est enfermé en lui.

Inconnu de lui-même, vit un roi caché

Derrière de riches tapisseries sous de grandes chambres secrètes:

Épicure des joies invisibles de l’esprit

Il se nourrit du doux miel de la solitude;

Dieu sans nom dans un sanctuaire inapprochable,

Dans l’adyton1 secret du tréfonds de l’âme

Il garde les mystères voilés de l’être

Sous le seuil, derrière de sombres portes,

Ou enfermés dans les vastes caves d’un sommeil inconscient.

Le Tout-Merveilleux, le Divin immaculé

Lance dans le pur argent de l’âme humaine

Sa splendeur et sa grandeur et la lumière

De sa propre création dans l’infinitude du Temps

Comme dans un miroir sublimement réfléchissant.

L’homme dans la vie du monde réalise les rêves de Dieu.

Mais tout est là, même les contraires de Dieu;

L’homme est une petite façade des œuvres de la Nature

Une ébauche pensante d’une Force énigmatique.

Elle révèle en lui tout ce qui est en elle,

Ses gloires marchent en lui, et ses ténèbres.

La maison de vie de l’homme ne contient pas seulement des dieux:

Il y a des Ombres occultes, il y a des Pouvoirs ténébreux,

Habitants inquiétants des chambres basses de la vie,

Citoyens formidables d’un monde fantomatique.

Gardien insouciant des pouvoirs de sa nature,

L’homme abrite des forces dangereuses dans sa maison.

Le Titan et la Furie et le Djinn

Restent enchaînés dans le trou caverneux du subconscient

Et la Bête rampe dans sa tanière et dans son bouge:

De sinistres grondements et des murmures montent dans leur torpeur.

Parfois, des insurgés lèvent leur abominable tête,

Un monstrueux mystère guette dans les abîmes de la vie:

Le mystère des mondes déchus et noirs,

Les redoutables visages des Rois adversaires.

De terribles pouvoirs refrénés dans les profondeurs de l’homme

Peuvent devenir ses maîtres ou ses ministres;

Gigantesques, ils envahissent sa maison corporelle,

Peuvent agir dans ses actes, infester sa pensée et sa vie.

L’Enfer se répand dans l’air humain

Et touche tout et tous de son souffle pervertisseur.

Des forces grises se glissent comme des miasmes légers

Filtrent par les failles de sa demeure aux portes closes

Décolorent les murs de son mental supérieur

Où il vit son aimable vie spécieuse

Et laissent derrière une pestilence de péché et de mort:

Non seulement se lèvent en lui des rafales de pensées perverses

Et de formidables influences informes,

Mais viennent des présences et d’horribles figures:

Des visages et des formes sinistres grimpent d’obscurs escaliers

Et parfois le regardent fixement dans sa chambre,

Ou appelées et déclenchées dans un moment de passion

Jettent sur son cœur l’habitude d’une emprise désastreuse:

Réveillées de leur sommeil, elles ne peuvent plus être renchaînées.

Troublant le jour, angoissant la nuit,

Envahissant à volonté le logement extérieur humain

Les macabres habitants terribles des ténèbres nues,

Montent à la lumière de Dieu et brouillent toutes les lumières.

Tout ce qu’ils touchent ou regardent devient leur possession,

Ils se logent dans les sous-sol de la Nature,

Emplissent les couloirs du mental,

Brisent les chaînons de la pensée et la suite des réflexions,

Percent d’un vacarme ou d’un cri le silence de l’âme,

Ou ils appellent les habitants des gouffres,

Invitent les instincts à des joies interdites,

Soulèvent le rire d’une épouvantable jubilation démoniaque

Et font trembler le sol de la vie sous leur ivresse infernale et leur tumulte.

Impuissant à réprimer ses terribles prisonniers,

Épouvanté, le maître de la maison reste au-dessus, désemparé,

Il est dépossédé, sa maison n’est plus à lui.

Il est fasciné et ligoté, victime du drame,

Ou séduit et emporté prend plaisir au fracas grandiose et dément.

Les forces dangereuses de sa nature se sont levées

Et prennent à leur gré des vacances d’insurgés.

Sorties des profondeurs noires où elles étaient tapies,

Obnubilées à ses yeux, elles ne peuvent plus être renfermées;

Les impulsions de sa nature sont désormais ses maîtres.

Même réprimées ou déguisées et enrobées de noms spécieux,

Les éléments infernaux, les pouvoirs du démon sont là.

La nature inférieure de l’homme cache ces terribles hôtes.

Leur vaste contagion saisit parfois le monde des hommes.

Une hideuse insurrection domine l’âme des hommes.

De maison en maison l’énorme soulèvement gagne;

Les pelotons de l’Enfer sont lâchés à leur affaire,

Sur les chemins de la terre, ils éclatent par toutes les portes,

Envahissent avec leur soif de sang et une volonté de meurtre

Et remplissent d’horreur et de carnage le joli monde de Dieu.

La Mort et ses tueurs traquent une terre dupée;

L’Ange terrible frappe à chaque porte:

Un horrible rire se moque de la douleur du monde

Et le massacre et la torture se raillent des Cieux;

Tout est la proie de la force destructrice,

La création roule et tremble de fond en comble.

Cette Nature de malheur logée dans le cœur de l’homme

Citoyenne étrangère, périlleuse invitée,

Peut déloger l’âme qui l’abrite

Expulser le maître, posséder la maison.

Un pouvoir adverse, une contradiction de Dieu,

Une toute-puissance momentanée du Mal

A enfourché le chemin droit des actes de la Nature.

Elle imite le Dieu qu’elle nie,

Emprunte sa forme, simule sa face.

Un créateur et destructeur manichéen

Pourrait bien abolir l’homme, annuler son monde.

Mais il y a un pouvoir gardien, il y a des Mains qui sauvent,

De calmes yeux divins regardent la scène humaine.

Toutes les possibilités du monde attendent dans l’homme

Comme l’arbre attend dans sa semence:

Son passé vit en lui, il entraîne la marche de son avenir;

Les actes de son présent façonnent son destin futur.

Les dieux à naître se cachent dans sa maison de Vie.

L’ombre des daïmôn de l’inconnu2 recouvre son mental

Et jette ses rêves dans le moule vivant de la pensée,

Ce moule où le mental de l’homme bâtit son monde.

Son mental crée autour de lui un univers.

Tout ce qui fut, renouvelle en lui sa naissance,

Tout ce qui peut être se dessine dans son âme.

Ce qu’elle lance en actes s’inscrit sur les routes du monde,

Obscurs pour les conjectures de la raison qui interprète

Nos actes jalonnent le dessein secret des dieux.

En d’étranges directions court le plan labyrinthien;

Leur but est dissimulé à la prévision humaine.

Mais la lointaine intention d’une Volonté directrice,

Ou la courbe des Hasards arbitraires de la vie

Découvre enfin sa sûre harmonie et son heure destinée.

Notre surface, en vain observée par le regard de la raison,

Envahie par les impromptus de l’au-delà, Enregistre, impuissante, les accidents du temps,

Les tournants involontaires et les bonds de la vie.

Seul, un peu de nous prévoit ses pas,

Seul, un peu a une volonté et une marche préméditée.

Un immense subliminal est la part sans bornes de l’homme.

Un obscur subconscient est la base de sa caverne.

Vainement abolies par les routes du Temps,

Nos vies passées vivent encore dans notre moi inconscient

Et le poids de leurs influences cachées

Façonne les découvertes de notre avenir.

Ainsi, tout est une chaîne inévitable

Et pourtant tout semble une série d’accidents.

Les heures oublieuses répètent les vieux actes,

Notre passé mort accroche ses anneaux aux chevilles de notre avenir

Et tire en arrière la foulée glorieuse de notre nouvelle nature,

Ou son cadavre enterré fait surgir de vieux fantômes;

De vieilles pensées, de vieux désirs, les passions mortes revivent,

Reviennent dans le sommeil ou poussent l’homme réveillé

À des paroles qui forcent la barrière des lèvres,

À des actes qui soudain débuchent et sautent par-dessus

La tête de sa raison et les gardiens de sa volonté.

Un vieux moi reste tapi dans le nouveau moi que nous sommes,

Rarement nous échappons à ce que nous avons été autrefois:

Dans les pâles ruelles de l’habitude

Dans les corridors crépusculaires du subconscient

Tout est transmis par le portier des nerfs

Et rien n’est contrôlé par le mental souterrain;

Inexaminée par le gardien des portes

Passée par une aveugle mémoire instinctive

La vieille troupe congédiée se sert de vieux passeports périmés;

Rien n’est totalement mort de ce qui jadis a vécu.

En d’obscurs tunnels de l’être du monde et dans le nôtre

La vieille nature rejetée survit encore;

Les cadavres de ses pensées détruites dressent la tête

Et dans le sommeil visitent les promenades nocturnes du mental,

Ses impulsions étouffées respirent et bougent et montent;

Tout garde une immortalité fantôme.

Irrésistibles sont les enchaînements de la Nature:

La semence des péchés abandonnés germe dans un terreau caché;

Le mal rejeté de nos cœurs, il faut l’affronter une fois de plus.

Nos moi morts viennent tuer notre âme vivante.

Une fraction de nous vit dans le Temps présent,

Une foule secrète tâtonne dans une sombre inconscience;

Sortis de l’inconscient et du subliminal

Nous vivons dans l’incertaine lumière du mental

Et luttons pour connaître et maîtriser un monde douteux

Dont le dessein et le sens sont voilés à notre vue.

Au-dessus de nous, habite un dieu Supraconscient

Caché dans le mystère de sa propre lumière:

Autour de nous, s’étend une immensité d’ignorance

Éclairée par l’incertain rayon du mental humain,

Au-dessous de nous, dort l’Inconscient noir et muet.

Mais ceci n’est qu’une première vue de la Matière sur elle-même,

Un échelon et une étape dans l’Ignorance.

Ce n’est pas tout ce que nous sommes ni tout notre monde.

Notre grand moi de connaissance nous attend,

Une suprême lumière dans les Vastitudes de la conscience-de-vérité:

Elle voit depuis des cimes qui dépassent le mental pensant,

Elle se meut dans un air splendide qui transcende la vie.

Elle descendra et fera divine la vie de la terre.

La Vérité a fait le monde, non une aveugle Force de la Nature.

Car ce n’est pas ici que demeurent nos larges hauteurs divines;

Dans le flamboiement du Supraconscient,

Nos sommets resplendissent de la face même de Dieu:

Là se trouve l’air de notre éternité

Là se trouve l’image du dieu que nous sommes,

Son regard jeune et sans âge sur les créatures sans mort

Sa joie quand nous nous échappons de la mort et du Temps,

Son immortalité et sa lumière et sa félicité.

La largeur de notre être règne derrière des murs énigmatiques,

Il y a des grandeurs cachées dans nos régions invisibles,

Elles attendent leur heure pour passer au grand jour de la vie:

Nous sentons l’aide des Dieux qui habitent nos profondeurs,

Quelqu’un parle dedans, une Lumière vient à nous d’en haut.

Notre âme agit du fond de sa chambre mystérieuse,

Son influence fait pression sur notre cœur et notre mental,

Elle les pousse à dépasser leur moi mortel.

Elle cherche le Beau et le Bon et Dieu;

Nous voyons notre moi illimité hors des murs du moi,

Nous contemplons des Vastitudes à demi vues par nos lunettes du monde

Nous poursuivons la Vérité derrière les apparences.

Notre Mental intérieur habite dans une lumière plus large

Son intensité nous regarde par des portes cachées;

Nos membres deviennent lumineux et la face de la Sagesse

Apparaît à l’entrée de la cour mystique:

Quand elle entre dans la maison de nos sens extérieurs,

Nous levons les yeux et alors, au-dessus, nous voyons son soleil.

Un prodigieux moi de vie avec ses pouvoirs intérieurs

Soutient cette pitance de nain que nous appelons vie:

Il peut greffer deux puissantes ailes sur nos rampements.

Le moi subtil de notre corps monte sur le trône intérieur

Entre dans son invisible palais des rêves véridiques

Qui sont l’ombre glorieuse des pensées de Dieu.

Dans les obscurs débuts rampants de la race,

L’humain a grandi dans un homme singe courbé.

Il s’est tenu debout avec une forme et une force divines,

Et les pensées d’une âme ont regardé par des yeux terrestres;

L’homme se tenait droit, il portait le front du penseur:

Il observait les cieux, voyait ses compagnons dans les étoiles;

Une beauté et une naissance plus noble venaient dans sa vision

Lentement émergées de la chapelle lumineuse du cœur

Et se mouvaient dans un air de rêve clair et blanc.

Il voyait les Vastitudes irréalisées de son être,

Il aspirait, il abritait le demi-dieu naissant.

Du fond des obscurs replis du moi

Le chercheur occulte venait au grand jour:

Il entendait le lointain et touchait l’intangible,

Il regardait dans l’avenir et l’invisible;

Il se servait de pouvoirs qui échappent aux instruments de la terre,

Il jouait à l’impossible;

Il attrapait des fragments de pensée de l’Omniscient,

Faisait envoler les formules de l’omnipotence.

Ainsi dans sa petite maison faite de poussière de la terre

L’homme a-t-il grandi vers un invisible ciel de pensée et de rêves

Examinant les vastes panoramas de son mental

Sur un petit globe qui pointillait dans les infinitudes.

Finalement, escaladant un étroit et long escalier

Il s’est tenu seul sur un haut toit des choses

Et il a vu la lumière d’un soleil spirituel.

Par son aspiration, il transcende son moi terrestre;

Délivré de l’encerclement des choses mortelles

Il se tient dans l’étendue de son âme nouvelle-née

Et il se meut dans un pur et libre royaume spirituel

Comme dans le souffle raréfié d’une stratosphère.

Au bout flottant des ultimes frontières de la divinité,

Il grimpe par un fil ténu à sa haute source:

Il arrive à sa fontaine d’immortalité,

Il fait entrer Dieu dans sa vie mortelle.

Tout cela, l’esprit dissimulé l’avait réalisé dans Savitri:

Une part de la puissante Mère était entrée

En elle comme dans sa propre partie humaine:

Au milieu des tâches cosmiques des Dieux,

Elle avait fait d’elle le centre d’un vaste plan;

Dans la lointaine vision et la passion de son esprit, elle rêvait

De modeler l’humanité dans la forme même de Dieu

Et de mener à la lumière ce grand monde aveugle en lutte

Ou de découvrir un monde nouveau, ou de le créer.

La terre doit se transformer elle-même et être égale aux Cieux

Ou les Cieux descendre dans l’état mortel de la terre.

Mais pour qu’un changement spirituel si vaste puisse être

Il faut que la Psyché céleste sorte de sa caverne mystique

Dans le cœur de l’homme

Et ôte son voile

Et entre dans les chambres encombrées de la nature ordinaire

Et se tienne nue au-devant de cette nature

Et gouverne ses pensées et emplisse son corps et sa vie.

Obéissant à un commandement d’en haut, Savitri a regardé en elle-même:

Le Temps, la vie et la mort étaient des incidents passagers

Obstruant sa vue de leur spectacle transitoire,

Il fallait faire un trou dans cette vue et délivrer le dieu

Emprisonné dans l’homme mortel qui ne voit rien.

La nature inférieure née dans l’ignorance

Occupait encore une place trop large et voilait son moi:

Il fallait la rejeter pour trouver son âme.

FIN DU CHANT DEUX

 

1 Adyton: dans les temples grecs, particulièrement de Démèter et de Koré, lieu sacré “dont l’accès est interdit” où était cachée la statue du dieu dans une sombre cellule.

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2 Daïmôn de la mythologie grecque: divinité ou génie qui préside à la destinée de l’homme et l’inspire.

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