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Sri Aurobindo

Savitri

A Legend and a Symbol

traduction de Satprem

Livre Sept: Le Livre du Yoga

Sri Aurobindo n’avait pas donné de titre à ce Chant, et pour cause. Les éditeurs de Pondichéry ont cru bon de le baptiser “la conscience cosmique”. Mais ce dernier Chant du “Livre VII du Yoga” avait un sens plus profond que ce que l’on entend généralement par “conscience cosmique”. Nous aurions plus volontiers appelé ce Chant “Par-delà le Nirvana”, et qu’est-ce qui peut aller au-delà du Nirvana, ou qu’est-ce qui peut être après? ou qu’est-ce qui est toujours – juste ment le but ou l’essence du Yoga et de tous les yoga. À chacun de le découvrir.

Chant Sept
Dans le petit ermitage au cœur de la forêt

Dans la lumière du soleil et la lumière de la lune et de la nuit

La vie humaine de tous les jours continuait à pas lent

Tout comme avant, avec ses petits travaux pareils

Et la frugale routine de son corps extérieur

Et la joie tranquille de sa paix ascétique.

La vieille beauté souriait sur la scène terrestre;

Savitri aussi était son vieux moi gracieux pour les hommes.

L’Ancienne Mère serrait son enfant contre sa poitrine

La pressant tout près dans le cercle de ses bras

Comme si la terre toujours pareille pouvait toujours garder

L’esprit et le corps vivant dans son embrasse,

Comme si la mort n’était point ni la fin ni le changement.

Habitués seulement à lire les signes extérieurs,

Personne ne voyait rien de nouveau en elle, personne ne devinait son état;

Ils voyaient une personne tandis que seule était l’immensité de Dieu,

Un être de silence, ou un puissant néant.

Pour tous, elle était la même Savitri parfaite:

Une grandeur et une douceur et une lumière

Coulaient d’elle sur son petit monde.

Sa vie montrait à tous la même façade familière

Ses actes suivaient la même ronde inaltérable:

Elle prononçait les paroles qu’elle avait l’habitude de dire

Et faisait les choses qu’elle avait toujours faites.

Ses yeux regardaient le visage inchangé de la terre;

Autour du mutisme de son âme tout bougeait comme jadis,

Une conscience vacante observait du dedans,

Vide de tout sauf de la nue Réalité.

Il n’y avait nulle volonté derrière les mots et les actes,

Nulle pensée ne se formait dans son cerveau pour guider la parole:

Un vide impersonnel marchait et parlait en elle,

Quelque chose peut-être, de non perçu, non vu, non connu

Gardait ce corps pour son travail futur,

Ou bien la Nature bougeait selon son vieux courant de force.

Peut-être portait-elle, devenu conscient dans sa poitrine

Le miraculeux Nihil, origine de nos âmes,

Source et somme des événements du vaste monde,

Matrice et tombe de la pensée, énigme de Dieu,

Un zéro rond de la totalité de Inexistence.

Cela se servait de ses paroles, agissait dans ses actes,

C’était la beauté dans ses membres, la vie dans son souffle:

Le Mystère originel portait une face humaine.

Ainsi donc avait-elle perdu au-dedans son moi séparé:

Son ego mortel avait péri dans la nuit de Dieu.

Seul restait un corps, une coquille d’ego

Flottante dans la houle et l’écume de la mer du monde:

Une mer de rêve regardée par des sens immobiles

Dans une apparence de réalité irréelle.

Une prescience impersonnelle pouvait déjà voir

Dans la connaissance sans pensée de l’esprit –

Et même maintenant cela semblait déjà fait, inévitable:

L’individu meurt, le cosmos passe;

Ceux-ci partis, le Transcendant devenait un mythe,

Un Saint-Esprit sans Père ni Fils,

Ou un substratum de ce qui fut jadis:

Un être qui n’avait jamais voulu porter un monde

Restitué à son originelle solitude,

Impassible, unique, silencieux, intangible.

Pourtant, tout n’était pas anéanti dans cette dévastation profonde;

L’être ne voyageait pas vers le néant.

Il y avait quelque haut Mystère au-delà,

Et lorsqu’elle était seule assise avec Satyavane,

Son mental sans mouvement près du sien qui cherchait et luttait, In the hush of the profound and intimate night

Elle s’est tournée vers la face d’une Vérité voilée et sans voix

Cachée dans les tréfonds muets du cœur

Ou attendant par-delà l’ultime pic atteint par la Pensée –

Elle-même invisible, cette Vérité voilée voit le monde en lutte

Et pousse notre quête sans se soucier d’être trouvée –,

De cette Vastitude lointaine vint une réponse.

Quelque chose d’inconnu, inatteint, inscrutable

A envoyé les messages de sa Lumière sans corps,

Lancé les éclairs flamboyants d’une pensée qui n’est pas nôtre

Traversant le silence immobile du mental de Savitri:

Dans la puissance de sa souveraineté insouciante,

Cela se saisissait de la parole pour donner forme à ses flamboiements

Faisait battre le cœur de la sagesse dans un mot

Et disait des choses immortelles par des lèvres mortelles.

Ou écoutant les sages de la forêt,

De hautes révélations étranges, impossibles pour les hommes,

S’échappaient de Savitri en questions et réponses,

Quelque chose ou quelqu’un de mystérieux et de lointain

S’emparait de son corps à ses fins mystiques

Saisissait sa bouche pour communiquer d’ineffables vérités,

Une impensable connaissance trouvait à s’exprimer.

Stupéfaits par cette nouvelle illumination

Envahis par un éclair de l’Absolu,

Les sages des bois s’émerveillaient de Savitri car elle semblait savoir

Ce qu’ils avaient seulement entrevu parfois et lointainement.

Ces pensées ne se formaient pas dans l’écoute du cerveau,

Le cœur vacant de Savitri était comme une harpe sans corde,

Impassible, le corps ne sentait pas sa propre voix,

Il laissait passer à travers lui la lumineuse grandeur.

Une Puissance double aux pôles occultes de l’être

Agissait encore, invisible et sans nom:

Le vide divin de Savitri était leur instrument.

La Nature inconsciente usait du monde qu’elle avait fait

Et, se servant encore des instruments du corps,

Se glissait à travers le vide conscient que Savitri était devenue;

Et le Mystère Supraconscient à travers ce Vide

Envoyait sa parole pour toucher la pensée des hommes.

Jusqu’à présent, ce haut langage impersonnel était rare.

Mais maintenant ce vaste espace spirituel immobile

Où le mental de Savitri survivait, tranquille et nu,

Laissait passer un voyageur des étendues cosmiques:

Une pensée pénétrait, drapée d’une voix extérieure.

Elle ne cherchait pas le témoin du mental,

Elle ne parlait pas au silence du cœur récepteur;

Elle venait directement au pur siège de perception,

Seul centre de conscience désormais

Si centre se peut où tout semblait seulement de l’espace;

N’étant plus enfermée dans les murs et les portes du corps

L’être de Savitri, tel un cercle sans circonférence,

Excédait désormais toutes les limites cosmiques

Et de plus en plus s’étendait dans l’infinité.

Cet être était son propre monde sans bornes,

Un monde sans une forme, ni traits, ni circonstances,

Cela n’avait pas de sol, pas de mur ni toit de pensée,

Et pourtant cela se voyait lui-même et tout à l’entour

Dans un silence immuable et illimitable.

Il n’y avait nulle personne là, nul mental centré

Nul siège de sentiment où puissent frapper les événements

Nul objet n’agitait ni ne donnait forme à la tension d’une réaction.

Il n’y avait pas de mouvement dans ce monde intérieur,

Tout était une égale et silencieuse infinité.

En Savitri, l’invisible et l’Inconnu attendaient leur heure.

Mais à présent, elle était assise près de Satyavane endormi

Consciente dedans tandis que l’énorme Nuit

L’enveloppait dans le vaste de l’inconnaissable.

Une voix s’est mise à parler du fond de son propre cœur

Qui n’était plus à elle, et pourtant gouvernait la pensée et les sens.

À mesure que la voix parlait, tout a changé en elle et au dehors:

Tout était, tout vivait, elle sentait tout comme une seule existence,

Le monde d’irréalité cessait d’être:

Il n’y avait plus d’univers bâti par le mental

Coupable de quelque fabrication ou signe;

Un esprit, un être voyait les choses créées

Et se projetait lui-même en d’innombrables formes

Il était ce qu’il voyait et créait;

Tout maintenant devenait

L’évidence d’une unique et prodigieuse vérité,

Une Vérité où la négation n’avait pas de place,

Un être et une conscience vivante,

Une absolue et nue Réalité.

Là, l’irréel ne pouvait pas trouver une place,

Le sens de l’irréalité était détruit:

Là, tout était conscient, fait de l’Infini,

Tout avait une substance d’Éternité.

Pourtant, c’était le même Indéchiffrable;

Il semblait jeter de lui l’univers comme un rêve

Qui s’évanouissait à jamais dans un Vide originel.

Mais ce n’était plus quelque vague point ubiquitaire

Ni un zéro de Vastitude dans un Néant irréel.

C’était le même mais qui, maintenant, ne semblait plus loin

Pour l’embrasse vivante de son âme retrouvée1.

C’était son propre moi, c’était le moi de tout,

C’était la réalité de choses existantes

C’était la conscience de tout ce qui vivait

Et sentait et voyait,

C’était le Sans-temps et le Temps,

C’était la Félicité du sans forme et de la forme.

C’était le Tout-Amour, et les bras de l’unique Bien-Aimé,

C’était ce qui voit et qui pense dans un unique Mental tout-voyant,

C’était la joie d’être sur les pics de Dieu.

Savitri passait au-delà du Temps dans l’éternité,

Glissait hors de l’espace et devenait l’Infini; Son être montait à des hauteurs inatteignables

Et ne trouvait pas de fin à son voyage dans le Moi.

Elle plongeait dans les abysses insondables

Et ne trouvait pas de fin au silencieux mystère

Qui contenait tous les mondes dans une unique poitrine solitaire,

Et pourtant abritait les multitudes de toute la création.

Elle était toute Vastitude et un unique point sans mesure,

Elle était une hauteur par-delà les hauteurs, une profondeur par-delà les profondeurs,

Elle vivait dans l’immortel et elle était

Tout ce qu’abrite la mort et porte la ronde des heures.

Tous les contraires étaient vrais dans un unique esprit grandiose

Dépassant les mesures, les changements, les circonstances.

Un individu, un avec le moi cosmique

Au cœur du miracle du Transcendant

Et dans le secret de la Personnalité universelle

Qui était le créateur et le seigneur de tout.

Le Mental était un unique regard innombrable

Sur lui-même et tout ce qu’il devenait.

La Vie était son drame, et la Vastitude une scène,

L’univers était son corps, et Dieu son âme.

Tout était une unique réalité immense,

Tout était son innombrable phénomène.

L’esprit de Savitri voyait le monde comme Dieu vivant,

Son esprit voyait le Un et savait que tout était Lui.

Elle savait qu’il était l’espace même de l’Absolu,

Un avec son propre moi, sol et base de toutes choses ici

Où le monde erre en quête de la Vérité

Protégée derrière sa façade d’ignorance:

Elle le suivait à travers la marche du Temps sans fin.

Tous les accidents de la Nature étaient des événements en elle-même,

Les pulsations du cosmos étaient ses propres battements,

Tous les êtres pensaient et sentaient et bougeaient en elle;

Elle habitait la Vastitude du monde,

Ses distances étaient les frontières de sa nature

Ses proximités étaient les intimités de sa propre vie.

Son mental devenait le familier du mental de l’univers

Le corps du monde était l’ossature plus large de son propre corps

Dans lequel elle vivait et se savait elle-même dedans

Une, innombrable dans ses multitudes.

Elle était un seul être, et pourtant toutes choses;

Le monde était l’ample circonférence de son esprit,

Les pensées des autres étaient ses intimes,

Leurs sentiments, tout contre son cœur universel,

Leurs corps, les corps nombreux de sa famille;

Elle n’était plus elle-même mais tout le monde.

Du fond des infinitudes, tous venaient à elle,

Dans les infinitudes sentantes elle étendait ses ailes,

L’Infinité était sa propre maison naturelle.

Nulle part elle ne demeurait, son esprit était partout,

Les lointaines constellations tournaient autour d’elle;

La terre la vit naître, tous les mondes étaient ses colonies,

Les mondes plus hauts de la vie et du mental étaient siens;

Toute la Nature reproduisait sa nature dans ses lignes,

Les mouvements de la Nature étaient de vastes copies de la sienne.

Elle était l’unique moi de tous ces moi,

Elle était en eux, et tous étaient en elle.

Le premier commencement était une immense identité

Où sa propre identité s’était perdue:

Ce qui lui semblait être elle-même était une image du Tout.

Elle était la vie subconsciente de l’arbre et de la fleur,

L’éclatement de miel des bourgeons du printemps;

Elle brûlait dans la passion et la splendeur de la rose,

Elle était le cœur rouge de la passiflore,

Le blanc rêveur du lotus dans son étang.

Partie de la vie subconsciente elle a grimpé au mental,

Elle était la pensée et la passion du cœur du monde,

Elle était la divinité cachée dans le cœur de l’homme,

Elle était la montée de leur âme à Dieu.

Le cosmos a fleuri en elle, elle était son parterre.

Elle était le Temps et les rêves de Dieu dans le Temps;

Elle était l’Espace et l’étendue de ses jours.

De là, elle s’est élevée où le Temps et l’Espace n’étaient pas;

Le Supraconscient était son air natal,

L’infinité était l’espace naturel de son mouvement;

Par ses yeux l’éternité veillait sur le Temps.

FIN DU CHANT SEPT
FIN DU LIVRE SEPT

 

1 C’est sans doute le mot clef de ce Chant.

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