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Sri Aurobindo

Savitri

A Legend and a Symbol

traduction de Satprem

Livre Huit: Le Livre de la Mort

Chant Trois
La Mort dans la Forêt1

Maintenant Savitri était dans cette grande aurore dorée

Près de son époux encore dormant, elle regardait

Dans son propre passé comme quelqu’un qui va mourir

Regarde derrière les champs ensoleillés de la vie

Où lui aussi avait couru et joué avec les autres,

La tête au-dessus du grand fleuve noir

Où il allait à jamais plonger dans les abîmes.

Elle revivait tout ce qu’elle fut et avait fait.

L’année entière comme un flot tournoyant dans un éclair

Déferlait ses souvenirs en elle et s’enfuyait

Dans un passé irrévocable.

Alors, silencieusement elle s’est levée, et son offrande faite,

Elle s’est inclinée devant la grande déesse

Taillée simplement dans une pierre de la forêt par Satyavane.

Quelle prière a-t-elle soufflé, seules son âme et Dourga savaient.

Peut-être sentait-elle dans l’ombre de l’immense forêt

La Mère infinie qui veille sur son enfant,

Peut-être la Voix cachée avait-elle prononcé quelque parole tranquille.

Finalement elle est allée voir la pâle reine mère.

Elle a parlé mais en gardant ses lèvres serrées et un visage tranquille

De peur que quelque mot égaré ou un regard révélateur

Ne laisse passer dans le cœur de la mère ignorante

Un cruel pressentiment du chagrin à venir,

Brisant tout bonheur et tout besoin de vivre.

Elle a seulement prononcé les mots nécessaires,

Tout le reste, elle l’a réprimé dans son cœur déchiré

Et imposé une paix extérieure à ses paroles:

“Voici un an que j’ai vécu avec Satyavane

Ici, à l’orée d’émeraude de ces vastes bois,

Dans le cercle d’airain des énormes pics,

Sous les trouées bleues du ciel de la forêt;

Je ne suis pas entrée dans les silences

De ces grands pays couverts qui encerclaient de leur mystère

Mes pensées, ni perdue dans leurs miracles verts,

Mais cette petite clairière était mon monde.

Maintenant, un puissant désir a saisi tout mon cœur

D’aller avec Satyavane en tenant sa main

Et d’entrer dans la vie qu’il a aimée et de toucher

Les herbes qu’il a foulées et de connaître les fleurs de la forêt

Et d’écouter dans le calme les oiseaux et la vie qui galope

Et tressaille et s’arrête, le bruissement immense des ramilles au loin

Et tout le murmure mystique des bois.

Laisse-moi libre d’aller maintenant, laisse mon cœur se reposer.”

Et la reine de répondre:

“Fais comme la sagesse de ta pensée le désire,

Ô calme enfant souveraine aux yeux qui commandent.

Je te vois comme une puissante déesse venue

Par pitié pour nos jours arides, ainsi sers-tu

Comme le ferait une esclave, et pourtant

Tu es au-delà de tout ce que tu fais et tout ce que conçoivent nos pensées,

Tel le puissant soleil qui sert la terre d’en haut.”

Alors, l’époux condamné et l’épouse qui sait

Allèrent la main dans la main dans ce monde sacré

Où la beauté et la grandeur, et les rêves jamais dits,

Où les silences mystiques de la Nature peuvent se sentir

En communion avec les secrets de Dieu.

Près d’elle, plein de joie Satyavane marchait

Parce qu’elle allait avec lui par ses cachettes vertes.

Il lui montrait toutes les richesses de la forêt

Ses fleurs innombrables de toutes les couleurs et les odeurs

Et les doux liserons volubiles rouges et verts,

Et d’étranges oiseaux au plumage éclatant répondaient

À chaque cri qui hantait tendrement les rameaux lointains

En appelant plus tendrement encore le nom vibrant du chanteur.

Satyavane parlait de toutes les créatures qu’il aimait:

C’étaient les camarades de son enfance et de ses jeux

Compagnons de sa vie et du même âge

Dans ce monde d’ici dont il connaissait toutes les humeurs;

Leurs pensées inexistantes pour le mental ordinaire,

Il les partageait, sentait une réponse à chaque émotion sauvage.

Savitri écoutait profondément, mais pour entendre

Cette voix qui bientôt tairait ses tendres paroles,

Et garder le trésor de son rythme harmonieux aimé

Dans sa mémoire déserte quand personne ne marcherait plus

Près d’elle et la voix chérie ne pourrait plus parler.

Mais elle ne songeait guère à leur sens,

C’est à la mort, non à la vie qu’elle pensait, ou à la fin solitaire de la vie.

Dans sa poitrine, l’amour blessait de ses arêtes tranchantes

Gémissait de douleur et déchirait avec chaque pas

Criant “Maintenant, peut-être maintenant, sa voix se taira

À jamais.” Even by some vague touch oppressed Parfois ses yeux regardaient autour

Comme s’ils pouvaient voir l’obscure approche du dieu terrible.

Mais Satyavane s’est arrêté un moment, il voulait terminer

Sa tâche présente pour que, heureux, insouciants, ils puissent

Vagabonder ensemble et libres dans les profondeurs vertes

Au cœur du mystère de la forêt vierge.

Il a choisi un arbre, sa cime tranquille levée au ciel

Débordant de verdure, appelant la brise

De l’amoureuse étendue de ses rameaux,

Et il a attaqué d’un coup d’acier une branche

Brune, rugueuse, forte, cachée dans sa robe d’émeraude.

Silencieusement mais proche, elle veillait pour ne pas perdre

Un mouvement de ce rayonnant visage et ce corps qu’elle aimait.

Sa vie, maintenant, se comptait en secondes, non en heures

Et elle économisait chaque moment,

Comme un pâle marchand penché sur sa caisse,

Avare du pauvre or qui lui restait.

Mais Satyavane levait une hache joyeuse.

Il chantait des bribes retentissantes d’un hymne sage

Qui carillonnait la conquête de la mort et la fin des démons,

Et parfois il s’interrompait pour crier à Savitri de douces paroles

D’amour et de moqueries plus tendres que l’amour:

Comme une lionne elle sautait sur ses mots

Pour les emporter dans la caverne de son cœur.

Mais tandis qu’il travaillait, le destin est tombé sur lui.

Les chiens de la douleur, furieux, affamés

Traversaient son corps et mordaient silencieusement au passage

Et tout son souffle assiégé par la douleur

Luttait pour arracher les cordes solides de la vie du cœur et être libre.

Puis, secouru un moment comme si la bête avait lâché sa proie,

Dans une vague de chaud soulagement

Revenu debout avec ses forces et son heureuse tranquillité,

Il a repris sa tâche et sa joie confiante,

Mais ses coups se faisaient moins visibles.

Maintenant le grand Bûcheron taillait en lui

Et son labeur s’est arrêté:

Il a levé un bras, jeté loin sa hache poignante

Comme un outil de douleur.

Elle est venue et l’a enlacé dans son angoisse muette,

Et il a crié vers elle:

“Savitri! une douleur me fend la tête et la poitrine

Comme si la hache me transperçait

Et non cette branche vivante.

Une agonie me déchire comme l’arbre doit le sentir

Quand il est coupé en deux et doit perdre sa vie.

Laisse-moi poser ma tête un moment sur tes genoux

Et que tes mains me gardent du sort fatal:

Peut-être, parce que tu touches, la mort passera-t-elle.”

Alors Savitri s’est assise sous les vastes branches

Fraîches, vertes contre le soleil, pas contre l’arbre blessé

Que sa hache acérée avait fendue, cela elle le fuyait,

Mais elle s’appuyait contre cet heureux tronc royal,

Elle le gardait contre sa poitrine et tâchait d’apaiser

Avec ses mains ce front et ce corps déchirés.

Or, à ce moment, toute peur et tout chagrin étaient morts en elle,

Un grand calme était descendu.

Le désir d’atténuer sa souffrance, l’instinct qui s’oppose à la douleur

Était le seul sentiment mortel qui restait. C’était passé:

Forte et sans chagrin, elle attendait comme les dieux.

Mais maintenant la douce teinte familière de Satyavane avait changé

Devenue d’une pâleur grise, et ses yeux s’éteignaient

Abandonnés par la claire lumière qu’elle aimait.

Seul restait un mental physique hébété,

Vidé du regard rayonnant de l’esprit.

Mais une dernière fois avant de s’éteindre tout à fait,

Il a crié dans un ultime désespoir qui s’accroche:

“Savitri, Savitri, ô Savitri,

Penche-toi, Ô mon âme et embrasse-moi tandis que je meurs.”

Mais même comme les lèvres pâles de Savitri pressaient les siennes,

Les siennes défaillaient, perdant la dernière douceur de répondre:

Sa joue pressait par terre le bras d’or de Savitri.

Elle a cherché encore sa bouche avec sa bouche vivante

Comme si elle pouvait convaincre son âme de revenir d’un baiser;

Puis elle s’est aperçue qu’ils n’étaient plus seuls.

Quelque chose était là, conscient, vaste, implacable.

Elle sentait près d’elle une ombre silencieuse, immense

Glaçant le soleil derrière son dos de ténèbres.

Un terrible silence est tombé sur les lieux:

Il n’y avait plus de cris d’oiseaux, plus d’appel des bêtes.

Une terreur et une angoisse emplissaient le monde,

Comme si le mystère de l’annihilation

Avait pris une forme sensible.

Un mental cosmique regardait tout avec de formidables yeux,

Condamnant tout de son insupportable regard vide,

Et avec un rictus immortel et son vaste front,

Il voyait dans son immense pensée destructrice

Toutes choses et tous les êtres comme un pitoyable rêve;

Rejetant d’un calme dédain le délice de la Nature

Son regard abyssal disait sans mot

L’irréalité des choses

Et cette vie qui serait à jamais sans jamais être

Et sa vaine et brève récurrence sans fin,

Comme si d’un Silence sans nom ni forme

L’Ombre d’un lointain dieu insouciant

Condamnait au Néant cet univers illusoire,

Rayant son semblant d’idée et son théâtre dans le Temps

Et son imitation d’éternité.

Elle sut que la Mort visible se trouvait là

Et Satyavane avait quitté ses bras.

FIN DU CHANT TROIS
FIN DU LIVRE HUIT

 

1 Ce bref et unique Chant du Livre VIII a été tiré par Sri Aurobindo d’une première version de Savitri où il l’avait simplement nommé Chant Trois, sans plus. C’était le troisième Chant de ce Livre-là et non le troisième chant d’aucun autre Livre particulier. Après l’avoir récrit à certains endroits, il a été inséré dans la présente version, mais son titre trois est resté tel quel.

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