SITE DE SRI AUROBINDO ET LA MÈRE
      
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Mère

l'Agenda

Volume 3

18 mai 1962

L'autre jour, tu as dit: «Ce que j'appelle Moi tout là-haut, ma conscience, est tout à fait hors du corps.» Et puis, le 3 avril, tu as dit aussi une chose qui m'a fait comme un choc; tu as dit: «I am no more in this body» [Je ne suis plus dans ce corps]. Pourquoi?... Enfin tu as quitté ce corps?

(très long silence)

Comment expliquer cela?...

(long silence)

Je ne sais pas comment expliquer ça...

Je pourrais presque le dire comme une plaisanterie: depuis des années et des années, je sentais que ma conscience était hors de mon corps – je disais toujours qu'elle était là (geste au-dessus de la tête). Je sentais que ma conscience n'était pas dans mon corps. Et à partir du moment de la première expérience [le 3 avril] quand, physiquement, le Docteur a dit que le cœur était affecté et qu'il fallait faire attention autrement il ne marcherait plus, à partir de ce moment-là j'ai senti... j'ai senti que mon corps était hors de moi! Ça a l'air d'une plaisanterie mais c'est comme cela.

Alors, pour me faire comprendre, j'ai dit: «Je ne suis plus dans mon corps.» Mais ce n'est pas ça. Il y avait longtemps que je n'étais plus dans mon corps, que ma conscience était en dehors de mon corps, mais il y avait une sorte de rapport qui faisait que c'était «mon corps», n'est-ce pas (je pourrais dire maintenant, si je parlais sans faire attention: «Ce qui était mon corps», mais je sais très bien qu'il est vivant!). Eh bien, à partir du 3 avril, quand tout le monde a déclaré que j'étais si malade et qu'on m'a défendu de me tenir debout, j'avais l'impression que ce qu'on appelait «mon corps» était en dehors de moi.

J'avais une relation, j'avais gardé très bien une relation, mais ça a pris quelques jours (je ne sais plus combien de jours parce que pendant longtemps je ne pouvais plus rien calculer), mais au bout de quelques jours (mettons dix jours, vingt jours, je ne sais pas), la volonté agissait, le corps était encore sous le contrôle de la volonté; mais pas tout de suite: pendant quelques jours, la volonté concernant le corps était annulée (j'étais tout à fait vivante et consciente, mais pas dans mon corps); tout ce corps était une espèce de chose que ceux qui s'occupaient de moi faisaient bouger. Ce n'était pas séparé, mais je ne pouvais même pas dire: «C'est un corps» – ce n'était plus rien! quelque chose... (je n'ai même pas eu l'impression que c'était une expérience étrange à cause de toutes mes préparations d'universalisation de la conscience corporelle et tout ça – c'est certainement le résultat de ça), mais c'était «quelque chose» comme un ensemble de substance qui était dirigé par la volonté des trois personnes qui s'occupaient matériellement de lui. Ce n'était pas que j'en étais inconsciente mais... (je ne m'en occupais pas beaucoup, d'ailleurs), mais enfin, dans la mesure où je m'en occupais, c'est-à-dire dans la mesure où l'attention était tournée là, c'était un ensemble corporel qui était mû par des volontés. La Volonté suprême était pleinement d'accord; ça avait été comme confié (je ne sais pas comment dire?...) oui, c'était comme confié, quelque chose qui était confié, et moi je regardais ça – je regardais ça pendant je ne sais plus combien de jours, avec un intérêt tout à fait médiocre.

La seule connexion très concrète était: douleur. C'est comme cela que ça gardait le contact.

Non, j'avais cru, quand tu as dit: «I am no more in this body», que pour les nécessités du Travail, quelque chose de toi s'était retiré.

Non-non! rien ne s'était retiré, parce que c'était déjà retiré depuis très longtemps. La conscience n'était plus du tout centrée dans le corps. Par exemple, quand je disais «je», jamais il ne me venait à l'idée que c'était ça (Mère désigne son corps). Je, le je qui parlait, était toujours une volonté tout à fait indépendante du corps, tout à fait indépendante.

Mais là [depuis le 3 avril], c'était un phénomène curieux... N'est-ce pas, avant, je disais: «Je suis en dehors de mon corps.» C'était toujours: «Je suis en dehors de mon corps.» Tandis que là, c'était comme si le corps avait été délégué ou confié – c'est plutôt confié.

C'est revenu petit à petit, en ce sens qu'activement... Non, je ne peux même pas dire cela, ce n'est pas vrai – ce qui est revenu, c'est le souvenir de plus en plus précis de comment j'avais organisé la vie de ce corps: toute la formation d'organisation que j'avais faite, même dans les petits détails, pour les choses que j'utilisais, comment je les utilisais, comment j'avais organisé tous les objets autour du corps, tout cela. Ça, c'est le souvenir (est-ce «souvenir»?) la conscience de cela est revenue, c'est-à-dire comme si je remettais les deux en contact. Et alors, au lieu de laisser une délégation totale à ceux qui m'entourent, c'est la formation que j'avais faite avant qui revient, avec des changements, des améliorations, des simplifications (note qu'il n'y avait pas l'intention d'un changement ni une volonté de changement: ce sont les choses qui reviennent dans la conscience, et qui reviennent comme cela, avec des changements). Bref, c'est une sorte de formation consciente qui se recristallise autour de ce corps.

Et j'ai la perception (vraiment, c'est une sensation), sensation de quelque chose, qui n'est pas du tout moi, mais qui m'est confié. Maintenant, c'est de plus en plus l'impression de quelque chose qui m'est confié; qui m'est confié dans l'organisation universelle pour un but précis. Ça, c'est vraiment la sensation que j'ai maintenant (la pensée est très tranquille, c'est pour cela que c'est difficile à exprimer: je ne «pense» pas toutes ces choses, mais ce sont des espèces de perceptions), et pas sensation comme la sensation qu'on a d'ordinaire: la seule (ça, j'insiste), la seule sensation qui reste dans le vieux style, c'est la douleur physique. Et ça me fait l'impression... vraiment j'ai l'impression que ce sont les points symboliques de ce qui reste de l'ancienne conscience: c'est la douleur.

C'est seulement la douleur que je sens comme je sentais avant. Par exemple, la nourriture, le goût, l'odeur, la vision, l'ouïe – tout ça, complètement changé. Ça appartient à un autre rythme. Et c'est venu progressivement comme une cristallisation de quelque chose qui est derrière, qui n'est pas d'ici: goût, odorat, vision et ouïe, toucher... Seulement ce point-là (le toucher maintenant, c'est différent aussi), mais la douleur.

La douleur, c'est le vieux monde.

C'est tout à fait curieux, n'est-ce pas; la douleur, c'est comme le signe symbolique et un peu trop concret (!) de la vie dans l'Ignorance.

Et même là, j'ai eu plusieurs fois (mais ça, comme dans un éclair, comme dans l'éclair d'une nouvelle expérience), le moment où la douleur disparaît en quelque chose d'autre (c'est arrivé trois, quatre fois). Cette douleur, tout d'un coup, c'est devenu... quelque chose qui n'a aucun rapport (pas une sensation agréable, non, du tout): un autre état de conscience.

Si ça restait, alors je serais vraiment libre du monde tel qu'il est.

Pourtant on m'entend, n'est-ce pas. Je vois, mais d'une façon curieuse – je vois d'une façon très curieuse. Il y a des moments où je vois avec une précision plus grande que je n'ai jamais eue (d'une façon générale, je te l'ai dit l'autre jour, c'est comme si c'était derrière un voile; ça, c'est constant). J'entends aussi comme cela. Il y a des sons... il m'est arrivé de remarquer un son, paraît-il presque imperceptible, qui se passait à une centaine de mètres de distance, et j'avais l'impression que c'était ici. Tout ça, c'est changé. C'est-à-dire tout le fonctionnement des organes – est-ce les organes qui sont changés?? ou est-ce que c'est le fonctionnement? je ne sais pas. Mais ça obéit à une autre loi. Tout à fait.

Et j'ai tout à fait l'impression que cette soi-disant maladie était la forme extérieure illusoire du processus indispensable de transformation. Que sans cette soi-disant maladie, il ne pouvait pas y avoir de transformation, que c'est – ce n'est pas une maladie. Je sais, quand les gens disent «maladie», il y a quelque chose qui rit! Quelque chose qui a dit: «Quelles oies!»

Ce n'est pas une maladie.

Un décrochage?

Peut-être.

Peut-être.

C'était un peu violent! (Mère rit)... Et encore, pas tellement violent, parce qu'il y a quelque chose que je n'ai jamais dit à personne, mais quand on a appelé le Docteur (je m'évanouissais, tu comprends, tout le temps: je faisais un pas, plouff!) alors on a appelé le Docteur, on me surveillait (tout allait mal soi-disant, tous les organes, tout ça se détraquait), et quand le Docteur a déclaré que j'étais malade et qu'il fallait que je reste couchée, que je ne bouge pas (il y a un temps où je ne devais même pas parler!) eh bien, il y a quelque chose (pas positivement ce qu'on pourrait appeler ma conscience: c'était beaucoup-beaucoup plus éternel que ma conscience – ma conscience, c'est la conscience d'une des formes de la Manifestation –, eh bien, c'était beaucoup plus, c'était par-delà) a dit oui. Et si «Ça» n'avait pas accepté, j'aurais pu continuer à vivre presque comme d'habitude. «Ça» a décrété, «Ça» a décidé – je n'ai jamais rien dit.

Autrement, je n'aurais pas consenti. N'est-ce pas, si «Ça» n'avait pas accepté, j'aurais dit à mon corps: «Va, continue, marche», et il aurait continué. Il a arrêté parce que «Ça» a dit oui. «Ça» a dit: «Oui, c'est ça.» Alors j'ai compris que toute cette prétendue maladie était une nécessité pour le Travail. Et je me suis laissée aller. Et puis il est arrivé ce que je t'ai dit: ce corps a été délégué à trois personnes, qui s'en sont occupées d'ailleurs merveilleusement avec une... (ça, vraiment, j'étais en admiration constante), une abnégation, un soin, oh! admirable. Et tout le temps, je disais au Seigneur: «Seigneur vraiment, Tu as arrangé toutes les conditions d'une façon absolument merveilleuse, impensable, toutes les conditions matérielles pour que toutes les choses nécessaires soient réunies, et mis autour de moi des gens au-dessus de toute louange.» Ils ont eu un très mauvais temps pendant au moins une quinzaine de jours, très mauvais. C'était une espèce de loque, n'est-ce pas! (Mère rit) Il fallait qu'ils pensent à tout, qu'ils décident tout, qu'ils aient soin de tout. Et ils ont gardé ça très-très bien, vraiment très bien.

Ça, c'est une histoire merveilleuse (vue comme, moi, je la vois). Et j'ai observé avec beaucoup de soin: ce n'est pas une histoire ordinaire vue avec une connaissance exceptionnelle; c'est une Connaissance et une Conscience vraies qui assistent à une histoire exceptionnelle. Et eux, ne savent peut-être pas qu'elle est tout à fait exceptionnelle, mais simplement parce que leur conscience n'est pas suffisamment éveillée. Mais eux aussi, ils ont été, et ils sont et ils continuent à être exceptionnels.

Toute l'histoire est un conte de fées.

Et la seule chose qui reste matériellement concrète dans ce monde

– ce monde d'illusion –, c'est la douleur. Ça me paraît être l'essence même du Mensonge.

Seulement, ce qui le sent, le sent très concrètement (!)... Mais moi, je vois bien que c'est faux, mais ça ne l'empêche pas de sentir – il y a une raison. Il y a une raison: c'est le champ de bataille. Même, il m'est interdit d'employer ma connaissance, mon pouvoir et ma force pour annuler de cette façon-là la douleur, comme je le faisais avant (je le faisais avant très bien). Non, ça m'a été totalement interdit. Mais j'ai vu que c'est quelque chose d'autre qui est en vue. Quelque chose d'autre que l'on est en train de faire... Ça, c'est encore – on ne peut pas dire le miracle parce que ce n'est pas un miracle, mais c'est l'émerveillement, l'inconnu... Quand ça viendra? Comment ça viendra? Je ne sais pas.

Mais c'est intéressant.

(silence)

Mais vraiment, il y a quelque chose de radical qui s'est produit, en ce sens que... j'ai essayé une fois, pour me rendre compte si je pouvais (il m'a été dit de ne pas essayer, ce qui était sage, et je n'ai pas réussi): je ne peux pas revenir à la vieille relation, c'est impossible.

Ce qui revient, c'est toute la formation d'organisation de ce qu'on appelle les objets, de l'ensemble de substance matérielle qui faisait l'entourage de ce corps – ça, ça revient, avec des petits changements (tout cela, sans passer par la tête; la tête n'y est pour rien du tout). C'est une sorte de formation qui se reconcrétise pour l'organisation extérieure de la vie. La vieille relation n'existe plus – du tout.

(silence)

Pendant un temps, on peut dire vraiment que le corps était sorti de ma conscience – tout à fait. Ce n'était pas moi qui était sortie de mon corps, c'était le corps qui était sorti de la conscience.

Voilà.

J'espère que tu pourras t'en tirer parce que c'est la première fois que j'explique cette chose. En fait, c'est la première fois que je la regarde. Et c'est intéressant. C'est un phénomène intéressant.

L'enregistrement du son fait par Satprem    

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