Sri Aurobindo
Savitri
A Legend and a Symbol
traduction de Satprem
Livre Cinq: Le Livre de l’Amour
Chant Trois
Satyavane et Savitri
Surgis du silencieux mystère du passé
Dans un présent ignorant de ses liens oubliés
Ces esprits se rencontraient sur les routes du Temps.
Pourtant, dans le cœur, leur moi conscient secret
S’était tout de suite reconnu l’un l’autre
Averti par le premier appel d’une voix enchantée
Et une première vision du visage destiné.
L’être crie vers l’être dans ses profondeurs
Derrière l’écran des sens extérieurs
Et lutte pour trouver le mot qui ouvrira le cœur
La parole passionnée qui révélera le besoin de l’âme.
Mais l’ignorance du mental voile le regard intérieur,
Trop peu perce nos barrières bâties par la terre;
De même maintenant, se rencontraient-ils en cette heure décisive
Où la reconnaissance était si totale dans les profondeurs,
Si présente la mémoire perdue et l’unité sentie et tant manquée.
Alors Satyavane a parlé le premier à Savitri:
“Ô toi qui viens à moi du fond des silences du Temps
Ta voix a soudain réveillé mon cœur à une joie inconnue;
Immortelle, ou mortelle seulement par ta forme
Car plus que la terre me parle par ton âme
Et plus que la terre m’enveloppe dans ton regard,
Quel est ton nom parmi la race des hommes?
D’où cette aurore s’est-elle levée pour emplir les jours de mon esprit,
Plus radiante que l’été, plus radieuse que mes fleurs,
Surgie dans les confins solitaires de ma vie,
Ô Soleil rayonnant, modelé comme une vierge d’or?
Je sais que de puissants dieux sont les amis de la terre.
Parmi l’éclat et l’apparat des jours et des nuits
Longtemps j’ai voyagé avec mon âme pérégrine,
Ému par la merveille des choses familières.
La terre, jamais, ne m’a caché les pouvoirs qu’elle voile:
Même quand je vais parmi les scènes d’ici-bas
Et les surfaces ordinaires des choses terrestres,
Ma vision voit, jamais aveuglée par les formes;
La Divinité me regarde par les scènes familières.
J’ai assisté aux fêtes nuptiales des vierges de l’aurore
Derrière le rideau incandescent du ciel
Ou rivalisant de joie avec les pas de danse du matin
J’ai marché le long des rives somnolentes de l’aube,
Ou traversé le désert d’or du grand soleil
Et sillonné des immensités de splendeur et de feu,
Ou rencontré la lune surprise qui se glissait à travers les cieux
Au milieu des étendues incertaines de la nuit,
Ou les sentinelles en marche sur la longue route des étoiles
Qui pointent leur fer de lance à travers les infinitudes;
Et le jour et les ténèbres me révélaient des formes cachées;
Des visages sont venus à moi depuis les rivages secrets
Et des faces heureuses m’ont regardé par les rayons et les flammes.
J’ai entendu d’étranges voix traverser les ondes éthérées,
Le chant magique du centaure a frémi dans mon oreille;
J’ai entrevu les Apsaras1 se baigner dans les fontaines
Et vu les nymphes des bois guetter par le feuillage;
Les vents m’ont montré leurs seigneurs écrasants,
J’ai contemplé les princes du Soleil
Brûlants dans leurs demeures de lumière aux mille piliers.
Et de même, maintenant, ma pensée pourrait rêver
Et mon cœur craindre
Que, venue de quelque berceau merveilleux par-delà notre air,
Sortie de quelque vaste matin des dieux,
Tu ne conduises tes chevaux depuis les mondes foudroyants d’Indra2.
Bien que ta beauté semble parente des cieux,
Je me réjouirais plutôt de savoir
Qu’une douceur mortelle sourit par tes lèvres
Et que ton cœur puisse battre sous un regard humain Et ta poitrine dorée tressaillir sous mes yeux
Et son émoi répondre à une voix née de la terre.
Si tu peux sentir nos affections chagrinées par le Temps
Et te satisfaire du bien-être des simples choses terrestres,
Si tes yeux peuvent rester contents sur cette glèbe,
Et cette quintessence du délice céleste,
Ton corps doré, se jouer de la fatigue
Et faire peser ta grâce sur notre sol,
Goûter même les douces nourritures passagères de la terre
Et le vin bondissant des torrents,
Alors descends.
Que ton voyage s’achève, déchois parmi nous.
Tout proche, enveloppé de liserons, l’ermitage de mon père
Se cache sous la haute frondaison de ces rois silencieux,
Fêté par les chœurs en robes diaprées
Dont le chant transcrit en musique
Le livret passionné des branches colorées
Et emplit les heures de leurs cris mélodieux.
Sois accueillie par le bourdonnement des abeilles,
Viens envahir notre royaume aux forêts de miel;
Laisse-moi te conduire là dans une vie opulente.
Dépouillée, simple, est la vie forestière de l’ermite,
Et pourtant habillée de tous les joyaux de la terre.
Les vents sauvages courent, seuls visiteurs des cimes houleuses;
Au long des jours tranquilles les sentinelles de la paix là-haut
Couchées sur la robe pourpre du ciel
Veillent sur un trésor de secrets et de silences
Et les eaux nuptiales chantent dans les chambres intérieures.
Énormes, murmurants, de maintes formes autour de nous,
Les hauts dieux de la forêt ont pris dans leurs bras
L’heure humaine, cet hôte de leurs siècles somptueux.
Les matins sont parés d’or et de verdure,
Le soleil et les ombres tapissent les murs
Pour faire une chambre de repos digne de toi.”
Un moment, elle est restée silencieuse,
Comme si elle entendait encore sa voix,
Craignant de rompre le charme;
Puis, lentement, elle a parlé.
Rêveuse, elle a répondu:
“Je suis Savitri, princesse de Madra.
Qui es-tu? Quel nom musical sur cette terre
Exprime ce que tu es parmi les hommes?
Quel arbre de roi, baigné par quelles eaux fortunées
A fleuri enfin sur cette seule branche heureuse?
Pourquoi demeures-tu dans cette forêt sans chemin
Loin des hauts faits que ta glorieuse jeunesse voudrait,
Cet antre d’anachorètes et de la progéniture sauvage de la terre
Où seul tu rôdes avec ton moi spectateur
Dans la solitude verte de la Nature non humaine
Encerclé par d’énormes silences
Et le murmure aveugle des premiers âges tranquilles?”
Et Satyavane de répondre à Savitri:
“Du temps où ses yeux voyaient encore la lumière de la vie,
Le roi Dyumatsena, de Shalwa, régnait autrefois
Sur toutes les étendues qui regardent vers le ciel du Sud
Derrière ces cimes qui passent leurs jours de délice verdoyant
En conversation confiante avec les vents voyageurs
Et posent leur flanc sur ces montagnes rêveuses.
Mais le même destin a retiré sa main protectrice;
Une nuit vivante a emmuré le chemin de cet homme puissant,
Les dieux de la divine lumière ont repris leur insouciant bienfait
Privé ses yeux béants du secours de leur heureux rayon
Et enlevé la déesse aléatoire de ses côtés.
Exilé de l’empire de la lumière extérieure,
Abandonné de la camaraderie des hommes qui voient,
Il habite une double solitude, dedans,
Et dehors parmi le bruissement majestueux des forêts.
Fils de ce roi, moi, Satyavane, j’ai vécu
Satisfait, car je n’étais pas encore conscient de toi,
Dans l’isolement de mon esprit hautement peuplé
Et ce grandiose murmure vital parent de moi,
Nourri par la Vastitude, élève de la solitude.
La grande Nature est venue retrouver son enfant;
J’ai régné sur un royaume d’une espèce plus noble
Que ne peuvent bâtir les hommes sur le sol de cette Matière épaisse;
J’ai trouvé la franchise de la terre primitive
J’ai goûté la familiarité de Dieu enfant.
Dans les hautes chambres tapissées de sa splendeur,
Libre dans son palais sans limites, j’ai habité,
Caressé par la tendre Mère de nous tous;
Élevé avec mes frères naturels dans sa maison.
J’ai posé ma tête dans les grands bras nus des cieux,
La bénédiction radieuse du soleil embrassait mon front,
L’extase argentée des rayons de lune, la nuit
Berçait dans le sommeil mes paupières closes.
Les matins de la terre étaient à moi;
Leurré par les murmures légers des heures en robe verte
Je me suis perdu dans les bois, vagabond porté par la voix
Des vents et des torrents, compagnon de la joie du soleil,
J’écoutais le langage universel;
Satisfait dedans, mon esprit savait
Notre droit de naissance divin, l’opulence de notre vie
Et que la terre et les cieux sont nos propriétés intimes.
Même avant que le destin ne me conduise en ce monde d’émeraude,
Éveillé par quelque mémoire prévoyante en moi,
Une première prescience dans mon mental touchait
La grande conscience muette de la terre animale
Devenue maintenant si proche de moi qui ai quitté les vieilles solennités
Afin de vivre dans ce grandiose murmure léger et vaste.
Déjà, je rencontrais la grande Mère dans le songe de mon esprit,
Des yeux intérieurs et des sens intérieurs réveillaient
Comme un pays de l’âme au fond
Qui transposait l’imagerie vivace de la terre.
Une vision enchantée poursuivait mes heures d’enfant,
Tout ce que l’œil saisissait dans les lignes colorées
Était vu nouvellement par un mental traducteur
Et dans la forme des choses, cherchait à saisir l’âme.
Un tendre dieu-enfant prenait ma main
Et poussée, guidée par ce que cherchait son toucher,
Ma main tenait des formes lumineuses et colorées
Que je voyais s’enfuir par ses yeux:
Dessinées sur une page ou dans la pierre,
Elles parlaient aux hommes.
De hauts visiteurs de beauté étaient mes habitants.
Crinière au vent, les fiers hennissements de la vie fougueuse
Vagabondant dans nos pâtures
Se muait en formes ailées sous mes yeux changeants;
La troupe des daims dans le ciel vespéral
Devenait un chant du soir au silence de l’âme.
J’ai soudain surpris un œil éternel
Dans l’étincelant plongeon du martin-pêcheur sur un étang obscur;
Un lent cygne argentait le lac d’azur,
Une forme d’une blancheur magique faisait voile par mes rêves;
Des feuillaisons tremblantes sous la passion du vent
Et des ailes voyageuses sorties de l’infini
Venaient toutes vivantes sur les tablettes de mon regard intérieur;
Les montagnes et les arbres se dressaient devant moi
Comme des pensées de Dieu.
Les papillons diaprés, telles des fleurs de l’air conscientes,
Les longs becs colorés dans leur plumage éclatant,
Le paon éparpillant ses lunes ocellées dans la brise,
Peignaient ma mémoire comme une fresque murale.
Je frayais ma vision dans la pierre et dans le bois;
J’ai saisi les échos d’un verbe suprême
Et mesuré les pulsations rythmiques de l’infinitude
Et capté la Voix éternelle dans une note de musique.
J’ai senti une main secrète, j’ai entendu un appel,
Mais je n’ai pas pu embrasser le corps de mon Dieu
Ni tenir entre mes mains les pieds de la Mère des mondes.
Dans les hommes, j’ai rencontré d’étranges morceaux d’un Moi
Qui poursuivaient des fragments et vivaient dans les fragments:
Chacun vivait en soi et pour soi seul
Et avec le reste nouait seulement des liens fugitifs;
Chacun se passionnait de sa joie dehors et de son chagrin
Nul ne voyait l’Éternel dans sa maison secrète.
J’ai conversé avec la Nature, médité avec les étoiles inaltérables,
Feux de bivouac de Dieu dans la Nuit ignorante,
Et vu tomber sur le grandiose visage des Ténèbres
Un rayon prophétique du soleil de l’Éternel.
Je me suis assis avec les sages de la forêt dans leur extase,
J’ai senti couler les torrents résurrecteurs de la lumière diamantine,
J’ai perçu la présence de l’Un en tout.
Mais toujours manquait l’ultime pouvoir transcendant
Et toujours la Matière dormait, vide de son Seigneur.
L’esprit était sauvé, mais le corps, perdu et muet,
Vivait toujours avec la Mort et l’antique Ignorance;
L’Inconscient était sa base, le Vide son destin.
Mais tu es venue, alors sûrement tout va changer:
Je sentirai la Mère des Mondes dans tes membres dorés
Et j’entendrai sa sagesse par ta voix sacrée.
L’enfant du Vide renaîtra en Dieu.
Ma Matière s’évadera de l’hypnose de l’Inconscient,
Mon corps, comme mon esprit, sera libre:
Il sortira de la Mort et de l’Ignorance.”
Et Savitri, toujours rêveuse, répondit:
“Parle encore, parle-moi encore, ô Satyavane,
Parle de toi-même et de tout ce que tu es dedans;
Je voudrais te connaître comme si depuis toujours
Nous avions vécu ensemble dans la chambre de nos âmes.
Parle jusqu’à ce qu’une lumière entre dans mon cœur
Et l’émotion de ma pensée mortelle comprenne
Ce que sent tout l’être immortel en moi.
Il sait que tu es celui-là que mon esprit a cherché
Parmi la foule des visages et des formes de la terre
À travers les espaces dorés de ma vie.”
Et Satyavane, comme une harpe rejoint
L’appel pressant d’une flûte,
Répondit à sa question en laissant couler son cœur
Par grandes vagues de maintes couleurs:
“Ô princesse d’or, ô parfaite Savitri,
Plus encore je voudrais dire que ne peuvent dire les mots défaillants
Dire tout ce que tu as signifié pour moi, inconnue,
Et tout ce qu’un éclair d’amour révèle.
Dans une seule grande heure qui dévoile les dieux
Même une brève rencontre a recréé ma vie.
Car je sais maintenant que tout ce que j’ai vécu et étais
Allait vers ce moment de renaissance de mon cœur;
Quand je regarde derrière moi, je vois le sens de ce moi:
Une âme se préparait pour toi sur le sol de cette terre.
Jadis, mes jours étaient comme les jours des autres hommes:
Penser et agir était tout, jouir et respirer,
Tel était le large et le haut de l’espoir mortel;
Pourtant, venaient des aperçus d’un moi plus profond
Qui vit derrière la vie et fait de la vie la scène de ses actes.
Une vérité se sentait qui masquait sa forme derrière l’écran mental,
Une Grandeur à l’œuvre qui marchait vers un but caché,
Et, vaguement, derrière les formes de la terre, il y avait un regard
Un quelque chose que la vie n’est pas encore mais qui doit être.
À tâtons j’allais vers le Mystère avec la lanterne de la Pensée.
Ses lueurs éclairaient avec des mots abstraits
Un terrain pénombreux et, mètre par mètre,
Faisaient la carte d’un système du Moi et de Dieu.
Je n’arrivais pas à vivre la vérité que la lanterne disait et pensait.
Je voulais saisir la vérité dans ses formes visibles
Espérant fixer son code par le mental mortel,
J’imposais l’étroite structure d’une loi du monde
À la liberté de l’Infini,
Un squelette de Vérité extérieure, solide et rigoureux,
Un schéma mental d’un Pouvoir mécanique.
Cette lumière montrait davantage encore les ténèbres impénétrées;
Elle rendait plus occulte encore le secret originel.
Elle ne pouvait pas analyser son voile cosmique
Ni entrevoir la main cachée de l’Ouvrier des Prodiges
Ni retrouver la trace et la trame de ses plans magiques.
Je me suis plongé dans la voyance d’un Mental interne
Et j’ai su les lois secrètes et les sorcelleries
Qui font de la Matière l’esclave hébété du mental.
Le mystère n’était pas résolu, mais il s’approfondissait davantage.
J’ai essayé de trouver sa piste par l’Art et la Beauté,
Mais la Forme ne peut pas dévoiler le Pouvoir qui l’habite,
Elle jette seulement ses symboles sur notre cœur.
Elle évoquait un état d’âme du moi, invoquait un signe
De toute cette gloire qui couve et cache son sens:
Je vivais dans un rayon mais ne voyais pas le Soleil en face.
J’ai regardé le monde et manqué le Moi,
Et quand j’eus découvert le Moi, j’ai perdu le monde,
Perdu mes autres moi et le corps de Dieu,
Le chaînon entre le fini et l’Infini,
Le pont entre les apparences et la Vérité,
Le but mystique pour lequel ce monde fut créé,
Le sens humain de l’Immortalité.
Mais maintenant, le maillon d’or vient à moi avec tes pas
Et Son soleil d’or a rayonné sur moi par ta face.
Car, maintenant, avec toi, un autre règne approche
Et, maintenant, des voix plus divines emplissent mon oreille,
Un étrange monde nouveau coule vers moi par tes yeux
Et s’approche comme une étoile venue de cieux inconnus;
Un cri des sphères vient avec toi
Et un chant des dieux de flamme.
Je respire un air plus riche,
Les moments marchent à un rythme plus brûlant.
Transfiguré, mon mental est saisi de l’ivresse du Voyant.
Une cascade de joie bondissante à traversé les ondes
Légère comme l’écume,
Et changé mon cœur, et changé la terre autour:
Tout est rempli par ta venue.
L’air, la terre, les rivières ont mis leurs robes de noces
Pour s’apprêter à toi
Et la lumière du soleil est devenue une ombre de ta couleur
Car ton regard a tout changé en moi.
Viens plus près, descends de ton char de lumière
Sur cette prairie verte, ne dédaigne point notre sol.
Il y a ici des espaces secrets faits pour toi
Et leurs grottes d’émeraude rêvent d’abriter ta forme.
Ne veux-tu pas faire ta sphère de cette joie mortelle?
Descends, ô Félicité, pose tes pas de lune dorée,
Féconde les fonds de la terre endormie sur laquelle nous gisons.
Ô ma lumineuse princesse de beauté, Savitri,
Pour mon délice et par ta propre joie contrainte
Entre dans ma vie, ta chambre, ton sanctuaire.
Dans la grande paix où les esprits se rencontrent,
Conduite par mon silencieux désir dans mes forêts,
Permets que les hautes voûtes bruissantes se penchent sur toi;
Une avec le souffle des choses éternelles, vis ici,
Tes battements de cœur unis aux miens,
Jusqu’à ce que jaillisse, enchanté par la fragrance des fleurs,
Un moment dont tous les murmures se rappelleront
Et chaque oiseau se souviendra dans son cri.”
Tirée de ses profondeurs par la passion de ces mots
L’âme insondable de Savitri a regardé Satyavane;
Par ses lèvres, des sons limpides ont parlé.
Elle a prononcé ces seuls mots, qui disaient tout:
“Ô Satyavane, je t’ai entendu et je sais;
Je sais que toi et toi seulement, est celui-là.”
Alors elle est descendue des hauteurs de son char sculpté
Avec une douce hâte hésitante;
Sa robe de maintes couleurs chatoyait dans la lumière
Flottant, un moment, sur les herbes folles,
Mêlée aux rayons changeants de son propre corps
Comme le plumage irisé d’un oiseau qui se pose.
Sur l’or vert de la prairie, ses pas radieux
Éparpillaient une vieille mémoire de joie égarée
Et doucement pressaient le désir muet de la terre
Qui chérissait ce trop bref passage sur son sol.
Alors ses mains légères comme les ailes du papillon argenté
Cueillirent à l’orée de la forêt dans les buissons ensoleillés
Une brassée bourdonnante de corolles ardentes,
Compagnes du printemps et de la brise.
Ses doigts agiles ont tissé une fraîche guirlande candide
Comme une chanson de fleurs pour un cantique nuptial.
Ils mêlèrent le parfum et les couleurs profondes de leurs rêves
Et par ce signe coloré de leur aspiration
Savitri et Satyavane firent un
La fleur de leur pureté et de leur passion.
Tel un sacrement de joie dans ses paumes aimantes,
Elle apportait le symbole fleuri de l’offrande de sa vie;
Puis, les mains levées, tremblant un peu maintenant
De cette intimité que son âme appelait,
Elle a posé ce lien de tendresse, ce signe de leur union lumineuse,
Sur la poitrine rêvée par son amour.
Comme devant quelque dieu gracieux
Sorti des brumes de sa grandeur resplendissante
Pour emplir de beauté les heures de son adorateur,
Elle s’est prosternée devant Satyavane,
Touchant ses pieds avec des mains d’adoration:
Elle faisait de sa vie un monde où il pouvait poser ses pas
Elle faisait de son corps sa chambre de délice,
Elle faisait des battements de son cœur une mémoire de son bonheur.
Il s’est penché vers elle et il a pris dans son cœur
Leur aspiration mariée et les mains jointes de leurs espoirs;
Soudainement, c’était comme s’il prenait possession
De tout un monde de richesses
Qui se mariait à tout ce qu’il avait été, qui devenait lui-même,
Une inépuisable joie devenue sienne uniquement,
Et il a serré Savitri tout entière dans ses bras.
Cette embrasse autour d’elle devenait le signe
D’une union scellée pour de lentes années intimes,
Un premier sommet tendre du délice à venir,
Une seconde intense de toute une longue vie.
Dans ce vaste moment où deux âmes se joignent
Savitri sentait son être couler en lui comme se verse un fleuve
Vague par vague dans une puissante mer.
De même qu’une âme se fond en Dieu
Pour vivre en Lui à jamais et connaître Sa joie,
Sa conscience maintenant savait lui seulement
Et tout son moi séparé était perdu dans le sien.
Comme le ciel étoilé encercle la terre heureuse
Il l’embrassait en lui dans un cercle de bonheur
Et embrassait le monde et elle en lui.
Une île sans bornes faisait un seul corps;
Il savait qu’elle l’enveloppait
Et en même temps, elle l’imprégnait jusqu’à l’âme
Tel un monde qui s’emplit de l’esprit du monde,
Tel le mortel qui s’éveille à l’Éternité,
Tel le fini qui s’ouvre à l’Infini.
Ainsi se perdirent-ils l’un en l’autre pendant un temps,
Puis, se retirant de leur longue transe extatique
Ils entrèrent dans un moi nouveau et dans un monde nouveau.
Chacun, maintenant, faisait partie de l’unité de l’autre.
Le monde était seulement la scène de leur découverte jumelle
Ou le corps plus vaste de leur propre être marié.
Sous la haute coupole ardente de ce jour-là
Le destin tissait un nœud avec les fils de l’auréole matinale;
Alors, sous les auspices d’une heure faste,
Unis par le cœur devant le soleil, ce feu sacrificiel de leurs noces,
Le mariage du Seigneur éternel et de son Épouse
Eut lieu de nouveau sur la terre et dans une forme humaine:
Dans un nouvel acte du drame cosmique
Les Deux-en-Un ouvraient un âge plus noble.
Parmi le silence et le murmure de ce monde d’émeraude
Et le balbutiement des versets sacrés du prêtre des vents,
Parmi le choral bruissant des feuilles nouvelles
Les deux de l’Amour étaient réunis et devenus un.
Une fois de plus, le miracle naturel s’accomplissait:
Dans l’immuable monde de l’idéal
Un moment humain devenait éternel.
Alors, par l’étroit sentier où leurs vies s’étaient rejointes
Il l’a conduite et lui a montré son monde futur,
Ce refuge de l’Amour, ce coin d’heureuse solitude.
Au bout du sentier, par une trouée verte dans les arbres,
Elle a vu une allée fleurie et les toits de l’ermitage
Et tout de suite trouvé la future maison de son cœur,
Le chaume qui abritait la vie de Satyavane.
Ornée de liserons pourpres et de vigne vierge
Elle rappelait une beauté sylvestre de ses rêves
Endormie, le corps bronzé, les cheveux défaits,
Dans sa chambre de verdure inviolée et paisible.
Autour s’étendait l’âme contemplative de la forêt
Perdue dans les profondeurs de sa propre solitude.
D’abord saisie d’une joie profonde, elle ne savait plus les mots,
Un petit écho tremblait dans ses paroles,
Puis sa voix ravie a crié vers Satyavane:
“Mon cœur restera ici, à l’orée de cette forêt
Tout près de ce toit de chaume tandis que je serai loin:
Maintenant il n’est plus besoin d’errer.
Mais il me faut revenir en hâte à la maison de mon père
Qui bientôt n’entendra plus le bruit familier des pas qu’il aimait
Et attendra en vain la voix qu’il chérissait.
Mais bientôt je reviendrai et, plus jamais,
Notre unité ne doit rompre sa joie retrouvée
Ni le destin séparer nos vies tant que la vie est nôtre.”
Une fois de plus, elle est montée sur son char sculpté
Et dans l’ardeur de ce midi de feu
Moins éclatant que la splendeur de ses pensées et de ses rêves,
Elle a volé, brides abattues et cœur battant,
Mais elle voyait encore
Dans l’immobile lucidité du monde intérieur
Parmi la fraîcheur parfumée des bois attristés
Sur les sentiers ombreux entre les hauts troncs rugueux
Satyavane marcher vers une clairière tranquille.
Une chaumière d’ermite enchâssée dans une nef de ramures,
Cette nouvelle cachette de sa joie profonde
Ce temple et cette demeure de son âme étaient plus chers que les cieux.
Ceci maintenant restait la scène constante de son cœur.
FIN DU CHANT TROIS
FIN DU LIVRE CINQ
1 Les Apsaras jouent de nombreux rôles entre la terre et les cieux mais elles sont surtout connues pour leur danse sacrée devant les dieux.
2 Comme Zeus et Jupiter, Indra est armé de la foudre.