Sri Aurobindo
Savitri
A Legend and a Symbol
traduction de Satprem
Livre Dix: Le Livre du double demi-jour
Chant Trois
Le Débat de l’Amour et de la Mort
La triste cadence de la voix destructrice est retombée;
Elle semblait conduire le cheminement de la Vie
Dans quelque Néant originel.
Mais Savitri répondit à la toute-puissante Mort:
“Ô toi, sophiste de l’univers au front noir
Qui voiles le Réel avec ta propre Idée,
Cachant la face vivante de la Nature derrière des objets bruts,
Masquant l’éternité avec ta danse de mort,
Tu as tissé le Mental ignorant comme un écran
Et tu as fait de la Pensée le fournisseur et le scribe de l’erreur,
Un faux témoin des sens au service du Mental.
Ô toi, esthète de la douleur du monde,
Champion d’une dure et triste philosophie
Tu t’es servi de mots pour fermer les fenêtres de la Lumière
Et appelé la Vérité pour défendre un mensonge.
Une réalité menteuse est la couronne de la fausseté
Et une vérité pervertie, son joyau le plus riche.
Ô Mort, tu dis la Vérité, mais une Vérité qui tue,
Je te réponds par la Vérité qui sauve.
Un voyageur à la découverte de lui-même,
L’Un a fait du monde de la Matière son point de départ,
Il a fait du Rien sa chambre de vie
Et de la Nuit un processus de la lumière éternelle
Et de la mort, un éperon vers l’immortalité.
Dieu a caché ses yeux et couvert sa tête sous un capuchon de Matière,
Sa conscience a plongé dans les profondeurs de l’inconscient,
La toute-connaissance semblait une énorme ignorance noire;
L’infinité prenait la forme d’un zéro illimité.
Ses abîmes de félicité devenaient des gouffres insensibles,
L’éternité, une Vastitude spirituelle vide.
Annulant une nullité originelle,
L’Éternel a posé sa base dans le vide
Et tracé l’image d’un univers
Pour que l’esprit puisse s’aventurer dans le Temps
Et se battre contre l’inflexible Nécessité
Et l’âme poursuivre son pèlerinage cosmique.
Un esprit vibrait dans les immensités noires
Et bâtissait une Pensée dans l’antique Néant;
Une âme s’allumait dans l’énorme Vide de Dieu,
Une secrète chaleur s’enfantait dans un feu naissant.
Sa prodigieuse Puissance œuvrait dans le gouffre du Nihil;
Elle a lancé en formes son mouvement informe
Fait de la Matière le corps du Sans-corps.
Enfantines et obscures, les Forces éternelles se sont éveillées.
Dans la Matière inerte respirait une Vie assoupie,
Dans une Vie subconsciente, le Mental reposait endormi;
Dans la Vie réveillée elle a tendu ses gigantesques membres
Pour secouer la torpeur de cette somnolence:
Une substance sans sens a tressailli dans une sensibilité,
Le cœur du monde a commencé à battre, ses yeux à voir.
Dans la foule des vibrations d’un cerveau abasourdi,
La Pensée décrivait des cercles pour se trouver elle-même
Découvrait la parole et allaitait le Verbe nouveau-né
Jetant un pont et des arches de lumière sur l’ignorance du monde.
Dans le Mental réveillé, le Penseur bâtissait sa maison.
Un animal raisonnant voulait, combinait et cherchait;
Il se tenait droit parmi ses compères bruts,
Il bâtissait à neuf la vie, mesurait l’univers,
Résistait à son destin et luttait contre des Forces invisibles,
Conquérait et se servait des lois qui gouvernent le monde
Et espérait chevaucher les cieux et toucher aux étoiles,
Maître de son énorme environnement.
Maintenant, le demi-dieu regarde fixement par les fenêtres du Mental
Caché derrière les rideaux de l’âme humaine:
Il a vu l’Inconnu, regardé la face sans voile de la Vérité;
Un rayon du Soleil éternel l’a touché;
Immobile, sans voix dans les profondeurs prescientes
Il est éveillé dans la lumière du Surnaturel
Et voit une gloire d’ailes qui s’élèvent
Et il voit descendre la vaste force de Dieu.
Ô Mort, tu regardes seulement un monde inachevé
Assailli par toi et incertain de sa route,
Peuplé par des vies ignorantes et des pensées imparfaites,
Alors tu dis que Dieu n’est pas et que tout est vain.
Comment l’enfant pourrait-il déjà être l’homme?
Parce qu’il est enfantin, ne grandira-t-il jamais?
Parce qu’il est ignorant, n’apprendra-t-il jamais?
Dans une petite graine fragile, un grand arbre guette,
Dans un gène minuscule, un être pensant est enfermé;
Un petit élément dans un petit sperme,
Grandit et devient conquérant et sage.
Alors vomiras-tu, ô Mort, la vérité mystique de Dieu,
Nieras-tu le miracle spirituel occulte?
Diras-tu encore qu’il n’y a pas d’esprit, pas de Dieu?
Une Nature matérielle muette s’éveille et voit:
Elle a inventé la parole, dévoilé une volonté.
Quelque chose là attend plus loin vers quoi elle lutte,
Quelque chose l’enveloppe en quoi elle grandit:
Démasquer l’esprit, se retransformer en Dieu,
Se dépasser elle-même, telle est sa tâche transcendante.
Dissimulé en Dieu, le monde a commencé d’être,
Lentement il voyage vers Dieu manifeste:
Notre imperfection peine vers la perfection,
Le corps est la chrysalide d’une âme,
L’infini tient la finitude dans ses bras,
Le temps voyage vers l’éternité révélée.
Miraculeuse structure du Mage éternel,
La Matière cache à ses propres yeux son mystère,
Écriture rédigée en signes énigmatiques,
Document occulte de l’art du Tout-Merveilleux.
Tout ici-bas témoigne de sa puissance secrète,
En tout nous sentons sa présence et sa force.
Une flambée de sa souveraine gloire est le soleil,
Une gloire est l’or miroitant de la lune,
Une gloire est son rêve de ciel pourpre.
Une marche de sa grandeur est le roulement des étoiles.
Son rire de beauté éclate dans les arbres verts,
Ses moments de beauté triomphent dans une fleur;
Le chant de sa mer bleue, la voix vagabonde du ruisseau
Sont des murmures tombés de la harpe de l’Éternel.
Ce monde est l’accomplissement de Dieu dans l’extériorité.
Ses voies défient notre raison et nos sens;
Par les mouvements aveugles d’une Force ignorante et brute
Par des moyens que nous méprisons comme infimes, obscurs ou vils,
Une grandeur fondée sur des petites choses,
Il a bâti un monde dans le Vide inconscient.
Ses formes, il les a massées avec de la poussière infinitésimale,
Ses merveilles sont bâties avec d’insignifiantes choses.
Si le mental est infirme, si la vie est fruste et grossière,
S’il y a des masques de brute et des actes méchants,
Ce sont des incidents dans son vaste complot varié,
Son grand et dangereux drame avait besoin d’étapes;
Il fait de tout cela son mystère et son jeu de la passion,
Un jeu et pourtant pas un jeu mais le plan profond
D’une Sagesse transcendante qui cherche ses moyens
Pour rencontrer son Seigneur dans l’ombre et la Nuit:
Au-dessus d’elle, les étoiles font vigile;
Regardée par une Infinitude solitaire
Elle incarne le Divin dans la Matière muette,
L’Absolu dans des esprits et des vies symboliques.
Son art mécanique est un fabriquant de miracles;
La machine de la Matière a élaboré les lois de la pensée,
Les moteurs de la Vie ont servi l’enfantement d’une âme:
La puissante Mère a façonné sa création,
Un énorme caprice enchaîné par ses propres lois de fer,
Et enfermé Dieu dans un monde énigmatique:
Elle a bercé l’Omniscient dans un sommeil inconscient,
Elle a fait marcher l’Omnipotent sur le dos de l’Inertie,
Parcouru parfaitement à pas divins inconscients
L’énorme cercle de ses œuvres prodigieuses.
L’immortalité s’est assurée elle-même par la mort,
La face de l’Éternel se montre par les marées du Temps.
Sa connaissance, il l’a déguisée en Ignorance,
Son Bien, il l’a semé dans le monstrueux lit du Mal,
Il a fait de l’erreur une porte par où la Vérité puisse entrer,
Ses graines de félicité, il les a arrosées par les larmes de la Douleur.
Un millier d’aspects ramènent au Un;
Une Nature double recouvre l’Unique.
Dans ce rendez-vous des masques mélangés de l’Éternel,
Cette danse entrelacée de contraires passionnés
Noués comme des amants dans une embrasse interdite
Dans la querelle de leur identité perdue,
Dans cette lutte et cette dispute des extrêmes de la Puissance
Les millions de routes de la terre allaient cahin-caha vers la divinité.
Tous trébuchaient derrière un Guide trébuchant
Et pourtant chaque faux pas était un pas nécessaire
Sur des routes inconnues vers un but inconnaissable.
Tous bâtissaient et vaguaient à l’aveuglette vers l’un Divin.
Comme transmués par un maléfice de titan
Les forces éternelles prenaient un visage équivoque:
Idoles d’une divinité oblique,
Elles portaient la tête de l’animal ou du troll,
Arboraient les oreilles pointues du faune, les cornes du satyre
Ou abritaient le démoniaque dans leur regard.
Elles ont fait un dédale tortueux du mental pensant,
Souffert une métamorphose du cœur
Laissé entrer les orgies nocturnes de la Bacchante
Dans le sanctuaire des délices,
Comme dans une mascarade Dionysiaque.
Sur les grand-routes, dans les jardins du monde
Ils se sont vautrés, oublieux de leur élément divin,
Comme des ivrognes d’un terrible vin de Circé1
Ou un enfant qui joue et se roule dans la boue de la Nature.
Même la sagesse qui fraye les routes de Dieu
Est un complice dans ce jeu désastreux profond:
Perdues sont la sacoche et la besace du pèlerin,
Elle n’arrive plus à lire la carte et à regarder l’étoile.
Une pauvre vertu pharisaïque est tout son répertoire
Et le tâtonnement pragmatique de la raison ou sa vision abstraite,
Ou bien elle enseigne la technique d’une brève heure de succès, Huissière dans l’école des utilités.
À la surface d’un vaste océan de Conscience
De petites pensées se pêchent par bancs dans un filet
Mais les grandes vérités échappent à son étroite lancée:
Dissimulées à la vue dans les profondeurs de la création,
Obscures elles nagent en d’énormes gouffres aveugles
À l’abri des petits plombs de sonde du mental
Trop lointaines pour le chétif plongeur des hauts fonds.
Notre vision mortelle fouille avec des yeux ignorants;
Elle ne voit rien du cœur profond des choses.
Notre Connaissance marche appuyée sur le bâton de l’Erreur,
Adoratrice de faux dogmes et de faux dieux,
Ou fanatique d’une croyance cruelle et intolérante
Ou comme un chercheur qui doute de chaque vérité qu’il trouve,
Sceptique qui fait face à la Lumière avec un Non de pierre
Ou qui glace le cœur d’un sourire ironique et sec,
Cynique qui éteint le dieu dans l’homme;
Une obscurité se vautre sur les chemins du Temps
Ou dresse sa tête de géant pour souiller les étoiles;
Elle brouille le mental qui interprète
Et intercepte les oracles du Soleil.
Et pourtant la Lumière est là, elle attend aux portes de la Nature:
Elle garde un flambeau pour faire entrer le voyageur.
Elle attend d’être allumée dans nos cellules secrètes;
C’est une étoile qui éclaire une mer ignorante,
Une lampe qui perce la nuit sur notre dunette.
À mesure que la connaissance grandit, la Lumière flambe du dedans:
C’est un brillant guerrier dans le mental,
Un aigle des rêves dans le cœur pressentant,
Une armure dans la bataille, un arc de Dieu.
Alors des aurores plus larges se lèvent et les splendeurs de la Sagesse
Sillonnent la vague pénombre des champs de l’existence;
La Philosophie escalade les pics ennuagés de la Pensée
Et la Science arrache les forces occultes de la Nature,
Énormes djinns au service des petites commodités d’un nain,
Elle met à nu la minutie hermétique de son art
Et la conquiert par ses propres forces emprisonnées.
Sur des hauteurs inatteintes par les plus audacieuses envolées du mental,
Sur une dangereuse crête du Temps déclinant
L’âme se retire dans son Moi immortel:
La connaissance de l’homme devient le Rayon suprême de Dieu.
Il y a un royaume mystique d’où jaillit la force
Dont le feu brûle dans les yeux du prophète et du sage;
Un éclair soudain de vision panoramique
Joue au bord d’un mental intérieur:
La Pensée silencieuse regarde dans un Vide qui brille.
Une voix descend des invisibles pics mystiques:
Un cri de splendeur dans une bouche de tempête,
C’est la voix qui parle aux profondeurs de la nuit,
C’est la foudre et l’appel qui flambe.
Au-dessus des plans qui grimpent de la terre ignorante,
Une main se lève vers le royaume de l’invisible
Par-delà la ligne éblouissante du Supraconscient
Et arrache les écrans de l’Inconnu;
Un esprit dedans regarde dans les yeux de l’Éternel.
Il entend le Verbe auquel nos cœurs étaient sourds,
Il voit à travers le flamboiement qui rendait aveugles nos pensées;
Il boit à la poitrine nue de la Vérité glorieuse,
Il apprend les secrets de l’éternité.
Ainsi tout était plongé dans la Nuit énigmatique,
Ainsi tout monte à la rencontre d’un Soleil éblouissant.
Ô Mort tel est le mystère de ton règne.
Sur le sol magique et anormal de la terre,
Emporté par le soleil dans son voyage sans but
Au milieu de la marche forcée des grandes étoiles muettes
Une obscurité a occupé les champs de Dieu
Et le monde de la Matière fut gouverné par ta forme.
Ton masque a recouvert la face de l’Éternel,
La Félicité qui fit le monde est tombée dans le sommeil.
Abandonnée dans le Vaste, elle est restée assoupie:
Une transmutation maléfique s’est emparée de ses membres
Et finalement elle ne se connaissait plus elle-même.
Seulement par de furtives échappées dans son sommeil créateur
De frêles mémoires de la joie et de la beauté destinées
Sous le rire bleu du ciel parmi les écharpes vertes des arbres
Et l’heureuse abondance des senteurs et des couleurs,
Dans les champs de la promenade dorée du soleil
Et la veillée de la lumière rêveuse des étoiles,
Ou parmi les hautes crêtes méditatives des montagnes,
Sur la poitrine voluptueuse de la terre caressée de pluie
Et près des rouleaux de saphir de la mer.
Mais maintenant l’innocence première est perdue
Et la Mort et l’Ignorance gouvernent le monde mortel
Et le visage de la Nature porte une teinte plus grise.
La terre a gardé encore son charme et sa grâce des commencements,
La grandeur et la beauté sont encore à elle,
Mais voilé est l’Habitant divin.
L’âme des hommes s’est égarée de la Lumière
Et la Grande Mère détourne sa face.
Les yeux de la Félicité créatrice sont clos
Et une note de douleur l’a surprise dans ses rêves.
Elle se tourne et se retourne sur son lit de Vide,
Parce qu’elle ne peut pas se réveiller et se trouver elle-même
Et ne peut pas rebâtir sa forme parfaite,
Oublieuse de sa nature et de son état,
Oubliant son instinct de félicité,
Oubliant de créer un monde de joie,
Elle pleure et fait pleurer les yeux de ses créatures;
Éprouvant la poitrine de ses enfants par le tranchant du chagrin,
Elle verse sur les vains espoirs de la vie et sur ses peines
Le luxe poignant du chagrin et des larmes.
Dans le rêve semi-conscient du cauchemar de son changement,
Elle-même torturée et torturante de sa propre main
Elle vient dans nos cœurs et nos corps et nos vies
Portant le masque cruel et dur de la douleur.
Notre nature dénaturée par cette naissance avortée
Renvoie des réponses tordues aux chocs interrogateurs de la vie,
Trouve une saveur acerbe dans les tourments du monde
Et boit le vin amer de la perversion du chagrin.
Une malédiction frappe la pure joie de la vie:
Le délice, signe le plus doux de Dieu et inséparable de la Beauté,
Redouté par les aspirants à la sainteté et les sages austères,
Est rejeté comme une tromperie dangereuse et ambiguë
La duperie spécieuse d’une Force infernale
Pour induire l’âme à sa propre destruction et à sa chute.
Un Dieu puritain a fait du plaisir un fruit venimeux
Ou une drogue rouge sur le marché de la Mort
Et du ravissement de la Nature un enfant du péché.
Pourtant chaque créature est à la recherche du bonheur
Et par de dures douleurs ou par la violence
Arrache à la poitrine épaisse d’un globe inanimé
Quelque fragment ou miette de félicité brisée.
Même la joie devient un breuvage empoisonné,
Sa soif se change en redoutable piège du Destin.
Tous les moyens sont bons pour attraper un seul rayon,
L’éternité est sacrifiée pour un moment de délice:
Pourtant c’est pour la joie et non la douleur que la terre fut faite
Et non comme un rêve dans un interminable Temps de souffrance.
Quoique Dieu ait fait ce monde pour son délice,
Une Force ignorante l’a pris entre ses mains avec la semblance de Sa Volonté
Et la profonde fausseté de la Mort a possédé la Vie.
Tout est devenu un jeu de Hasard qui simule le Destin.
Notre esprit respire un air secret
De pure félicité, profond comme le saphir des cieux,
Notre cœur et notre corps sentent obscurément son appel
Nos sens tâtonnent à sa recherche et le touchent et le perdent.
Si cela se retirait, le monde coulerait dans le Vide
Si cela n’était pas, rien ne pourrait bouger ni vivre.
Une Félicité cachée est à la racine des choses.
Un Délice muet regarde les innombrables œuvres du Temps:
Pour loger la joie de Dieu dans les choses, l’Espace donnait un vaste champ
Pour loger la joie de Dieu en soi-même, nos âmes sont nées.
Cet univers garde un vieil enchantement,
Ses objets sont des coupes taillées dans le Délice du monde
Un vin enchanté est la boisson ravie d’une âme profonde:
Le Tout-Merveilleux a rempli les cieux de ses rêves,
Il a fait de l’antique Espace vide sa maison des merveilles;
Il a déversé son esprit dans les signes de la Matière:
Les feux de sa grandeur brûlent dans le grand soleil,
Il glisse par les cieux miroitants sous la lune;
Il est la beauté de l’alouette dans le champ des sons;
Il est la mélodie des odes du Vent;
Il est le silence qui regarde dans les étoiles de la nuit;
Il se réveille à l’aube et appelle dans chaque ramille,
Il dort stupéfié dans la pierre et rêve dans la fleur et dans l’arbre.
Même dans le labeur et la douleur de l’Ignorance
Sur ce sol dur et périlleux d’une terre difficile
En dépit de la mort et des circonstances mauvaises
Une volonté de vivre persiste, une joie d’être.
Il y a une joie dans tout ce que touchent les sens,
Une joie dans toutes les expériences de l’âme,
Une joie dans le mal et une joie dans le bien,
Une joie dans la vertu et une joie dans le péché:
Indifférente aux menaces de la loi du karma,
La joie ose grandir sur un sol interdit,
Sa sève coule à travers la plante et les fleurs de la Peine:
Elle vibre avec le drame fatal et le destin tragique
Elle arrache sa nourriture au chagrin comme à l’extase,
Aiguise sa force par le danger et la difficulté;
Elle rampe avec le reptile et le ver
Et dresse sa tête à l’égal des étoiles;
Elle partage la danse des fées, dîne avec le gnome:
Elle se dore dans la lumière et la chaleur de nombreux soleils,
Le soleil de la Beauté et le soleil de la Force
La stimulent et la caressent de leurs rayons dorés
Elle grandit vers le Titan et vers le Dieu.
Sur la terre elle s’attarde à boire tout son content
Par les symboles de son plaisir et de sa douleur,
Par les raisins du Ciel et les fleurs de l’Abîme,
Par les coups de poignard brûlants et les supplices habiles de l’Enfer
Et quelques vagues éclats de la gloire du Paradis.
Dans les pitoyables petits plaisirs de la vie des hommes
Dans ses petites passions et ses menues joies elle trouve un goût,
Un goût dans les larmes et dans la torture des cœurs brisés,
Dans la couronne d’or et la couronne d’épines,
Dans le doux nectar de la vie et dans son vin amer.
Elle explore toute l’existence à la recherche d’une félicité inconnue,
Sonde toute expérience en quête de choses nouvelles et étranges.
La vie apporte dans les jours des créatures terrestres
Une langue de gloire des sphères plus lumineuses:
Elle s’approfondit dans ses rêveries et dans son Art
Elle se jette sur la splendeur de quelque verbe parfait,
Elle exulte dans ses hautes décisions et ses nobles exploits,
S’aventure dans ses erreurs, ose les bords du précipice,
Elle grimpe avec ses escalades, se vautre dans sa chute.
Les épouses de l’ange et du démon partagent sa chambre,
Possesseurs ou compétiteurs du cœur de la vie.
Pour qui regarde et jouit de la scène cosmique
La grandeur humaine et sa petitesse sont égales
Sa magnanimité et sa bassesse sont des coloris
Lancés sur quelque fond neutre des dieux:
Il admire l’habileté de l’Artiste qui a fait le plan,
Mais ce jeu dangereux ne dure pas pour toujours:
Par-delà la terre, mais fait pour délivrer la terre,
La sagesse et la joie préparent leur couronne parfaite:
La Vérité suprahumaine appelle l’homme pensant.
Finalement l’âme se tourne vers les choses éternelles,
Dans tous les sanctuaires elle crie et implore l’embrasse de Dieu.
Alors se joue le Mystère final,
Alors s’accomplit le miracle tant attendu.
La félicité immortelle avec ses vastes yeux célestes
S’ouvre sur les étoiles, elle remue ses puissants limbes;
Le Temps tressaille aux strophes de son chant d’amour
Et l’Espace s’emplit d’une blanche béatitude.
Alors, laissant à son chagrin le cœur humain,
Abandonnant la parole et les mondes déterminés par des noms,
À travers un lointain ciel rayonnant d’une pensée sans mots,
À travers les cieux nus de la vision absolue, délivrée de la pensée,
Elle monte aux cimes où l’Idée à naître
Se souvenant de l’avenir qui doit être
Domine et regarde les œuvres de la Force qui peine
Immuable au-dessus du monde qu’elle a créé.
Dans le vaste rire doré du soleil de Vérité
Comme un grand oiseau céleste sur une mer sans une ride
Plane l’ardeur ailée de sa joie créatrice
Sur les profondeurs silencieuses de la paix de l’Éternel.
C’était le but, c’était la Loi suprême,
La tâche assignée à la Nature quand, baignée de beauté
Dans la brume obscure des eaux du sommeil inconscient,
Cette grandiose création s’est levée du Vide –
Pour cela l’Esprit est descendu dans l’Abîme
Et a chargé de sa puissance la Force ignorante de la Matière
Pour allumer la cathédrale dans les assises nues de la Nuit
Et dans le royaume de la Mort rapatrier l’immortalité.
Une lente transfiguration mystique opère.
Toute notre terre part de la boue et finit dans le ciel
Et l’Amour, qui fut jadis un désir de l’animal,
Puis une douce folie dans l’ivresse du cœur
Ou une compagnie ardente dans le mental heureux,
Devient une vaste exploration spirituelle dans l’espace.
Une âme solitaire s’éprend du Seul,
Le cœur qui aimait l’humain bat de l’amour de Dieu,
Le corps est son autel et sa chambre.
Alors notre être est délivré de la séparation:
Tout est lui-même, tout est senti neuf en Dieu:
Un Amant cloîtré se penche par la porte
Et serre le monde entier dans son unique poitrine.
Alors s’écroulera toute cette affaire de la Nuit et de la Mort:
Quand l’unité est conquise, quand le conflit est fini
Et tout est connu et tout est embrassé par l’Amour
Qui voudrait retourner à l’ignorance et à la peine?
Ô Mort, j’ai triomphé de toi au-dedans,
Je ne palpite plus de l’assaut du chagrin;
Un puissant calme est assis profondément dedans
Et occupe mon corps et mes sens:
Il prend le chagrin du monde et le transmue en force,
Il réunit la joie du monde et la joie de Dieu en une.
Mon amour éternel trône sur le calme de Dieu;
Car l’Amour doit bondir au-delà même des cieux
Et trouver son ineffable sens secret;
Il doit changer sa manière humaine en manière divine
Et pourtant garder la souveraineté de sa félicité terrestre.
Ô Mort, ce n’est pas pour la tendre poignance de mon cœur
Ni pour la seule félicité de mon corps heureux
Que je t’ai demandé Satyavane vivant,
Mais pour son travail et le mien, notre mission sacrée.
Nos vies sont les messagères de Dieu sous les étoiles;
Pour habiter sous l’ombre de la mort nous sommes venus
Tenter sur la terre la lumière de Dieu pour cette race ignorante
Son Amour pour remplir le creux dans le cœur des hommes
Sa félicité pour guérir le malheur du monde.
Car, moi, la Femme, je suis la force de Dieu,
Et lui, Satyavane, le délégué de l’Éternel dans l’âme de l’homme.
Ma volonté est plus grande que ta loi, ô Mort,
Mon amour est plus fort que les chaînes du Destin:
Notre amour est le sublime sceau du Suprême.
Je défends ce sceau contre tes mains déchirantes.
L’Amour ne peut pas cesser de vivre sur la terre,
Car l’Amour est le chaînon lumineux entre la terre et les cieux,
L’Amour est l’ange du lointain Transcendant ici;
L’Amour est le privilège de l’homme sur l’Absolu.”
Mais la Mort, le dieu, répondit à la Femme
Avec le rire ironique de sa voix
Rebutant le labeur des étoiles:
“Ainsi les hommes truquent la Vérité avec des pensées splendides.
Ainsi tu veux soudoyer ce glorieux charlatan Mental
Pour tisser dans les filandres de son air Idéal
Un fin vêtement pour les désirs nus de ton corps
Et couvrir les griffes avides de ton cœur passionné?
Ne barbouille pas de couleurs magiques la toile de la vie:
Plutôt, fais de ta pensée un miroir clair et fidèle
Qui reflète la Matière et la mortalité,
Et sache que ton âme est un produit de la chair,
Un moi maquillé dans un monde de confection.
Tes paroles sont un vaste bruissement dans un rêve mystique.
Car comment, dans le cœur souillé de l’homme pourrait habiter
L’immaculée grandeur de ton Dieu bâti de rêves,
Ou qui peut voir une face et une forme divines
Dans ce ver de terre nu à deux pattes que tu appelles homme?
Ô face humaine ôte les masques peints par le mental:
Sois l’animal, le ver que la Nature voulait,
Accepte ta naissance futile, ta menue vie.
Car la vérité est nue comme la pierre et dure comme la mort;
Vis nue dans la nudité, dure dans la dureté de la vérité.”
Mais Savitri répondit au Dieu terrible:
“Oui, je suis humaine.
Mais puisque dans l’humanité Dieu attend son heure,
Par moi, l’homme t’écrasera pour toucher les hauteurs immortelles,
Transcendant le chagrin et la douleur et le destin et la mort.
Oui, mon humanité est un masque de Dieu:
Il habite en moi, il meut mes actes
Et tourne la grande roue de son travail cosmique.
Je suis le corps vivant de sa lumière,
Je suis l’outil pensant de son pouvoir,
J’incarne la Sagesse dans une poitrine terrestre,
Je suis sa volonté conquérante et invincible.
En moi, l’Esprit sans forme a taillé sa forme;
En moi, est le Sans-nom et le Nom secret.”
Du fond des Ténèbres incrédules la Mort a jeté son cri:
“Ô prêtresse dans la maison de l’Imagination,
Persuade d’abord les lois établies et immuables de la Nature
Et fais de l’impossible ton travail journalier.
Comment peux-tu forcer les deux éternels adversaires à se marier?
Irréconciliables dans leur embrasse
Ils annulent mutuellement la gloire de leur purs extrêmes:
Un mariage malheureux mutile leur force avortée.
Comment ta volonté pourrait-elle unir le vrai et le faux?
Là où la Matière est tout, l’Esprit est un rêve:
Si tout est l’Esprit, la Matière est un mensonge,
Et qui était le menteur qui a fabriqué l’univers?
Le Réel ne peut pas épouser l’irréel.
Celui qui veut se tourner vers Dieu, doit quitter le monde;
Celui qui veut vivre dans l’Esprit, doit abandonner la vie;
Celui qui a trouvé le Moi, renonce au moi.
Les voyageurs des millions de routes du mental
Qui ont traversé l’Existence jusqu’au bout,
Les Sages qui ont exploré les Vastitudes de l’océan cosmique,
Ont trouvé que l’extinction était le seul port sûr.
Deux seules portes d’évasion s’ouvrent à l’homme:
La mort de son corps, porte de la paix dans la Matière,
La mort de son âme, son ultime félicité.
En moi tout trouve refuge, car, moi, la Mort, suis Dieu.”
Mais Savitri de répondre à la grande Mort:
“Mon cœur est plus sage que les pensées de la Raison,
Mon cœur est plus fort que tes chaînes, ô Mort.
Il voit et il sent l’unique Cœur qui bat en tout,
Il sent le haut Transcendant comme les mains du soleil,
Il voit l’Esprit cosmique à l’œuvre:
Dans la Nuit noire il marche seul avec Dieu.
La force de mon cœur peut porter la douleur de l’univers
Sans jamais vaciller de son lumineux sillage
Son immense orbite blanche à travers la paix de Dieu.
Je peux boire l’océan de la Toute-Félicité
Sans jamais perdre le blanc toucher spirituel,
Le calme qui couve dans l’Infini profond.”
Il a dit:
“Es-tu vraiment si fort, ô cœur,
Si libre, ô âme? Ne peux-tu donc pas cueillir
Quelque heureux plaisir dans mes buissons fleuris au bord du chemin
Sans faillir au but de ton dur voyage,
Affronter le dangereux toucher du monde sans jamais tomber?
Montre-moi ta force et ta liberté de mes lois.”
Mais Savitri répondit:
“Sûrement je trouverai parmi les bois verts et murmurants de la Vie
Des plaisirs proches de mon cœur, miens seulement parce que siens
Ou miens pour lui, parce que nos joies sont une.
Et si je m’attarde, le Temps est à nous et à Dieu,
Et si je tombe, sa main n’est-elle pas proche de la mienne?
Tout est un plan unique, chaque acte au bord du chemin
Approfondit la réponse de l’âme, rapproche du but.”
La Mort, le méprisant Nihil lui répondit:
“Donc prouve ta force absolue aux dieux sages
En choisissant la joie de la terre! Demande pour toi
Et pourtant vis libre du moi et de ses masques grossiers.
Alors je te donnerai tout ce que désire ton âme,
Toutes les brèves joies que la terre garde pour les cœurs mortels.
Seul le plus cher souhait qui dépasse tout,
Les dures lois l’interdisent et ton ironique Destin.
Une fois établie, ma volonté reste immuable pour tous les Temps
Et Satyavane ne sera plus jamais à toi.”
Et Savitri de répondre à la vague Puissance:
“Si les yeux des Ténèbres peuvent regarder droit la Vérité
Regarde mon cœur et, sachant ce que je suis,
Donne ce que tu veux, ou ce que tu dois, ô Mort.
Je ne demande rien, sauf Satyavane seul.”
Il y eut un silence comme de destins incertains.
Tel un dédaigneux qui tout de même cède un point,
La Mort inclina sa tête souveraine en froid assentiment:
“Je te donne, sauvé de la mort et du poignant destin
Tout ce que jadis vivant Satyavane
Désirait dans son cœur pour Savitri.
Je te donne de brillants midis et des aurores sans blessure,
Des filles sur le modèle de ton propre cœur et de ton mental,
Des fils héroïques et justes, et la douceur tranquille
De l’union avec ton cher et fidèle mari.
Et tu récolteras dans ta joyeuse maison
La félicité de tes soirées bien entourées.
Par toi, l’amour liera bien des cœurs assemblés.
La douceur contraire de tes jours recevra
Le tendre service des désirés de ta vie
Et l’empire aimant sur tous ceux aimés de toi,
Deux pôles de bonheur réunis, ô Savitri.
Retourne, ô enfant, à ta terre abandonnée.”
Mais Savitri répondit:
“Je refuse tes cadeaux.
La terre ne peut pas fleurir si seule je reviens.”
Alors, une fois de plus la Mort a jeté son cri de colère
Comme gronde un lion après sa proie échappée:
“Que sais-tu de la vie riche et changeante de la terre
Crois-tu que si un homme meurt, toute joie doive cesser?
N’espère point être malheureuse jusqu’à la fin,
Car le chagrin meurt vite dans le cœur fatigué des hommes;
Bientôt d’autres hôtes viendront remplir la chambre vide.
Une peinture passagère sur un fond de vacances
Tracée pour la beauté d’un moment, ainsi fut créé l’amour.
Ou si tu es un voyageur sur la piste éternelle,
Ses objets fluent et changent dans son embrasse
Comme les vagues pour un nageur sur les mers infinies.”
Mais Savitri répondit au dieu vague:
“Rends-moi Satyavane, mon seul Seigneur.
Tes pensées sont vides pour mon âme qui sent
La profonde vérité éternelle dans les choses transitoires.”
Et la Mort de répondre:
“Retourne et tente ton âme!
Bientôt apaisée, tu trouveras que d’autres hommes
Sur cette terre opulente ont de la beauté, force et vérité,
Et quand tu auras à demi oublié, l’un d’eux
S’enveloppera autour de ton cœur qui a besoin de quelque
Cœur humain qui réponde contre ta poitrine,
Car qui, étant mortel, peut rester heureux seul?
Alors Satyavane glissera dans le passé,
Gentille mémoire écartée de toi
Par un nouvel amour et les tendres mains de tes enfants,
Et tu t’étonneras même que tu aies pu aimer vraiment.
Telle est la vie que l’enfantement de la terre a conçu,
Un flot constant qui jamais n’est le même.”
Mais Savitri de répondre à la puissante Mort:
“Ô noir critique ironique des œuvres de Dieu,
Tu te moques de la quête vacillante du mental et du corps
Vers ce que le cœur saisit dans une heure prophétique
Et que l’esprit immortel réalisera.
Mon cœur est de ceux qui vénèrent, bien qu’abandonné,
L’image du dieu que son amour adorait;
J’ai brûlé comme une flamme pour voyager avec ses pas.
Ne sommes-nous pas de ceux-là qui ont enduré une vaste solitude
Assis seuls avec Dieu sur les montagnes?
Pourquoi, Ô Mort, luttes-tu vainement contre moi,
Un mental délivré de toutes les pensées crépusculaires
Pour qui les secrets de Dieu sont clairs?
Car maintenant, enfin, je sais par-delà tout doute
Que les grandes étoiles brûlent sans cesse de mon feu
Et que la vie et la mort sont l’une et l’autre faites de ce feu.
La vie était seulement mon aveugle tentative d’amour:
La Terre a vu ma bataille, les cieux ma victoire;
Tout sera saisi et transcendé:
Jetant leurs voiles devant le feu nuptial
L’éternel époux et l’éternelle épouse s’embrasseront.
Les cieux acceptent enfin nos vols brisés.
Sur notre proue de vie que brisent les vagues du Temps
Nul signal lumineux d’espoir n’a rayonné en vain.”
Elle dit, et les membres sans limites du dieu
Comme saisis d’une secrète extase
Ont frémi en silence comme frémissent obscurément
Les champs nocturnes de l’océan livrés à la lune.
Puis, soulevé par un vent soudain
Dans ce vague monde miroitant autour de Savitri
Le crépuscule a tremblé comme un voile qui éclate.
Ainsi luttaient les grands adversaires avec des paroles armées.
Autour de ces deux esprits dans le brouillard chatoyant
Un demi-jour grandissant s’est envolé sur des ailes nacrées
Comme pour toucher l’Aurore de quelque idéal lointain.
Silhouettées, les pensées de Savitri volaient à travers la brume miroitante
Mêlant ses ailes claires aux lumières et aux voiles,
Et toutes ses paroles comme des joyaux éblouissants,
Saisis dans le rougeoiement d’un monde mystérieux
Ou surpris dans un arc-en-ciel aux teintes changeantes,
Flottaient comme des échos qui s’évanouissent dans un son lointain.
Là, toutes les voix, toutes les humeurs devenaient
Un tissu fugace tissé par le mental
Pour faire une jolie robe arachnéenne changeante.
Résolue dans sa volonté silencieuse, Savitri marchait
Sur l’herbe vague de plaines irréelles,
Un voile de visions flottantes devant elle
Une robe de rêves traînant derrière ses pas.
Mais maintenant la flamme de la force consciente de son esprit
Se retirant de cette douceur stérile
A rappelé ses pensées de leurs paroles pour siéger au-dedans
Dans la chambre profonde de la maison de méditation.
Car seulement là pouvait demeurer la ferme vérité de l’âme:
Impérissable, telle une flamme sacrificielle
Elle flambait inextinguible dans le foyer central
Là où brûle pour le haut seigneur et son épouse
Sentinelle du territoire et feu témoin de tout
D’où s’allument les autels des dieux.
Irrésistiblement tous trois continuaient à glisser dans l’air, inchangés,
Mais l’ordre de ces mondes était renversé:
Le mortel conduisait, le dieu et esprit obéissaient
Et Savitri derrière était la conductrice de leur marche
Et eux devant étaient les suivants de sa volonté.
Leur voyage allait de l’avant parmi les voies errantes
Vaguement accompagnés par les brumes miroitantes;
Mais plus vite maintenant tout fuyait devant eux comme troublé
Pour échapper à la clarté d’âme de Savitri.
Tel un oiseau des cieux sur les ailes gemmées du vent
Portée comme un feu de couleur dans sa poitrine,
Emportée par des esprits vers une crypte nacrée,
Son âme continuait d’aller à travers cette obscurité ensorcelée.
La Mort marchait devant elle et Satyavane,
Devant le front noir de la mort, comme une étoile qui s’éteint.
Au-dessus se tenait l’invisible balance de son destin.
FIN DU CHANT TROIS
1 Chez les Grecs, magicienne qui changea en pourceaux les compagnons d’Ulysse.