SRI AUROBINDO
Lettres sur le Yoga
Volume 3. Section 4
3. La transformation du vital
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Les deux mouvements dont l'apparente contradiction vous jette dans la confusion sont les deux extrémités d'une même conscience qui doivent unir leurs démarches, à présent séparées, afin que le pouvoir de vie agisse et s'accomplisse avec une perfection croissante ou subisse la transformation à laquelle nous aspirons.
L'être vital et la force de vie qu'il renferme constituent l'une de ces extrémités; l'autre est un pouvoir dynamique latent dans la conscience supérieure, au moyen duquel la Vérité divine peut agir, s'emparer du vital et de sa force de vie et les utiliser ici-bas à une fin plus noble.
La Force de Vie contenue dans le vital est l'instrument indispensable à toute action du Pouvoir divin dans le monde matériel et la nature physique. C'est donc seulement lorsque le vital transformé deviendra un instrument pur et puissant de la Shakti divine qu'une vie divine pourra apparaître. Alors seulement la transformation de la nature physique pourra s'effectuer, et une action divine libre et parfaite se manifester dans le monde extérieur; car avec nos moyens actuels, une telle action est impossible. C'est pourquoi vous sentez que le mouvement vital donne à chacun l'énergie nécessaire, que tout est possible grâce à cette énergie et que par elle vous pouvez avoir toutes les expériences que vous voulez, bonnes ou mauvaises, de la vie ordinaire ou de la vie spirituelle; et c'est aussi pourquoi, lorsque cette énergie se manifeste, vous sentez le pouvoir s'infiltrer dans la conscience du corps et sa substance matérielle. Quant au contact avec la Mère dans le vital et à votre sentiment que c'était une belle, une magnifique expérience, il est lui aussi naturel et légitime: car le vital, autant que le psychique ou toute autre partie de l'être, doit ressentir la présence de la Mère et se donner entièrement à Elle.
Mais vous devez sans cesse vous souvenir de ceci: l'être vital et la force de vie dans l'homme sont séparés de la Lumière divine, et puisqu'ils en sont séparés, ils peuvent être utilisés par tout pouvoir capable de s'en saisir, qu'il soit illuminé ou obscur, divin ou non divin. En général, l'énergie vitale est au service des mouvements ordinaires et obscurs ou semi-conscients du mental humain et de la vie humaine, de leurs idées, de leurs intérêts, de leurs passions, de leurs désirs ordinaires. Il est cependant possible à l'énergie vitale de s'accroître au-delà des limites normales et, ainsi accrue, d'acquérir un élan, une intensité, une excitation ou une sublimation de ses forces grâce auxquelles elle est capable et presque contrainte de se mettre au service soit de pouvoirs divins — de pouvoirs des dieux — soit de forces asouriques. Si une maîtrise centrale ne s'est pas établie dans la nature, son action peut être un mélange confus de ces contraires ou, par une oscillation incohérente, servir tantôt les uns, tantôt les autres. Il ne suffit pas alors qu'une grande énergie vitale agisse en vous: il faut la mettre en contact avec la conscience supérieure, la soumettre à la vraie direction, la placer sous la domination du Divin. C'est pourquoi l'action de la force vitale fait parfois l'objet d'un mépris ou d'une condamnation: insuffisamment illuminée et maîtrisée, elle s'allie à un mouvement ignorant et non divin. De là découle aussi la nécessité de s'ouvrir à une inspiration et à un pouvoir issus d'une source plus haute. L'énergie vitale elle-même ne mène à rien, tourne en rond en passant par toutes sortes de tribulations souvent douloureuses et désastreuses, précipite même à l'abîme, parce qu'elle n'est pas guidée comme il le faudrait; elle doit être mise en contact avec le pouvoir dynamique de la conscience supérieure et avec la Force divine qui agit, par son intermédiaire, dans un but vaste et lumineux.
Deux mouvements sont nécessaires pour que cette liaison soit établie. L'un est dirigé vers le haut: le vital s'élève pour se joindre à la conscience supérieure et s'immerge dans la lumière et l'impulsion d'une force plus haute; l'autre est dirigé vers le bas: le vital demeure silencieux, tranquillisé, pur, vide des mouvements ordinaires, en attente, jusqu'à ce que le pouvoir dynamique d'en haut descende en lui, le transforme en son vrai moi et infuse à ses mouvements la connaissance autant que le pouvoir. C'est pourquoi le sâdhak sent parfois qu'il s'élève à une conscience plus heureuse et plus noble, qu'il entre dans un domaine plus lumineux et une expérience plus pure; parfois, au contraire, il ressent la nécessité de retourner dans le vital, d'y faire la sâdhanâ et d'y porter la vraie conscience. Ces deux mouvements ne sont pas vraiment contradictoires: ils sont complémentaires et nécessaires l'un à l'autre, car l'ascension permet la descente divine, la descente réalise ce à quoi l'ascension aspire et qu'elle rend inéluctable.
Lorsque vous vous élevez avec le vital depuis ses régions inférieures et que vous l'unissez au psychique, votre être vital s'emplit de l'aspiration et de la dévotion pures qui sont naturelles au psychique; en même temps, il confère aux sentiments l'abondante énergie qui lui est propre, il leur infuse le dynamisme nécessaire pour transformer la nature tout entière jusqu'à ses éléments les plus physiques, et pour faire descendre la conscience divine dans la matière terrestre. Lorsqu'il est non seulement en contact avec le psychique, mais uni au mental supérieur, l'être vital est capable d'entrer en relation avec une lumière et une connaissance plus grandes et de leur obéir. D'ordinaire le vital est mû par le mental humain et gouverné par ses ordres plus ou moins ignorants, ou bien prend possession du mental par la violence et l'utilise pour la satisfaction de ses propres passions, de ses impulsions et de ses désirs. Ou encore il mélange ces deux mouvements: car le mental humain ordinaire est trop ignorant pour agir mieux que lui ou le guider parfaitement. Mais quand le vital est en contact avec le mental supérieur, il devient capable de se laisser guider par une lumière et une connaissance plus grandes, par une intuition et une inspiration plus hautes, par une discrimination plus vraie et par certaines révélations de la vérité et de la volonté divines. Grâce à cette obéissance du vital au psychique et au mental supérieur, la conscience yoguique commence à s'extérioriser dans une action dynamique sur la vie.
Mais cela ne suffit pas non plus à diviniser la vie. Il ne suffit pas d'entrer en contact avec la conscience du mental supérieur: ce n'est qu'une étape indispensable. La Force divine doit descendre de ses sommets les plus élevés et les plus puissants. Une transformation de la conscience supérieure en une lumière et un pouvoir supramentaux, une transformation du vital et de sa force de vie en un instrument pur, vaste, calme, intense et puissant de l'Énergie divine, une transformation du physique lui-même en une forme de la lumière divine, de l'action divine, de la force, de la beauté et de la joie sont impossibles si la Force ne descend pas de ses sommets pour l'instant invisibles. C'est pourquoi dans notre yoga, l'ascension jusqu'au Divin, qu'il a en commun avec d'autres sentiers, n'est pas suffisante: le Divin doit aussi descendre pour transformer toutes les énergies du mental, de la vie et du corps.
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Tout ce qui est Vérité authentique est, d'une manière ou d'une autre, l'expression directe de la Conscience divine. La vie est l'expression dynamique de la Conscience-Force lorsque celle-ci se projette au dehors pour se réaliser en harmonies concrètes de formation; l'Amour est l'intensité où s'exprime l'âme de l'Ânanda, et la Lumière est la compagne inséparable de la Conscience supramentale et son pouvoir le plus essentiel.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 1.
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Oui, telle est la nature du vital. Il est capable d'accomplir une consécration absolue et enthousiaste, mais aussi d'engendrer tous les ennuis possibles. Sans le vital, il n'y a pas de force vitale de création ou de manifestation; instrument de l'esprit, il est indispensable à la vie.
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Oui. L'esprit lui-même, s'il veut se manifester dans la matière, doit utiliser le vital. Les choses sont ainsi agencées.
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Le vital est un instrument indispensable: aucune création, aucune action puissante n'est possible sans lui. Il s'agit simplement de le maîtriser et de le convertir en un vital vrai qui soit à la fois fort, calme, capable d'une grande intensité et libéré de l'ego.
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Le vital doit être maîtrisé et non laissé libre d'agir à sa guise. Ce n'est pas le vital qui doit vous maîtriser, c'est vous qui devez maîtriser le vital.
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C'est par un changement dans le vital que l'on doit se délivrer de l'énergie vitale aveugle, par l'émergence du vital véritable qui est fort, vaste, plein de paix, instrument dévoué du Divin et du Divin seul.
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Cela signifie l'énergie-de-vie qui vient du dedans et est en harmonie avec l'être psychique; c'est l'énergie de l'être vital véritable; seulement dans le vital ordinaire, qui est ignorant, elle se déforme et se change en désir. Vous devez tranquilliser et purifier le vital et laisser émerger le vital véritable, ou bien amener le psychique au premier plan, et le psychique purifiera le vital, le rendra psychique; alors vous aurez la véritable énergie vitale.
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Vous pouvez faire sortir ce que la vie a mis dans le réceptacle vital en le renversant, en le tournant vers le Divin et non vers vous-même. Vous vous apercevrez alors que le vital peut être un instrument aussi excellent qu'il est un mauvais maître.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 4.
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Le vital humain a presque toujours ce caractère, mais ce n'est pas une raison pour accepter cela comme un fait immuable et laisser un vital agité vous mener à sa guise. Sans parler du yoga, même dans la vie ordinaire, seuls sont considérés comme des humains au plein sens du terme, ou sont susceptibles de réussir, de réaliser leur idéal ou de mener à bien leurs entreprises, ceux qui peuvent prendre en main ce vital agité, l'empêcher de se disperser, le maîtriser et le discipliner. C'est en utilisant la volonté mentale qu'ils le disciplinent, le forcent à faire non pas ce qu'il veut, mais ce que la raison, ou la volonté, considère comme juste ou désirable. Dans le yoga, on se sert de la volonté intérieure pour forcer le vital à se soumettre à la tapasyâ, afin qu'il devienne calme, fort, obéissant; ou bien on fait appel au calme d'en haut pour l'obliger à renoncer au désir, à se tranquilliser et à devenir réceptif. Le vital est un bon instrument, mais un mauvais maître. Si vous le laissez s'abandonner à ses goûts et ses dégoûts, ses fantaisies, ses désirs, ses mauvaises habitudes, il devient votre maître et la paix et le bonheur ne sont plus possibles. Il devient non plus votre instrument ou l'instrument de la Shakti divine, mais celui de n'importe quelle force de l'Ignorance ou même de toute force hostile capable de s'en saisir et de l'utiliser.
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La résistance et les influences adverses viennent de la nature vitale qui est, chez tous les humains, obscure et attachée aux idées et aux objectifs ordinaires, et qui prête volontiers l'oreille à des idées et à des suggestions du genre de celles que vous mentionnez. La foi et la dévotion viennent de l'âme; c'est seulement lorsque le vital s'est entièrement soumis à l'âme que l'on peut mener la vraie vie spirituelle.
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Si vous en êtes maintenant capable, c'est un grand progrès. La principale difficulté, lorsqu'on veut vivre à la fois dans la lumière, dans la paix et dans la force, est l'agitation confuse et trouble de la nature vitale humaine. Si elle se calme, la difficulté majeure disparaît. Reste l'obstacle créé par l'incompréhension ou l'inertie de la nature physique, mais il est moins gênant: il s'apparente à une obstruction tranquille, quoique parfois obstinée, plutôt qu'à une perturbation. Si vous remédiez à l'instabilité vitale, l'obscurité ou l'incompréhension physique ne pourra que disparaître.
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2940
[La recherche du plaisir:] Cette attitude n'est pas celle du vital tout entier, mais du vital physique, de la partie animale de l'être humain. Aucun raisonnement mental d'aucune sorte ne peut bien entendu le convaincre. Chez la plupart des hommes, c'est l'attitude naturelle et admise à l'égard de la vie: elle se teinte de quelque moralisme et d'un idéalisme conventionnel, concession au mental et au vital supérieur. Certains empoignent cette partie de l'être et la subordonnent aux fins du mental ou du vital supérieur, la forcent à prendre une place subalterne pour que le mental puisse continuer à s'absorber dans la recherche intellectuelle, l'idéalisme ou de grandes ambitions politiques ou personnelles (Lénine, Hitler, Staline, Mussolini). L'ascète et le puritan essaient de la réprimer, en grande partie ou totalement. Dans notre yoga, le principe est que tout doit devenir un instrument de l'Esprit: les éléments de l'être qui sont faits pour le plaisir se délectent de l'Ânanda dans les choses, non du plaisir animal à la surface. Mais l'Ânanda ne viendra pas ou ne durera pas tant que cette partie de l'être ne sera pas convertie et s'obstinera à se satisfaire à sa manière.
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Bien des hommes ne recherchent pas le bonheur et ne croient pas qu'il soit le véritable but de la vie. C'est le vital physique qui cherche le bonheur; le vital élargi est prêt à le sacrifier pour satisfaire ses passions, sa quête du pouvoir ou de la renommée, son ambition, ou tout autre motif. Si vous dites que la cause en est le bonheur qu'apportent le pouvoir, la renommée, etc., ce n'est pas non plus universellement vrai. Le pouvoir peut donner toutes sortes de choses, en général il ne donne pas le bonheur; il est, par sa nature même, une chose ardue, difficile à obtenir, à conserver et à utiliser; je parle bien entendu du pouvoir dans le sens ordinaire du terme. Un homme peut savoir qu'il ne sera jamais célèbre sa vie durant et cependant œuvrer dans l'espoir ou la poursuite d'une renommée posthume. Il peut savoir que la satisfaction de sa passion lui apportera tout plutôt que le bonheur — souffrance, torture, destruction — et cependant il suivra son impulsion. De même le mental, comme le vital élargi, n'est pas limité non plus par la recherche du bonheur. Il peut chercher plutôt la Vérité, ou la victoire d'une cause. Tout réduire à un seul courant hédoniste me paraît relever d'une psychologie bien simpliste. Ni la Nature, ni le vaste Esprit dans les choses ne me semblent limités et linéaires à ce point.
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2942
La plupart des gens font les choses parce qu'ils doivent les faire, non à cause du bonheur qu'ils en tirent. Ce n'est qu'en s'adonnant à des passe-temps ou en exerçant ses penchants que la nature trouve quelque bonheur, et non habituellement dans le travail, à moins bien sûr que le travail ne soit lui-même un passe-temps ou ne réponde à un penchant, et que l'on puisse à volonté le faire ou le laisser.
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2943
Une vie vitale "à peine supérieure à celle des animaux" en raison d'une certaine activité mentale, avec la mort pour conclusion, voilà toute la vie humaine telle qu'elle est d'ordinaire conçue. Et pourtant elle aspire à quelque chose de plus, mais les religions s'emparent de cette aspiration et la canalisent dans quelque chose qui est sans rapport avec la vie, et tout reste en l'état. Rares en vérité sont celles qui dépassent cette limite.
Votre "après tout"1 n'est en fait qu'un prétexte. Nul ne peut devenir plus qu'humain s'il refuse de sacrifier son ego, car P'humain" est un ego animal et vital mentalisé par un peu de pensée et de connaissances extérieures. Tant que l'on se satisfera de demeurer ainsi, on restera humain, "même ici", comme partout ailleurs.
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Certes, la plupart des hommes vivent dans leur mental physique et dans leur vital, sauf quelques saints et un nombre un peu plus grand d'intellectuels. C'est pourquoi — on le découvre maintenant — l'humanité a fait peu de progrès depuis 3000 ans, sauf dans les domaines du savoir et de l'équipement matériel. Un peu moins de cruauté et de brutalité peut-être, une plus grande souplesse de l'intellect dans l'élite, une habitude plus prompte au changement dans les formes, et c'est tout.
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2945
L'époque actuelle est à la fois pire et meilleure que celle de Wordsworth: d'une part la nature humaine s'est dégradée pour tomber dans ce qu'elle a de pire et les forces vitales se sont déchaînées; d'autre part, en compensation, la recherche de quelque chose au-delà est plus répandue et contient davantage de lumière et de connaissance.
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L'homme est un être mental; il ne peut procéder du vital, bien qu'une partie de lui-même puisse vivre dans le plan vital ou plutôt en contact avec lui. En fait, la plupart des hommes vivent principalement dans le vital et pour cette raison, lorsqu'ils pratiquent la sâdhanâ, ils se trouvent d'abord dans le plan vital: dans leurs rêves, leurs expériences, etc. Quand le supramental s'ouvrira, quelque chose descendra du supramental en chacun dès qu'il sera prêt, et formera en lui un Pourousha supramental. Ce qu'il est maintenant ne peut fixer la limite de ce qu'il deviendra.
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S'adonner à un travail physique ou à l'étude n'est pas vivre dans le vital; ce sont là simplement des occupations physiques ou mentales. Vivre dans le vital est un état psychologique.
La plupart des humains vivent dans le vital. C'est-à-dire qu'ils vivent dans leurs désirs, leurs sensations, leurs émotions, leurs imaginations vitales, et voient, subissent, jugent tout de ce point de vue. C'est le vital qui les fait agir; le mental en est le serviteur et non le maître. Dans le yoga aussi, bien des sâdhak font dériver leur sâdhanâ de ce plan, et leur cheminement est plein de visions, de formations, d'expériences vitales de toutes sortes, mais la clarté et l'ordre du mental en sont absents, et ils ne s'élèvent pas non plus au-dessus du mental. Les hommes qui vivent dans le mental ou dans le psychique, ou s'efforcent de vivre sur le plan spirituel, ne représentent qu'une minorité.
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Dans la vie ordinaire, les mouvements vitaux: colère, désir, avidité, sexe, etc., sont admis comme des choses naturelles, permises, légitimes, qui font partie de la nature humaine. C'est seulement dans la mesure où la société les réprouve, fait pression pour qu'elles soient maintenues dans des limites fixes ou soumises à une retenue décente ou mesurée que les gens essaient de les maîtriser pour se conformer au niveau de moralité ou aux règles de conduite de leur société. Ici, au contraire — comme dans toute vie spirituelle — on exige la conquête et la maîtrise complète de ces mouvements. C'est pourquoi le combat est plus durement ressenti: non parce que ces mouvements se soulèvent plus vigoureusement dans les sâdhak que dans les humains ordinaires, mais à cause de l'intensité de la lutte entre le mental spirituel, qui exige la maîtrise, et les mouvements vitaux qui se rebellent et veulent continuer à agir dans la vie nouvelle comme dans l'ancienne. Quant à l'idée que la sâdhanâ fait surgir des mouvements de ce genre, sa seule vérité est d'abord que l'homme ordinaire porte en lui bien des choses dont il n'est pas conscient, parce que le vital les dissimule au mental et les satisfait sans que le mental comprenne quelle force fait mouvoir l'action; ainsi tout ce qui est accompli sous un prétexte d'altruisme, de philanthropie, de service, etc., est largement motivé par l'ego qui se dissimule derrière ces justifications; dans le yoga, il faut faire sortir le motif secret de derrière le voile, le mettre en évidence et s'en débarrasser. Deuxièmement, dans la vie ordinaire, certaines choses sont refoulées et restent tapies dans la nature, refoulées mais non éliminées; elles peuvent apparaître à tout moment ou exprimer sous diverses formes nerveuses, ou par d'autres désordres du mental, du vital ou du corps, sans que leur véritable cause apparaisse au grand jour. C'est la récente découverte que quelques psychologues européens ont exposée avec une grande force, et même une certaine exagération, dans une science nouvelle appelée psychanalyse. Dans la sâdhanâ aussi, il faut être devenu conscient de ces impulsions refoulées pour les éliminer; on peut dire qu'elles se soulèvent, mais cela ne signifie pas qu'elles doivent se soulever dans les actes; elles doivent seulement se lever devant la conscience pour que l'on puisse les éliminer de l'être.
Certains sont capables de se maîtriser, d'autres se laissent emporter; c'est une question de tempérament. Certains sont sattwiques et la maîtrise leur vient aisément, du moins jusqu'à un certain point; d'autres, qui sont plus radjasiques, éprouvent beaucoup de difficulté à se maîtriser et en sont souvent incapables. Certains ont un mental fort et une volonté mentale vigoureuse, d'autres ont un caractère vital et chez eux les passions vitales sont plus fortes et davantage à la surface. Certains ne jugent pas nécessaire de se maîtriser et se laissent aller. Dans la sâdhanâ, la maîtrise mentale ou morale doit être remplacée par la maîtrise spirituelle, car cette maîtrise mentale est seulement partielle: elle maîtrise, mais ne libère pas; seule la maîtrise psychique et spirituelle peut le faire. C'est, à cet égard, la principale différence entre la vie ordinaire et la vie spirituelle.
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[La raison du calme et de la maîtrise de soi, chez ceux qui mènent la vie ordinaire:] C'est la pression sociale, accompagnée d'une certaine habitude de se maîtriser au moyen du mental, née de cette pression sociale. L'origine n'est nullement la paix. Retirez la pression sociale, ne serait-ce qu'en partie, et comme c'est arrivé récemment en Angleterre et en Amérique, les gens se laissent aller et agissent selon leurs impulsions vitales au lieu de les maîtriser; sauf évidemment ceux qui restent attachés aux idées religieuses et morales du passé, alors même que la société s'en éloigne.
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Même dans la vie ordinaire, il y a très souvent un abîme entre les parties supérieures et le vital inférieur; dans le yoga, cet abîme est susceptible de devenir de plus en plus marqué, jusqu'à ce que le vital inférieur se transforme, mais autant que nous pouvons en juger par la majorité de ceux qui vivent ici, cette transformation est d'une extraordinaire difficulté.
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Pour le moment, vos expériences se situent sur le plan mental; mais c'est ainsi qu'il doit en être. Beaucoup de sâdhak ne peuvent pas progresser parce qu'ils s'ouvrent sur le plan vital avant que le mental et le psychique ne soient prêts. Après quelque début d'expérience spirituelle vraie sur le plan mental, il se produit dans le vital une descente prématurée causant une grande confusion et des troubles. On doit être en garde contre cela. C'est encore pire quand l'âme vitale de désir s'ouvre à l'expérience avant que le mental n'ait été touché par les choses de l'esprit.
Aspirez toujours à ce que la conscience et l'expérience vraies emplissent le mental et l'être psychique et les rendent prêts. Vous devez spécialement aspirer à la tranquillité, à la paix, à une foi calme, à un élargissement stable et croissant, à une connaissance de plus en plus grande, à une dévotion profonde et intense, mais tranquille.
Ne vous laissez pas déranger par votre entourage et son opposition. Ces conditions sont souvent imposées au début comme une sorte d'épreuve. Si vous pouvez demeurer tranquille et imperturbable, et continuer votre sâdhanâ sans Permettre à ces circonstances de vous troubler intérieurement, cela vous aidera à acquérir une force très nécessaire; car le chemin du yoga est toujours assailli de difficultés intérieures et extérieures, et pour leur faire face, le sâdhak doit développer une force tranquille, ferme et solide.
Les Bases du Yoga, chapitre 1. Traduction de la Mère.
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Auparavant votre sâdhanâ se situait principalement sur le plan vital. Les expériences du plan vital sont très intéressantes pour le sâdhak, mais elles sont hétérogènes, c'est-à-dire qu'elles ne sont pas toutes reliées à la Vérité supérieure. La sâdhanâ a besoin d'une base plus élevée, plus pure et plus ferme: la base psychique. C'est la raison pour laquelle toutes les expériences anciennes se sont arrêtées. Le cœur doit devenir le centre et par la bhakti et l'aspiration, vous devez amener l'être psychique au premier plan et entrer en contact étroit avec la Shakti divine. Si vous pouvez le faire, votre sâdhanâ repartira avec davantage de succès.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 3.
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Il est évident que votre sâdhanâ se situait jusqu'à présent dans le mental, c'est pourquoi il vous était facile de vous concentrer au sommet de la tête: le centre qui s'y trouve commande directement tout le domaine du mental. Le mental tranquillisé, ressentant les effets de la sâdhanâ, a calmé la perturbation vitale, mais n'a pas nettoyé et transformé la nature vitale.
Maintenant la sâdhanâ semble être descendue dans le vital pour le déblayer et le transformer. Le premier résultat en est que la difficulté du vital s'est révélée; les images hideuses et les rêves alarmants viennent d'un plan vital hostile qui s'oppose à la sâdhanâ. De là vient aussi la recrudescence de l'agitation, la répugnance et la résistance à l'égard de la sâdhanâ. Ce n'est pas un retour à votre ancien état, mais l'effet d'une pression de la Force du yoga sur le vital pour que s'opère une transformation à laquelle il résiste.
C'est cette descente de la sâdhanâ pour libérer l'être vital qui vous fait sentir la nécessité de vous concentrer dans la région du cœur; car dans cette région du cœur se trouve le centre psychique, et au-dessous, derrière le nombril, se trouve le centre vital. Si ces deux centres peuvent être éveillés et envahis par la Force du yoga, le psychique (le Pouvoir de l'Âme) commandera toute la région du vital, purifiera la nature vitale, la tranquillisera et l'orientera vers le Divin. Si vous arriviez à vous concentrer à volonté dans la région du cœur et au sommet de la tête, ce serait le mieux, car ainsi le pouvoir de la sâdhanâ devient plus complet.
Vos autres expériences font partie de la transformation du vital qui a commencé à s'opérer: par exemple le fait que vous soyez en paix avec vous-même et avec ceux qui, pensiez-vous, vous avaient offensé, la joie et la délivrance de tous les soucis, de tous les désirs et de toutes les ambitions profanes. La tranquillisation du mental y a contribué, mais ces expériences ne pourront devenir stables que lorsque le vital sera libéré et calmé.
Quelles que soient les difficultés ou les ennuis qui apparaissent, la seule chose à faire est de continuer tranquillement, avec une foi entière en le Pouvoir divin et la direction divine, en ouvrant régulièrement, progressivement, l'être tout entier aux actions de la sâdhanâ, jusqu'à ce que tout devienne conscient et acquiesce au changement nécessaire.
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Cette oscillation est due à un certain élément de la partie résistante (non à sa totalité) qui est encore mécontent de cet appel à la transformation. Quand un élément quelconque du vital est déçu, insatisfait, appelé ou forcé à changer, mais n'y consent pas encore, sa tendance est de susciter dans le vital une absence de réaction ou de coopération, ce qui laisse le physique atone ou insensible, sans dynamisme vital. Sous la pression psychique, ce reste de résistance disparaîtra.
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2955
Le vital peut comprendre, mais cela ne suffit pas, il doit appeler de tout son cœur la paix et la transformation. Il y a sans doute en lui une vaste partie qui est incapable de se résoudre à abandonner ses humeurs et sa manière de réagir; sinon ces dépressions n'atteindraient pas une telle intensité. Il n'y a aucune raison que vous ne receviez pas la paix, mais cela doit changer.
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2956
Il s'agit, semble-t-il, d'un tamas ou d'une inertie qui descend en vous. Il en est parfois ainsi lorsque le vital est mécontent des circonstances ou de ce qui a été accompli et entame une sorte de non-coopération ou de résistance passive, en disant: "Puisque je ne suis pas satisfait, je ne m'intéresserai à rien et je ne t'aiderai plus en quoi que ce soit."
C'est peut-être parce que je vous ai demandé de cesser les méditations et d'attendre. Le vital n'aime pas attendre. Mais je devais vous le demander, à cause de cette sensation de brûlure dans les centres, des troubles du sommeil et de tout le reste; cela doit cesser avant que vous puissiez méditer comme il faut et avec succès. Si vous méditez tant soit peu maintenant, vous ne devriez le faire que dans le calme et la paix, avec une aspiration très tranquille à la descente de la paix et du calme divins en vous.
C'est peut-être dû aussi à votre penchant2 pour le nirvana. Car le désir du nirvana entraîne souvent cette sorte d'effondrement des énergies. Le nirvana n'est pas le but de mon yoga, mais qu'il s'agisse du nirvana ou de mon yoga, le calme et la paix dans l'être tout entier sont la base nécessaire à toute siddhi.
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Je vous ai toujours dit que vous ne devriez pas cesser d'écrire des poèmes ou de vous livrer à des activités similaires. C'est une erreur d'y renoncer dans un esprit d'ascétisme, ou avec une idée de tapasyâ. On peut arrêter ces activités quand elles s'éliminent d'elles-mêmes, parce que les expériences abondent et que l'on est si intéressé par sa propre vie intérieure que l'on n'a aucune énergie à consacrer au reste. Même dans ce cas, aucune règle ne vous enjoint de cesser; car il n'y a pas de raison que la poésie, etc. ne fasse pas partie de la sâdhanâ. Il faut renoncer à l'amour des louanges, au désir de notoriété, à la réaction de l'ego, mais on peut le faire sans abandonner l'activité elle-même. Votre vital a besoin d'une certaine activité — comme le vital chez la plupart des gens — et le priver de cet exutoire, qui peut être salutaire et non néfaste, le rend maussade, indifférent et abattu, ou bien enclin à se révolter à tout moment et à déclarer forfait. La sâdhanâ est difficile sans le consentement du vital; il refuse de coopérer ou observe avec un mécontentement sardonique, même si ce mécontentement est muet, et est prêt à exprimer à tout moment le doute et la négation; ou encore il fait un violent effort, puis retombe en disant: "Je n'ai rien reçu." Le mental ne peut pas faire grand-chose par lui-même, il a besoin d'être soutenu par le vital, et pour cela le vital doit être consentant et plein de bonne humeur. Il a la joie de la création et il n'y a rien de mal, spirituellement parlant, dans l'action créatrice. Pourquoi refuser à votre vital la joie de s'épancher?
Je vous ai déjà indiqué la meilleure ligne de conduite pour vous, qui est de devenir capable d'attendre la Grâce divine (non dans un esprit tamasique, mais avec une confiance sattwique). La prière, oui, mais pas une prière qui exige une satisfaction immédiate: une prière qui est elle-même une communion du mental et du cœur avec le Divin et peut trouver en elle-même la joie et la satisfaction, qui fait confiance, pour être exaucée, au Divin, quand Il le jugera bon. La méditation, oui, mais votre méditation se fonde sur un āsana erroné, celui d'une lutte avide et véhémente suivie d'un désespoir plein d'amertume. Il est inutile de continuer ainsi: mieux vaut abandonner jusqu'à ce que vous trouviez un nouvel āsana (je me réfère ici aux anciens Rishi qui établissaient un āsana, un endroit et une position fixes où ils restaient assis jusqu'à ce qu'ils parviennent à la siddhi; mais si des forces contraires comme les Asoura, les Apsara, etc. réussissaient à déranger cet āsana, ils l'abandonnaient et en cherchaient un nouveau). En outre, votre méditation manque de quiétude: vous méditez par un effort du mental, mais c'est dans le mental tranquille que vient l'expérience, tous les yogis sont d'accord là-dessus: c'est l'eau immobile qui reflète fidèlement le soleil, c'est quand la coupe a été vidée que le soma-rasa de l'esprit peut se déverser. Préparez le mental et le cœur, et les choses commenceront à s'y écouler dans un courant spontané, quand tout sera prêt.
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Oui, l'aridité apparaît en général lorsque le vital — dans le cas présent, il s'agit sans nul doute du vital physique — a de l'aversion pour un mouvement ou un état, ou encore se sent frustré dans ses désirs et se met à refuser de coopérer. Mais c'est parfois un état qu'il faut dépasser, comme, par exemple, la tranquillité neutre ou aride qui peut apparaître lorsque les mouvements ordinaires ont été rejetés sans que rien de positif ne soit encore venu les remplacer: la paix, la joie, une conscience, une force ou une action supérieures.
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Le sentiment habituel de fraîcheur, d'énergie, d'enthousiasme de la nature vient du vital, soit directement lorsqu'il satisfait ses instincts et ses impulsions, soit indirectement lorsqu'il coopère aux activités mentales, physiques ou spirituelles ou leur apporte son consentement. Si le vital est contrarié, il se révolte et entre en conflit. Si le vital n'insiste plus pour satisfaire ses instincts et ses impulsions, tout en refusant de coopérer, c'est soit l'aridité, soit un état neutre. L'aridité apparaît lorsque le vital est tranquille, mais plein d'une mauvaise volonté passive, et ne s'intéresse à rien; l'état neutre, lorsqu'il ne donne pas son assentiment, mais en même temps ne montre aucune mauvaise volonté: il est simplement tranquille et passif. L'état neutre peut cependant approfondir cette attitude en la transformant en un calme et une paix positifs, par un plus grand afflux d'en haut qui maintient le vital dans un état non seulement de calme, mais au moins de consentement passif. Avec l'intérêt actif et le consentement du vital, la paix devient heureuse ou joyeuse, ou se transforme en une paix pleine de force qui soutient l'action ou l'expérience, et y participe.
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2960
Quand tout va bien, le vital peut se sentir comme un poisson dans l'eau, mais quand les difficultés s'aggravent, il plonge et se tient coi. Et si l'on tend un appât à l'ego vital, il peut devenir enthousiaste et actif.
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2961
C'est parce que le vital était fortement sous l'emprise de ses propres désirs; maintenant qu'il a une activité séparée et n'est plus maîtrisé par la volonté mentale, il rue et se récrie chaque fois que ses désirs ne sont pas satisfaits. C'est là un mouvement ordinaire du vital humain lorsqu'il n'est pas dominé et maintenu à sa place par la volonté mentale.
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2962
C'était sans aucun doute le silence; la légère aridité était probablement une réaction du vital physique au "manque d'intérêt" pour les choses extérieures, parce que le vital physique dépend beaucoup de cet intérêt extérieur. Quand il se sera davantage habitué au silence, l'aridité disparaîtra.
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2963
L'être nerveux est sous l'influence des forces vitales; quand elles sont désavouées ou expulsées, il tombe dans l'abattement et veut les rappeler, car il a l'habitude de recevoir le plaisir et la force de vivre des mouvements vitaux et non d'en haut, de la Force spirituelle ou divine.
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2964
L'impression de désert vient de la résistance du vital qui veut que la vie soit gouvernée par le désir. Si ce n'est pas permis, il considère l'existence comme un désert et impose cette impression au mental.
La Shakti dans le cœur est la Force psychique.
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2965
Mieux vaut certes amener le vital au vrai mouvement: à renoncer à ses mouvements faux et à ne rien demander si ce n'est la progression de la réalisation du moi, de l'amour psychique et de la transformation psychique de la nature. Mais il est possible, même avec un vital neutre, d'agir d'en haut pour se débarrasser des formes d'obstruction les plus actives.
2966
Le3 défaut capital, celui qui a toujours constitué un obstacle sur le chemin et qui se détache maintenant si ostensiblement, se situe ou du moins se concentre pour le moment dans l'être vital inférieur. J'entends cette partie de la nature physique-vitale et son petit égoïsme obstiné qui fait mouvoir la personnalité humaine extérieure, ce qui soutient ses pensées de surface et domine sa façon habituelle de sentir, son caractère, son action. Je ne m'occupe pas ici des autres parties de l'être et je ne parle pas du mental supérieur, du moi psychique ou de la vaste nature vitale supérieure, car lorsque le vital inférieur se lève, ceux-ci sont repoussés à l'arrière-plan, sinon cachés momentanément par cet être vital inférieur et cette personnalité extérieure. Tout ce qui peut exister dans les parties supérieures: aspiration à la Vérité, dévotion ou volonté de surmonter les obstacles et de vaincre les forces hostiles, ne peut pas devenir intégral, ne peut pas rester pur et intact ni conserver son efficacité tant que le vital inférieur et la personnalité extérieure n'ont pas accepté la Lumière et consenti à se transformer.
Il était inévitable qu'au cours de la sâdhanâ ces parties inférieures de la nature viennent à la surface pour que, comme les autres parties de l'être, elles se trouvent confrontées au choix crucial et puissent accepter ou refuser la transformation. Tout mon travail dépend de ce mouvement: c'est l'épreuve décisive de mon yoga. Car la conscience physique et la vie matérielle ne peuvent pas changer si cela ne change pas. Rien de ce que l'on a pu acquérir avant, aucune illumination intérieure, aucune expérience, aucun pouvoir, aucun Ânanda n'a de valeur pour l'avenir si ce n'est pas fait. Si la petite personnalité extérieure doit s'obstiner à garder sa conscience humaine obscure, limitée, mesquine, vile, égoïste, fausse, stupide, cela revient à une négation pure et simple du travail et de la sâdhanâ. Je n'ai nullement l'intention de donner ma sanction à cette nouvelle édition du vieux fiasco: une ouverture spirituelle partielle et passagère à l'intérieur, sans un changement vrai et radical de la loi de la nature extérieure. Si, par conséquent, quiconque parmi les sâdhak refuse, dans la pratique, d'admettre ce changement, ou s'il refuse même d'admettre la nécessité d'un changement dans son être vital inférieur et dans sa personnalité extérieure habituelle, je suis fondé à en conclure que, quelles que soient ses professions de foi, il ne m'a pas accepté et n'a pas accepté mon yoga.
Je sais très bien que ce changement n'est pas facile, que la volonté dynamique d'y parvenir ne vient pas d'un seul coup et qu'elle est difficile à conserver, et même plus tard, le sâdhak se sent souvent impuissant devant la force de l'habitude. Sachant cela, la Mère et moi-même avons montré et continuons de montrer assez de patience pour donner à l'esprit vrai le temps de se manifester, de former l'être extérieur de ceux qui nous entourent et de produire en eux ses effets. Mais si, en quiconque, cette partie de la nature non seulement s'avère obstinée, dominatrice ou agressive, mais reçoit l'appui et les justifications du mental et de la volonté et cherche à se répandre dans l'atmosphère, c'est tout autre chose et l'affaire devient extrêmement grave.
La difficulté de l'être vital inférieur est qu'il reste encore allié à son vieux moi et qu'il est en révolte contre la Lumière; non seulement il ne s'est soumis ni à une Vérité plus grande, ni à moi-même, ni à la Mère, mais, jusqu'à présent, il n'en a pas la moindre volonté et n'a pas même une vague idée de ce qu'est la vraie soumission. Quand le vital inférieur adopte cette attitude, il s'appuie sur une affirmation constamment renouvelée de la vieille personnalité et des formes passées de la nature inférieure. Chaque fois qu'elles sont repoussées, il vient à la rescousse et les rappelle en affirmant son droit à la liberté, la liberté de proclamer et de suivre ses idées grossières et égoïstes, ses désirs, ses lubies, ses impulsions ou sa convenance, chaque fois que l'envie l'en prend. Il revendique, tacitement ou explicitement, le droit d'obéir à sa nature — sa nature humaine non régénérée — son droit d'être lui-même, son moi originel, naturel et inchangé, avec tout le mensonge, l'ignorance et l'incohérence qui caractérisent cette partie de l'être. Et il revendique — ou il affirme en pratique, s'il ne revendique pas en théorie — le droit de donner libre cours dans ses paroles, ses actes et sa conduite à tout ce fatras impur et inférieur. Il défend, farde, peint de couleurs spécieuses et tente de prolonger indéfiniment les vieilles manières habituelles de penser, de parler, de sentir, et il essaie de perpétuer tout ce qui est déformé ou mal formé dans le caractère. Et il le fait tantôt par une révolte ouverte, en s'affirmant ouvertement, en qualifiant d'erreur, d'oppression ou d'injustice tout ce que l'on dit ou fait contre lui, tantôt en se dissimulant sous quelque déguisement pour se tromper lui-même, ou en se cachant derrière quelque masque, professant une chose en paroles et en mettant une autre en pratique. Souvent il cherche à se persuader lui-même ou à convaincre les autres que cette façon d'être est la seule vraie raison et la seule vraie manière d'agir, pour lui-même et pour les autres, ou même qu'elle fait partie du vrai mouvement du yoga.
Quand on laisse cet être vital inférieur influencer les actes, ce qui arrive lorsque le sâdhak prend à son compte, d'une façon ou d'autre, les suggestions de cet être vital inférieur, son attitude (masquée à lui-même ou affleurant à la surface) dicte la plupart des paroles et des actes du sâdhak sans qu'il oppose aucune véritable résistance. S'il est franc avec lui-même et loyal envers la Mère, il reconnaîtra bientôt la source et la nature de l'obstacle, et aura tôt fait de se mettre directement à transformer et à corriger tout cela. Mais quand il est sous l'influence adverse, il s'y refuse opiniâtrement et préfère cacher ces mouvements sous n'importe quelle dissimulation, négation, justification, sous n'importe quel prétexte ou autre faux-fuyant.
Dans la nature, cette résistance revêt certaines formes caractéristiques qui viennent accroître la confusion et ajoutent à la difficulté de la transformation. Il est donc nécessaire de décrire quelques-unes de ces formes, car elles sont suffisamment fréquentes, à un degré plus ou moins grand suivant les personnes, pour exiger d'être démasquées avec vigueur et clarté.
1. Une certaine vanité, une arrogance, une véhémence radjasique dans la façon de s'affirmer qui, dans ce petit être vital, sont, chez ceux qui ont une vigueur particulière sur ces plans, une déformation de la force et de l'habitude vitales de diriger et de dominer qu'ils possèdent grâce à certaines qualités du vital supérieur. Tout cela s'accompagne d'un amour-propre excessif qui engendre le besoin de briller, de maintenir sa position et son prestige à n'importe quel prix voire de poser devant les autres, de les influencer, de les commander ou de les "aider" en s'arrogeant un rôle de sâdhak supérieur doté d'une connaissance plus grande et de pouvoirs occultes. L'être vital supérieur lui-même doit remettre ses pouvoirs et ses capacités entre les mains de la Shakti divine d'où ils lui viennent et il ne doit s'en servir qu'en tant qu'instrument de la Mère et conformément à ses directives; s'il fait intervenir les revendications de son ego et s'interpose entre la Mère et le travail, ou entre elle et les autres sâdhak, il dévie du vrai chemin, quel que soit son pouvoir naturel, gâche le travail, introduit des forces adverses et des mouvements faux et nuit à ceux qu'il s'imagine aider. Quand ces défauts affectent la petitesse de la nature vitale inférieure et de la personnalité extérieure, prennent des formes plus basses et plus mesquines, ils deviennent plus contraires encore à la Vérité, incongrus, grotesques, et en même temps ils peuvent être d'une malfaisance perverse, même si leur champ d'action est réduit. Il n'est pas de meilleure façon d'introduire les forces hostiles dans le travail général ni de vicier sa sâdhanâ et de l'exposer à l'influence adverse. À un moindre degré, ces défauts: vanité, arrogance, violence radjasique, se retrouvent dans la plupart des natures humaines. Ils peuvent revêtir d'autres formes, mais n'en sont pas moins un grand obstacle à tout changement spirituel véritable.
2. Désobéissance et indiscipline. Cette partie inférieure de l'être est toujours capricieuse, récalcitrante, autoritaire et peu disposée à accepter qu'on lui impose un ordre ou une discipline contraire à son idée ou à ses impulsions. Dès le début, ses défauts barrent la route aux efforts du vital supérieur lorsqu'il veut imposer à la nature une tapasyâ vraiment régénératrice. Cette habitude de désobéir à la discipline et de refuser de s'y conformer est si forte qu'elle n'a pas toujours besoin d'être intentionnelle; elle semble être un réflexe immédiat, irrésistible, instinctif. Ainsi l'on promet et professe maintes fois obéissance à la Mère, mais les actes ou la direction suivie sont fréquemment contraires à la promesse ou à la profession de foi. Cette constante indiscipline est un obstacle radical à la sâdhanâ et le pire exemple que l'on puisse donner aux autres.
3. Dissimulation et fausseté dans les paroles. C'est là une habitude extrêmement pernicieuse de la nature inférieure. Ceux qui ne sont pas droits ne peuvent tirer profit de l'aide de la Mère, car ils l'écartent eux-mêmes. A moins qu'ils ne changent, ils ne peuvent pas espérer la descente de la Lumière et de la Vérité supramentales dans le vital inférieur et dans la nature physique; ils restent enlisés dans une boue de leur propre fabrication et ne peuvent pas progresser. Souvent, ce qui ressort chez le sâdhak, ce n'est pas simplement une exagération ou une imagination abusive qui brode autour de la vérité réelle, mais aussi un refus catégorique et une altération des faits autant qu'une dissimulation qui les déforme. Cela, il le fait tantôt pour couvrir sa désobéissance ou sa ligne de conduite fausse ou suspecte, tantôt pour conserver sa situation, tantôt pour parvenir à ses fins ou céder à ses habitudes et à ses désirs préférés. Quand le sâdhak a ce genre d'habitude vitale, il obscurcit souvent sa propre conscience et ne se rend pas tout à fait compte de la fausseté de ses paroles ou de ses actes; mais la plupart du temps, il n'est même pas possible d'invoquer pour lui cette excuse maladroite.
4. Une dangereuse habitude de se justifier constamment. Quand cette habitude se fortifie chez le sâdhak, il est impossible d'orienter cette partie de son être vers la vraie conscience et l'action vraie parce qu'à chaque instant, sa seule préoccupation est de se justifier. Son mental se précipite aussitôt pour défendre son idée, sa position ou sa ligne de conduite. Et cela, il est prêt à le faire par n'importe quel argument — parfois le plus maladroit et le plus sot, ou le plus contraire à ce qu'il proclamait la minute d'avant —, par n'importe quelle déclaration mensongère, n'importe quel stratagème. Cet abus est fréquent dans le mental pensant, mais ce n'en est pas moins un abus; chez le sâdhak, il prend i des proportions exagérées et tant que celui-ci y reste attaché, il lui est impossible de voir ou de vivre la Vérité.
Quelles que soient les difficultés de la nature, si long et pénible que soit le processus de rectification, elles ne peuvent pas indéfiniment tenir tête à la Vérité si, dans ces parties de l'être, l'esprit, l'attitude et l'effort vrais sont présents ou peuvent être amenés. Mais si, par amour-propre, entêtement ou inertie tamasique, le sâdhak continue à fermer les yeux ou à endurcir son cœur à la Lumière, tant qu'il en sera ainsi, nul ne pourra l'aider. Le consentement de l'être tout entier est indispensable à la transformation divine, et c'est la totalité de ce consentement, sa perfection, qui constitue la soumission intégrale. Mais il ne suffit pas que le consentement du vital inférieur prenne la forme d'une simple profession de foi mentale ou d'une adhésion sentimentale passagère; il faut qu'il se traduise par une attitude permanente et une action persévérante et cohérente.
Notre yoga ne peut être fait jusqu'au bout que par ceux qui sont prêts à s'y engager totalement et à abolir leur petit ego humain et ses exigences afin de se découvrir eux-mêmes en le Divin. Il ne peut pas être fait dans un esprit de légèreté ou de laxisme; l'entreprise est trop haute et trop difficile, les pouvoirs adverses dans la Nature inférieure trop prêts à profiter du moindre assentiment ou de la plus petite ouverture; l'aspiration et la tapasyâ sont trop constamment et trop intensément nécessaires. Il ne peut pas être fait si les idées du mental humain s'affirment avec humeur ou si on se laisse délibérément mener par les exigences, les instincts et les prétentions de la partie la plus basse de l'être que l'on justifie en général sous l'étiquette de nature humaine. Il ne peut pas être fait si l'on persiste à identifier les bassesses de l'Ignorance à la Vérité divine ou même à la vérité moindre permise sur le chemin. Il ne peut pas être fait si l'on se cramponne à son moi passé et à ses vieilles formations, ses vieilles habitudes mentales, vitales et physiques. Il faut constamment laisser derrière soi ses moi passés pour voir, agir et vivre à un niveau de conscience de plus en plus élevé. Il ne peut pas être fait si vous réclamez la "liberté" pour votre mental humain et votre ego vital. Toutes les parties de l'être humain ont le droit de s'exprimer et de se satisfaire comme elles l'entendent, à leurs risques et périls, si tel est le choix de l'homme tant qu'il mène la vie ordinaire. Mais prendre le chemin du yoga, dont le seul objet est de substituer à ces choses humaines la loi et le pouvoir d'une Vérité plus grande, et dont la méthode est essentiellement une soumission à la Shakti divine, et continuer en même temps à revendiquer cette prétendue liberté, qui n'est rien d'autre qu'un esclavage à certaines forces cosmiques ignorantes, c'est se complaire dans une aveugle contradiction et revendiquer le droit de mener une double vie.
Et surtout ce yoga ne pourra s'accomplir si ceux qui font profession d'être ses sâdhak persistent à être les centres, les instruments ou les porte-parole des forces de l'Ignorance qui s'opposent à son principe même et à son but et les nient ou les tournent en ridicule. D'un côté il y a la réalisation supramentale, la descente du pouvoir divin supramental qui surpasse tout, la lumière et la force d'une Vérité beaucoup plus grande qu'aucune de celles qui ont déjà été réalisées sur la terre, quelque chose qui, par conséquent, est bien au-delà de ce que la petite mentalité humaine et sa logique considèrent comme les seules réalités permanentes, quelque chose dont elle ne peut, au moyen de ses instruments inadaptés, concevoir et percevoir la nature, les voies et le processus de développement ici-bas, ou qu'elle ne peut juger selon ses normes puériles. En dépit de toutes les oppositions, c'est cela qui fait pression d'en haut et qui cherche à se manifester dans la conscience physique et dans la vie matérielle. Et de l'autre côté, il y a cette nature vitale inférieure avec toute sa Prétentieuse arrogance, son ignorance, son obscurité, sa stupidité ou sa turbulence incompétente, qui veut prolonger son empire et s'oppose à la descente, qui refuse de croire à la réalité réelle ou à la possibilité réelle d'une conscience et d'une création supramentales ou surhumaines, ou, plus absurde encore, qui exige, si effectivement pareille possibilité existe, qu'elle se conforme à ses petites normes, et se saisit avidement de tout ce qui semble la réfuter, niant la présence du Divin (car elle sait que, sans cette présence, le travail est impossible), affirmant bruyamment ses propres pensées, ses propres jugements, ses propres désirs, ses propres instincts, et s'ils sont contrecarrés, se vengeant en répandant le doute, la négation, les critiques méprisantes, la révolte et le désordre. Telles sont les deux choses maintenant en présence, et entre l'une et l'autre chacun devra choisir.
Car cette opposition, cette obstruction stérile, ce blocus contre la descente de la Vérité divine ne pourront pas durer toujours. Chacun devra finalement se ranger d'un côté ou de l'autre, du côté de la Vérité ou contre elle. La réalisation supramentale ne peut pas coexister avec la persistance de l'Ignorance inférieure; elle est incompatible avec une nature qui se complairait indéfiniment dans la duplicité.
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2967
Il ne peut y avoir qu'une seule "solution" à ce genre de conflit, qui est de reconnaître ces sentiments pour ce qu'ils sont, des mouvements non régénérés de l'ancienne nature vitale, et de rejeter ces suggestions vitales comme des influences de forces adverses qui veulent vous détourner du droit chemin. Si le mental du sâdhak soutient ces mouvements vitaux, si une partie quelconque de sa nature les accepte et s'y complaît, alors tant qu'il les laisse agir ainsi, il ne peut se débarrasser du conflit.
Toutes ces suggestions sont très fréquentes, elles sont toujours semblables, tant dans leur expression que dans leur substance. Les réactions sont, elles aussi, toujours semblables et leur nature même suffit à montrer quelle est leur source: déception du désir insatisfait, découragement, mécontentement, chagrin, sentiment d'avoir subi un tort ou une injustice, révolte, chute dans le tamas et l'inertie (parce que l'être vital refuse d'accorder sa participation à l'effort spirituel si ses exigences égoïstes ne sont pas satisfaites), aridité, apathie, arrêt de la sâdhanâ. Les mêmes formules se répètent: "On ne vit pas dans cette existence", "étouffement", "limitation", "atmosphère suffocante"; et tout cela veut tout simplement dire que la nature vitale inférieure — ou une partie de cette nature — est en pleine révolte et désire autre chose que la Vérité divine et la tapasyâ qui mène à la transformation supramentale. Elle refuse d'abandonner l'ego, le désir, ses revendications, ses exigences, ou d'accepter un vrai don de soi, une vraie soumission, tout en ressentant cependant la pression qui veut l'obliger à se transformer en un instrument de la vie divine. C'est cette pression qu'elle qualifie d'étouffement. Le refus de la laisser étendre le champ de ses désirs pour se tailler la part du lion, elle l'appelle limitation de l'être. Le calme, la pureté, le silence recueilli, base de la tapasyâ qui mène à la transformation supramentale, c'est ce qu'elle stigmatise en disant "on ne vit pas". La règle juste et l'injonction de s'oublier, de se maîtriser, de s'abstenir de réclamer et d'exiger, elle les appelle "atmosphère suffocante". Et les pires suggestions, les mensonges les plus dangereux surgissent lorsque cet esprit d'exigence et de désir se cache sous un déguisement spirituel et revêt une forme qui le fait apparaître aux yeux du sâdhak comme une partie du yoga.
Il n'y a qu'une seule manière d'échapper à ces assauts continuels de la nature vitale inférieure. C'est de rejeter totalement toute exigence, toute revendication, tout désir vital égoïste, et de substituer à l'impulsion vitale insatisfaite la pureté de l'aspiration psychique. La vraie solution n'est pas de satisfaire ces vociférations vitales, elle n'est pas non plus dans une retraite ascétique: c'est la soumission de l'être vital au Divin et une consécration exclusive à la Vérité suprême où le désir et l'exigence ne peuvent pénétrer. Car la nature de la Vérité suprême est Lumière et Ânanda, et là où règnent le désir et l'exigence il ne peut y avoir d'Ânanda.
Ce n'est pas l'exigence vitale, c'est la pression psychique qui seule peut mener la nature à la transformation supramentale; car elle seule peut transformer le mental et le vital et leur montrer leur mouvement vrai. Mais on prend sans cesse l'exigence vitale pour l'aspiration psychique; et pourtant la différence est claire. L'aspiration psychique ne contient aucune de ces réactions, elle n'entraîne ni révolte, ni justification de la révolte; car c'est par l'union intérieure avec le Divin et par la soumission que le psychique aspire. Le psychique ne conteste pas, ne lance pas de défi, mais cherche à comprendre en s'unissant à la Volonté divine. Il ne demande pas de petites satisfactions personnelles, mais trouve sa satisfaction dans la Vérité qui grandit à l'intérieur de l'être; ce qu'il cherche et trouve, ce n'est pas la satisfaction d'une revendication vitale ou physique, mais la véritable intimité qui se traduit par la présence constante du Divin dans le cœur et la domination du Divin sur toute la Nature. Le cri du psychique est toujours: "Que la Vérité l'emporte, que Ta volonté soit faite et non la mienne." La clameur du vital est tout à l'opposé; il crie au Divin: "Que ma volonté soit la Tienne: obéis à mon exigence, satisfais mes désirs, alors seulement je Te chercherai et je T'accepterai, car alors seulement je consentirai à voir le Divin en Toi." Inutile de préciser où est le chemin vers la Vérité, ou quelle est la solution juste à tous les conflits de la nature.
La seule création qui ait une place ici est la création supramentale: la descente de la Vérité divine sur la terre, non seulement dans le mental et le vital, mais dans le corps et dans la matière. Notre but n'est pas de supprimer toutes les "limitations" à l'expansion de l'ego ni de donner libre cours ou de laisser un champ illimité à l'accomplissement des idées du mental humain ou des désirs de la force de vie égocentrique. Aucun de nous n'est ici pour "faire à sa guise' ou pour créer un monde où nous pourrons enfin faire selon notre bon plaisir; nous sommes ici pour faire ce que veut le Divin et pour créer un monde où la Volonté divine pourra manifester sa vérité sans que celle-ci soit déformée par l'ignorance humaine ou pervertie et dénaturée par le désir vital. Le travail que le sâdhak du yoga supramental doit faire n'est pas son travail personnel, accompli aux conditions fixées par lui, mais l'œuvre divine qu'il doit accomplir suivant les conditions fixées par le Divin. Nous ne faisons pas notre yoga pour nous-mêmes, mais pour le Divin. Ce n'est pas notre expression personnelle que nous devons rechercher, la manifestation de l'ego individuel libéré de toute limite et de tout lien, mais la manifestation du Divin. De cette manifestation, notre propre libération, notre perfection et notre plénitude spirituelles seront un résultat et une partie, mais non pas dans un sens égoïste ni pour une fin personnelle ou intéressée. De plus, cette libération, cette perfection, cette plénitude, ne seront pas recherchées pour nous-mêmes, mais pour le Divin.4 J'insiste sur cette caractéristique de la création, parce qu'un oubli constant de cette vérité simple et centrale, une confusion consciente, semi-consciente ou totalement ignorante à son sujet ont été à l'origine de la plupart des révoltes vitales qui ont gâché ici bien des sâdhanâ individuelles, perturbé le progrès du travail intérieur de tous et troublé l'atmosphère spirituelle.
La création supramentale, puisqu'elle sera une création terrestre, ne doit pas être un simple changement intérieur, mais aussi une manifestation physique et extérieure. Et c'est précisément pour cette partie du travail, la plus difficile de toutes, que la soumission est le plus nécessaire; la raison en est que la descente effective du Divin supramental dans la Matière et l'action en elle de la Présence et du Pouvoir divins sont seules capables de rendre possible la transformation physique et extérieure. Même le plus puissant déploiement de volonté et d'effort humain est incapable de la réaliser; quant à l'exigence égoïste et à la révolte vitale, ce sont, tant qu'elles persistent, des obstacles insurmontables à la descente. Seule une conscience physique calme, pure et consacrée, pleine d'aspiration psychique, peut être son champ d'action; elle seule peut ouvrir efficacement l'être matériel à la Lumière et au Pouvoir et faire de la transformation supramentale quelque chose de réel et de praticable. C'est pour cela que nous sommes ici dans le corps, et c'est pour cela que vous-même, comme d'autres sâdhak, vivez à l'Ashram, auprès de nous. Mais ce n'est pas en persistant à satisfaire de mesquines exigences et à rechercher de petites satisfactions extérieures ou une proximité physique avec nous, qui flatte la nature vitale et son orgueil ou son désir, que vous trouverez la véritable relation avec le Divin dans ce domaine. Si vous voulez y obtenir la réalisation, c'est la véritable intimité que vous devez rechercher, la descente et la présence de la Mère dans votre conscience physique, son contact intérieur constant dans l'être physique et ses activités, la volonté et la connaissance de la Mère derrière tout le travail, toute la pensée et tous les mouvements de l'être physique, et l'Ânanda permanent de cette présence qui expulse tout sentiment de séparation, toute exigence et tout désir venant du vital et du physique. Si vous avez cela, vous avez toute l'intimité désirable, et pour le reste, vous laisserez joyeusement la connaissance et la volonté de la Mère en décider. Car si vous portez cela en vous, vous ne pouvez en aucune façon vous sentir tenu à l'écart, avoir l'impression d'un abîme ou d'une distance, ni vous plaindre de l'absence d'union, d'une aridité vide ou d'un refus d'intimité.
Un temps vient où, après une longue préparation de l'être mental et vital, il devient nécessaire d'ouvrir aussi la nature physique. Mais quand cela se produit, très souvent l'exaltation vitale, qui peut être très grande lorsque l'expérience se situe sur son propre plan, retombe, et la conscience physique obscure, obstructrice et grossièrement matérielle apparaît dans toute sa désolante inertie. Inertie, tamas. stupidité, étroitesse et limitation, incapacité de progresser doute, apathie, aridité, oubli constant des expériences spirituelles reçues, telles sont les caractéristiques de la nature physique non régénérée quand elle n'est pas poussée par le vital ni soutenue par la volonté et l'intelligence du mental supérieur. C'est, semble-t-il, en partie, ce qui vous arrive, momentanément; pour en sortir, cependant, il ne faut pas exciter le physique par une révolte ou une protestation du vital, ni rejeter sur les circonstances ou sur la Mère la responsabilité de votre état — cela ne ferait qu'aggraver la situation et augmenter le tamas, l'aridité, l'apathie, l'inertie — mais reconnaître qu'un élément de la Nature universelle se reflète en vous, et que vous devez l'éliminer. Et cela ne peut se faire que par une soumission et une aspiration de plus en plus grandes, en apportant d'au-delà du vital et du mental la paix, la lumière, le pouvoir et la présence du Divin. C'est la seule voie qui mène à la transformation et à la plénitude de la nature physique.
Après ce que j'ai écrit, je ne crois pas nécessaire d'ajouter quoi que ce soit au sujet des doléances particulières que vous formulez dans votre lettre. Peut-être faudrait-il préciser deux choses. D'abord, les dispositions actuelles, en ce qui concerne le travail, les besoins extérieurs, la correspondance et les "entrevues"5 sont les seules possibles dans les circonstances présentes pour que le lourd travail qui incombe à la Mère soit physiquement réalisable. Ensuite, c'est précisément par l'action dans le silence que nous pouvons le mieux faire notre travail, bien plus que par des discours ou des écrits qui ne peuvent être qu'accessoires et secondaires. Car dans notre yoga, réussiront le mieux ceux qui sauront obéir à la parole écrite ou orale et s'y conformer, mais qui pourront aussi supporter le silence et en lui, sentir et recevoir (sans prêter l'oreille à d'autres voix, ni prendre des suggestions et des impulsions mentales ou vitales pour la Vérité divine et la Volonté divine) l'aide, le soutien et la direction.
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2968
Vous écrivez, dans votre lettre [...] que vous êtes très fatigué, que l'agitation et le tamas prédominent dans le physique, qu'un combat plus ou moins intense se poursuit sans cesse entre l'être psychique et la nature physique. Or votre état était le même pendant les derniers mois de votre séjour ici. Vous vouliez alors partir parce que la pression était trop forte, parce que le combat contre la nature physique agitée et tamasique et contre l'influence asourique était trop dur et trop constant, parce que vous vous sentiez très fatigué, qu'il vous fallait partir pour prendre du repos, trouver un répit, vous remettre.
Comment pourriez-vous donc revenir alors que vous êtes dans le même état? La pression sera encore plus forte qu'avant, le combat constant; vous serez sans doute encore plus fatigué et abattu qu'alors. Et vous aurez encore plus de mal à le supporter, parce que votre situation personnelle aura changé du tout au tout. Vous n'aurez pas de place spéciale, aucune autorité ne vous sera déléguée, aucun travail ne vous sera confié; vous ne serez pas près de la Mère, mais à une certaine distance, parmi d'autres. La nature asourique en vous, qui était devenue un obstacle intolérable dans le travail, dangereux pour vous-même et pour les autres, ne bénéficiera d'aucune indulgence. Il est clair que vous trouverez ces conditions insupportables, à moins que dans l'intervalle un changement fondamental ne se soit opéré en vous. C'est pourquoi vous ne devez pas nous demander de venir ici avant d'avoir acquis un calme et une paix stables, à la fois en vous et dans votre atmosphère extérieure.
Où que vous soyez, nous serons toujours proches de votre être psychique et prêts à l'aider à vaincre. Dans votre état actuel, cette aide agira sans doute mieux à distance que lorsque vous étiez proche et qu'a tout moment vous la repoussiez par vos mouvements intérieurs erronés, vos réactions fausses, vos paroles et vos actes malencontreux. Mais pour tirer profit de notre aide, vous devrez faire ce que vous n'avez encore jamais vraiment fait, au moins dans votre être extérieur. Vous devrez, dans votre nature physique même. vous détourner résolument de l'Asoura et de ses manières d'agir et refuser de vous abandonner à lui sous quelque prétexte que ce soit, dans quelque pensée, sentiment, parole, action qui puisse l'aider encore à posséder les diverses parties de votre être et à déterminer ou influencer votre attitude et vos actes. Devenir tranquille et, avec tranquillité et simplicité, entretenir avec notre aide ce rejet persistant et patient, sans combat radjasique, sincèrement, dans les faits et dans chaque détail, pas seulement en désir et en pensée, voilà ce que vous devez faire. Être divisé, aspirer dans une partie de votre être et dans l'autre vous abandonner aux mouvements faux, les justifier et vous y complaire ne peut mener à rien qu'à un combat et une fatigue sans fin. Ce n'est que par cette orientation nouvelle et ce changement que le combat et la fatigue cesseront et que viendra la pureté.
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2969
Voilà maintenant un mois que vous avez écrit pour m'annoncer la tournure favorable récemment prise par votre sâdhanâ. Vous avez eu le temps de voir si cette orientation était décisive et jusqu'à quel point elle a progressé pour devenir complète. Vous en jugerez en observant si elle a fondamentalement débarrassé votre être extérieur de son penchant asourique. Toute ambition, tout orgueil, toute vanité doivent disparaître des pensées et des sentiments. Vous ne devez plus rechercher, ni maintenant, ni dans l'avenir, aucune situation, aucune position ni aucun prestige, vous ne devez poser aucune condition pour accéder à un siège élevé parmi les élus, ni exiger aucune proximité spéciale avec la Mère, ne revendiquer, n'affirmer aucun droit, ne jamais tenter de vous interposer entre elle et les autres sâdhak, ne faire aucun effort pour intercepter ce qu'elle leur donne ou vous en approprier une part, ne pas vous imposer à elle ou aux autres sâdhak. Tout mensonge doit être rejeté des paroles, des pensées et des actes ainsi que toute ostentation, toute arrogance, toute insolence. Aspirer avec simplicité, tranquillité et modestie à atteindre la Vérité, à la recevoir pour elle-même et non pour le profit qu'elle pourrait vous apporter, accepter sans détours la volonté de la Mère, quelle qu'elle soit, rejeter entièrement toute prétention, tout faux semblant, être prêt à obéir complètement et sans réserve et à accepter toute situation, toute discipline qu'elle vous impose, telles sont les conditions qui seules permettront à une transformation divine de s'opérer en vous. C'est à cela que vous devez vous efforcer.
De notre côté, nous attendons une certaine victoire sur le plan matériel qui n'est pas encore acquise, avant de pouvoir vous dire de revenir. Comme vous l'avez déjà constaté, tant que cela n'est pas fait, votre séjour ici ne vous serait d'aucune aide. Quand vous serez prêt dans votre état intérieur et qu'ici, tout sera prêt, la Mère vous appellera.
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2970
Si vous voulez changer, vous devez d'abord vous débarrasser résolument des défauts de votre être vital en persévérant avec fermeté, quels que soient la difficulté et le temps requis, en appelant sans cesse l'aide divine et en vous contraignant à être toujours complètement sincère.
Quant à être apte ou inapte, personne n'est entièrement apte à faire notre yoga: on doit le devenir par l'aspiration, par l'abhyāsa, par la sincérité et la consécration. Si vous avez toujours désiré la vie spirituelle, c'est la partie psychique en vous qui la désirait, mais votre vital s'est toujours interposé. Établissez une volonté sincère dans le vital; ne laissez pas les désirs personnels, les exigences, l'égoïsme, le mensonge se mêler à votre sâdhanâ; alors seulement le vital en vous deviendra apte à la sâdhanâ.
Si vous voulez que votre effort réussisse, il doit devenir toujours plus pur, plus régulier et plus persévérant. Si vous pratiquez avec sincérité, vous recevrez l'aide dont vous avez besoin.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 3.
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2971
L'état dans lequel vous êtes tombé est évidemment dû à une explosion d'éléments refoulés de la nature vitale inférieure. Celle-ci a été forcée par votre mental et par la partie supérieure de votre vital à abandonner "les petites joies et les petits plaisirs" auxquels elle était habituée, mais elle — ou du moins sa partie subconsciente, qui est souvent la plus puissante — l'a fait sans être entièrement convaincue, et probablement avec des "réserves", des "garanties", et en échange d'une promesse de compensations, d'autres joies et d'autres plaisirs plus grands qui devaient remplacer tout ce qu'elle perdait. Cela ressort clairement de ce que vous écrivez: votre description de la nature de la dépression, du retour de ce que vous appelez des pensées impures, qui ne font que signaler un complexe de désir dans le vital inférieur subconscient, la générosité du Divin mise en doute, l'exigence d'une compensation pour ce que vous avez perdu, quelque chose qui ressemble à un marché conclu avec le Divin, donnant-donnant, on ne peut s'y méprendre. Plus récemment les circonstances se sont combinées de manière à accroître assez soudainement le sentiment de privation en lui retirant ses anciens exutoires; cette attaque est sa manière de refuser sa coopération ou de protester. La seule chose à faire est de rejeter tout en bloc: dépression, exigences, doutes, pensées sexuelles, tout ce bagage indésirable, et de le remplacer par le seul mouvement vrai, l'appel à la conscience et à la présence du Divin.
Derrière cette insistance du vital inférieur à exiger satisfaction, peut-être y avait-il, dans la partie obscure du mental physique, quelque chose qui n'était pas tout à fait clair dans votre attitude mentale à l'égard du yoga. Vous semblez considérer comme tout à fait légitime d'exiger que les vieilles satisfactions vitales inférieures soient remplacées par d'autres joies et d'autres plaisirs; mais les joies et les plaisirs ne sont pas l'objet du yoga et conclure un marché ou exiger une substitution de ce genre ne peut être ni légitime, ni salutaire dans la sâdhanâ. Si ce sentiment est là, il entravera sûrement le flot de l'expérience spirituelle. L'Ânanda, oui; mais l'Ânanda et le bonheur spirituel qui le précède (adhyātma-sukham) sont tout différents des joies et des plaisirs. Et même l'Ânanda, on ne peut l'exiger ni en faire une condition pour poursuivre la sâdhanâ: il en est le couronnement, le résultat naturel, et sa vraie condition est la croissance de la vraie conscience, de la paix, du calme, de la lumière et de la force, et l'équanimité qui résiste à tous les chocs et persiste à travers le succès et l'échec. C'est tout cela qui doit être le premier objectif de la sâdhanâ et non aucune expérience hédoniste, même du genre le plus élevé; car cela doit venir de soi-même et découler de la Présence divine.
En attendant, la première chose à faire est de rejeter tout ce fatras périlleux de dépression et tout ce qui l'accompagne, et de retrouver un équilibre tranquille et clair. Un mental et un vital tranquilles sont la première condition du succès dans la sâdhanâ.
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2972
Il est évident que vous continuez à entretenir avec complaisance un certain malentendu au sujet de la paix, de la joie et de l'Ânanda. (La paix, soit dit en passant, n'est pas la joie; car la paix peut exister même lorsque la joie est assoupie.) Il est inexact que l'on ne doive pas appeler la paix ou la joie spirituelle par ses prières ou son aspiration. La paix est la base même de toute la siddhi dans le yoga, et pourquoi ne devrait-on pas prier ou aspirer pour obtenir la fondation du yoga? La joie spirituelle ou un bonheur intérieur profond (qui n'est pas troublé, même quand surviennent des orages ou des perturbations à la surface) est inséparable du contact ou de l'union avec le Divin, et pourquoi serait-il interdit de prier ou d'aspirer pour appeler le contact avec le Divin et la joie qui l'accompagne? Quant à l'Ânanda, j'ai déjà expliqué que j'entendais par là quelque chose de plus grand que la paix ou la joie, quelque chose qui, comme la Vérité et la Lumière, constitue la nature même du Divin supramental. Il peut venir dès maintenant par irruptions ou descentes fréquentes, partiellement ou pour un certain temps, mais il ne peut pas demeurer dans l'être tant que celui-ci n'y a pas été préparé. Dans l'intervalle, la paix et la joie peuvent régner en permanence, mais à condition que l'on soit sans cesse en contact avec le Divin ou habité par lui, ce qui vient naturellement non au mental ou au vital extérieurs, mais à l'âme intérieure ou être psychique. Par conséquent, si l'on veut que le yoga soit un sentier de paix ou de joie, il faut être prêt à résider dans son âme plutôt que dans son mental extérieur ou sa nature émotive.
Dans une lettre précédente, j'élevais des objections non contre l'aspiration, mais contre une certaine exigence qui fait de la paix, de la joie ou de l'Ânanda une condition pour pratiquer le yoga. Et c'est indésirable parce que si vous avez cette exigence, c'est le vital et non le psychique qui prend l'initiative. Quand c'est le vital qui mène, l'agitation, le découragement, la tristesse peuvent toujours venir, puisqu'ils sont la nature même du vital; le vital est tout à fait incapable de demeurer en permanence dans la joie et la paix, car il a besoin de ce sentiment du drame de la vie qu'apportent leurs contraires. Et pourtant, quand apparaissent l'agitation et la tristesse, le vital s'écrie aussitôt: "Je ne reçois pas mon dû, à quoi bon faire le yoga?" Ou bien il fait de cette tristesse un évangile et déclare que le sentier qui mène à l'accomplissement doit être une route tragique à travers le désert. Et pourtant c'est précisément cette prédominance du vital en nous qui rend inévitable la traversée du désert. Si le psychique était toujours au premier plan, le désert n'en serait plus un et se couvrirait de roses.
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2973
L'Ânanda que vous décrivez est évidemment celui du vital intérieur lorsqu'il est plein de l'influence psychique et en inonde aussi le vital extérieur. C'est le véritable Ânanda et rien en lui ne participe de l'ancienne nature vitale. Quand le psychique utilise ainsi le vital pour s'exprimer, U'Ânanda prend naturellement la forme de cette sorte d'extase intense. Cette intensité n'a rien à voir avec l'ancienne excitation vitale et il ne faut pas les confondre. Lorsque l'intensité s'accompagne d'une satisfaction, d'un contentement et d'une gratitude purs et complets, ne laissant place à aucune revendication, à aucune exigence, à aucune réaction dépressive, alors c'est le vrai mouvement vital.
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2974
Quand l'être vital a été en contact avec le psychique, le plaisir purement vital perd tout intérêt; il peut même être ressenti comme une perturbation ou un désagrément, parce qu'il abaisse la conscience.
La souffrance peut être transformée en Ânanda, mais je ne crois pas que cela se produise à un stade déterminé.
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2975
Une fois que l'être vital est venu au premier plan et a laissé voir sa difficulté — nul n'est exempt d'une difficulté cruciale ou d'une autre en cet endroit — il faut agir sur elle et la vaincre.
Il faut agir sur elle non pas au moyen du mental, mais directement par le pouvoir supramental.
Ce n'est pas la paix et la connaissance dans le mental qu'il faut établir, mais la paix, la foi, la force tranquille dans l'être vital même (et surtout dans la partie défectueuse). La conduite à tenir consiste à s'ouvrir et à permettre au Pouvoir de les faire descendre.
Le défaut ne se situe pas dans le mental supérieur ou dans le mental proprement dit; il est par conséquent inutile de revenir en arrière pour établir la paix mentale. La difficulté réside dans cette partie de l'être vital qui n'est pas assez ouverte et confiante, pas assez forte et courageuse, et dans le mental physique qui apporte son soutien à ces imperfections. Y faire descendre la lumière, le calme, la force et l'intensité du supramental, c'est là ce qu'il vous faut.
Vous pouvez avoir toute la connaissance mentale du monde et pourtant être incapable de faire face aux difficultés vitales. Le courage, la foi, la sincérité devant la Lumière, le rejet des suggestions contraires et des voix adverses sont là l'aide véritable. Alors Seulement la connaissance elle-même peut avoir quelque efficacité.
Le pouvoir exigé dans la réalisation n'est pas la maîtrise mentale, mais une maîtrise venant d'au-dessus du mental. Cette maîtrise qui, en dernière analyse, vient du supramental, est celle du Pouvoir divin.
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2976
Si vous voyez plus clairement certaines déficiences de votre nature vitale et la nécessité d'une transformation, c'est en soi un signe de croissance psychique. Ces défauts ne devraient pas vous décourager, car ils sont fréquents dans le vital humain et, par une ouverture psychique progressive, ils perdront leur emprise et finiront par disparaître.
Souvent la maîtrise mentale sur les mouvements vitaux s'atténue, au cours du yoga, pendant un certain temps. Il faut la remplacer par une maîtrise plus grande venant d'en haut et par le calme, la pureté et la paix puissante du vital lui-même, ouvert à la Force divine et à son empire sur toute la nature.
Ne vous laissez ni troubler, ni décourager par aucune difficulté, mais ouvrez-vous tranquillement el simplement à la force de la Mère et laissez-la vous transformer.
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2977
La Mère ne retire pas la maîtrise mentale: c'est complètement faux, et c'est là un des nombreux et stupides contresens que font certains sâdhak au sujet de la sâdhanâ. Ce qui est vrai — et c'est la raison de ce que vous ressentez — c'est que quand vous essayez de maîtriser pleinement, par la sâdhanâ, vos mouvements habituels dans le vital, et non tantôt de les maîtriser et tantôt de vous y abandonner, ils résistent avec violence au point de paraître augmenter. Le sâdhak doit tenir bon et refuser de se laisser terrasser ou décourager par cette violence. En rêve, il est fréquent que les mouvements, même ceux que l'on a rejetés à l'état de veille, continuent longtemps à revenir, car ils restent dans le subconscient; or c'est le subconscient qui fabrique une grande partie des rêves. Ainsi, lorsqu'on n'a plus de désirs sexuels à l'état de veille, on peut encore avoir des rêves sexuels — et des éjaculations — qui reviennent plus ou moins souvent; on peut encore rencontrer en rêve des personnes que l'on ne voit jamais, dont on n'entend pas parler, auxquelles on ne pense pas pendant les heures de veille, et ainsi de suite. Ces rêves ont d'autant plus tendance à se produire lorsque le mental éveillé n'est pas libre.
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2978
Tout dépend de ce que l'on entend par mouvement erroné ou inutile. Certains mouvements doivent être éliminés avant que la conscience supérieure puisse s'établir complètement. D'autres, qui sont inutiles, doivent être écartés s'ils sont incompatibles avec la plénitude de la sâdhanâ, ou la croissance de la conscience intérieure, mais peuvent subsister si la conscience établie est telle que les admettre ou non n'a sur elle aucune influence.
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2979
Cette expression ["mouvements erronés dans la sâdhanâ"] recouvre à peu près tout ce qui est néfaste au progrès spirituel; les mouvements les plus fréquents sont le doute, la révolte, le désir égoïste ou l'ambition, la satisfaction des désirs sexuels, mais il y en a quantité d'autres.
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2980
La révolte extérieure, c'est le refus de la discipline et de l'obéissance; la révolte intérieure revêt de nombreux aspects, elle peut avoir de nombreuses formes, par exemple: révolte du vital contre la Mère, révolte du mental contre la Vérité, rejet de la vie spirituelle, exigence d'introniser l'ego à la place du Divin ou de se mettre au service de quelque chose qui flatte l'ego vital et soutient ses exigences, et appeler cela le Divin; acceptation des suggestions vitales de défiance, de désespoir, d'auto-destruction, de départ, et bien d'autres.
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2981
La véhémence vient de l'ego vital non régénéré qui est précisément la chose qui constitue le principal obstacle à la transformation; d'autres obstacles sont relativement bénins, comparés à cette partie de l'être. Il vaut beaucoup mieux que la Mère ait refusé de prendre en considération cette partie de votre être; l'épreuve aurait été bien plus dangereuse qu'un refus.
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2982
La consécration vitale consiste à offrir à la Mère la nature vitale en la rendant sacrée, afin qu'elle puisse appartenir tout entière à la Mère et non à la nature inférieure.
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2983
[La consécration vitale:] Elle consiste à offrir toute la nature vitale et tous ses mouvements au Divin, afin qu'elle soit purifiée, que seuls subsistent les mouvements vrais, en harmonie avec la Volonté divine, et que tous les désirs et toutes les impulsions égoïstes disparaissent.
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2984
L'aspiration est parfois ressentie au niveau de l'ombilic mais cette région fait partie du vital élargi. Le vital inférieur est situé plus bas. Le vital inférieur aspire en offrant tous ses petits mouvements au feu de la purification, en appelant la lumière et le pouvoir pour qu'ils descendent en lui, le débarrassent de ses petites avidités, de ses petites jalousies, résistances, révoltes à propos d'affaires sans importance, colères, vanités, pulsions sexuelles, etc., et les remplacent par les vrais mouvements régis par l'oubli de soi, la pureté, l'obéissance à l'impulsion de la Force divine en toutes choses.
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2985
On commence à voir que le vital inférieur a reçu la Conscience divine lorsque même dans les petits mouvements de la vie, il y a une aspiration vers le Divin, une sorte de recours à la Lumière divine pour qu'elle vous guide ou un certain sentiment de s'offrir au Divin ou de se laisser guider par le Divin. Le vital inférieur régit les petits détails de l'émotion, de l'impulsion, de la sensation, de l'action; lorsqu'il est converti, il les offre à l'autorité du Divin pour qu'ils soient transformés.
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2986
Il est vrai qu'une discipline extérieure est nécessaire à la purification du vital extérieur, sinon il demeure agité, fantasque, à la merci de ses impulsions, si bien qu'aucune base ne peut être construite en lui pour qu'une conscience supérieure tranquille et permanente y demeure fermement établie. L'attitude que vous avez adoptée dans le travail est évidemment la meilleure et par sa pratique régulière, le progrès que vous constatez ne pouvait manquer de venir et ne fera qu'augmenter.
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2987
[La discipline:] Elle consiste à vivre et à agir en se maîtrisant ou en se conformant à une norme éthique, à ne pas laisser le vital et le physique faire tout ce qu'ils veulent, à ne pas laisser le mental errer à sa fantaisie sans vérité ni ordre. Et aussi à obéir à ceux qui doivent être obéis.
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2988
Une impulsion incontrôlable n'est pas forcément une inspiration à agir selon la vérité; en suivant toujours de telles impulsions, on risque plutôt de devenir une créature soumise au hasard de ses caprices. Il est bon que l'énergie soit inépuisable, non qu'elle soit indisciplinée.
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2989
La volonté devrait exercer la même maîtrise sur les impulsions que sur les pensées. Nombreux sont ceux qui trouvent plus facile de maîtriser une impulsion que d'empêcher l'émergence d'une pensée.
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2990
Cette incapacité à réaliser quoi que ce soit dans la vie vient en général d'une certaine instabilité dans le vital inférieur qui n'apporte pas un soutien cohérent à la Volonté, mais dont l'intérêt est flottant et voltige d'un objet à l'autre. Ce n'est pas un signe d'incapacité à réussir: en général, ceux-là pourraient réussir dans de nombreux domaines, mais ce flottement les empêche d'y parvenir durablement dans aucun. C'est un défaut qui doit être surmonté, et peut l'être.
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2991
Dans le premier cas, c'est l'indécision vitale; dans l'autre, c'est l'instabilité vitale. Ceux qui sont incapables de choisir ont cette indécision vitale; la cause en est, en général, un mental physique trop actif, qui voit trop de choses ou trop d'aspects à la fois. L'instabilité a pour origine un manque de maîtrise et un excès d'impulsivité.
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2992
Certains sont solides et tenaces dans leur vital, ce sont eux qui peuvent être stables; d'autres sont plus versatiles par nature et facilement mus par des impulsions, ce sont eux qui tantôt sont pleins d'enthousiasme, tantôt tombent dans la lassitude. C'est une question de tempérament. En revanche, les gens versatiles sont parfois capables d'une ardeur plus prompte, de sorte qu'ils peuvent progresser rapidement à leur manière, s'ils le veulent. Quoi qu'il en soit, le remède à tout cela consiste à trouver son vrai moi, au-dessus du mental et du vital, afin de n'être pas soumis au tempérament.
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2993
L'amertume que vous ressentez est celle d'un vital agité et insatisfait qui n'a pas obtenu ce qu'il désirait parce qu'il ne pouvait rien désirer avec force et persévérance. Sinon il aurait pu éprouver tous les désirs vitaux: mariage, amitiés, situation, etc., mais il ne pouvait se fixer sur rien, à cause de cette sorte d'agitation impuissante. Dans le yoga, votre vital a fait preuve de la même mollesse agitée; autrement, depuis le temps, il serait parvenu à un résultat; en outre il y avait l'impulsion sexuelle qu'il ne voulait ni satisfaire, ni abandonner. Vous devez savoir ce que vous voulez et le vouloir avec toute votre volonté; c'est le seul moyen de mettre fin à cette agitation et à cet échec.
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2994
S'il veut un jour ou l'autre devenir apte à la vie spirituelle, la première chose qu'il doit éviter est l'agitation vitale. Exécuter le travail qui vous incombe avec un mental tranquille, en l'offrant au Divin et en essayant de se débarrasser de l'égoïsme et du désir vital, est la meilleure manière de se préparer.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 3.
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2995
Vous ne devriez pas vous abandonner à ce sentiment de chagrin; restez calme, confiant, tourné vers l'unique Volonté en toutes circonstances; c'est le moyen de s'assurer que chaque action entreprise sera celle qui convient et produira les meilleurs effets possibles. Considérez dorénavant la question de X et votre relation avec X comme mineures et secondaires, comme un à-côté extérieur à votre sâdhanâ. Si vous considérez ce problème comme primordial, il le deviendra et vous barrera de nouveau le chemin. Considérez que cette question appartient au passé, qu'elle a été fermement réglée et mise à sa place, et tournez-vous vers le but central de votre sâdhanâ.
Quant au reste, à part ce détail, vous n'avez rien à changer à votre but intérieur et à la concentration de votre volonté et de votre effort sur la seule chose à faire: l'entier don de soi, l'entière consécration de soi de votre être intérieur et extérieur au Divin seul. Si vous pouvez adopter fermement l'attitude intérieure juste, vous pourrez même y trouver plus de facilité qu'à vous laisser guider principalement par une règle extérieure.
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2996
La seule nécessité est de parvenir à fixer définitivement dans le mental un choix que l'on puisse toujours opposer à la perturbation vitale. Le vital continuera d'être perturbé tant que la paix complète n'y sera pas descendue, mais si, dans le mental, une résolution fixe est maintenue sans cesse au premier plan, la perturbation perdra son acuité et le chemin en sera raccourci.
2997
C'est le vital inférieur (physique) qui agit ainsi. Cette partie de la nature n'agit pas selon la raison, elle ne comprend rien à rien. Elle n'est mue que par le désir, l'impulsion et l'habitude. Le mental, le cœur, le vital supérieur ont compris et se sont rangés du côté de la Paix et de la Force qui agissent pour transformer la nature. Mais le vital inférieur réagit encore aux anciennes forces lorsqu'elles entrent en contact avec lui. Il s'agit de faire descendre la Paix, la Force, la Lumière dans cette partie de l'être, pour que chaque fois que les forces extérieures de la nature inférieure l'atteignent, elles rencontrent cette force et non l'ancienne réaction. C'est un peu difficile à cause de la longue habitude du passé; mais cela viendra de plus en plus, à mesure que la Force descendra dans le corps et s'infusera en lui par sa descente.
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2998
L'opposition du vital n'est jamais raisonnable, même lorsqu'elle avance des raisonnements. Il agit selon sa nature et son habitude de désirer, non par raisonnement.
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2999
Peut-être y a-t-il un peu de tout cela, mais cette partie du vital ne s'appuie sur aucune raison précise: elle s'empare de toute déception ou de toute difficulté qu'elle ressent avec acuité. Cet élément agité, plein de désirs, passionné, dépressif, instable, est présent dans toutes les natures humaines. Prenez du recul et ne lui permettez pas de vous diriger ou de vous faire agir. Le vital contient une partie positive qu'il faut utiliser: ardente, sensible aux choses élevées, capable de beaucoup d'amour et de dévotion. Renforcez-la en l'étayant sur le psychique et aussi sur la paix et l'immensité qui viennent d'en haut.
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3000
Il ne s'agit pas de ressentir du chagrin, de la joie ou n'importe quelle émotion: cela arrive à tous ceux qui n'ont pas surmonté la nature ordinaire. Ce n'est pas sentimental, mais émotif. Le sentimentalisme intervient lorsque vous prenez plaisir à éprouver ou à manifester le sentiment, ou lorsqu'il apparaît sans raison aucune ou sans raison suffisante.
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3001
Le vital inférieur ne prête pas l'oreille à la raison. Il n'y a pas de pourquoi à son action; il agit d'une certaine manière parce qu'il a été accoutumé à agir ainsi, et il continue même si la réaction est pénible.
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3002
Les doutes des sâdhak viennent plus souvent du vital que du mental proprement dit; quand le vital s'égare, est perturbé ou déprimé, les doutes surgissent et se répètent sous la même forme, dans les mêmes termes, même si le mental a été convaincu par des preuves irréfutables ou par des réponses intellectuelles. J'ai remarqué que le vital est toujours irrationnel (même lorsqu'il utilise la raison pour se justifier) et qu'il croit ou refuse de croire selon ses sentiments et non selon la raison.
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3003
Le vital a commencé à évoluer en obéissant aux impulsions et non à la raison; en fait de stratégie, la seule qu'il comprenne est une certaine tactique qui lui permet de réaliser ses désirs. Il n'aime pas écouter la voix de la connaissance et de la sagesse, mais chose curieuse, puisqu'un besoin s'est élaboré dans l'homme de justifier l'action par la raison, le mental vital a échafaudé une stratégie à lui qui consiste à amener la raison à trouver des raisons pour justifier ses sentiments et ses impulsions. Quand la raison est trop claire pour se prêter à ce jeu, le vital retombe dans son habitude congénitale de se boucher les oreilles et de poursuivre son chemin. Dans ces attaques, l'inaptitude est la contre-stratégie qu'il adopte: "Puisque mes impulsions ne vous plaisent pas et que je ne peux pas les changer, c'est la preuve que je suis inapte, donc je ferais mieux de m'en aller." Et même si l'on contre-attaque, l'impulsion elle-même suffit, forte qu'elle est des origines qu'elle tire de la Nature universelle, pour restaurer dans le vital, pendant quelque temps, son vieil instinct aveugle et irrationnel qui le pousse à obéir à l'impulsion une fois qu'elle est venue.
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3004
Le vital préfère toujours dissimuler ses mouvements à Lumière.
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3005
Vous devez cultiver le discernement, afin qu'il devienne impossible au vital de vous tromper.
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3006
Gardez-vous des mouvements et des formations du vital: quand vous les laissez faire, vous êtes sur une pente dangereuse.
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3007
La signification générale de vos phrases est que vous avez pris toutes les résolutions nécessaires, mais que vous n'avez pas pu les mettre en pratique parce que la Force vous refusait son soutien. C'est le stratagème habituel du mental vital lorsqu'il cherche à rejeter la responsabilité des difficultés ou de l'absence de progrès dans la sâdhanâ: "Je fais tout ce que je peux, mais la Force ne me soutient pas." Inutile de citer d'autres phrases: vous écrivez tantôt une chose, tantôt une autre, en changeant vos batteries pour étayer votre argument. Si la logique pouvait vous aider à vous débarrasser de cette fourberie du mental vital, cela vaudrait la peine que vous l'appreniez.
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3008
Vous me demandez s'il se dissimulait autre chose derrière l'intention de surface dont votre mental était conscient. Assez souvent, lorsque le vital se mêle d'une affaire, quelque chose se trouve à l'arrière-plan. Ne pas se laisser égarer par les mouvements de surface du mental, mais détecter ce quelque chose à l'arrière-plan, fait partie de la connaissance de soi. Car le vital a l'habitude de se faire un masque des combinaisons élaborées par le mental autour des sentiments et des actions, afin de dissimuler, même à celui qui se regarde faire, le motif secret sous-jacent ou les forces à l'œuvre derrière la parole, l'acte ou les sentiments.
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3009
Votre lettre de ce matin venait entièrement du vital troublé et blessé; c'est pourquoi je ne me suis pas hâté d'y répondre. Je ne sais pas pourquoi vous êtes si prompt à croire que la Mère ou moi-même agissons en fonction de mouvements ordinaires de colère, de dépit ou de mécontentement; il n'y avait rien de tel dans ce que je vous ai écrit. Vous êtes retombé à plusieurs reprises du niveau supérieur de conscience que vous aviez atteint, et bien que nous vous ayons conseillé d'observer ce qui vous tirait vers le bas, votre seule réponse a été que vous ne voyiez rien. Nous savons parfaitement que c'était une partie de votre vital qui ne voulait pas changer; comme elle ne voulait pas changer, elle se dissimulait au mental, et le mental lui-même semblait peu disposé à la voir; nous avons donc pensé qu'il était nécessaire, lorsque vous nous en avez donné l'occasion par vos lettres (d'abord au sujet de X, et ensuite au sujet du passé qui vous tourne dans la tête) de vous indiquer tout net et avec force la nature de l'obstacle: d'un côté votre ancien sentiment qui persiste sous forme de colère, de rancune et de susceptibilité blessée, et de l'autre l'habitude vitale de réagir par l'amour-propre, le jugement malveillant des autres, le sentiment de supériorité dans la sâdhanâ ou à d'autres égards, un désir de présenter une image flatteuse aux autres et aussi à vous-même. Ceci, en particulier, a pour effet de vous aveugler et de vous empêcher de vous examiner clairement et de percevoir les obstacles qui s'opposent au progrès spirituel. Même si le mental aspire à la connaissance et à la transformation, une habitude de ce genre, agissant en cachette dans le vital, suffit largement à faire obstacle à la connaissance et à la transformation et à empêcher l'une de venir et l'autre de se faire. J'ai donc eu soin de parler clairement de vanité et d'auto-satisfaction, pour que cette partie de votre vital n'essaie pas de ne pas voir. La Mère est beaucoup plus précise et tranchante, en paroles ou par écrit, vis-à-vis de ceux qu'elle désire pousser rapidement sur le chemin, parce qu'ils en sont capables, et ils ne lui en veulent pas, n'en souffrent pas, mais sont heureux de cette pression et de cette franchise, parce qu'ils savent par expérience qu'elles les aident à voir en eux les obstacles et à se transformer. Si vous voulez progresser rapidement, vous devez vous débarrasser de cette réaction vitale d'abhimāna, de souffrance, de sentiment blessé, cesser de rechercher des arguments pour vous justifier, de vous répandre en clameurs contre un contact dont le but est de vous libérer, car tant que vous aurez ces réactions, il nous sera difficile de nous attaquer ouvertement et avec fermeté aux obstacles soulevés par la nature vitale.
Passons maintenant au différend qui vous oppose à X. La Mère vous a averti de ne pas trop converser, bavarder et cancaner, et de ne pas vous disperser dans les mondanités; c'était tout à fait sérieux et c'est toujours valable; quand vous vous laissez aller à cela, vous vous projetez dans une conscience très mesquine et très ignorante où vos défauts vitaux se donnent libre cours, et par là vous risquez de sortir de l'atmosphère que vous avez élaborée dans votre conscience intérieure. C'est pourquoi nous vous avons dit que si vous vous sentiez réagir contre tout cela lorsque vous alliez voir X, c'était un signe que la sensibilité (psychique) apparaissait en vous, pénétrait dans votre être vital et nerveux; nous voulions dire que tout était pour le mieux. Mais dans vos relations avec les autres, en vous abstenant de ces bavardages, vous ne devez laisser aucun sentiment de supériorité se glisser en vous, ni, par vos manières ou votre humeur, leur faire sentir votre réprobation ou votre condamnation, ni faire pression sur eux pour qu'ils changent. C'est par une nécessité personnelle et intérieure que vous vous en abstenez, et c'est tout. Quant à eux, à ce qu'ils font à cet égard, que ce soit bien ou mal, c'est leur affaire, et la nôtre; nous nous occuperons d'eux selon ce que nous jugerons nécessaire et possible pour eux à ce moment-là; à cette fin, nous pouvons non seulement traiter différemment des gens différents, permettre à l'un ce que nous défendons à l'autre, mais aussi traiter différemment la même personne à différents moments et l'autoriser ou même l'encourager à faire aujourd'hui ce que nous lui interdirons demain. Le cas de X est tout différent du vôtre, car vos natures n'ont rien de commun. Je vous ai dit cela, ou quelque chose d'approchant, il y a fort longtemps, et j'ai déclaré avec force, dans ma lettre à X, que ce qui pouvait être de règle pour moi-même ou pour Y ne devait pas s'appliquer ou ne serait pas appliqué dans son cas. Agir autrement aboutirait à soulever des difficultés dans sa sâdhanâ et non à la lui rendre plus facile ou plus rapide. Je lui ai dit aussi très clairement dans ma lettre que si l'on tente de rencontrer les autres et de les fréquenter — ce qui, dans la vie ordinaire, se fait par les contacts mondains ou autres — dans le yoga, il faut le faire sur un autre plan de conscience, sans que s'y mêlent des éléments inférieurs, en vue de réaliser une unité supérieure avec tous sur une base spirituelle et psychique. Mais la manière, le moment, l'ordre des mouvements par lesquels cela se fait ne sont pas nécessairement les mêmes pour tout le monde. En essayant de se forcer, X serait mené à la tristesse, au découragement, et à un mouvement artificiel qui ne serait pas le vrai chemin du succès. On ne peut traiter une âme et une nature humaines au moyen d'un code de règles mentales applicables à tous de la même manière; s'il en était ainsi, il serait inutile d'avoir un Gourou, chacun pourrait placer devant lui un tableau de règles yoguiques semblable au tableau des règles de gymnastique de Sandow, et les suivre jusqu'à devenir le parfait siddha!
Je vous dis tout cela pour vous faire comprendre pourquoi nous ne traitons pas X de la même manière que vous ou un autre. La tendance à prendre ce que je prescris à l'un et à l'appliquer sans discernement à un autre est la cause de nombreux malentendus. Une directive générale, vraie en elle-même, ne peut pas non plus être appliquée uniformément à tout le monde ou appliquée immédiatement et sans délai sans tenir compte de la situation, des circonstances, de la personne ou du moment. Je puis dire, en général, que le but de mon yoga est de faire descendre le supramental, ou que pour le faire il faut d'abord sortir du mental pour s'élever dans le surmental; mais si, s'appuyant sur cela, tout un chacun se mettait à vouloir tirer le supramental vers le bas ou à essayer de sortir immédiatement du mental pour entrer de force dans le surmental, le résultat serait désastreux.
Préoccupez-vous par conséquent de votre propre progrès et en cela, laissez-vous conduire par la Mère. Laissez les autres faire de même; la Mère est là pour les guider et les aider selon leurs besoins et leur nature. Que sa manière de guider X paraisse différente ou même contraire à celle qu'elle adopte pour vous n'a pas la moindre importance. C'est la bonne manière pour lui et c'est de même la bonne manière pour vous.
Vous avez maintenant commencé à voir quelles difficultés subsistent encore dans votre vital; gardez cette claire perception, laissez-la devenir plus claire et plus précise encore. Concentrez-vous sur ce que vous avez à faire et ne vous laissez pas troubler ici ou là par des préoccupations qui n'ont rien à voir ou par une autre influence, quelle qu'elle soit.
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3010
Ce n'est certes pas la réponse à des questions qui supprimera la cause profonde de ces interrogations répétées. Même si les réponses étaient satisfaisantes, leur effet ne pourrait être que temporaire. Ou bien les mêmes interrogations se répéteraient mécaniquement, car leur vraie source ne se trouve pas dans la raison, mais dans une certaine partie de la conscience vitale sensible à l'atmosphère environnante; ou bien elles se présenteraient d'un autre point de vue ou sous un angle légèrement différent. La difficulté ne peut disparaître que si vous demeurez résolu à la faire disparaître, si vous refusez d'attacher une valeur quelconque aux arguments que le mental est poussé à invoquer pour justifier votre "tristesse" sous l'influence de cette atmosphère, si, comme vous l'avez fait en d'autres occasions, vous demeurez fermement résolu à opérer la transformation yoguique, à éveiller pleinement le psychique, à ne pas obéir aux injonctions du mental, mais plutôt à faire ce que la Mère vous demande: persévérer, quelle que soit la difficulté réelle ou apparente. Ainsi le psychique pourra pleinement s'éveiller et établir son influence, non sur votre vital supérieur où il est déjà éveillé, mais sur le vital inférieur, car c'est là que résident vos difficultés et que cette dépression vitale se répète.
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Il est vraiment étonnant que vous vous soyez laissé prendre à une supercherie aussi invraisemblable que celle que X avait échafaudée. C'est simplement l'esprit du mensonge vital, dramatique et romanesque, qui obscurcit la raison et ferme la porte au bon sens et à la simple vérité. Pour nettoyer le vital, vous devez le débarrasser de toute compromission avec le mensonge, si insidieuses que soient les raisons qu'il avance, et prendre l'habitude de lui inculquer la vérité psychique simple et directe, afin que rien n'ait aucune chance d'entrer. Si cette leçon peut s'imprimer dans la partie du vital qui est sujette à de telles compromissions, un certain bien sortira de ce mouvement faux. Placez donc dorénavant à la porte de votre vital l'écriteau de la Mère: "Entrée interdite à tout mensonge" et postez-y une sentinelle pour veiller à son application.
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3012
Votre défense de X ressemble aux idées de X qui sont vérité très bizarres. Si elles étaient justes, nous devrions parvenir aux conclusions suivantes:
1. Sattwa n'est pas la meilleure voie vers la réalisation, Radjas est la meilleure manière de devenir spirituel. L'homme radjasique, plein d'un ego virulent et de passions violentes, est le vrai sâdhak du Divin.
2. L'Asoura est le meilleur Bhakta. La Guîtâ a tout à fait tort de présenter la nature dévique comme la condition de la réalisation et la nature asourique comme contraire à elle. C'est l'inverse.
3. Râvana, Hiranyakashipou, Shishoupâla seraient les plus grands adorateurs du Divin parce qu'ils étaient capables d'hostilité envers le Divin et se sont ainsi libérés en quelques existences; comparés à eux, les Rishi et les Bhakta les plus grands étaient de piètres réceptacles spirituels. Je connais bien le paradoxe de Râvana dans le Pourâna, mais laissez-moi vous faire observer que ces Asoura et ces Râkshasa ne prétendaient pas être des disciples ou des adorateurs de Râma, de Krishna ou de Vishnou, pas plus qu'ils ne profitaient de leur situation de disciples pour obtenir le môksha par la révolte: ils l'ont obtenu par leur hostilité, en se faisant tuer, puis absorber par la Divinité.
4. L'obéissance au Gourou et le culte du Divin ne sont que des inepties bonnes seulement pour des moutons et non pour des hommes. Se retourner avec fureur contre le Gourou ou le Divin, l'insulter, exprimer son mépris, mettre en doute sa sincérité, déclarer ses actions mauvaises, sottes ou fourbes, affirmer que l'on a raison sur tous les points alors que le jugement du Gourou est erroné, plein de préjugés, absurde, faux, au service des démons, etc., etc. est la meilleure forme de dévotion et la vraie relation entre Gourou et Shishya. La désobéissance est la plus haute marque de respect envers le Gourou, la colère et la révolte sont le plus noble culte qui puisse être rendu au Divin.
5. Celui qui peut recevoir les coups de Mahâkâlî avec joie, comme un moyen de découvrir ses fautes et d'augmenter la lumière, la force, la pureté, est un mouton indigne du nom de disciple; celui qui réagit à la moindre incitation au changement par la révolte et en persévérant dans ses erreurs est un homme fort, un âdhâra puissant et un noble disciple sur le chemin de la perfection.
Je pourrais continuer à multiplier les conséquences, mais je n'ai pas le temps. Croyez-vous vraiment toutes ces histoires? Elles découlent naturellement de la théorie de X ou de la théorie de la révolte considérée comme le chemin de la perfection. Si vous acceptez les prémisses, vous devez en accepter les conséquences logiques. C'est ce que X a fait; seulement il qualifiait ses erreurs de Vérité et la voie que je prescris de mensonge inexplicable, sinon par le fait que j'étais "un Maître qui a oublié son moi supérieur". Et les conséquences ont amené son départ, non par notre volonté, mais par son propre choix, et dans des circonstances telles qu'il m'est devenu pratiquement impossible de le laisser revenir, à moins qu'il ne subisse un changement dont l'expérience du passé ne me permet pas d'augurer qu'il soit possible.
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3013
Votre analyse est parfaitement exacte; avec cette claire connaissance de tout le mécanisme, il devrait vous être plus facile de vous débarrasser de ces forces ignorantes. Il est vrai qu'elles ne se soucient nullement de la vérité ou de la raison et ne font appel qu'aux sentiments aveugles du vital; pourtant, la lumière de la vraie conscience, projetée sur elles avec fermeté, devrait éclairer suffisamment votre vital pour qu'il ne cède plus aux insinuations qui cherchent à le troubler, et soit prêt à s'établir solidement dans le calme et le bonheur de la consécration au Divin.
3014
La difficulté que vous rencontrez dans votre vital ne vous est pas particulière; à un degré ou à un autre, sous une forme ou une autre, cette maladie est assez générale. Sa répétition constante, sa réapparition automatique et irrationnelle, même lorsque tout le reste de la nature l'a rejetée, est due à l'opiniâtreté de la conscience matérielle qui répète indéfiniment le vieux mouvement dans la vieille ornière, au moindre contact des forces auxquelles elle a longtemps été accoutumée. C'est une question de foi, de patience et de persévérance. Il faut être plus obstiné que l'obstination de la nature matérielle et persévérer jusqu'à ce que la lumière et la vérité puissent s'emparer de façon permanente des parties de l'être qui réagissent encore aux anciens mouvements. Grâce à cette persévérance, la Vérité finira sans nul doute par remporter la victoire.
Cette tâche serait plus aisée si vous pouviez vous débarrasser de certaines idées arrêtées et de la réaction habituelle de dépression ou de désespoir qu'amènent ces répétitions Écartez, par exemple, toute interrogation quant à la "possibilité" de conversion de votre être vital: vous devriez plutôt voir qu'elle est certaine, et non simplement possible. Quand ces répétitions se produisent, ne les laissez pas vous déprimer, mais contentez-vous d'observer, de prendre du recul, et faites appel à la force supérieure, en gardant la conviction que ces répétitions sont l'effet d'un automatisme et ne contiennent en substance rien de plus, si vigoureuses qu'elles puissent paraître. Le principe de la répétition automatique est très fort dans la nature matérielle, au point de vous persuader qu'elle est incurable. Ce n'est cependant qu'une supercherie des forces de l'inconscience matérielle; c'est en créant cette impression qu'elles essaient de se perpétuer. Si, au contraire, vous restez ferme, vous refusez d'être déprimé ou découragé, et si même au moment de l'attaque, vous affirmez la certitude ultime de la victoire, cette victoire viendra beaucoup plus aisément et beaucoup plus tôt.
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Lorsque le vital s'empare de quelque chose, c'est souvent ainsi: il le maintient fixement dans le mental jusqu'à ce qu'il reçoive satisfaction, ou que son emprise soit rejetée.
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Vous ne devez pas vous laisser décourager par la persistance des mouvements de la nature vitale inférieure. Certains tendent toujours à persister et reviennent jusqu'à ce que toute la nature physique soit changée par la transformation de la conscience la plus matérielle. Jusque-là, leur pression se répète (quelquefois avec un renouveau de force, quelquefois plus sourdement) comme une habitude mécanique. Retirez d'eux toute force de vie en refusant tout assentiment mental ou vital; alors, l'habitude mécanique perdra son pouvoir d'influencer les pensées et les actions, et finalement cessera.
Les Bases du Yoga, chapitre 5. Traduction de la Mère.
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3017
Très souvent, lorsqu'on croit qu'une résistance particulière a cessé et n'existe plus dans le vital, elle resurgit.
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L'exacerbation de certains mouvements vitaux est un phénomène parfaitement connu dans le yoga; elle ne signifie pas que l'on a rétrogradé, mais seulement que l'on en est venu aux mains avec les instincts fondamentaux de notre nature vitale terrestre, au lieu d'entretenir avec eux des relations distantes et agréables. J'ai subi moi-même, durant une certaine période de mon développement spirituel, ce paroxysme de certains mouvements qui auparavant existaient à peine et semblaient tout à fait absents dans la pure vie yoguique. Ces mouvements surgissent ainsi parce qu'ils luttent pour survivre: ils ne vous sont pas vraiment personnels et la véhémence de leur attaque n'est due à aucune "vilenie" de votre nature. Je dirais que sept sâdhak sur dix ont une expérience similaire. Ensuite, lorsque ces mouvements vitaux ne peuvent atteindre leur objectif, qui est d'amener le sâdhak à abandonner la sâdhanâ, tout cela s'effondre en bloc et les bouleversements s'apaisent. Le seul problème sérieux dans ce domaine, je le répète, est la dépression qui se crée en vous et l'idée de l'inaptitude au yoga que ces mouvements ont soin d'imprimer sur le cerveau lorsqu'ils sont à l'œuvre. Si l'on peut s'en débarrasser, la violence des attaques vitales n'est plus qu'un phénomène caractéristique d'une certaine étape et n'a en fin de compte aucune importance.
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3019
Toutes ces choses sont là dans la nature humaine; ce sont des mouvements habituels qui ne montrent pas leur vraie nature tant que la lumière de la conscience supérieure ne se projette pas sur elles. Même lorsqu'elles ont été rejetées, une réaction à ces suggestions venues du dehors demeure possible dans la texture du vital inférieur, du physique vital ou du subconscient, jusqu'à ce qu'ils soient pleinement illuminés.
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3020
Si votre vital "perd l'équilibre" et les admet [l'ego, l'exigence, le désir], c'est que vous leur restez ouvert. Lorsqu'ils sont rejetés par le vital intérieur au point de devenir de simples suggestions et rien de plus, c'est le signe qu'ils ne sont plus admis. Des suggestions ou des vagues provenant de la nature générale surgiront peut-être, mais elles ne seront pas admises. Ce n'est qu'à partir de ce moment que l'on peut entretenir une volonté qui vous tient à l'abri de l'atmosphère générale.
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3021
À cette occasion, la conscience s'est sans doute abaissée et une vague vitale quelconque, venant de l'atmosphère, est entrée en ressuscitant les anciennes vibrations du vital agité qui s'était calmé. Vous devez vous séparer de ces vibrations et retrouver l'équilibre de la tranquillité. Elles n'ont plus aucune base réelle, ni dans le mental, ni dans le cœur; elles ne reposent que sur la force répétitive qui monte du subconscient et, une fois éveillée, cherche à amener ces vieilles idées et ces vieux sentiments à se répéter, afin d'empêcher la conscience de s'établir dans la tranquillité. Mais l'équilibre déjà atteint est là et n'a été que recouvert; il doit émerger à nouveau de ces obscurcissements. Vous devez prendre l'habitude de rester calme quelque part en vous-même lorsque se produisent ces attaques, de conserver à l'intérieur quelque chose qui refuse de donner son accord à ces suggestions ou de les reconnaître comme ses propres pensées et ses propres sentiments.
Quoi qu'il en soit, la Force sera là pour vous aider; recevez-la et tout cela disparaîtra.
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3022
C'était évidemment non pas l'action d'un élément qui reste enraciné au-dedans, mais un mouvement ancien revenant de l'extérieur (de la Nature universelle) auquel une partie du vital continue à répondre par la force de l'habitude, par la force d'une répétition coutumière. La preuve en est que vous n'avez rien senti sur le moment: la réaction n'est venue que plus tard; et l'alternance de calme et d'agitation après votre appel à la Force, comme si quelque chose perdait son emprise et ensuite essayait de la reprendre et de tenir bon, en est une autre preuve. Les choses que l'on a rejetées au-dehors reviennent toujours ainsi, comptant sur l'habitude de réagir ancrée dans la substance même de la nature: l'ancienne vibration. Si vous les expulsez chaque fois qu'elles apparaissent, la partie qui réagit commence enfin à comprendre qu'elle ne doit pas le faire et, peu à peu ou rapidement, se libère de l'habitude.
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3023
C'est normal: lorsqu'une pression spéciale s'exerce sur un mouvement vital, une résistance se manifeste soit dans le vital lui-même (ici, le physique vital), soit dans le subconscient. C'est tantôt une véritable résistance, tantôt seulement la pravṛtti qui se présente pour être purifiée.
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3024
La seule manière de se débarrasser de ces mouvements! vitaux est d'agir sur les forces envahissantes avec persévérance comme il le fait, à ce qu'il décrit: c'est-à-dire être sans cesse vigilant, essayer sans cesse, à tout moment, d'être conscient, de rejeter sans cesse ces mouvements en refusant d'y prendre plaisir, de faire appel à la Mère, de faire descendre la Lumière. S'ils persistent à revenir, il ne doit pas se décourager: transformer la nature d'un seul coup est impossible, cela prend beaucoup de temps. Si, cependant, il peut maintenir la conscience psychique au premier plan, ce sera beaucoup plus facile et la transformation présentera beaucoup moins de difficulté et d'ennuis. C'est possible, par la persévérance et la constance de l'aspiration et l'abhyāsa.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 3.
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Dans la plupart des êtres humains, le vital inférieur est plein de défauts graves et de mouvements de réponse aux forces hostiles. Une ouverture psychique constante, le rejet persistant de ces influences, le refus d'accepter les suggestions hostiles, et l'influx du calme, de la lumière, de la paix et de la pureté du pouvoir de la Mère, finiront par libérer le système nerveux de cet assaut.
Le nécessaire est d'être tranquille, de plus en plus tranquille, de considérer ces influences comme n'étant pas vous-même mais comme des intrus, de vous en séparer, de leur fermer la porte et de demeurer dans une confiance tranquille en le Pouvoir divin. Si votre être psychique demande le Divin et que votre mental soit sincère et appelle sa libération de la nature inférieure et de toutes les forces hostiles, et si vous pouvez appeler le pouvoir de la Mère dans votre cœur et vous fier à lui plus qu'à votre propre force, cet assaut sera finalement rompu et la force et la paix prendront sa place.
Les Bases du Yoga, chapitre 3. Traduction de la Mère.
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3026
La paix est toujours préférable. Quant au vital, il recèle toujours quelque chose qui résiste et essaie de freiner; mais si l'être intérieur s'ouvre suffisamment et que vous pouvez vivre en lui, la paix peut descendre et s'y établir de telle façon que les mouvements vitaux puissent subsister à la surface sans être capables de rompre la paix intérieure.
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3027
La seule chose à éviter est de perdre patience: cela ne fait que prolonger la perturbation vitale. Si le vital doit se transformer dans son essence, il suscite toujours des ennuis de ce genre, jusqu'à ce que l'on soit capable de s'installer solidement dans le calme de la conscience intérieure et de maintenir les mouvements vitaux tout à fait en surface.
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3028
Pourquoi croyez-vous que vos efforts sont vains? La purification du vital prend beaucoup de temps: tant que toutes les parties de l'être ne sont pas libérées, aucune ne l'est tout à fait; en outre, elles utilisent une multitude de mouvements qui doivent être transformés ou illuminés, et de plus les mouvements ordinaires de la nature ont une grande habitude de se perpétuer et de résister. On est donc porté à croire que l'on n'a fait aucun progrès, mais tout effort sincère et soutenu de purification porte ses fruits; au bout de quelque temps, le progrès accompli devient visible.
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3029
C'est parce que votre mental et votre vital sont tous deux devenus sincères que l'attaque est si forte et vous paraît anormale. Auparavant, comme vous cédiez de temps en temps, l'obstination de la partie de l'être en proie au désir était moins aiguë et lorsqu'elle exerçait sa pression, le reste de la nature vitale ne la ressentait pas avec autant d'acuité. Votre être mental, votre être psychique et votre être vital supérieur s'en tiennent maintenant complètement séparés. Votre vital physique conserve encore le désir et de temps en temps, il est poussé par des forces contraires à le réactiver. C'est ce même désir qui a suscité le malaise physique dont vous avez souffert il y a quelques jours. Vous devez vous débarrasser complètement de ce désir du vital inférieur.
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3030
Ce n'est pas le mental, mais l'être psychique qui a émis cette suggestion par l'intermédiaire du mental. Une certaine partie du mental est sous l'influence de la Vérité et peut transmettre la connaissance ou le sentiment de l'être psychique; une autre partie répond au vital, elle exprime et soutient les difficultés et les oppositions de la nature. Si le mental tout entier refuse de réagir au vital, d'accepter ses suggestions ou de les soutenir, l'attaque vitale perd beaucoup de sa force; on peut mieux faire pression sur le vital et l'obliger, lui aussi, à écouter le psychique et à se transformer.
Dans votre cas, ce qui est arrivé, c'est que toute la difficulté vitale — la plus importante de la famille — s'est massée et élevée en bloc. Quand on a surmonté une attaque comme celle-ci, l'atmosphère intérieure se clarifie toujours. Il ne faut pas permettre à l'attaque de reprendre des forces, et pour cela le mental doit suivre sans cesse la suggestion psychique et rester en même temps ouvert à la Mère, afin que la Force de la Mère puisse descendre en lui, le remplir et y accomplir son œuvre.
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3031
Ce qui arrive, en général, c'est que quelque chose entre en contact avec le vital, souvent à notre insu, et fait réapparaître l'ancienne conscience, ordinaire ou extérieure; alors le mental intérieur se cache et les anciennes pensées, les anciens sentiments réapparaissent pendant quelque temps. C'est le mental physique qui devient actif et donne son accord. Si le mental reste tout entier tranquille et détaché, observant le mouvement vital sans lui donner son consentement, il est plus facile de le rejeter. Cette tranquillité et ce détachement bien établis du mental dénotent toujours qu'un grand pas en avant a été accompli dans la sâdhanâ.
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3032
Mais que voulez-vous faire de tous ces mouvements obscurs et inutiles du vital qui vous tourmentent, de ces pensées, suggestions, confusions, incapacités mensongères? D'après votre lettre, vous semblez croire qu'il faut les conserver et les transformer. Mais pourquoi les conserver, comment les transformer? À quoi bon? Précisément, ce que vous devez faire, c'est leur "fermer la porte", les rejeter, refuser de les garder, refuser de les avoir; c'est justement pour vous forcer à voir d'une autre manière, à voir de la vraie manière que la Force exerce sur vous cette pression. Ce serait vraiment une grande bénédiction si vous pouviez oublier complètement toutes ces "choses fausses", comme vous les appelez vous-même. Pourquoi — je le répète — vouloir les garder et les transformer? Si vous êtes malade, souhaitez-vous garder les douleurs, les malaises et tout le reste pour les transformer? Vous voulez au contraire expulser la maladie, que le corps l'oublie, n'en garde aucune impression, perde même la possibilité de l'attraper de nouveau, vive et sente d'une tout autre manière, celle de la santé. Il en est de même ici.
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3033
L'obstacle vient de cette idée que vous n'y pouvez rien parce que le vital consent aux mouvements erronés. Vous devez projeter votre volonté intérieure et la lumière de la Mère sur votre vital pour qu'il change, et non le laisser faire tout ce qu'il veut. Si l'on était "sans défense" et mû par n'importe quelle partie de l'être extérieur, comment la transformation serait-elle possible? La force de la Mère ou le psychique peut agir, mais à la condition que l'être donne son consentement. Si on laisse le vital faire ce qu'il lui plaît, il continuera indéfiniment à suivre ses vieilles habitudes; il faut lui faire sentir qu'il doit changer.
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3034
Si vous voulez retrouver votre foi et la garder, vous devez d'abord tranquilliser votre mental et faire en sorte qu'il soit ouvert à la force de la Mère et y obéisse. Si votre mental est surexcité, à la merci de chaque influence et de chaque impulsion, des forces nuisibles continueront à s'affronter en vous et vous ne pourrez progresser. Vous commencerez à écouter votre ignorance et non la connaissance de la Mère, et naturellement votre foi disparaîtra, vous vous mettrez dans un état indésirable et vous adopterez une mauvaise attitude.
Votre maladie vient évidemment des nerfs et n'est pas une maladie physique ordinaire. Ces maladies sont engendrées par la pression de forces hostiles; elles s'aggravent si quelque chose en vous leur donne son assentiment, les accepte, et plus le mental leur accorde d'importance et d'attention, plus elles se développent. La seule chose à faire est de rester tranquille, de s'en dissocier et de refuser de les admettre ou d'en faire grand cas, de laisser le calme et la force dont la Mère vous a entouré pénétrer votre mental et s'infiltrer dans votre système nerveux. Agir autrement reviendrait à prendre parti pour les forces hostiles qui vous tourmentent. La guérison prendra longtemps, parce que votre système nerveux a longtemps subi ces influences et lorsqu'on cherche à les évincer, elles reviennent avec violence pour rétablir leur emprise. Mais si vous pouvez acquérir et conserver la patience, le courage, la conscience juste et l'attitude juste à leur égard, leur emprise disparaîtra peu à peu.
Certains défauts, dans votre nature vitale, s'opposent à la régularité du progrès spirituel, mais vous pouvez les éliminer si, en abandonnant toute notion excessive de "péché" et d'incapacité, vous les regardez tranquillement, les identifiez et les rejetez. Tranquillisez en vous-même toute exigence et tout désir trop ardent, toute excitation, toute exagération des sentiments et des impulsions contraires au yoga, recherchez en premier lieu l'intensité de la dévotion, mais aussi le calme, la force, la pureté et la paix. Laissez s'installer en vous une volonté de progrès régulière et tranquille; prenez l'habitude d'assimiler complètement dans le silence, avec persévérance, ce que la Mère infuse en vous. C'est la bonne manière d'avancer.
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3035
Vous auriez tort de céder à ces suggestions; elles émanent de toute évidence d'une force qui veut se servir du malaise et de la déception du vital pour vous amener à interrompre la sâdhanâ. Ces suggestions sont habituelles à tous les sâdhak sous la tension d'un certain état du vital: "Je ne suis pas doué pour cette sâdhanâ. Je dois partir, je ne puis rester ici. La Mère ne m'aime pas. J'ai tout abandonné et je n'ai rien reçu. Ce conflit me rend trop malheureux; laissez-moi partir." Ces suggestions n'ont en réalité aucune base véritable. Parce qu'un conflit aigu est apparu, il serait absurde d'en conclure que vous êtes inapte à la sâdhanâ et de l'abandonner après avoir avancé si loin. C'est parce que vous avez demandé au vital physique d'abandonner certains de ses attachements préférés, certaines de ses habitudes favorites qu'il est dans cet état; tout à fait incapable de résister, souffrant de cette privation, il prend prétexte de ces suggestions pour échapper à la pression que vous exercez sur lui. L'acuité du conflit est due à la véhémence de l'attaque, mais plus encore à ce vital ou à quelque chose en lui qui répond aux suggestions; sinon, un mouvement moins perturbateur, même s'il était plus lent, serait tout à fait possible. La Mère n'a pas changé le moins du monde à votre égard, et vous ne l'avez pas non plus déçue; c'est votre état d'esprit actuel qui suscite en vous ce sentiment de déception et d'inaptitude que vous attribuez à tort à la Mère. La Mère n'a aucune raison de changer ou d'être déçue, puisqu'elle a toujours été consciente des obstacles vitaux en vous, et qu'elle s'attendait — et s'attend encore — à vous voir les surmonter. Même les meilleurs sâdhak éprouvent toujours beaucoup de difficulté à obéir à l'injonction de transformer certaines choses qui semblent appartenir à la texture du caractère, mais cette difficulté n'est pas une preuve d'incompétence. C'est précisément cette envie de quitter l'Ashram que vous devez refuser d'admettre, car tant que ces forces se croiront capables de provoquer votre départ, elles déploieront tous les efforts possibles à cette fin. Vous devez aussi vous ouvrir davantage à la Force de la Mère dans cette partie de l'être et pour y parvenir, il faut vous débarrasser de cette idée que la Mère est déçue ou ne vous aime pas, car c'est cela qui suscite cette réaction au moment du Pranâm. Notre aide, notre soutien, notre amour sont toujours là, comme avant: veillez à leur rester ouvert et avec leur aide, repoussez toutes ces suggestions.
3036
Toute dépression est mauvaise, car elle abaisse la conscience, disperse l'énergie et ouvre l'être aux forces adverses.
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3037
Ne vous laissez jamais aller à aucun mouvement de dépression vitale, et moins encore à un état dépressif. L'être extérieur est toujours un animal difficile à manœuvrer, non seulement pour vous, mais pour tout le monde. Il faut le mener par la patience, avec une persévérance tranquille et pleine de bonne humeur; ne laissez jamais sa résistance vous déprimer, car cela ne fait qu'exacerber sa sensibilité, le rendre chagrin et difficile ou le décourager. Répandez plutôt sur lui le soleil de vos encouragements, maintenez sur lui une pression tranquille, et un jour ou l'autre vous le verrez s'ouvrir tout entier à la Grâce.
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3038
L'être extérieur ne s'intéresse pas à la sâdhanâ, à moins d'en tirer quelque chose qui lui plaît, lui est agréable ou le satisfait; c'est pourquoi il est sujet à la dépression.
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3039
Si le vital est tranquille et laisse le mental voir les choses sous leur vrai jour, cette dépression ne viendra naturellement pas.
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3040
Ce désespoir, ce dénigrement exagéré de soi-même, ce sentiment d'impuissance sont inspirés par une Force hostile et on ne doit jamais les laisser entrer. Les défauts dont vous parlez sont communs à toute nature humaine et l'être extérieur de chaque sâdhak en est plein; en devenir conscient est nécessaire pour se transformer; mais il faut s'y employer avec un mental tranquille, dans la foi, la soumission au Divin et l'aspiration confiante à la conscience supérieure qui sont propres à l'être psychique. La transformation de l'être extérieur est la partie la plus difficile du yoga; elle exige foi, patience, tranquillité et une ferme détermination. C'est dans cet esprit que vous devez écarter ces dépressions et continuer à pratiquer régulièrement le yoga.
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3041
Je n'ai reçu de vous aucune lettre depuis au moins quinze jours ou trois semaines. Si vous vous sentez dans un état pitoyable, ce n'est certes pas parce que vous avez encouru notre déplaisir. Je vous ai dit que nous étions sans cesse auprès de vous et c'est vrai, mais pour le sentir vous devez vous retirer de votre vital et être capable de vous concentrer dans votre être intérieur. Si vous le faites en toute bonne foi et avec sincérité, au bout de quelque temps vous sentirez le contact et la relation.
La phrase dont vous parlez signifie qu'en général, le vital essaie de résister lorsqu'on l'enjoint de se transformer. C'est ce que veut dire révolte ou résistance. Si la volonté intérieure persévère et interdit la révolte et la résistance, la mauvaise volonté du vital se traduira souvent par une dépression ou un découragement, accompagnés d'une résistance du mental physique qui encourage les vieux mouvements, les vieilles idées, habitudes ou actions à se répéter, alors que la conscience physique souffre d'une appréhension ou d'une peur du changement requis, d'un mouvement de recul ou d'un engourdissement qui l'empêche de recevoir l'appel.
C'est de cela que vous devez vous débarrasser. Mais une humeur chagrine ou dépressive ne s'y prête pas. Vous devez vous retirer du sentiment de souffrance, d'angoisse et d'appréhension, le rejeter et regarder tranquillement la résistance, en exerçant sans cesse sur vous-même votre volonté de changer, et en affirmant que cette transformation doit être faite et ne peut manquer de se faire tôt ou tard grâce à l'aide divine, puisque l'aide divine est là. Alors vous recevrez la force qui surmontera les difficultés.
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3042
Les larmes qui accompagnent le sentiment dont vous parlez caractérisent un chagrin psychique, car elles traduisent une aspiration de l'être psychique. Mais vous ne devriez ressentir ni dépression, ni désespoir. Vous devriez plutôt vous accrocher à la foi que votre aspiration, puisqu'elle est vraie, ne pourra manquer de se réaliser, quelles que soient les difficultés de la nature extérieure. Vous devez retrouver dans cette foi la paix et la tranquillité intérieures, tout en gardant une claire perception de ce qui doit être fait et l'aspiration ferme à la transformation intérieure et extérieure.
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3043
La tristesse n'a pas, que je sache, le pouvoir de guérir l'aridité dans le vital. En ce qui me concerne j'ai suivi le sentier d'égalité de la Guîtâ, mais d'autres ont peut-être besoin de la tristesse psychique. Je crois cependant qu'elle est l'indication d'une erreur plutôt qu'un remède.
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3044
La règle dans le yoga est de ne pas se laisser déprimer par la dépression, mais de s'en détacher, d'en observer la cause et de supprimer cette cause; car la cause est toujours en soi-même, peut-être un défaut vital quelque part, un mauvais mouvement que l'on tolère, ou un mesquin désir produisant un recul, tantôt parce qu'on le satisfait, tantôt parce qu'on le déçoit. Dans le yoga, un désir satisfait, un faux mouvement auquel on cède, produisent très souvent un recul pire qu'un désir déçu.
Ce qui est nécessaire pour vous, c'est de vivre plus profondément au-dedans .et moins dans le vital et le mental extérieurs qui sont exposés à ces contacts. L'être psychique profond n'est pas accablé par eux; il se tient dans sa propre proximité du Divin et voit les petits mouvements de surface comme des choses superficielles, étrangères à l'Être vrai.
Les Bases du Yoga, chapitre 3. Traduction de la Mère.
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3045
Il est en effet très bon que le psychique soit intervenu et ait empêché le mental de s'engager dans la mauvaise direction. Qu'il ne se produise pas de faux pas, d'échecs, etc. dans le travail de purification et de transformation de soi est impossible, mais se sentir bouleversé ou plein de remords à leur propos fait plus de mal que de bien; cela mène aisément à la dépression, et la dépression obscurcit le mental et affaiblit l'être. Il est toujours préférable d'observer calmement le mouvement faux et sa nature (ici, la langue était fautive, et la langue est toujours aisément sujette à l'erreur) et de le rectifier intérieurement. Il faut toujours conserver le calme, surtout s'il s'agit du vrai calme spirituel du Moi; en lui tout le reste peut se faire en temps opportun et avec le minimum d'ennuis.
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3046
L'indifférence tamasique est une chose, l'absence de chagrin en est une autre. Il faut observer ce qui ne va pas et faire tout son possible pour le rectifier. La tristesse n'a, par elle-même, aucun pouvoir de rectifier ce qui ne va pas; une volonté ferme, calme et persévérante a ce pouvoir.
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3047
Il n'y avait rien de mal à aider à la cuisine. Mais même s'il y avait eu en cela quelque chose de mal, il n'aurait pas fallu y réagir par une dépression, car la dépression est par elle-même un mouvement mauvais ou faux; et comment une faute pourrait-elle être corrigée par une autre faute? La manière correcte de faire face à un mauvais mouvement est de le regarder avec calme et de rectifier la conscience à cet endroit.
C'est aussi une erreur de prendre la tranquillité pour de l'insensibilité. Si vous n'êtes plus troublé par ce que disent ou font les gens, c'est un grand progrès. Si vous n'avez pas d'abhimāna contre la Mère, c'est certainement aussi très désirable. L'abhimāna, le trouble, etc. sont peut-être des signes de vitalité, mais ils appartiennent à une vie vitale, non à la vie intérieure. Ils doivent se calmer et laisser place à la vie intérieure. Au début, le résultat sera peut-être une tranquillité neutre, mais on doit souvent en passer par là pour arriver à une conscience nouvelle plus positive. Quand le mental se tranquillise ainsi, les pensées d'autrefois — pensées répétitives ou automatiques de toutes sortes — commencent à surgir; elles viennent du mental physique ou du subconscient. Il faut les refuser et les laisser partir en aspirant à la tranquillité mentale complète où la conscience nouvelle peut se révéler peu à peu. Demeurez ferme et tranquille, avec en vous la volonté juste, et laissez la Force faire son œuvre. Cette volonté n'aura peut-être aucun effet visible dans l'immédiat, mais tenez bon et le succès viendra.
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3048
Le remords ou repentir est le mouvement naturel du mental vital lorsqu'il constate qu'il a commis une faute. Il est sans aucun doute préférable à l'indifférence. L'inconvénient, c'est qu'il trouble la substance vitale et parfois mène à l;i dépression ou au découragement. C'est pourquoi l'on recommande en général au sâdhak de reconnaître tranquillement son erreur, avec une volonté et une aspiration sincères qu'elle ne se reproduise plus ou du moins que l'habitude de commettre de telles erreurs s'élimine rapidement. À un stade plus élevé du développement, lorsque le calme intérieur est établi, on se contente d'observer les défauts de la nature comme ceux d'un mécanisme qu'il faut régler, et on appelle la Lumière et la Force pour qu'elles se chargent de la rectification. Au début, cependant, même le repentir est salutaire, à condition qu'il n'entraîne ni découragement, ni dépression.
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3049
Les raisons extérieures [de se décourager] sont créées par le mental, et c'est le mental qui y réagit ou n'y réagit pas. Rien d'extérieur ne peut vous atteindre à moins que le mental (d'ordinaire le mental vital) ne se le représente d'une manière particulière et n'y apporte sa propre réaction.
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3050
L'absence de réaction du mental à tous les motifs de découragement qui lui sont suggérés est certes une grande libération.
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3051
Le mental vital fait partie du vital. Si le mental (mental intellectuel, mental vital, mental physique, mental subconscient) ne réagit pas aux circonstances extérieures, la dépression est impossible. Le Moi à un bout, la pierre à l'autre ne tombent jamais dans la dépression; entre les deux, la conscience mentale vraie, la conscience vitale vraie, la conscience physique vraie ne tombent jamais dans la dépression, car elles ne réagissent pas aux circonstances qui créent la dépression.
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3052
Vous semblez vous fier beaucoup à X, à ses expériences et aux idées qu'il s'en fait. L'expérience de X ne prouve rien, parce qu'il est tout à fait ignorant. Sa dépression vient de l'extérieur et a ses causes, seulement son mental vital ne les enregistre pas ou ne les comprend pas, mais y réagit tout de même. Parce que le mental vital a, dans le passé, toujours associé la dépression à ces raisons, la substance vitale en reste imprégnée et elle répond à leur contact par la réaction habituelle que lui a enseignée le mental vital. On ne peut s'attendre à ce qu'un mental ignorant et inexercé comme celui de X conçoive les ressorts secrets des mouvements de sa propre conscience.
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3053
Il semble qu'après votre départ d'ici, les difficultés vitales dont vous veniez de sortir soient revenues, à la faveur de votre retour dans l'ancienne atmosphère, et c'est la cause de la violente dépression et des ennuis de santé qui se sont abattus sur vous. C'est aussi à cause de cette dépression que tout est allé de travers et que les dispositions prises n'ont pas abouti ou ont mal tourné. Car la dépression empêche la Force de couler, fait entrer les forces adverses et leur donne l'occasion de détruire les formations bénéfiques que l'on fait. Tous les ennuis, tous les problèmes auxquels vous vous êtes heurté disparaîtront ou seront réduits au minimum si vous vous dégagez complètement de cette tendance dépressive.
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3054
D'où qu'elle vienne, quelle qu'en soit la cause, la seule chose à faire avec une dépression est de la jeter dehors.
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3055
La faiblesse en vous dont vous parlez est bien là, comme l'indique la persistance de ces mouvements; elle n'est cependant pas dans le cœur — votre cœur va très bien — mais dans la nature vitale inférieure. Toutes vos faiblesses sont là; le reste de votre être est bien assez fort pour mener la vie spirituelle. Mais cette inadaptation du vital inférieur ne vous est pas particulière, elle se trouve dans presque tous les êtres humains. Cette tendance irrationnelle à la tristesse et à l'abattement, et ces imaginations, ces frayeurs, ces raisonnements pervers qui — vous vous en apercevrez si vous vous observez attentivement — répètent toujours les mêmes mouvements, les mêmes idées, les mêmes sentiments, allant jusqu'à utiliser toujours le même langage et les mêmes phrases comme une machine, est caractéristique du fonctionnement de la nature vitale inférieure. La seule manière de s'en débarrasser est d'y faire face avec un vital supérieur, un mental et un être psychique fermement résolus à la combattre, à la rejeter et à la maîtriser. De même que vous étiez déterminé à maîtriser l'impulsion sexuelle et la gourmandise, vous devez décider de maîtriser ce "nœud irrationnel" de l'abattement et de la nature vitale inférieure. Si vous vous y abandonnez, si vous le considérez comme une partie normale de vous-même qui a de bonnes raisons d'exister, ou si vous vous affairez à lui trouver telle ou telle justification lorsqu'il apparaît, il n'aura aucune raison de relâcher sa déplaisante emprise. Soyez dans ce cas ferme et courageux, comme vous avez appris à l'être face à d'autres mouvements de votre vital inférieur; vous éprouverez ensuite moins de difficulté à méditer et, d'une manière générale, à pratiquer votre sâdhanâ.
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3056
C'est une faiblesse dans le vital qui permet aux forces de mécontentement et de désir de poursuivre leur attaque. Au lieu de céder à la faiblesse, ravivez votre volonté et votre aspiration, et qu'elles expulsent cette obscurité égoïste...
Ne laissez en outre aucune exigence du vital humain se répandre en clameurs de révolte égoïste ou, si une exigence de ce genre se manifeste, veillez à ce que ni vous-même, ni aucune partie de vous-même ne s'identifie à elle.
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3057
Les sentiments et les mouvements du passé reviennent toujours la nuit durant le sommeil. Ce n'est que lorsque la conscience qui les a engendrés est, dans l'état de veille, transformée et nettoyée, que l'on peut s'en débarrasser aussi dans le sommeil.
Vous prêtez une oreille trop attentive aux suggestions, de la conscience extérieure: "Je ne suis pas capable", etc., etc. Vous avez commencé à vous ouvrir un peu pendant quelque temps: c'est la preuve que vous êtes capable. Vous devez retrouver ce mouvement; pour y parvenir, il vous faut persuader le vital extérieur de ne pas répéter sans arrêt: "Je ne suis pas capable, mes efforts ne peuvent pas aboutir, je suis trop pervers", etc.; ou s'il continue, vous ne devez pas l'écouter. Vous devez affirmer l'existence de cette possibilité qui vous a été montrée et vous concentrer sur elle, et non sur cette prétendue impossibilité.
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3058
Il est clair que la force et la paix descendent et agissent de plus en plus pour se fixer en vous.
Les autres sentiments: l'envie d'être triste, la peur d'être heureux, l'idée d'incapacité et d'inaptitude sont les mouvements habituels d'une formation vitale qui n'est pas vous-même, et ils apparaissent pour tenter d'empêcher la transformation de s'opérer en vous. Vous n'avez qu'à refuser d'accepter ces suggestions et à prendre obstinément le parti de la Vérité en vous qui vous libérera et vous rendra heureux; alors tout ira bien.
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3059
Qui ne ressent, quelque part en lui-même, la confusion et l'ignorance, tant que la pleine lumière et la vraie force ne sont pas venues? Votre erreur est de penser sans arrêt à la confusion et de la combattre, de vous appesantir sur elle, de la grossir en y pensant, de la traiter comme si elle était la seule chose réelle et vraie. Quand vous sentez la force, tournez-vous vers elle et laissez-la agir; c'est cette Force et non vous-même ou votre humeur sombre et vos luttes qui peuvent vous débarrasser de la confusion et de l'obscurité. À quoi bon vous demander si votre foi et votre confiance sont de la "vraie" sorte ou non? Sentir la Force, être tranquille, la laisser agir, voilà tout ce qu'il faut.
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3060
Il est bon que vous sortiez de ce conflit pour retrouver la base de tranquillité qui facilite l'ouverture. Toute cette lutte, cette confusion, ce dénigrement de vous-même dont —vous vous harcelez, c'est la manière ancienne et fausse de procéder; elle est mentale et vitale et ne peut réussir; c'est dans le mental tranquille que doit se produire l'ouverture. Alors l'être psychique, l'âme en vous commence à venir au premier plan. L'âme connaît et voit la Vérité; le mental et le vital en sont incapables, tant qu'ils ne sont pas illuminés par la connaissance de l'âme.
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3061
Il n'est pas vrai que vous ne pouvez pas ou ne pourrez jamais vous amender. Les choses vous apparaissent ainsi lorsque votre vital inférieur est agité ou que votre mental physique prend le dessus. La vérité, c'est que si vous pouviez vous tenir en permanence dans cette partie de vous-même qui a le contact, le résultat viendrait plus tôt et avec beaucoup moins de difficultés et d'ennuis.
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3062
Si cette inconscience existe, vous devez apprendre à être conscient dans toutes vos actions, afin que les mouvements vitaux ne puissent plus vous tromper ni se dissimuler. Vous devez vous appliquer à être parfaitement sincère lorsque vous observez ces mouvements vitaux, et à les voir tels qu'ils sont.
Le jour où vous pourrez ouvrir l'être psychique et le maintenir ouvert, une perception viendra sans cesse du plus profond de vous-même pour vous montrer à chaque pas la vraie vérité et vous mettre en garde contre toute supercherie, quelle qu'elle soit. Si vous aspirez constamment, si vous laissez la paix grandir et la Force agir en vous, cette ouverture viendra.
3063
Je n'ai jamais dit qu'il était facile de surmonter le doute; c'est difficile parce que quelque chose, dans le mental physique humain, tient, par sa nature même, à douter pour douter. Surmonter la tristesse, la dépression, le chagrin et la souffrance n'est pas facile: quelque chose dans le vital humain s'y cramponne et en a presque besoin, puisque cela fait partie du drame de la vie. Jamais je n'ai dit non plus que le sexe, la colère, la jalousie, etc. étaient faciles à surmonter. J'ai dit que c'était difficile parce qu'ils font partie intégrante du vital humain; même s'ils en sont expulsés, ils s'y réintroduisent toujours soit par l'habitude du vital lui-même, soit par l'envahissement de la Nature générale et la résurgence de son ancienne réaction [...] La conscience extérieure — le mental physique et la conscience de l'homme — hait sa propre souffrance et livrée à elle-même, elle déteste aussi voir les autres souffrir. Mais si vous cherchez à sonder ce que signifient ce goût du drame, cette tendance au drame que vous avez reconnus en vous et auxquels échappent bien peu d'êtres humains, vous vous apercevrez, en plongeant assez profondément, qu'il y a, dans le vital, quelque chose qui aime la souffrance et s'y cramponne par goût du drame. C'est au-dessous de la surface, mais c'est fort, presque universel dans la nature humaine et difficile à déraciner à moins qu'on ne le reconnaisse et que l'on s'en détache intérieurement. Le mental et le physique de l'homme n'aiment pas la souffrance, car s'ils l'aimaient, elle ne serait plus une souffrance; mais cet élément du vital en a besoin pour donner du sel à la vie. C'est pour cette raison que des dépressions peuvent constamment réapparaître et se répéter, en dépit du mental qui aspire à s'en débarrasser, parce que cet élément du vital continue à recommencer le même mouvement, comme un phonographe dès qu'on le met en marche, et persiste à faire tourner jusqu'au bout ce disque cent fois rejoué. Peu importent en réalité les raisons que donne le vital pour commencer à le faire tourner: celles-ci sont souvent des plus banales et les justifications qu'elles apportent sont totalement insuffisantes. C'est seulement par une forte volonté de s'en détacher, de ne pas la justifier, de la rejeter, de refuser de l'accueillir que l'on peut en fin de compte se débarrasser de cette propension extrêmement perturbatrice et dangereuse de la nature humaine. C'est pourquoi, lorsque nous parlons de la comédie vitale, du drame vital, nous nous référons à une connaissance psychologique qui ne s'arrête pas à la surface des choses, mais observe ces mouvements cachés. Régler les problèmes dans la perspective du yoga est impossible si l'on s'en tient à la conscience de surface; que vous ayez subi ce découragement aussitôt après avoir accompli un progrès considérable sur le chemin de la bhakti et affirmé votre volonté de vous soumettre dans l'être intérieur est aussi tout à fait dans la norme de ces réactions, car cela émane de l'esprit d'obscurité qui attaque le sâdhak chaque fois qu'il le peut, s'irrite violemment de tout progrès accompli, abhorre l'idée même de progrès; toute sa politique consiste à convaincre le sâdhak par ses attaques et ses suggestions, qu'il n'a fait aucun progrès ou que le progrès accompli est somme toute nul et non avenu...
Les lois de ce monde-ci, tel qu'il est, sont les lois de l'Ignorance, et le Divin dans le monde les perpétue tant que l'Ignorance existe; s'il n'agissait pas ainsi, le monde s'écroulerait en morceaux, utsīdeyur ime lokāḥ, comme dit la Guîtâ. Il existe aussi, tout naturellement, des conditions pour sortir de l'Ignorance et émerger dans la Lumière. L'une d'entre elles est que le mental du sâdhak coopère avec la Vérité et que sa volonté coopère avec le Pouvoir divin dont l'action, si lente qu'elle puisse paraître au vital et au mental physique, soulève la nature vers la Lumière; quand cette coopération est complète, le progrès peut être assez rapide. Mais le sâdhak ne doit pas marchander le temps et l'effort nécessaires pour que l'aveuglement et la faiblesse de la nature humaine deviennent pleinement capables de coopérer, et aussi pour que cette coopération devienne efficace.
Toute votre aspiration à la paix, à la sincérité, à la soumission n'est là que pour vous inciter à faciliter cette coopération. Si le mental physique cesse de juger de tout, y compris de ce qu'il ignore ou de ce qui le dépasse — comme, par exemple, les choses profondes de l'Esprit — il reçoit plus aisément la Lumière et découvre, par l'illumination et l'expérience, ce qu'il ne connaît pas encore. Si la volonté mentale et la volonté vitale se placent sans réserve dans la Main divine, le Pouvoir peut agir plus aisément et produire des effets tangibles. S'il y a une résistance, cela prend naturellement plus de temps et le travail doit se faire de l'intérieur ou par une action en apparence souterraine, afin de préparer la nature en sapant la résistance.
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3064
Ce qui, en vous, prend plaisir à la souffrance et l'appelle est une partie du vital humain; c'est ce que nous appelons l'insincérité et la déformation perverse du vital; il se répand en cris contre le chagrin et les ennuis et accuse le Divin, la vie et le monde entier de le torturer, mais le chagrin et les ennuis apparaissent et se perpétuent principalement parce que quelque chose de pervers dans le vital veut les garder! Il faut se débarrasser complètement de cet élément du vital.
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3065
Oui, c'est ainsi. La conscience vitale recèle même un élément qui ne se sentirait pas à l'aise s'il n'y avait pas de souffrance dans la vie. C'est le physique qui craint et abhorre la souffrance: le vital la considère comme une partie du jeu de la vie.
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3066
Ce n'est pas l'âme, mais le vital ou plutôt quelque chose en lui qui prend plaisir à gémir et à pleurer, et se complaît en fait dans toutes sortes de chagrins et de souffrances.
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3067
La nature de surface n'y prend pas plaisir, mais quelque chose au-dedans se délecte de la lîlâ "du rire et des larmes", de la joie et du chagrin, du plaisir et de la peine, en un mot du jeu de l'ignorance. Chez certains cela émerge plus ou moins à la surface. Bien des gens, si vous leur proposez d'éliminer de la vie la souffrance, vous regardent de travers et ont le sentiment qu'il serait tout à fait néfaste de n'avoir que la joie, l'Ânanda et la paix; beaucoup l'ont même dit.
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3068
L'insatisfaction du désir vital entraîne inévitablement la souffrance. La peine et la douleur sont des effets inéluctables de l'Ignorance dans laquelle nous vivons; les hommes évoluent par toutes sortes d'expériences, par la peine et la douleur tout autant que par leurs contraires: joie, bonheur, extase. On peut y puiser de l'énergie, si l'on y fait face comme il convient. Nombreux sont ceux qui trouvent une joie dans la peine et la souffrance quand elles sont associées à la lutte, à l'effort ou à l'aventure, mais c'est davantage à cause de l'exaltation et de l'excitation du combat qu'en raison de la souffrance en elle-même. Il y a pourtant dans le vital quelque chose qui trouve une joie dans la vie tout entière, tant dans ses aspects sombres que dans ses aspects ensoleillés. Le vital renferme aussi quelque chose de pervers qui trouve une sorte de plaisir dramatique dans son malheur, dans sa tragédie et jusque dans la déchéance ou la maladie.
Je ne crois pas que de simples doutes puissent apporter un bénéfice quelconque; les interrogations du mental peuvent être fécondes si elles cherchent la vérité, mais le fait de poser des questions par simple scepticisme ou dans un pur esprit de contradiction ne peut mener, s'il est dirigé contre les vérités de l'esprit, qu'à l'erreur ou à une interminable incertitude. Si je mets en doute la Lumière chaque fois qu'elle se montre, si je refuse la vérité qu'elle m'offre, la Lumière ne peut demeurer en moi, ne peut s'installer; à la longue, comme elle ne trouve dans le mental ni bon accueil, ni fondation, elle se retirera. Il faut sans cesse avancer dans la Lumière et non retomber dans l'obscurité ni étreindre l'ombre dans l'illusion qu'elle est la vraie lumière. Toute plénitude que l'on peut ressentir dans la peine ou le doute appartient à l'Ignorance; la véritable plénitude se trouve dans la joie divine, dans la Vérité divine et sa certitude, et c'est pour les atteindre que le yogi déploie ses efforts. Il peut, au cours de sa lutte, être obligé d'en passer par le doute, non par choix ou de son plein gré, mais parce que sa connaissance est encore entachée d'imperfection.
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3069
Votre observation, à propos de cette perturbation, est juste. Il y a maintenant en vous deux consciences: la nouvelle qui grandit, et le résidu de l'ancienne. Dans l'ancienne conscience se trouve une tendance habituelle au vital humain: le penchant à conserver toute trace de chagrin, de colère, de tourment, etc., ou toutes sortes de perturbations émotives, vitales ou mentales, et à en faire grand cas, à les prolonger, à ne pas vouloir les laisser partir, à y revenir même quand la cause de la perturbation est passée et pourrait être oubliée, à en garder le souvenir et à les rappeler à chaque occasion. C'est un trait courant de la nature humaine et un mouvement tout à fait habituel. La nouvelle conscience, au contraire, ne veut pas de ces choses et lorsqu'elles surviennent, les rejette aussi vite que possible. Quand cette nouvelle conscience sera pleinement développée et établie, les perturbations seront entièrement rejetées. Même si leurs causes réapparaissent, elles n'entraîneront aucune réaction de chagrin, de colère, d'irritation, etc. dans la nature.
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3070
La mélancolie et les autres difficultés viennent d'une résistance à base d'inertie dans le vital inférieur et la conscience physique. Ce que vous devez faire, c'est préparer la conscience en vous débarrassant de l'inertie. Le tempérament approprié à notre yoga est fait de bonne humeur, de calme et de confiance sattwiques; on ne doit pas s'abandonner à la mélancolie, à la dépression et aux larmes, car elles font obstacle à l'ouverture, à moins que les larmes ne viennent d'un sentiment psychique de libération ou d'adoration, ou d'une émotion d'amour et de bhakti. Le progrès que vous avez fait dans la maîtrise du sexe et d'autres mouvements radjasiques du vital inférieur est une bonne préparation, mais il ne suffit pas; ce n'est que l'aspect négatif du travail, bien qu'il soit indispensable. Aspirez à une ouverture sattwique positive à la force, à la lumière, à la paix, et ne vous inquiétez pas, ne vous plaignez pas si le progrès est lent au début, ne lésinez pas sur le temps et le labeur de préparation nécessaires pour que le yoga puisse avancer rapidement.
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3071
Le changement remarqué par X indique évidemment un grand progrès dans l'être vital et physique. Être heureux et joyeux n'a rien de spirituellement mauvais, c'est au contraire la bonne attitude. Quant aux luttes et à l'aspiration, les luttes ne sont pas vraiment indispensables au progrès, et bien des gens sont si habitués à leur attitude combative qu'ils ont sans cesse des combats et presque rien d'autre. Ce n'est pas souhaitable. Le sentier ensoleillé existe tout autant que le sentier de l'ombre, et c'est le meilleur des deux; c'est un sentier où l'on avance dans la confiance absolue en la Mère, sans éprouver aucune crainte, sans s'affliger de rien. L'aspiration est nécessaire, mais l'aspiration peut être ensoleillée, pleine de lumière, de foi, de confiance, de joie. Même si une difficulté se présente, on peut y faire face avec un sourire.
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3072
Ce mouvement essaie toujours d'apparaître lors de votre anniversaire ou d'un darshan; il vous est évidemment suggéré par des forces qui veulent vous décourager et gâter votre anniversaire ou votre darshan. Vous devez vous débarrasser de l'idée qu'il apporte, de quelque façon que ce soit, une aide à la sâdhanâ, par exemple qu'il vous rappelle le Divin, etc.; si ce sentiment vous rappelle le Divin, c'est de la mauvaise manière et de plus, il engendre la faiblesse et aussi la dépression, le manque de confiance en soi, etc., etc. À quoi bon6 la gaîté, dites-vous? Elle vous met dans un état favorable à l'action du psychique et sans le savoir, vous avez de plus en plus les perceptions justes et les sentiments justes propres à vous faire acquérir l'attitude spirituelle. Ce développement, je l'ai observé en vous depuis maintenant assez longtemps, et c'est dans ces états joyeux qu'il est le plus actif. Pratiquer le japa, penser au Divin, c'est très bien, mais il faut le faire sur cette base et pour accompagner le travail et l'activité mentale, car l'instrument est alors en bonne santé. Si, au contraire, vous vous agitez dans l'ardeur de ne rien faire que répéter le "japa", de ne penser à rien qu'au Divin et au "progrès" que vous avez ou n'avez pas fait (X dit que l'on ne devrait jamais penser au "progrès": c'est, selon lui, un mouvement de l'ego), alors vous mettez le feu aux poudres; comme votre organisme n'est pas encore prêt à fournir un effort herculéen, il se met dans tous ses états, commence à penser qu'il est inapte et ne sera jamais apte. Soyez par conséquent un bon travailleur joyeux et offrez votre bhakti au Divin de toutes les manières qui vous sont possibles, mais reposez-vous sur Lui pour qu'il accomplisse les choses en vous.
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3073
Ce qu'il faut faire, c'est profiter de la découverte pour sa débarrasser de l'obstacle. La Mère ne vous a pas seulement indiqué l'obstacle: elle vous a montré très précisément comment vous en débarrasser, et à l'époque, vous aviez compris ce qu'elle vous disait, même si maintenant (au moment où vous m'avez écrit cette lettre) la lumière entrevue semble s'être masquée, parce que vous avez laissé votre vital s'adonner de plus en plus à l'amer passe-temps de la tristesse. Cet obscurcissement était tout naturel, puisqu'il est invariablement l'effet de la tristesse. C'est pourquoi je m'élève contre l'évangile de souffrance et contre toute sâdhanâ qui ferait de la souffrance l'un des points principaux de son programme (abhimāna, révolte, viraha). Car le chagrin n'est pas, comme l'a fait remarquer Spinoza, un transit vers une plus grande perfection, une voie d'accès à la siddhi; il ne peut pas l'être, puisqu'il jette le mental dans la confusion, l'affaiblit et le plonge dans le désarroi, amoindrit la force vitale, assombrit l'esprit. Tomber de la joie, de l'adaptabilité vitale et de l'Ânanda dans le chagrin, le manque de confiance en soi, le découragement et la faiblesse, c'est régresser d'une conscience élevée à une conscience inférieure; ces humeurs, si elles sont fréquentes, dénotent que dans le vital, quelque chose se cramponne au mouvement mesquin, obscur, sombre et angoissé dont le yoga a précisément pour but de vous faire sortir.
Il est par conséquent tout à fait inexact de dire que la Mère vous a retiré la mauvaise clé avec laquelle vous vous efforciez d'ouvrir la porte du palais des fées et vous a laissé sans clé du tout. Car non seulement elle vous a montré la bonne clé, mais elle vous l'a donnée. Elle ne s'est pas contentée d'une vague exhortation à la bonne humeur, elle a décrit exactement l'état que l'on ressent dans une bonne méditation: un état où l'on est tranquillement ouvert au lieu de tirer avec avidité ou désespoir, un état fait de repos intérieur et non de tension, d'un harmonieux don de soi à la Force divine pour qu'elle agisse et, dans cette tranquillité, une perception de l'action de la Force et une confiance paisible qui la laisse agir sans l'entraver par l'inquiétude. Et elle vous a demandé si vous aviez déjà éprouvé cet état; vous avez dit que oui, que vous le connaissiez fort bien. Or il marque le début de l'ouverture psychique et si vous l'avez ressenti, vous savez ce qu'est l'ouverture psychique; évidemment, bien d'autres choses viennent ensuite la compléter, mais c'est dans cet état fondamental que tout le reste vient le plus facilement. Vous auriez dû garder présente à la conscience la clé que la Mère vous a donnée et vous en servir: ne pas revenir en arrière, ne pas vous laisser gagner par la tristesse et par une vision chagrine du passé. Dans cet état, que nous appelons attitude juste ou psychique, l'appel, la prière, l'aspiration peuvent apparaître et apparaîtront. L'intensité, la concentration viendront d'elles-mêmes et non par un dur effort ou par l'exercice d'une tension exagérée sur la nature. Le rejet de tous les mouvements faux, la confession franche des défauts, non seulement ne sont pas incompatibles avec l'intensité et la concentration, mais y contribuent; et cette attitude rend le rejet et la confession faciles, spontanés, tout à fait complets, sincères et efficaces. C'est l'expérience de tous ceux qui ont consenti à l'adopter.
Je puis dire, en passant, que conscience et réceptivité ne sont pas la même chose; on peut être réceptif sans pourtant percevoir extérieurement comment les choses se font et ce qui se fait. La Force agit, je l'ai écrit et répété, derrière le voile; les résultats s'accumulent à l'arrière-plan et sortent plus tard, souvent lentement, peu à peu, jusqu'au moment où la pression devient si forte que d'une manière ou d'une autre elle ouvre une brèche et s'impose à la nature extérieure. Là réside la différence entre l'effort tendu du mental et du vital pour tirer la force et une ouverture psychique spontanée, et ce n'est nullement la première fois que nous parlons de cette différence. La Mère et moi l'avons répété, oralement et par écrit, à d'innombrables reprises, et nous avons déconseillé de tirer7 et de faire effort pour plaider en faveur de cette attitude d'ouverture psychique. Il ne s'agit pas, en réalité, de posséder la bonne ou la mauvaise clé, mais d'introduire la clé dans la serrure de la bonne ou de la mauvaise manière: ou bien, en raison d'une difficulté quelconque, vous essayez de forcer la serrure en tournant la clé dans un sens et dans l'autre avec violence, ou bien, avec calme et confiance, vous la tournez comme il faut et la porte s'ouvre.
Non que l'on ne puisse rien accomplir en tirant par un effort violent et tendu; cela finit par imposer un résultat ou un autre, mais avec des difficultés, des retards, des luttes, des soulèvements puissants de la Force qui perce en dépit de tout. Râmakrishna lui-même a commencé par tirer et faire effort, et il est parvenu au résultat qu'il cherchait, mais au prix d'un bouleversement terrible et périlleux; ensuite il a adopté la manière tranquille du psychique chaque fois qu'il voulait obtenir un résultat, et il y parvenait aisément et dans un minimum de temps. Vous dites que cette méthode est trop difficile pour vous et que seuls les "Avatar" comme la Mère ou moi peuvent l'appliquer. Cette conception est étrangement fausse; car c'est au contraire la voie la plus facile, la plus simple et la plus directe, et n'importe qui peut l'emprunter s'il tranquillise son mental et son vital: même ceux qui sont dix fois moins doués que vous en sont capables. C'est l'autre manière, faite de tension, de contrainte, de dur effort qui est difficile et exige une grande force de tapasyâ. Quant à la Mère et à moi-même, nous avons dû essayer toutes les voies, suivre toutes les méthodes, surmonter des montagnes de difficultés, porter un fardeau beaucoup plus lourd que le vôtre ou celui de n'importe qui, dans l'Ashram ou ailleurs, subir des conditions beaucoup plus difficiles, livrer des batailles, endurer des blessures, frayer des routes à travers des marécages, des déserts et des forêts impénétrables, vaincre des masses d'hostilité; labeur, j'en suis certain, tel que nul autre n'en avait accompli avant nous. Car le Pionnier, dans un travail comme le nôtre, ne doit pas seulement faire descendre le Divin et le représenter ou l'incarner, mais représenter aussi l'élément ascendant de l'humanité, porter tout entier le fardeau de l'humanité et éprouver, non pas dans le simple jeu de la Lîlâ, mais dans l'implacable réalité, toute l'obstruction, toute la difficulté, toute l'opposition qu'il est possible de rencontrer sur le sentier, dans un labeur semé d'embûches et d'entraves et dont la victoire ne peut être que tardive. Mais il n'est ni nécessaire, ni tolérable que l'expérience se répète tout entière une fois de plus chez les autres. C'est parce que notre expérience est complète que nous pouvons indiquer aux autres une route plus directe et plus facile... si seulement ils veulent bien consentir à l'emprunter. C'est en raison de notre expérience, acquise à un prix énorme, que nous pouvons vous exhorter ainsi, vous et les autres: "Adoptez l'attitude psychique; suivez le chemin direct et ensoleillé, en vous laissant porter ouvertement ou secrètement par le Divin; s'il se cache, il se montrera au bon moment; ne vous obstinez pas à choisir la route pénible et pleine d'embûches le chemin détourné et difficile."
Vous dites que jamais on ne vous avait signalé cela auparavant. C'est pourtant ce que nous n'avons cessé de dire à tout le monde, à tout propos et hors de propos, depuis des temps immémoriaux! Mais vous n'étiez pas enclin à considérer que c'était faisable, ou du moins vous n'étiez pas prêt à appliquer ce principe à la méditation, parce que votre conscience, par tradition, en raison de vos vies passées ou pour d'autres causes, se cramponnait à des conceptions anciennes et contraires. Quelque chose en vous revenait sans cesse à une sâdhanâ en quelque sorte vishnouïte, ce qui tendait à y introduire ce sentiment douloureux: éléments d'abhimāna, de révolte, de souffrance, le Divin qui se cache ("Je le cherche, mais jamais il ne se montre"), la rareté de l'épanouissement, le milana. Une autre partie de vous-même était portée à ne voir d'autre issue qu'un idéal dur, sévère, ascétique, le Brahman incolore et sans traits, et s'imaginait le supramental sous cet aspect; quelque chose dans le vital se figurait la conquête des mouvements faux comme une tapasyâ ardue et désespérée, et non comme une voie d'accès à la pureté et à la joie du Divin; un certain élément en vous semble persister, encore maintenant, à considérer l'attitude psychique comme quelque chose d'extraordinaire, de difficile, d'inhumain et d'impossible! Ces atermoiements du mental et du vital — et d'autres8 —, vous devez les éliminer et porter sur la Vérité toute simple un regard simple et direct.
Non que ces difficultés vous soient particulières: tous les sâdhak, en abordant le Chemin, ont dû surmonter des obstacles similaires. Il m'a fallu quatre années d'effort intérieur pour trouver un vrai Chemin, bien que l'aide divine m'ait accompagné tout au long, et malgré cela la solution a paru venir par accident; et il m'a fallu dix années de plus d'un yoga intense, sous une direction intérieure suprême, pour tracer ce Chemin, car j'avais à assimiler et à surmonter mon passé et le passé du monde avant de pouvoir trouver l'avenir et en construire les bases.
Mais en ce qui vous concerne, le remède que nous vous proposons, la clé que nous vous offrons ne devraient pas être aussi difficiles à mettre en pratique que vous l'imaginez. Après tout, il ne s'agit que d'appliquer à la "méditation" la voie qui vous a si bien réussi dans votre travail de création. Il y a une voie de la création par la tension et l'effort, où l'on se casse la tête par un travail dur et pénible; souvent le passage est obstrué et rien ne vient, ou ce qui vient est acquis au prix d'une sorte de tapasyâ intellectuelle. Il y en a une autre, où l'on reste tranquille, où l'on s'ouvre à un pouvoir qui est là, à l'arrière-plan, et où l'on attend l'inspiration; la force se déverse au-dedans et avec elle l'inspiration, l'illumination, l'Ânanda; tout est fait par un Pouvoir intérieur. Le flot s'arrête, mais on reste tranquille en attendant le prochain, et en son temps il vient à coup sûr. Ici non plus, tout n'est pas parfait dès le début, mais le progrès vient en vagues toujours renouvelées du même Pouvoir. La Mère vous a proposé d'appliquer la même méthode à votre méditation, si l'on peut appeler cela méditer: non une tension de l'activité mentale, mais une ouverture paisible à la Force qui est là tout le temps, au-dessus et autour de vous, afin qu'elle puisse couler et accomplir son œuvre dans la paix, l'illumination et l'Ânanda. Cette voie vous a été indiquée, vous êtes vous-même, de temps en temps, dans l'état approprié; vous n'avez plus qu'à apprendre à faire durer cet état ou à le recouvrer, et vous devez laisser la Force travailler comme elle l'entend. Il vous faudra peut-être quelque temps pour maîtriser entièrement cette méthode, expulser l'ancienne habitude et faire en sorte que celle-ci vous devienne normale; mais ne commencez pas par décider que c'est impossible! C'est éminemment possible, et c'est ce que tout le monde devra faire tôt ou tard; car c'est la porte d'entrée définitive. La difficulté, la lutte n'appartenaient qu'à la période préparatoire nécessaire pour épuiser ou éliminer de la conscience cette obstruction qui était la haie de ronces autour du palais des fées.
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Ce que vous écrivez au sujet de X est tout à fait exact. S'il n'est pas nécessaire d'afficher sans cesse un visage grave ou de garder le silence lorsqu'on pratique le yoga, il faut prendre le yoga au sérieux, et le silence et la concentration intérieure y tiennent une grande place. On ne peut s'extérioriser sans cesse si l'on a pour but de s'intérioriser pour rencontrer le Divin au-dedans. Mais cela ne signifie pas que l'on doive être tout le temps grave et lugubre, ou lugubre la plupart du temps, et je ne crois pas que les sâdhak d'ici le soient. C'est la manière rhétorique de X d'exposer sa difficulté, la difficulté d'un vital qui veut toujours s'extérioriser en action et en création, alors qu'une autre partie de l'être ne se satisfait pas du résultat et se sent contrariée dans son propre mouvement. Il y a deux personnes en lui: l'une veut une vie d'expansion vitale et l'autre une vie intérieure. La première s'agite parce que la vie intérieure n'est pas une vie d'expansion; la seconde est malheureuse parce que son but ne se réalise pas. Dans notre yoga, aucune des deux ne doit être rejetée, mais la personnalité vitale extérieure doit permettre à la personnalité intérieure de s'établir, lui donner la première place, consentir à n'être qu'un instrument de l'âme et à obéir à la loi de la vie intérieure. C'est ce que le mental de X se refuse encore à comprendre; il croit que l'on doit ou bien être totalement lugubre, froid et grave, ou bien apporter à la vie intérieure le pétillement et l'effervescence du vital. Un vital tranquille, heureux et joyeux de la maîtrise exercée sur lui par l'être intérieur, voilà ce qu'il n'est pas encore capable de concevoir.
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3075
Tout le sérieux nécessaire doit venir spontanément de l'intérieur. Se faire une règle d'être sérieux extérieurement est inutile.
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Pourquoi diable les gens ne seraient-ils pas sérieux s'ils en ont envie? La vie est peut-être une farce — bien que tout le monde ne soit pas de cet avis — mais on ne peut pas en rire tout le temps. Dans votre idée, il semblerait que l'on ne puisse pas garder son sérieux à moins d'être (1) en colère, (2) mécontent, ou (3) triste et malheureux. Mais on peut certes être sérieux lorsqu'on réfléchit, que l'on considère des choses sérieuses ou tout simplement quand on ne rit pas. Et on ne peut pas rire vingt-quatre heures sur vingt-quatre, les muscles abdominaux ne le supporteraient pas et les briseurs de records américains reculeraient devant une telle épreuve.
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La bonne humeur est le sel de la sâdhanâ. Elle vaut mille fois mieux que l'humeur sombre.
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La joie et la bonne humeur intérieures sont salutaires, mais ce dont vous parlez n'est qu'un pétillement vital à la surface Dans la vie ordinaire, c'est très bien, mais dans le yoga ce n'est qu'une dépense inutile de force vitale.
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La bonne humeur relève du vital. Je ne dis pas qu'elle ne devrait pas exister, mais il y a une bonne humeur plus profonde, un sukhahāsya intérieur qui est l'état spirituel de bonne humeur.
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L'aspiration, la prière, la concentration, l'intensité s'intègrent naturellement à la manière de méditer dont nous parlions. Ceux qui la choisissent vont plus vite et font évoluer leur sâdhanâ, une fois qu'ils s'y sont fixés, beaucoup plus aisément et aussi avec beaucoup moins d'à-coups que par une tension pleine d'angoisse, de doutes et d'anxiété, entrecoupée de revirements désespérés et d'abandon de l'espérance et de l'effort. Nous avons parlé d'une ouverture progressive au Divin, accompagnée d'un flot de la force qui fait son œuvre dans l'âdhâr, d'une ouverture équilibrée accompagnée d'un mental tranquille et d'un cœur plein de confiance, illuminé du soleil de la foi; où donc allez-vous chercher cette attente impuissante dont nous aurions dit qu'elle devait être votre programme?
Quant à l'insouciance et au cœur léger... une attitude de légèreté je-m'en-fichiste est la dernière chose que nous recommanderions à qui que ce soit. La Mère a parlé de bonne humeur, et si elle a parlé de "cœur léger", il ne s'agissait nullement d'une gaîté et d'une insouciance légères et frivoles, bien qu'une gaîté plus profonde et plus raffiné puisse trouver sa place dans ce qui compose le caractère yoguique. Elle voulait parler d'une égalité heureuse, même devant les difficultés, et rien en cela n'est contraire à l'enseignement yoguique ni à la pratique de la Mère elle-même. La nature vitale, à la surface (les profondeurs du vital véritable sont différentes) est attachée d'un côté à une jovialité et à un enjouement superficiels, de l'autre au chagrin, au désespoir, à la mélancolie, au drame, car ils sont pour lui les ombres et les lumières qu'il chérit dans la vie; mais une paix lumineuse, ou vaste et libre, une intensité ānandamaya, ou — mieux encore — une fusion des deux est le véritable équilibre à la fois de l'âme et du mental — et aussi du vital véritable — dans le yoga. Il est parfaitement possible à un sâdhak tout à fait humain de parvenir à cet équilibre, il n'est pas nécessaire de devenir divin pour être capable de l'atteindre.
S'élever jusqu'à une conscience supérieure à la conscience humaine ordinaire est, c'est bien vrai, la bonne voie vers la transformation. Se contenter de rester dans la conscience inférieure ordinaire et, de là, essayer de rejeter les mouvements faux ne peut produire aucun résultat durable ou complet. Mais ici plusieurs points sont à noter, sinon cette perception risque d'être entachée d'erreur.
1. Comme vous l'avez constaté par la suite, toutes les parties et personnalités constituantes de l'être doivent participer à la conscience supérieure, sinon les anciens mouvements se poursuivront sous divers prétextes.
2. Vous parlez de rejeter le vital inférieur, mais seuls les mouvements non régénérés du vital inférieur doivent être éliminés; vous ne pouvez pas vous débarrasser du vital inférieur lui-même, car il fait nécessairement partie de la nature manifestée, tout comme le vital supérieur ou le mental. Il doit devenir, par la transformation, le pouvoir de la conscience supérieure, et non être abandonné à lui-même ou éliminé de votre être.
3. Si vous ne le transformez pas ainsi, si vous vous intentez de vivre intérieurement dans le psychique ou dans une autre conscience supérieure, vous courez le risque d'imiter ceux qui se satisfont d'une certaine tranquillité intérieure u de l'Ânanda, mais laissent inchangées la nature extérieure et l'activité de surface, soit qu'ils les considèrent comme sans importance, soit qu'ils les justifient sous le prétexte que la conscience psychique ou spirituelle se tient derrière elles.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 3.
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Le bonheur, au sens ordinaire du terme, est un état ensoleillé du vital, avec ou sans cause. Le contentement est moins intense que le bonheur; la joie de la paix ou de l'absence de difficulté est plutôt un état de joyeuse śānti. Le bonheur ne doit pas être un état d'autosatisfaction ou d'inertie, et ne l'est pas forcément, car le bonheur et l'aspiration peuvent se combiner. On peut évidemment être heureux dans l'inertie, mais la plupart des gens ne s'en contentent pas longtemps et commencent à désirer autre chose. Certains yogis se satisfont d'une immobilité heureuse et calme, mais c'est parce que le bonheur est une forme d'Ânanda: dans l'immobilité, ils sentent le Moi et son calme éternel et ne désirent rien de plus.
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Il n'y a pas de véritable raison que la félicité soit inévitablement suivie par le chagrin, sinon que telle est l'habitude du vital. Mais cette habitude peut être surmontée.
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Trois obstacles doivent être surmontés dans le vital, et ils sont très difficiles à vaincre: la luxure (ou désir sexuel), la colère et l'ego radjasique. L'ego radjasique constitue la base des deux autres.
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3084
À moins d'avoir pour objectif le nirvana, il faut évidemment tenir compte de l'ego: non pas s'y abandonner, mais le transformer au point qu'il n'existe plus.
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3085
La forme de l'ego doit être dissoute, elle ne doit pas être remplacée par un ego plus grand ou par une autre sorte d'ego. Elle doit être remplacée par l'être véritable qui, tout en étant individuel, perçoit cependant son unité avec tous et avec le Divin.
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Dans l'être psychique, l'individualité existe, mais non l'égoïsme. L'égoïsme disparaît lorsque l'individu s'unit au Divin ou se donne tout entier au Divin.
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Dans les plans spirituels supérieurs, l'ego n'existe pas, parce qu'on ressent l'unité du Divin; on peut cependant avoir le sentiment de la vraie personne ou de la vraie individualité qui n'est pas un ego, mais une parcelle du Divin.
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3088
Bien qu'il n'y ait pas d'ego dans les plans spirituels, l'ego des plans inférieurs peut cependant s'amplifier par l'expérience spirituelle en raison de l'orgueil qu'il en tire et parce qu'il ne la reçoit pas comme il le faudrait. L'ego peut aussi s'agrandir lorsqu'on entre dans les plans plus vastes du mental et du vital. Le risque est toujours là tant que la conscience supérieure et la conscience inférieure ne se sont pas harmonisées dans l'être, et tant que la conscience inférieure ne s'est pas transformée au point d'être identique en nature à la conscience supérieure.
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3089
Même si la conscience de l'ego est absente dans les parties supérieures où l'unité de toutes choses a été réalisée, il ne s'ensuit pas que l'ego des parties inférieures ait été aboli. Il peut au contraire devenir très fort et l'action peut être très égoïste, alors même que le mental pense: "Je n'ai pas d'ego."
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3090
Se débarrasser de l'ego n'est pas si facile. Il persiste non seulement en dépit du travail, mais aussi en dépit de la connaissance et de la bhakti. La disparition de l'ego, c'est la moukti complète. Même le yogi qui sent son être séparé s'engloutir dans la conscience cosmique ou dans quelque conscience du Transcendant s'apercevra, lorsqu'il en viendra à agir et à réagir extérieurement, que l'ego superficiel est toujours là. C'est pourquoi l'ascète abhorre l'action et dit qu'il est impossible de l'accomplir sans ego. C'est possible, mais on ne peut le faire complètement tant que la conscience supérieure n'a pas entièrement pris en main tous les éléments jusqu'aux plus extérieurs.
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3091
La samatâ n'est pas l'absence d'ego, mais l'absence de désir et d'attachement. Le sens de l'ego peut disparaître, ou il peut subsister sous une forme dense ou plus subtile; cela dépend de la personne.
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3092
L'orgueil n'est que l'une des formes de l'ego, il en existe des milliers d'autres. Les actions des hommes, bonnes ou mauvaises, leur humilité comme leur orgueil, leurs vertus comme leurs vices sont pleins d'ego.
Expulser l'ego de la nature humaine n'est pas si simple. Celui qui est libéré de l'ego, qui ne fait rien en fonction de lui-même ou pour lui-même, mais n'agit que pour le Divin, dont toutes les pensées et tous les sentiments s'adressent au Divin, celui-là est un Jivanmoukta et un siddha yogi.
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3093
Mais c'est ainsi chez tous les êtres humains. Toute l'action est tissée d'ego: actes, sentiments, tout, grand ou petit, bon ou mauvais. Même l'humilité et ce que l'on appelle l'altruisme n'est, chez la plupart des hommes, qu'une forme d'ego. L'ego n'est pas nécessairement lié à l'orgueil.
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C'est la même chose pour tout le monde. La nature humaine est, dans sa substance, tout entière tissée de fils de l'ego; même lorsqu'on essaie d'y échapper, il est au premier plan ou pourrait suivre comme une ombre toutes les pensées et toutes les actions. Le premier pas est de le constater; discerner la fausseté et l'absurdité des mouvements de l'ego est le deuxième; le dissuader d'agir et le rejeter à chaque pas est le troisième, mais il ne disparaît entièrement que lorsqu'on voit, que l'on sent et que l'on vit l'Un en toutes choses et partout également.
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3095
C'est la même chose pour tout le monde, parce que la conscience humaine est imbibée, dans toutes ses idées héritées du passé, de la substance de l'égoïsme. Seules une vigilance constante et tranquille et une conscience de plus en plus grande peuvent l'expulser, car si on ne le laisse pas faire, il se cache et revêt des formes et des déguisements subtils.
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3096
Le mental et le vital sont beaucoup plus imbus d'ego que le corps.
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3097
Le combat contre l'ego fait partie du combat contre la nature physique, car c'est l'ego superficiel dans la conscience physique, irrationnelle et instinctive, qui refuse de s'en aller.
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L'être humain est naturellement égoïste et égocentrique: toutes ses actions, toutes ses pensées, tous ses sentiments sont marqués du sceau de l'ego; il ne peut en être autrement tant qu'il n'a pas appris à faire, non de l'ego, mais du Divin, le centre de son existence, et à penser, à agir, à sentir seulement pour le Divin; ou tant qu'il n'est pas entré dans la conscience supérieure ou divine; ou encore, tant que la conscience divine n'a pas pénétré en lui, car dans la conscience divine l'ego n'existe pas.
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L'égocentrique ressent les choses et y réagit dans la mesure où elles l'affectent: est-ce que ceci me plaît ou me déplaît, me rend heureux ou malheureux, flatte ou blesse mon orgueil, ma vanité, mon ambition, satisfait ou contrecarre mes désirs, etc. L'homme sans égoïsme ne regarde pas les choses de cette façon. Il les observe pour voir ce qu'elles sont en elles-mêmes et ce qu'elles seraient sans lui, quelle est leur signification, leur place dans l'ensemble; ou bien il se sent calme et égal, s'en remet pour tout au Divin; ou s'il est homme d'action, il se demande comment elles serviront l'œuvre à accomplir, la vie du monde, la cause à laquelle il se dévoue, etc., etc. De nombreux points de vue peuvent ne pas être égocentriques.
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3100
Tout cela doit évidemment disparaître; c'est le vieil égoïsme vital de l'être humain sans cesse préoccupé de lui-même, au point que l'être ne peut s'adonner à l'adoration du Divin avec simplicité et sans poser de questions.
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3101
Il n'y a pas de quoi être troublé. Vous devriez plutôt vous féliciter d'être devenu conscient de votre égocentrisme. Très peu de gens dans l'Ashram le sont. Ils sont tous égocentriques et n'ont pas conscience de leur égocentrisme. Même dans leur sâdhanâ le "je" est toujours là: ma sâdhanâ, mon progrès, mon n'importe quoi. Le remède est de penser sans cesse au Divin et non à soi; de travailler, d'agir, de faire la sâdhanâ pour le Divin; de ne pas considérer comment ceci ou cela m'affecte, moi personnellement, de ne rien réclamer, mais de s'en remettre en toutes choses au Divin. Y parvenir sincèrement et complètement prendra du temps, mais c'est ce qu'il faut faire.
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3102
C'est l'ego qui se montre sous son vrai jour. Auparavant, il s'associait à la sâdhanâ parce qu'il en tirait un peu de ce qu'il désirait, ou parce qu'il avait de grandes espérances. Mais maintenant, ces satisfactions lui sont retirées et l'attitude juste est exigée de lui; il résiste donc ou refuse de coopérer en disant: "Cette sâdhanâ ne vaut rien." Chez tous les sâdhak de l'Ashram, l'ego (dans ses racines physiques ou physiques vitales) apparaît comme la pierre d'achoppement. Aucune transformation n'est possible à moins qu'il ne change.
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3103
Votre nature, comme celle de presque tous les individus, était largement égocentrique et chez presque tous les sâdhak, les premiers stades sont égocentriques. L'idée principale, dans ces premiers stades, est toujours, pour chacun, sa propre sâdhanâ, son propre effort, son propre développement, sa propre perfection, sa propre siddhi. C'est inévitable pour la plupart, parce que sans cet effort personnel la volonté ou l'impulsion ne seraient pas assez puissantes pour déterminer les premières transformations nécessaires. Mais rien de tout cela — développement, perfection ou siddhi — ne peut vraiment se faire à un quelconque degré de plénitude ou d'irrévocabilité sans mélange tant que cette attitude centrée sur l'ego ne s'est pas transformée en une attitude centrée sur Dieu, jusqu'à ce que l'évolution, la perfection, la siddhi deviennent celles de la Conscience divine, de sa volonté et de l'ensemble de ses instruments dans le corps; et cela ne peut se faire que lorsque ces réalisations deviennent secondaires, et que la bhakti pour le Divin, l'amour pour le Divin, l'unité avec le Divin dans la conscience, la volonté, le cœur et le corps deviennent le seul but; rien ne demeure plus alors, sinon l'accomplissement de la Volonté divine par le Pouvoir divin. Le psychique n'a jamais de mal à adopter' cette attitude: elle est naturelle à son état et à son sentiment, et chaque fois que votre psychique était au premier plan, cette attitude régnait dans votre conscience centrale. Mais le mental, le vital et le physique extérieurs étaient là et y mêlaient le désir et l'ego, et votre vie, votre action ne pouvaient être véritablement libérées avant qu'ils ne le soient. Le mental pensant et le vital supérieur peuvent consentir sans trop de difficulté; la difficulté vient du vital et du physique inférieurs et spécialement de leurs parties les plus extérieures; car celles-ci sont entièrement faites d'habitudes et de mouvements répétitifs, elles réitèrent obstinément et sans cesse le même mouvement. Cette habitude est aveugle, obstinée, persistante au point de paraître presque invincible, surtout lorsqu'elle est utilisée, dans une occasion comme celle-ci, par les Forces de l'Ignorance, pour leur servir d'ultime refuge ou de point d'attaque. Mais cette invincibilité apparente n'a rien de réel. Le plus égocentrique peut changer, et change sous l'effet du principe psychique lorsque celui-ci s'établit dans la nature extérieure. Il est vrai que cette transformation ne peut s'opérer que par la Grâce et le Pouvoir du Divin (c'est vrai de toute transformation spirituelle), mais le plein consentement de l'être est nécessaire. Tout comme le changement s'est fait dans l'être intérieur, il peut se faire dans l'être extérieur; adhérez de toute votre volonté et de toute votre foi, et quelle que soit la difficulté, ce sera fait.
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3104
Il est bien vrai qu'ils ne vivent et n'agissent que pour eux-mêmes, mais telle est la nature de l'homme: il est centré sur son ego, égocentrique, et fait tout pour son ego; même son amour et son affection ont l'ego pour base principale. Il faut transformer tout cela: tout doit être centré sur le Divin, fait pour la Mère divine. C'est l'objectif même de la sâdhanâ. Le silence, la croissance du psychique et tout le reste ont pour but d'y parvenir; mais cela ne peut se faire d'un seul coup. Quand la conscience est prête, l'amour psychique, l'impulsion à se donner commence à éclore dans le cœur et la transformation se fait progressivement, jusqu'au don de soi complet.
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3105
Si vous pensez qu'il n'y a en vous ni ego, ni désir, mais seulement une pure dévotion, vous faites preuve d'une grande inconscience. L'absence d'ego et de désir requiert une siddhi élevée dans le yoga; même de nombreux yogis d'un grand accomplissement spirituel n'en sont pas libérés. Si, à votre stade de développement, un sâdhak pense qu'il est libéré de l'ego et du désir, c'est qu'il se bouche les yeux et refuse de percevoir clairement les mouvements de sa propre nature, ce qui est nécessaire pour progresser vers la perfection spirituelle.
La Mère n'a pas besoin de lire ce que vous écrivez pour voir ce qui est en vous.
Si vos écrits expriment l'ego et le désir — ce qui est le cas — c'est qu'ils y sont sans que vous les perceviez et s'expriment à votre insu. Les pensées et les intentions du mental de surface sont une chose, ce qui est derrière les pensées et les actions en est une autre. Le mental superficiel d'un homme formule l'idée qu'il se fait de lui-même et de sa nature, alors qu'il ignore tout de lui-même. La première chose à faire, pour se débarrasser de cette ignorance, est de se retirer du mental de surface et d'entrer en contact avec le psychique qui ne tolère pas de telles illusions et montre clairement à chacun la vérité sur ses propres mouvements.
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3106
Mais comment toutes choses appartiendraient-elles au Divin tant que l'ego se les approprie et les utilise à ses propres fins? Le don de soi consiste en fait à passer d'une conscience centrée sur l'ego à une conscience centrée sur le Divin; le don de soi, par sa nature, conduit à changer toute la base de la conscience.
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3107
Oui, c'est le fait de regarder les choses du point de vue de l'ego qui amène toute la confusion, les ennuis et l'ignorance. Il faut penser au Divin, rester immobile et laisser la conscience divine entrer et remplacer la conscience humaine égoïste; alors tout cela disparaît.
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3108
Oui, en tous l'ego est la cause de la difficulté.
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3109
Sans le jeu de l'ego, les heurts ne se produiraient pas, et sans le penchant du vital pour le drame, il n'y aurait pas d'événements dramatiques dans la vie.
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3110
Oui, c'est bien cela: se souvenir sans cesse et vivre dans la paix et le calme, pour que la Force puisse travailler et la Lumière venir. Les petites choses de la vie quotidienne doivent se (dérouler dans la conscience de surface, sans y tenir une trop grande place, jusqu'à ce que la Force et la Lumière, ayant pris possession de l'être, puissent s'en emparer aussi (directement. C'est l'ego qui leur donne une trop grande placée; il faut éconduire l'ego: "Pas pour moi, mais pour le Divin"; cette formule doit devenir peu à peu la loi de la conscience, de la pensée et de l'action tout entières. Elle ne peut être appliquée complètement d'un seul coup, mais doit devenir le plus tôt possible la note persistante dans le mental.
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3111
[Être concentré sur le Divin:] Pourquoi est-ce de l'égoïsme? L'égoïsme consiste à vivre pour soi et non pour quelque chose de plus grand que soi. Être à tout moment concentré sur le Divin, c'est sortir du moi personnel et de ses objectifs pour entrer dans quelque chose de plus grand et servir les desseins de “cette Existence plus grande. Ce n'est pas plus de l'égoïsme que le fait de se consacrer aux autres.
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3112
Évidemment il ne faut pas devenir égoïste à ce propos; mais se retirer de la conscience extérieure ou inférieure vers la conscience intérieure n'est pas, en soi, un mouvement égoïste. S'il en était ainsi, toute la sâdhanâ serait de l'égoïsme et la seule chose à faire serait d'être constamment sociable et superficiel.
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3113
L'égoïsme die l'ego n'est pas une raison pour ne pas appeler la descente; de la conscience supérieure (divine) dont la paix et la force sont pour ainsi dire la façade ou la base. Comment pourriez-vous vous débarrasser de l'ego égoïste autrement qu'en appelant la descente de cette conscience supérieure pour qui l'ego n'est pas une nécessité?
Dans l'évolution de la conscience inférieure ici-bas, l'ego et l'égoïsme étaient une nécessité. Tant que la conscience supérieure, au-dessus du mental ordinaire, ne descend pas, l'ego demeure une nécessité, même dans l'aspiration au Divin ou à la moukti, même s'il devient un ego sattwique. C'est seulement dans la conscience supérieure que l'ego peut se dissoudre, soit qu'il y monte, soit qu'elle descende dans la conscience au-dessous.
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3114
Je suppose que l'ego est apparu d'abord comme un moyen, pour la conscience extérieure, de s'individualiser dans le flux de la Nature et, en second lieu, comme un aiguillon pour inciter l'homme tamasique et animal à agir et à accomplir quelque chose. Autrement il aurait pu simplement se contenter de manger et de dormir sans rien faire d'autre. Par cet aiguillon de l'ego (possession, vanité, ambition, soif de pouvoir, etc.), il a commencé à faire toutes sortes de choses qu'il n'aurait peut-être jamais faites autrement. Mais maintenant, il doit monter plus haut, et cet ego lui barre sérieusement la route.
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3115
Mais quel est cet ego dont vous parlez? Tout le monde a un ego, et il est impossible de s'en débarrasser complètement, sauf par deux moyens: l'ouverture du psychique au-dedans, et la descente d'une conscience vaste et sans ego venant d'en haut. L'ouverture de l'être psychique ne fait pas aussitôt disparaître l'ego, mais elle le purifie et l'offre au Divin avec tous ses mouvements, de sorte que l'on se débarrasse de l'égoïsme par le don de soi et la soumission. En même temps la nature s'ouvre au-dessus, et la conscience vaste et sans ego descend: l'ego disparaît et par le pouvoir du psychique, vous connaissez votre être véritable qui est une parcelle de la Mère. C'est ce qui doit arriver, mais ce n'est pas possible en si peu de temps. Ne pensez pas sans cesse au mouvement vital et à l'ego: vous les avez vus, vous savez ce qu'ils sont cela suffit. Concentrez-vous plutôt dans le cœur sur l'ouverture qui doit s'y produire; concentrez-vous avec persévérance, aspirez avec persévérance, et ne vous inquiétez pas si cela prend du temps. Appelez de toutes les manières, même si votre appel ne peut pas encore venir des profondeurs; ensuite l'appel profond viendra.
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3116
Je crois que vous accordez encore trop d'importance et d'attention à l'ego et à d'autres éléments étroitement mêlés à la nature humaine, et dont seule la venue d'une conscience nouvelle peut vous débarrasser entièrement en les remplaçant par des mouvements supérieurs. Si, au centre, on rejette en toute sincérité l'ego et le radjas, leurs racines se relâchent et le sattwa peut prédominer dans la nature, mais l'expulsion de l'ego et du radjas dans leur totalité ne peut se faire par un effort de volonté. Par conséquent, passé un certain stade préparatoire, on doit mettre davantage l'accent sur l'aspect positif de la sâdhanâ que sur l'aspect négatif du rejet, bien que celui-ci doive évidemment se poursuivre pour contribuer à l'autre. L'important est cependant de développer le psychique au-dedans et de faire descendre la conscience supérieure d'au-dessus. À mesure que le psychique grandit et se manifeste, il détecte les mouvements erronés dès qu'ils apparaissent et aussitôt leur substitue presque automatiquement les éléments et les mouvements vrais qui les remplaceront. Cette méthode est bien plus facile et bien plus efficace qu'une dure tapasyâ de purification. La conscience supérieure, en descendant, apporte la paix et la pureté dans toutes les parties intérieures; l'être intérieur se sépare de la conscience extérieure imparfaite et en même temps, la paix qui vient porte en elle un pouvoir capable d'expulser ce qui est en contradiction avec la paix et la pureté. L'ego peut alors disparaître plus ou moins vite, mais sûrement; au radjas et au tamas se substituent leurs équivalents divins.
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3117
C'est possible [de se débarrasser de l'ego par l'action de la Force] si la conscience s'associe à l'action; on peut alors se débarrasser au moins de l'action principale de l'ego et n'en laisser subsister que des traces minimes. En général, cependant, on n'arrive à se débarrasser complètement de l'ego que par la descente de la Conscience d'en haut qui occupe l'être tout entier, soutenue bien sûr par la domination du psychique sur la nature.
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3118
Quant à l'ego, si obstiné soit-il, on doit le tenir à l'œil et répondre à toutes ses suggestions par la négative, pour que chacun de ses mouvements se révèle infructueux. S'il est traité de cette manière, il suffit d'attendre le moment où le psychique n'a plus qu'une légère poussée à donner pour que l'ego, dont les racines ont déjà commencé à céder, se détache dans chacun de ses domaines d'activité. Persévérez avec régularité dans votre mouvement actuel et il ne pourra manquer d'être efficace.
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3119
Le sens de l'ego peut disparaître pour être remplacé par celui du Moi ou du Pourousha, mais cela ne suffit pas à entraîner la disparition des anciennes réactions égoïstes de la Prakriti. Le Pourousha doit s'en débarrasser par un processus de rejet et de remodelage constants. Le remodelage consiste à tout fondre dans une consécration à la Mère et à tout faire pour elle sans se préoccuper de soi-même, de ses propres désirs, opinions, réactions vitales, comme s'ils étaient les objectifs à atteindre. C'est plus facile lorsque l'être psychique est tout à fait éveillé.
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3120
Se libérer de l'ego est impossible sans un rejet persévérant. En montant dans le Moi, on libère les parties supérieures, mais l'ego subsiste dans les parties inférieures. La force la plus efficace pour parvenir à cette libération est la domination du psychique, accompagnée d'un ferme rejet.
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3121
Il n'est pas possible de se débarrasser d'un seul coup de tous les mouvements de l'ego. Il faut les repousser de la nature par une conscience et un rejet constants. Même quand l'ego central est parti, les mouvements habituels restent longtemps ancrés.
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3122
L'ego ne peut pas s'en aller sans la libération du psychique et la réalisation du vrai Moi, et les deux sont nécessaires. Sans la conscience du Moi, comment l'ego pourrait-il disparaître? Le psychique peut être libéré par l'amour et la dévotion, mais je parlais d'un cas où il ne s'était pas libéré ainsi et où la réalisation du Moi semblait plus facile.
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3123
Oui. Si vous vous étiez intériorisé, le développement psychique aurait été plus facile, ainsi que la conquête de l'ego, et aussi l'élargissement de la conscience.
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3124
C'est une conscience vaste, plutôt qu'élevée, qui est nécessaire à la libération de l'ego; il faut évidemment monter, mais en soi ce n'est pas suffisant.
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3125
Si l'ego a disparu et que le don de soi est complet, aucun obstacle ne devrait subsister. Mais si le radjas du vital n'est qu'apaisé, le tamas se substitue à lui en raison de cet apaisement; là serait l'obstacle.
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3126
L'universalité une fois établie, l'égoïsme vital n'est plus' dans la nature, en sécurité dans sa forteresse; les murs en ont été abattus. Les mouvements vitaux égoïstes peuvent encore attaquer de l'extérieur, mais le sâdhak a désormais le pouvoir de les empêcher de créer en lui une formation permanente.
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3127
Le calme dans le vital n'est pas à lui seul suffisant. Il faut autre chose pour jeter l'ego hors du vital.
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3128
L'ego se soulève parce que c'est sa nature de le faire; il veut prendre possession de l'être qu'il considère comme sa propriété et son champ d'expérience.
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3129
Bien sûr, l'ego et l'être vital résistent toujours à une pression qui tend à se débarrasser d'eux, et si l'on se fixe une limite de temps, ils résistent d'autant plus, dans l'espoir de susciter la déception et le découragement parce qu'on n'a pas réussi dans le temps imparti.
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3130
Les petits égoïsmes dans le vital inférieur s'affaiblissent peu à peu par le rejet constant, ou disparaissent lorsque la conscience supérieure descend régulièrement dans le vital inférieur et en quelque sorte l'absorbe. Il est peut-être possible de les éteindre d'un coup — dans certains cas du moins, cela a été signalé — mais en général ils s'attardent et s'en vont peu à peu en perdant graduellement de la force, comme s'ils s'usaient.
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3131
Votre ego remonte de temps en temps sans que vous vous aperceviez que c'est l'ego. Il ne remonte pas dans vos parties supérieures, mais dans votre mental et votre conscience physiques, et comme vos parties supérieures sont claires, vous les croyez clairs eux aussi.
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3132
Des suggestions de ce genre ont évidemment pour but d'éveiller l'ego. Je suppose qu'elles persistent parce qu'elles espèrent encore réussir. Même lorsqu'on est devenu tout à fait libre, toutes sortes de suggestions peuvent venir. Ou bien l'on n'y porte aucune attention, ou bien l'on y jette un coup d'œil pour voir si un fragment d'ego reste tapi quelque part.
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3133
Ce sont les sentiments de l'ego tamasique, en réaction à une déception dans l'ego radjasique. À la bonne attitude et à l'expérience authentique se mêlait ou s'adjoignait une exigence du vital: "Ce que j'ai maintenant, il faut que je l'aie toujours, sinon je ne peux pas faire la sâdhanâ: si jamais je le perds, je mourrai", alors que l'attitude juste est: "Même si je le perds pour un temps, ce sera parce que quelque chose doit être changé en moi, afin que la conscience de la Mère puisse s'y accomplir, non seulement dans le Moi, mais dans toutes les parties de mon être." Les forces inférieures ont attaqué au point faible, ont formulé des exigences par l'intermédiaire du vital et ont amené un état d'inertie où la chose à laquelle vous teniez paraissait perdue, s'était retirée derrière un voile. Alors vint la réaction tamasique de l'ego: "À quoi bon vivre, je préfère mourir." Évidemment ce n'est pas vous tout entier qui dites cela, c'est une partie du vital déçu ou du physique tamasique. Il ne suffit pas que les exigences actives soient brisées et retirées; car il y a aussi une forme passive de l'exigence: "Je ne peux pas satisfaire mes exigences: très bien, j'abdique, je ne veux pas exister." Cela doit disparaître.
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3134
L'ego tamasique est celui qui accepte et soutient le découragement, la faiblesse, l'inertie, le dénigrement de soi, la mauvaise volonté à agir, à connaître, à s'ouvrir, la fatigue, l'indolence, l'inaction. Contrairement à l'ego radjasique, il dit: "Je suis si faible, si obscur, si misérable, si opprimé, si mal traité... Aucun espoir pour moi, aucun succès, on me refuse tout, je ne suis pas soutenu, comment puis-je faire ceci, comment pourrais-je faire cela, je n'ai aucun pouvoir pour cela, aucune capacité, je suis impuissant: que je meure; couchons-nous et gémissons," etc., etc. Pas tout à la fois ni dans tous les cas, bien sûr, mais je vous donne l'idée générale.
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3135
Le tamas et l'ego tamasique ne vont pas l'un sans l'autre. Quand on cède au tamas, on s'abandonne à l'ego tamasique.
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3136
Tant que votre attitude de soumission était complète, l'ego radjasique ne pouvait se manifester que sous forme de suggestions venant du dehors ou de soulèvements venant du subconscient. Il était comprimé dans le vital. Quand l'inertie est apparue et que l'énergie de la volonté a reculé, il a commencé à tenter de vous envahir de nouveau.
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3137
Voulez-vous dire que vous n'avez jamais eu en vous aucun élément radjasique? Aucun être humain n'en est exempt tant qu'il n'est pas divinisé dans son vital. Qu'était-ce donc que toutes les suggestions vitales qui vous venaient sans cesse avec tant d'insistance, sinon des appels de l'ego radjasique? Quand vous rejetiez le sexe, la jalousie, la vanité, etc., que rejetiez-vous, sinon l'ego radjasique? Qu'était-ce que votre exigence au pranâm ou la perturbation qui survenait alors, sinon un mouvement de l'ego radjasique? Vous avez réussi à rejeter certains de ces mouvements; à d'autres, vous avez continué à réagir.
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3138
Mais comment se fait-il qu'une partie de vous-même attache une valeur quelconque à ces suggestions? Si aucune partie de votre être ne leur accordait une valeur, elles vous paraîtraient certainement trop risibles et trop méprisables pour avoir le moindre effet ou le moindre pouvoir de soulever en vous la révolte.
Si vous n'attachez aucune valeur à ces suggestions, l'inertie peut apparaître, mais pas cela.
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3139
L'ego de X est petit et non gigantesque, il n'est pas grand, véhément et agressif comme celui de Y, mais trapu et d'une inertie obstinée; pas vraiment gros ni mince, mais court et rondelet, et de couleur grise.
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3140
Trapu = court de stature mais large et substantiel, donc il est difficile de s'en débarrasser. Pas grand, ni proéminent ni établi de manière florissante dans la plénitude de lui-même...
Rondelet = bien plein tout de même.
Gris = de tendance tamasique, donc non pas agressif mais d'une persévérance obstinée. Mais ce ne sont pas des symboles, c'est l'image caractérielle de l'ego.
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3141
Une véritable expérience spirituelle doit être dénuée de toute exigence de l'ego. Ce que l'ego peut cependant faire, c'est s'enorgueillir d'avoir l'expérience et penser: "N'est-ce pas que je suis grand?" ou bien: "Je suis le Moi, le Divin. Laissez-moi donc faire ce que je veux, car c'est le Divin qui veut en moi." L'ego ne disparaît que si l'expérience du Moi impose silence aux autres parties de l'être et libère le psychique. Même si l'ego lui-même a disparu, de nombreux fragments et des survivances de l'habitude égoïste peuvent subsister et doivent être éliminés.
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3142
Ce rêve était une rencontre avec la Mère sur le plan vital. Dans ces rêves, de nombreux détails sont symboliques; il n'est cependant pas toujours facile de déterminer ce que signifie chaque symbole, comme, dans le cas présent, l'état de la main. Mais la dernière partie du rêve est assez claire. Ici, l'homme symbolise la tendance de l'ego dans la nature humaine: lorsqu'une réalisation se produit, on pense que c'est une grande réalisation, et "quel grand sâdhak je suis", et on appelle les autres pour qu'ils constatent et admirent; peut-être pense-t-on, comme l'homme du rêve: "J'ai vu le Divin, en vérité je sens que je suis un avec le Divin; je vais les appeler tous pour qu'ils voient cela." Cette tendance a détérioré la sâdhanâ de beaucoup de gens et l'a parfois ruinée complètement. Dans les pensées que vous décrivez, vous êtes arrivé à découvrir en vous quelque chose qui, à un degré plus ou moins grand, existe chez tous les êtres humains: votre désir d'être bien considéré par les autres, d'occuper une grande place dans leur estime et leur affection, d'être honoré, haut placé, admiré. Lorsqu'on unit ce sentiment à l'idée de la sâdhanâ, l'envie apparaît de faire la sâdhanâ pour cette raison et non purement et simplement pour le Divin; il se produit inévitablement soit une perturbation, soit une obstruction dans la sâdhanâ elle-même et si, malgré cela, l'expérience spirituelle vient, alors le danger est que l'on en fasse mauvais usage et qu'on l'utilise pour agrandir son ego, comme l'homme du rêve. Tous ces rêves vous sont envoyés pour vous donner une connaissance et une expérience vivantes et concrètes de ce que sont ces imperfections humaines, afin qu'il vous soit plus facile de les rejeter, de les reconnaître quand elles viennent à l'état de veille et de les empêcher d'entrer. Ces imperfections ne vous sont pas personnelles, elles se trouvent dans toute nature humaine: il faut s'en débarrasser ou s'en préserver, afin que la concentration sur le Divin puisse être complète, sans égoïsme, vraie et pure.
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3143
Une certaine exaltation de l'être accompagne naturellement les expériences les plus fortes, et un sentiment d'émerveillement ou de miracle peut s'y adjoindre, mais cette exaltation ne devrait contenir aucun sentiment égoïste.
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3144
Oui, ce phénomène affecte beaucoup de gens; poussé à l'extrême et devenu une des composantes principales de l'attitude vitale, il a été la cause de l'échec et du départ de quelques-uns qui se considèrent comme de grands sâdhak; il leur a servi de prétexte pour s'abandonner à l'ego vital et le magnifier. Puisque vous voyez que c'est ridicule, vous ne devriez avoir aucune difficulté à vous en débarrasser. La seule vérité, en cela, est que tous ceux qui s'ouvrent de telle manière que la Force puisse percer jusqu'à l'être matériel pour le transformer contribueront par là même à la victoire de la Force; mais cela s'applique à tout le monde et à personne en particulier.
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3145
L'égoïsme en vous, dont vous me parlez, fait partie de la relation entre un être humain et un autre et est commun à tous les hommes et à toutes les femmes ou presque; il est extrêmement difficile de s'en débarrasser, mais si on le voit clairement et que l'on est déterminé à ne plus l'avoir, on peut d'abord le maîtriser, puis l'éliminer de la nature. Mais l'égoïsme qui a poussé certains à partir d'ici parce qu'ils s'enorgueillissaient de leur sâdhanâ et étaient attachés à la prétendue grandeur de leurs expériences est d'une autre sorte, beaucoup plus dangereuse sur le plan spirituel. Vous ne l'avez pas et je ne pense pas que vous couriez le danger de jamais l'avoir.
Quand on écrit à la Mère on peut aisément avoir l'expérience d'être en sa présence et de lui parler, et cette expérience est véridique: une partie de l'être la rencontre en effet et s'ouvre à elle, lorsqu'on relate par écrit ses expériences.
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3146
Oui, si l'expérience est substantielle, l'habitude de l'ego est très amoindrie, mais elle ne disparaît pas tout à fait. Elle se réfugie dans le sentiment d'être un instrument et si l'influence psychique ne se fait pas sentir, on peut fort bien préférer être l'instrument d'une force qui nourrit la satisfaction de l'ego. Dans les cas de ce genre l'ego peut demeurer fort, bien qu'il se sente un instrument et non l'acteur principal.
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3147
L'égoïsme peut être aussi dangereux ou même plus dangereux pour le progrès spirituel chez celui qui se considère comme l'instrument de l'action que chez celui qui se croit son auteur. Le sens de l'ego est contraire à la réalisation spirituelle, alors comment un ego, quel qu'il soit, pourrait-il être digne d'encouragement? Quant à l'ego magnifié, c'est l'un des obstacles les plus périlleux à la libération et à la perfection. Il ne doit pas y avoir de grand "je", ni même de petit "je".
Ce que l'on entend par ego magnifié est ceci: lorsque les limites du mental et du vital ordinaires sont brisées, on sent que l'on a une conscience beaucoup plus vaste et plus puissante et des possibilités sans limite; mais si l'on attache tout cela à la remorque de son propre ego, on devient mille fois plus égoïste que l'homme ordinaire. La grandeur du Divin devient un prétexte et un soutien pour votre propre grandeur et le grand "je" enfle au point de remplir non seulement la terre, mais les cieux. Il faut se garder de cette amplification de l'ego avec un soin vigilant.
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3148
Oui, ce sont de petits signes ou de petites formes de l'ego de l'instrument, pas très graves mais souvent assez tenaces. Il y a une forme d'égoïsme plus grande qui n'est pas tellement courante et peut atteindre une sorte de mégalomanie: "Moi, je suis l'instrument par excellence, quel grand instrument je suis, par moi tout sera fait." Chez trois ou quatre personnes, elle avait pris une acuité désespérante, en secret ou ouvertement; souvent ces personnes finissent par s'en aller faire de grandes choses ailleurs... de grandes choses qui, pour une raison ou pour une autre, ne se font pas.
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3149
L'impersonnalité n'est pas en elle-même le Divin. Toutes ces erreurs peuvent être commises — et le sont — par beaucoup de gens qui prétendent être dans une conscience impersonnalisée. Une force peut être universelle, mais en même temps elle peut être mauvaise: bien des gens pensent qu'ils sont impersonnels et dépourvus d'ego parce qu'ils obéissent à un pouvoir ou à quelque chose qui est plus grand que leur propre personnalité, mais ce pouvoir, ce quelque chose peut être tout à l'opposé du Divin, et il peut les tenir à sa merci par un certain côté de leur personnalité et de leur ego.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 4.
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3150
C'est Prakriti, la Nature, qui agit: le Divin n'oblige personne à faire quoi que ce soit. Rien ne peut arriver sans la présence et le soutien du Divin, car la Nature ou Prakriti est la Force divine et c'est elle qui accomplit les choses, mais elle les accomplit selon la nature de chacun, par son intermédiaire ou au moyen de sa volonté qui est pleine d'ignorance; cela continue jusqu'à ce que l'homme se tourne vers le Divin, en devienne conscient et s'unisse à Lui. Alors seulement on peut dire que tout commence à être fait en lui directement par la Volonté du Divin.
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3151
L'ambition et la vanité sont si naturelles à la conscience humaine — elles ont même leur utilité dans la vie ordinaire — qu'il est tout à fait normal qu'au début, elles pénètrent aussi la sâdhanâ et s'attardent même lorsqu'elles ont été rejetées. Mais il faut les expulser avant de s'être engagé loin sur le sentier, sinon ces très dangereux serviteurs risquent de pervertir à la fois l'aspiration et la siddhi.
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3152
L'ambition est toujours une force du vital.
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3153
Les suggestions d'ambition, etc. prennent toujours naissance dans le mental vital ou, pourrait-on dire, le mental du vital, et de là elles jaillissent dans le mental pensant, revendiquant son assentiment et la sanction de la volonté mentale. Quand le mental pensant est obscurci par cette ruée venue d'en bas, il est emporté et donne son assentiment. Le mental pensant (la raison) doit rester toujours immuable au-dessus et décider de ce qui est juste, sans être pris ou entraîné par le vital.
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3154
Une humilité spirituelle intérieure est très nécessaire, mais je ne crois pas qu'une humilité extérieure soit très à conseiller (l'absence d'orgueil, d'arrogance ou de vanité est évidemment indispensable dans les relations extérieures avec les autres); elle engendre souvent l'orgueil, devient purement formelle ou bien inefficace au bout de quelque temps. J'ai vu des gens la pratiquer pour guérir leur orgueil, mais je n'ai pas constaté d'effets durables.
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3155
Ce sentiment [faire le Namaskâr à tout le monde] vient à ceux qui veulent cultiver l'humilité (X le faisait, mais jamais je n'ai constaté que cela l'ait débarrassé de son amour-propre invétéré), ou bien qui ont ou essaient d'avoir la réalisation de Nârâyana en tous avec une nuance de vishnouïsme. Sentir l'Un en tous est très bien, mais se prosterner devant l'individu qui vit encore dans son ego n'est bon ni pour lui, ni pour celui qui le fait. En particulier, dans notre yoga, cette pratique tend à disperser ce qui devrait se concentrer en direction d'une réalisation plus haute que celle du sens cosmique, qui n'est qu'un pas sur le chemin.
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3156
Peut-être pourrait-on dire que l'humilité spirituelle consiste à être conscient de la relativité de ce qui a été fait par rapport à ce qu'il reste à faire, et aussi à être conscient que l'on n'est rien sans la Grâce divine.
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3157
Il est un peu difficile d'échapper à ce sentiment de supériorité lorsque de vastes horizons s'ouvrent à la conscience, à moins que l'on ne soit déjà prédisposé à la sainteté ou à l'humilité. Chez certains disciples de Sri Râmakrishna comme Nag Mahashaya, l'expérience spirituelle engendre de plus en plus d'humilité; chez d'autres, comme Vivékânanda, elle suscite un grand sentiment de force et de supériorité; certains critiques européens l'en ont sévèrement taxé; à d'autres, elle impose un sentiment de supériorité envers les hommes et d'humilité à l'égard du Divin. Chacune de ces positions a sa valeur. Pensez à la célèbre réplique de Vivékânanda au Pandit de Madras qui s'élevait contre l'une de ses affirmations en disant: "Mais Shankara ne dit pas cela", à quoi Vivékânanda répliqua: "Non, mais moi, Vivékânanda, je le dis", et le Pandit est resté muet. Ce "moi, Vivékânanda" apparaît au regard ordinaire comme un Himalaya d'outrecuidance égoïste. Mais rien n'était faux ni défectueux dans l'expérience spirituelle de Vivékânanda Car cette réponse ne provenait pas d'un simple égoïsme, mais de la conscience de ce qu'il représentait et de l'attitude d'un lutteur qui, parce qu'il représentait quelque chose de très grand, ne pouvait se laisser abattre ni diminuer. Il ne s'agit pas de nier la nécessité de l'absence d'égoïsme et de l'humilité spirituelle, mais de montrer que le problème n'est pas aussi facile à résoudre qu'il y paraît à première vue. Car si je dois exprimer mes expériences spirituelles, je dois le faire avec vérité; je dois les relater, elles, leur bhāva,
Autre chose: il me semble que vous êtes très porté à identifier la foi à la croyance mentale, mais la vraie foi est spirituelle, c'est une connaissance de l'âme. Les affirmations que vous citez dans votre lettre sont les assertions tranchantes de la croyance mentale qui mène le croyant à affirmer avec véhémence son credo mental et son but, parce qu'ils lui sont propres et doivent par conséquent être plus grands que ceux des autres, attitude universelle dans la nature humaine. Même l'athée n'est pas tolérant; il déclare que son credo de la Nature et de la Matière est la seule vérité, accable de son mépris tous ceux qui n'y croient pas ou croient en d'autres choses, les traite de crétins ignares et de nigauds superstitieux. Je ne lui en veux pas de me considérer ainsi, mais je note que cette attitude ne se limite pas à la foi religieuse et qu'elle est tout aussi naturelle à ceux qui n'ont pas de foi religieuse et ne croient ni aux Dieux ni aux gourous. Vous ne m'en voudrez pas, j'espère, de montrer l'autre aspect de la question; je veux faire ressortir que cet autre aspect existe, et qu'il y a beaucoup plus à dire qu'il ne semble à première vue.
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3158
L'attitude juste consiste à voir qu'en tant qu'être séparé, en tant qu'ego, on n'a pas la moindre importance; que mettre en avant ses propres désirs, son orgueil, sa situation, etc., est une ignorance, mais que l'on ne compte qu'en tant qu'esprit, parcelle du Divin; pas plus que les autres, mais de la même manière que toutes les âmes comptent pour l'Âme de tous.
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3159
Oui, j'ai toujours déconseillé aux gens de parler de sâdhak avancés, mais ils continuent parce que cela séduit l'ego vital.
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3160
Les idées de supériorité et d'infériorité n'ont pas beaucoup d'utilité ni de valeur. Chacun est lui-même, avec ses propres possibilités qui n'ont de limites que celles de la volonté, de l'évolution et du temps. Chacun a, dans sa nature, ses propres voies d'évolution et en lui certains éléments sont plus ou moins développés, mais le niveau doit être fixé par ce qu'il a lui-même pour but de devenir. La comparaison avec les autres introduit une fausse échelle de valeurs.
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3161
C'est une maladie très répandue parmi les sâdhak que de faire des comparaisons accompagnées de sentiments de jalousie et d'envie; elle mène certains à se révolter et à s'affirmer, d'autres à se sous-estimer et à désespérer. Ces sentiments sont naturellement tout à fait hors de propos et les jugements qu'ils engendrent sont faussés. Chaque sâdhak a son propre mouvement, sa relation personnelle avec le Divin, sa place dans le travail ou la sâdhanâ générale, et le comparer à d'autres introduit aussitôt une norme fausse. Il doit se fonder sur la vérité de son mouvement intérieur: svadharma.
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3162
Le respect de soi-même et le sentiment de supériorité sont deux choses très différentes. Le respect de soi n'est pas forcément un signe d'égoïsme, pas plus que son absence n'indique que l'on est libéré de l'égoïsme. Par respect de moi-même, j'observe une certaine règle de conduite qui est propre au niveau d'humanité auquel j'appartiens: par exemple, je ne puis affirmer une chose fausse en raison du respect que je me porte, même si j'ai intérêt à le faire et que, dans les mêmes circonstances, la plupart des gens le feraient. L'amour-propre est différent et appartient à un ego de type sattwique. Quand on n'est pas libéré de l'ego, l'amour-propre, tout comme le respect de soi-même (car celui-ci peut exister avec ou sans ego) sont des soutiens nécessaires pour que la personnalité se maintienne au niveau qui convient.
La haine, étant très anti-spirituelle, n'est pas un adjuvant auquel on puisse faire appel dans ce but.
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3163
De nombreux sâdhak, dans un premier stade, sont gouvernés par le mental ou le vital supérieur; ils progressent alors très bien parce que le mental et le vital supérieur contiennent des éléments assez forts pour maîtriser le reste de l'être durant les premières expériences ou les premiers progrès. Mais à un certain moment, le sâdhak doit commencer à s'occuper des parties inférieures de l'être; et c'est là que toutes les difficultés vitales se dressent. Si les premiers progrès et les premières expériences ont engendré de l'orgueil ou de l'ego, ou s'il y a, quelque part, une faille grave, ils sont incapables d'agir sur ces parties inférieures tant que l'ego n'a pas été éliminé ou brisé, ou la faille réparée. X a laissé grandir un orgueil plein de pharisaïsme qui lui a complètement barré la route; il a aussi un autre défaut, un mental étroit et obstiné qui tient à ses propres idées comme si elles seules étaient justes; les exemples que vous donnez de sa conduite illustrent ce défaut. C'est pourquoi il se dispute avec tout le monde, en croyant qu'il a raison et que les autres sont pervers et malfaisants; il ne peut voir ses fautes et ses erreurs et quand la Mère ou moi-même ne l'écoutons pas, il se sent blessé et offensé parce que nous ne soutenons pas sa sainteté et sa rectitude contre les méchants qui l'oppriment. Il travaille bien, il est habile, mais il ne pourra pas progresser dans la sâdhanâ s'il conserve cette rigidité et cet ego.
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3164
Vous avez des aptitudes et l'étoffé d'un yogi, mais cela s'accompagne d'un amour-propre et d'un esprit pharisaïque très forts qui barrent le chemin de la perfection et constituent un très sérieux obstacle. Tant qu'un sâdhak est ainsi, la Vérité qui cherche à se manifester en lui verra toujours ses tentatives déjouées parce qu'il les transforme en constructions mentales et vitales qui la déforment, en font une demi-vérité inefficace et vont jusqu'à changer la vérité elle-même en une source d'erreur.
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3165
Oui, lorsqu'on se justifie, on entretient le mouvement erroné en lui donnant un soutien mental. Se justifier est toujours un signe d'ego et d'ignorance. Quand la conscience est devenue plus vaste, on sait que chacun a sa manière de voir les choses et y trouve sa propre justification, de sorte que dans une querelle chacune des deux parties croit avoir raison. C'est seulement lorsqu'on regarde d'en haut, dans une conscience débarrassée de l'ego, que l'on voit tous les aspects d'une chose et aussi leur réelle vérité.
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3166
Mais c'est là [ne pas reconnaître ses propres imperfections] une faiblesse humaine très répandue, bien qu'elle ne doive pas exister chez un sâdhak dont le progrès dépend, dans une large mesure, de sa capacité à reconnaître ce qui doit être changé en lui. Non que cette prise de conscience soit suffisante en elle-même, mais elle est nécessaire. C'est bien sûr par une sorte d'orgueil ou de vanité que les sâdhak considèrent cette attitude de justification comme nécessaire à leur pouvoir et à leur prestige. Non seulement ils ne reconnaissent pas leurs défauts devant les autres, mais ils se les cachent à eux-mêmes, et même s'ils sont obligés de les regarder d'un œil, s'en détournent de l'autre. Ou bien ils tissent un voile de mots, de prétextes et de justifications en essayant d'en faire quelque chose de différent de ce que c'est en réalité. Le mot de X9 est très caractéristique de sa personnalité; c'est sa principale pierre d'achoppement sur le chemin du yoga.
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3167
Seule cette habitude de la nature, qui consiste à se tourmenter et à rabâcher le sentiment de sa propre médiocrité, vous empêche d'être tranquille. L'humilité est utile, mais se sous-estimer sans cesse n'apporte aucune aide; avoir une trop bonne opinion de soi et se sous-estimer à l'excès sont deux attitudes également fausses. Il est utile de reconnaître tous ses défauts, sans les enfler, mais une fois qu'on les a reconnus, il n'est pas bon de s'appesantir sur eux sans arrêt: vous devez avoir confiance en la Force divine qui peut tout changer, et vous devez laisser cette Force faire son œuvre.
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3168
La sensibilité vitale n'est ni bonne ni mauvaise. Elle vient ainsi à mesure que l'on se développe. Certains sont incapables de s'ouvrir consciemment ou visiblement aux autres, parce qu'ils sont insensibles. D'autre part être trop ouvert est une source d'ennuis.
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3169
Cela dépend de la nature de l'ego. Certains égoïstes ont la peau dure et ne sont pas sensibles du tout, d'autres sont hypersensibles.
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3170
La sensibilité résulte presque toujours de l'ego, ou en est le signe.
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3171
La sensibilité est l'un des obstacles les plus persistants chez " de nombreux sâdhak. À cela il y a deux remèdes: d'abord la confiance du psychique en la Mère et la soumission qui l'accompagne, c'est-à-dire: "Tout ce qu'elle veut est pour moi ce qu'il y a de mieux", et ensuite l'élargissement que vous ressentez maintenant; c'est l'immensité du vrai moi, du vrai mental, du vrai vital, et aussi de l'être physique véritable, d'où les choses comme celles-ci tombent comme poussière, car en comparaison elles n'ont pas la moindre importance.
Il n'y a rien d'autre à faire: demeurer en permanence dans l'immensité, la paix et le silence, et laisser l'ego s'y dissoudre, laisser les attachements tomber d'eux-mêmes.
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3172
Aucune transformation de l'être ne peut se faire dans une conscience insensible.
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3173
La sensibilité n'a pas à être guérie; il faut seulement acquérir le pouvoir de s'élever à une conscience supérieure en utilisant ces désenchantements comme une sorte de tremplin. L'un des moyens consiste à ne rien attendre des autres, quels qu'ils soient, pas même un traitement équitable. Et par ailleurs il est bon d'avoir des expériences qui, comme celle-ci, montrent la vraie nature de certaines personnes à l'égard desquelles une nature généreuse est souvent aveugle; car cela vous aide à faire croître votre propre conscience. Le coup sous lequel vous vous crispez vous paraît d'autant plus dur que le monde de votre formation mentale en a subi le choc. Un monde comme celui-ci devient souvent une partie de notre être. Le résultat en est que lorsqu'un coup lui est porté, la souffrance est presque physique. La grande compensation d'une telle épreuve est qu'elle vous a fait vivre de plus en plus dans le monde réel, par opposition au monde de votre imagination, dont vous aimeriez qu'il soit le monde réel. Mais le monde réel, vous le savez, laisse beaucoup à désirer, et c'est pourquoi la Conscience divine doit agir sur lui et le transformer. Pour cela, cependant, la connaissance de la réalité, si peu délectable soit-elle, est presque la première nécessité. Et les coups et les blessures sont souvent le meilleur moyen pour que cette connaissance pénètre en nous. Les gens sincères, les idéalistes, les personnes sensibles, les natures raffinées ressentent plus vivement ces désillusions que d'autres dont l'épiderme est plus épais, mais ce n'est pas une raison pour désavouer les beaux sentiments et émousser le fil acéré des susceptibilités raffinées. Il faut apprendre à se détacher de toutes ces expériences et à regarder ces perversions chez les autres d'un point de vue plus élevé, d'où l'on peut considérer ces manifestations dans la perspective qui convient, la perspective impersonnelle. Alors nos difficultés deviennent vraiment, à la lettre, des occasions de progrès. Car la connaissance, lorsqu'elle touche le cœur de nos problèmes, renferme pour ainsi dire un merveilleux pouvoir curatif. Dès que vous touchez le cœur du problème, aussitôt qu'en plongeant de plus en plus profond, vous atteignez ce qui vraiment vous fait souffrir, la souffrance disparaît comme par miracle. Un courage stoïque pour atteindre la vraie Connaissance est par conséquent l'essence même du yoga. Aucune superstructure durable ne peut être érigée si ce n'est sur la base solide d'une véritable Connaissance. Les pieds doivent être sûrs de leur terrain avant que la tête puisse espérer rejoindre le ciel.
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3174
Votre étonnement devant la conduite de X démontre que vous ne savez pas de quelle espèce est la nature humaine moyenne. N'avez-vous jamais entendu parler de la réponse de Vidyasagar, quand on lui a dit que quelqu'un l'insultait? "Pourquoi m'insulte-t-il? Je ne lui ai jamais rendu service (upakāra)." Le vital non régénéré n'a pas de gratitude pour un bienfait, il lui déplaît de devoir de la reconnaissance. Tant que le bienfait continue à lui être accordé, il est plein d'effusions et dit des gentillesses; dès qu'il n'attend plus rien, il se retourne contre son bienfaiteur. Il lui arrive même de le faire plus tôt, lorsqu'il croit être assuré que le bienfaiteur n'apprendra pas l'origine de la calomnie, de la critique ou de l'insulte. Dans tout ce qui vous est arrivé, rien n'est inhabituel, rien, comme vous le croyez, ne vous est particulier. La plupart des gens ont ce genre d'expérience, peu y échappent complètement. Évidemment ceux dont l'élément psychique est développé sont par nature reconnaissants et ne se conduisent pas de cette façon.
3175
La plupart des hommes sont, comme les animaux, poussés par les forces de la Nature: tous les désirs qui se présentent, ils les satisfont; toutes les émotions qui se présentent, ils les laissent se donner libre cours; tous leurs besoins physiques, ils essaient de les satisfaire. Nous disons alors que les activités et les sentiments des hommes sont dominés par leur Prakriti, et en grande partie par la nature vitale t physique. Le corps est l'instrument de la Prakriti ou Nature; il obéit à sa propre nature, ou il obéit aux forces vitales de désir, de passion, etc.
Mais l'homme a aussi un mental et à mesure qu'il évolue, il apprend à maîtriser sa nature vitale et physique par la raison et par la volonté. Cette maîtrise est très partielle: car la raison est souvent abusée par les désirs vitaux et l'ignorance du physique; elle se range à leurs côtés et essaie, par ses idées, ses raisonnements ou ses arguments, de justifier leurs fautes et leurs mouvements erronés. Même si la raison reste libre et dit au vital ou au corps: "Ne faites pas cela", le vital et le corps suivent souvent leur propre mouvement en dépit de cette interdiction: la volonté mentale de l'homme n'est pas assez forte pour les contraindre.
Lorsque les gens font la sâdhanâ, une Nature supérieure, psychique et spirituelle, œuvre au-dedans, et ils doivent placer leur nature sous l'influence de l'être psychique et du moi spirituel supérieur, ou du Divin. Le mental, tout comme le vital et le corps, doit apprendre la Vérité divine et obéir à la règle divine. Mais en raison de la nature inférieure et de sa constante emprise sur eux, les sâdhak sont tout d'abord incapables, et pour longtemps, d'empêcher leur nature de suivre les anciens chemins, même quand ils savent ou que de l'intérieur il leur est dit ce qu'il faut faire ou ne pas faire. C'est seulement par une sâdhanâ persévérante, en entrant dans la conscience spirituelle supérieure et dans la nature spirituelle, que cette difficulté peut être surmontée; mais même pour les sâdhak les meilleurs et les plus forts, cela demande beaucoup de temps.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 2.
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3176
Désirer le Divin ou la bhakti pour le Divin est le seul désir qui puisse libérer de tous les autres: au fond, ce n'est pas un désir, mais une aspiration, un besoin de l'âme, le souffle de vie de l'être le plus profond; en tant que tel, on ne peut le ranger parmi les désirs.
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3177
Sur le "droit chemin", a-t-on le temps de satisfaire les désirs? Si le désir n'est pas maîtrisé, comment peut-on marcher droit sur le droit chemin?
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3178
Donner libre cours aux instincts et aux désirs naturels, ce n'est pas du yoga. Le yoga exige la maîtrise de la nature, non la sujétion à la nature.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 3.
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3179
Kāmanā bāsanā n'ont aucun rôle dans le yoga, ils ne peuvent pas y contribuer (sahāya), ils ne peuvent être que des obstacles. Tant que le désir et l'ego subsistent, la soumission au Divin ne peut pas se faire, le yoga ne peut pas s'accomplir. Ce sont des mouvements du vital; ils ne peuvent être rien d'autre.
La force dénuée d'égoïsme est une force qui n'agit pas pour des motifs égoïstes, pour satisfaire les désirs du vital ou pour mettre en œuvre les idées de son propre mental; elle n'existe que pour le service du Divin ou comme un instrument du Divin.
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3180
Exigence et désir sont seulement deux aspects de la même chose. De plus, il n'est pas nécessaire qu'un sentiment soit tourmenté ou agité pour que ce soit un désir; au contraire, le désir peut être tranquillement résolu et obstiné, ou revenir avec persistance. Les exigences et les désirs viennent du mental ou du vital; mais le besoin psychique ou spirituel est une chose différente. Le psychique ne désire ni n'exige —il aspire. Il ne pose pas de conditions à sa soumission et ne se retire pas si son aspiration n'est pas immédiatement satisfaite, car le psychique a une confiance complète en le Divin ou le gourou et peut attendre le moment voulu ou l'heure de la Grâce divine. Le psychique a une insistance à lui, mais il fait pression sur la nature et non sur le Divin; il pose son doigt de lumière sur tous les défauts en elle qui font obstacle à la réalisation, passe au crible tout ce qui est mélangé, ignorant ou imparfait dans l'expérience ou les mouvements du yoga, et n'est jamais satisfait de lui-même ni de la nature tant que celle-ci n'est pas complètement ouverte au Divin, libérée de toutes les formes de l'ego, soumise, simple et droite dans son attitude et dans tous ses mouvements. C'est cela qui doit être entièrement établi dans le mental, dans le vital et dans la conscience physique avant que la supramentalisation de toute la nature soit possible. Autrement, on n'obtient que des illuminations et des expériences plus ou moins brillantes, mi-lumineuses, mi-nuageuses sur les plans mental, vital et physique, inspirées par un mental plus large ou un vital plus large, ou au mieux par les étendues mentales situées au-dessus des régions humaines entre l'intellect et le Surmental. Jusqu'à un certain point, ces expériences peuvent être très stimulantes et satisfaisantes, et elles sont bonnes pour ceux qui veulent avoir quelque réalisation spirituelle sur ces plans; mais la réalisation supramentale est beaucoup plus difficile et exigeante dans ses conditions, et le plus difficile de tout est de la faire descendre jusqu'au niveau physique.
Les Bases du Yoga, chapitre 4. Traduction de la Mère.
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3181
Pour vivre dans le Suprême, il y a toujours deux méthodes. L'une consiste à retirer complètement la conscience de toute participation aux choses extérieures et à s'intérioriser au point d'être séparé de l'existence et de vivre en contact avec ce qui est au-delà d'elle. L'autre méthode consiste à atteindre la véritable essence de toutes choses, sans se laisser absorber ni emprisonner par les formes extérieures. Le désir, l'attachement, l'asservissement aux attirances exercées par les sensations extérieures sont le principal obstacle à ce mouvement; par conséquent, dans les deux voies, il faut s'en débarrasser. Mais il est tout à fait possible de voir le Suprême, même si l'attirance qui s'exerce sur les sens extérieurs n'a pas encore disparu; seulement on ne peut vivre durablement en Lui s'il y a un désir et un attachement extérieur, car ils vous éloignent sans cesse de l'équilibre intérieur.
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3182
Tous les mouvements vitaux ordinaires sont étrangers à l'être véritable et viennent du dehors; ils n'appartiennent pas à l'âme et ne sont pas engendrés par elle: ce sont des vagues de la Nature générale, Prakriti.
Les désirs viennent du dehors, pénètrent dans le vital subconscient et remontent à la surface. Nous ne devenons conscients du désir que quand il émerge à la surface et que le mental le perçoit. Il nous semble être nôtre parce que nous le sentons monter ainsi du vital au mental et que nous ne savons pas qu'il venait du dehors. Ce qui appartient en propre au vital, à l'être, ce qui le rend responsable, ce n'est pas le désir lui-même, mais l'habitude de répondre aux vagues ou aux courants de suggestions qui, de la Prakriti universelle, entrent en lui.
Les Bases du Yoga, chapitre 4. Traduction de la Mère.
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3183
Le rejet du désir consiste essentiellement à rejeter l'élément de convoitise en l'expulsant de la conscience elle-même comme un élément étranger qui n'appartient pas au vrai moi ni à la nature intérieure. Mais le refus d'obéir aux suggestions du désir fait aussi partie du rejet; s'abstenir de l'action suggérée si elle n'est pas l'action juste, doit être inclus dans la discipline yoguique. C'est seulement quand le rejet est fait de la mauvaise manière, suivant un principe mental ascétique ou un principe moral sévère, que l'on peut appeler cela refoulement. La différence entre le refoulement et le rejet intérieur essentiel est la même qu'entre une maîtrise mentale ou morale et une purification spirituelle.
Quand on vit dans la vraie conscience, on sent les désirs hors de soi, venant du dehors, de la Prakriti universelle intérieure, et entrant dans le mental ou dans le vital. Dans la condition humaine ordinaire, on ne le sent pas; les hommes prennent conscience du désir seulement lorsqu'il est là, quand il est entré et qu'il a trouvé en eux un gîte ou un accueil habituel, alors ils pensent qu'il est à eux et qu'il fait partie d'eux-mêmes. Par conséquent, la première condition pour se débarrasser du désir est d'acquérir la vraie conscience, car alors il est beaucoup plus facile de le chasser que si l'on doit lutter contre lui comme s'il était une partie constituante de soi-même qu'il fallait rejeter hors de l'être. Il est plus aisé de se débarrasser d'une excroissance que d'amputer ce que l'on sent comme un morceau de sa substance.
Quand l'être psychique est au premier plan, il devient facile de se libérer du désir, car l'être psychique n'a aucun désir en lui-même: il aspire seulement au Divin, le recherche et l'aime ainsi que toutes les choses qui appartiennent au Divin ou qui tendent vers lui. La prééminence constante de l'être psychique tend spontanément à faire émerger la vraie conscience et à rectifier presque automatiquement les mouvements de la nature.
Les Bases du Yoga, chapitre 4. Traduction de la Mère.
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3184
Il faut longtemps pour se libérer entièrement du désir. Mais si, une fois, vous réussissez à le repousser hors de votre nature et à réaliser que c'est une force qui vient du dehors et enfonce ses griffes dans le vital et le physique, vous pourrez plus facilement vous débarrasser de l'envahisseur. Vous êtes trop habitué à sentir le désir comme enraciné en vous ou faisant partie de vous; cela rend votre tâche plus difficile pour lutter contre ses mouvements et répudier son ancienne autorité sur vous.
Vous ne devez vous appuyer sur aucune chose exclusivement, si secourable qu'elle puisse paraître, sauf d'abord, principalement et fondamentalement, sur la Force de la Mère. Le Soleil et la Lumière peuvent être une aide et le seront, s'ils sont le vrai Soleil et la vraie Lumière, mais ils ne peuvent pas remplacer la Force de la Mère.
Les Bases du Yoga, chapitre 4. Traduction de la Mère.
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3185
C'est bien. Nul ne peut se débarrasser facilement des désirs. Il faut d'abord les extérioriser, les pousser au dehors, à la surface, et faire en sorte que les parties intérieures soient tranquilles et claires. Ensuite on peut expulser les désirs et les remplacer par le vrai mouvement: une volonté heureuse et lumineuse, une avec celle du Divin.
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3186
Les besoins du sâdhak doivent être aussi peu nombreux que possible, car seulement un très petit nombre de choses sont vraiment indispensables à la vie. Les autres sont utiles ou décoratives, ou des objets de luxe. Un yogi n'a le droit de posséder ou de jouir des choses qu'à l'une de ces deux conditions:
(1) S'il les utilise durant sa sâdhanâ uniquement pour s'entraîner à posséder les choses sans attachement ni désir et pour apprendre à s'en bien servir, en harmonie avec la Volonté divine, en les manipulant comme il faut, les organisant et les arrangeant correctement, et dans une juste mesure, ou:
(2) S'il est déjà parvenu aune vraie libération du désir et de l'attachement et qu'il ne soit d'aucune façon ni le moins du monde troublé ni affecté par la perte, le retrait ou la privation. Si le sâdhak a de la convoitise, du désir, des exigences, s'il revendique les possessions ou les jouissances, ou qu'il ait de l'anxiété, du chagrin, de la colère ou du dépit en cas de refus ou de perte, il n'est pas libre en esprit et l'emploi des choses qu'il possède est contraire au principe de la sâdhanâ. Et même s'il est libre en esprit, il ne sera prêt à posséder qu'après avoir appris à se servir des choses, non pour lui-même mais pour la divine Volonté, comme un instrument, avec la connaissance et l'action justes dans leur usage, et pour le bon équipement d'une vie qui n'est pas vécue pour lui-même mais pour le Divin et dans le Divin."
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3187
Ce serait certes très facile s'il n'y avait qu'à obéir à ses désirs; mais être gouverné par ses désirs n'est pas le yoga.
Besoin et envie ne sont pas la même chose. S'ils ont pu s'en passer si longtemps, ce n'était évidemment pas un besoin.
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3188
Le désir est un mouvement psychologique et il peut s'attacher à un "vrai besoin" autant qu'aux choses qui ne sont pas de vrais besoins. Même les vrais besoins doivent être abordés sans désir. Si vous ne pouvez pas les satisfaire, vous ne devez rien sentir.
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3189
Les désagréments doivent être acceptés comme un entraînement au samatā. Être capable de supporter les désagréments est l'une des nécessités les plus élémentaires pour qui veut entrer dans le véritable esprit du yoga.
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3190
Qu'il soit ou non un ascète, le yogi, le sâdhak doit se libérer du désir vital et devenir spirituellement maître des mouvements de sa nature, et pour cela, il doit être libéré de l'ego, du désir et de la dualité. Je l'ai toujours dit très clairement: céder au désir ne fait pas plus partie de notre yoga que du sannyâsa. On doit être capable d'utiliser et de manier les objets physiques et la vie physique, mais en restant au niveau de la conscience spirituelle et non en s'abaissant au niveau de l'ego vital.
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3191
Tout appartient au Divin; il ne doit y avoir ni ego, ni désir, rien que le Divin et sa Lumière, sa Connaissance, son Pouvoir, son Ânanda, son action. Mais tout cela doit venir d'en haut, non des forces cosmiques inférieures et impures.
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3192
Toutes choses sont le Divin parce que le Divin est en elles, mais il est caché et non manifesté: quand le mental s'extériorise vers elles, ce n'est pas pour le Divin qu'il sent en elles, mais seulement pour leurs apparences qui dissimulent le Divin. Puisque vous êtes un sâdhak, vous devez vous tourner entièrement vers la Mère en qui se manifeste le Divin, au lieu de courir après les apparences: le désir ou l'intérêt qu'elles suscitent en vous vous empêche de rencontrer le Divin. Dès que l'être est consacré, il peut voir le Divin partout; alors il peut englober toutes choses dans la conscience unique sans avoir pour aucune un intérêt ou un attachement particulier.
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3193
Après la réalisation, tout ce qu'exige la Volonté supérieure est pour le mieux; mais avant, le détachement est la règle. Rares sont ceux à qui il est donné d'atteindre la liberté sans passer par la discipline et l'évolution.
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3194
Il est vrai que la suppression pure et simple ou la répression du désir ne suffisent point et qu'à elles seules, elles ne sont pas vraiment efficaces, mais cela ne veut pas dire que l'on doive assouvir ses désirs; cela veut dire qu'il ne faut pas les réprimer purement et simplement, mais les rejeter de la nature. À la place du désir, il faut mettre une aspiration exclusive vers le Divin.
Quant à l'amour, il doit être tourné uniquement vers le Divin. Ce que les hommes appellent de ce nom est un échange vital pour la satisfaction mutuelle du désir, de l'impulsion vitale ou du plaisir physique. Aucun échange de ce genre ne doit avoir lieu entre les sâdhak, car le rechercher ou encourager ce genre d'impulsion ne peut que conduire loin de la sâdhanâ.
Les Bases du Yoga, chapitre 4. Traduction de la Mère.
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3195
Votre théorie est fausse. La libre expression d'une passion peut soulager le vital un moment, mais en même temps elle lui donne le droit de revenir indéfiniment. Elle n'en est nullement amoindrie. La réprimer tout en s'y livrant intérieurement sous des formes subtiles ne la guérit pas, mais l'exprimer extérieurement la guérit encore moins. Il est parfaitement possible d'aller de l'avant sans la manifester, si l'on est résolu à parvenir à la maîtriser complètement, la maîtrise n'étant pas une simple répression, mais un rejet intérieur et extérieur.
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3196
Vous ne semblez pas avoir une idée exacte de la nature du désir vital. Le désir vital grandit lorsqu'on s'y abandonne, il n'est jamais satisfait. Si vous vous abandonniez à votre désir, il commencerait à grandir et à devenir de plus en plus exigeant. Telle a été notre expérience constante avec les sâdhak, et elle confirme ce que l'on a toujours su du désir. Le désir et l'envie doivent être expulsés de la conscience, il n'y a pas d'autre manière de les traiter.
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3197
Pas nécessairement la répression, si le refus d'alimenter un désir s'accompagne d'un détachement dans la plus grande partie de l'être. La différence entre la répression (nigraha) et la maîtrise de soi (saṃyama) est que l'une dit: "Je ne peux pas m'empêcher de désirer, mais je ne satisferai pas mon désir", alors que l'autre dit: "Je refuse le désir autant que la satisfaction du désir."
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3198
Le nigraha, c'est la répression du mouvement, mais la répression ne fait qu'interrompre le mouvement; mieux vaut le rejeter et reconduire tout en s'en détachant.
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3199
Tout ce dont le vital a envie est désirable pour lui, mais le désir doit être rejeté. "Je ne veux pas désirer": voilà ce qu'il faut dire, même si le vital ne peut pas encore dire: "Je ne désire pas." Il y a pourtant dans l'être quelque chose qui peut dire: "Je ne désire pas" et qui refuse de reconnaître le désir vital comme une partie de l'être véritable. C'est cette conscience, apportée par la paix et le pouvoir, qui doit être reconnue comme le vrai "je" et maintenue en permanence au premier plan.
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3200
L'être vital a toujours pour habitude de découvrir des arguments grâce auxquels il persuade le mental et justifie ses désirs; et les circonstances se modèlent en général pour les justifier plus encore. Car ce que nous portons en nous crée les circonstances autour de nous. L'important, c'est que vous adoptiez à l'avenir une attitude intérieure différente.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 3.
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3201
Bien sûr, le vital est insatiable. Deux choses seulement s'opposent à lui: les limitations du corps et la réprobation du mental, mais celle-ci n'est pas toujours là. Il y a aussi, évidemment, la possibilité d'une intervention du psychique, mais le vital n'y devient perméable qu'à un certain stade. Le corps est donc le seul frein chez la plupart des humains.
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3202
Il est difficile de se débarrasser complètement des désirs d'un seul coup; si les désirs légitimes ont la priorité, c'est déjà l'assurance d'une victoire finale. Ne laissez donc pas cela vous troubler. Ces choses se font par un changement progressif et si le progrès a commencé, on peut .avoir une certitude fondamentale quant à l'issue de la sâdhanâ, et une vision tranquille de ce qui doit être fait, parce qu'il est certain que ce sera fait.
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3203
Cette vision signifie simplement que si vous agrippez une chose pour essayer de vous en emparer, avec un sentiment égoïste de possession, alors si belle et merveilleuse qu'elle soit, elle perd sa valeur et devient banale.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 7.
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3204
Lorsqu'on cesse de désirer une chose avec insistance, souvent elle vient d'elle-même. L'attitude juste est d'attendre que se manifeste la Volonté divine et de ne rechercher qu'elle; le désir crée toujours la perturbation et même s'il est exaucé, il ne satisfait pas. L'aspiration est différente. L'oscillation entre les deux états dont vous parlez indique une lutte dans la conscience physique; elle doit se terminer par la fixation de la Paix et du Pouvoir dans cette conscience; alors l'autre état disparaîtra.
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3205
Vous devriez voir très clairement ce que sont les deux éléments qui s'opposent en vous, les deux éléments auxquels tout sâdhak est confronté. L'un est la véhémence du désir terrestre égoïste qui n'apporte que confusion et souffrance, et l'autre est la paix, la force, la joie, la lumière de compréhension qui est la partie divine de votre être, et que nous nous efforçons d'établir en vous. Lorsque vous vous rangez du bon côté, les choses deviennent faciles; lorsque vous hésitez, que vous êtes divisé, votre état est double; lorsque quelque chose en vous accepte les désirs et s'y attache, alors tout va mal. Vous devez apprendre à toujours faire pencher, par votre choix, la balance du bon côté. Je ferai assurément tout pour que la mauvaise volonté soit changée et que la bonne prenne sa place. Quelle que soit la résistance ou la difficulté, je le ferai toujours.
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3206
La peur est, une fois de plus, dans la conscience physique ou son élément vital; cette conscience craint de tout perdre si elle abandonne le désir, ou de perdre tout ce qu'elle veut, et de ne rien gagner en échange, ou du moins rien de ce qu'elle veut. Elle ne se rend pas compte que quelque chose de beaucoup plus grand, de beaucoup plus puissant, de beaucoup plus heureux se substituera en elle au désir trouble et à ses fruits incertains et précaires, car elle a pris l'habitude de considérer le désir comme le seul motif possible de la vie. Elle ne sait pas que la Force divine est là, prête à descendre avec sa lumière, sa paix. sa joie, et à apporter de bien plus grandes choses et une vie plus heureuse. Quand cette partie de l'être pourra être éclairée et persuadée de vouloir de tout cœur le changement, alors une grande difficulté — en fait la difficulté centrale — sera éliminée.
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3207
C'est la vieille nature vitale qui sent que ses désirs humains terrestres resteront insatisfaits et qui se sent ainsi. Il ne faut pas s'abandonner à tout cela, mais le rejeter et le balayer. À la place doit venir l'immensité, où la paix et la satisfaction existent en elles-mêmes; et dans cette paix et cette immensité doivent venir la paix plus grande de la Mère, sa force, sa lumière, sa connaissance plus grandes et son Ânanda.
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3208
Une nouvelle étape de votre développement spirituel s'est ouverte et continue à s'ouvrir en vous. Pour qu'elle aboutisse, vous devez progresser d'abord dans deux directions. La première, nous vous avons déjà demandé instamment de l'adopter: elle consiste à surmonter les désirs vitaux qui vous reliaient aux mouvements inférieurs et attiraient la pression d'une Force hostile sur votre vital inférieur et votre corps, et à soumettre entièrement votre vie et votre corps à l'Unique et à Lui seul. L'autre est la descente d'une tranquillité, d'une force et d'une équanimité complètes dans ces parties de l'être, afin que vous puissiez triompher de la vie et de ses difficultés et travailler pour le Divin. Ce calme et cette force sont souvent descendus dans votre mental et votre vital supérieur, mais les autres parties de l'être étaient encore ouvertes à quantité de faiblesses et d'attachements et à une tendance au laisser-aller. Cela doit être éliminé si vous voulez devenir un héros et un maître de l'action spirituelle. Dans votre situation précédente, ces imperfections trouvaient trop facilement un refuge et leur présence était tolérée; dans votre situation actuelle, vous avez l'occasion d'être seul avec la Force divine, de regarder la vie en face avec la force intérieure de l'âme et de devenir maître des circonstances. Vous ne devez pas vous laisser alarmer ou déprimer par les difficultés ou les désagréments extérieurs. Quant aux difficultés intérieures, il faut aussi y faire face avec détachement, calme, égalité, et la volonté inébranlable d'en triompher.
Pour le reste, vous dites à juste titre: "Je dois préserver mon équanimité et une foi dans la Direction divine lorsque je suis confronté au mensonge ou à n'importe quel ennui ou difficulté." Le défaut qui ouvrait la voie aux ennuis, corporels et autres, était d'abord ce vacillement dans votre résolution de vaincre le vital et de suivre la route droite, le chemin des hauteurs, et ensuite la dépression, le désespoir violents que ce vacillement entraînait après lui. Faites en sorte que ces choses disparaissent complètement et ne les laissez pas réapparaître ainsi. Le chemin de la tranquillité et de la force spirituelles est, avec la consécration de toutes vos forces au Divin, la seule route sûre pour vous et celle que vous devez maintenant suivre sans en dévier.
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3209
Voilà revenue l'ancienne et vaine imagination suscitée par une poussée des désirs insatisfaits de la nature vitale. L'attitude fausse de désir était évidemment là, attendant son heure, et elle a donné aussi l'occasion au vieux vital de se soulever et de s'adonner à ses mouvements habituels. Il est tout aussi évident que c'est la pression du désir s'élevant d'en bas qui a fait disparaître l'Ânanda. L'Ânanda psychique et le désir du vital se répandant en plaintes et en clameurs ne peuvent cohabiter; si le désir apparaît, l'Ânanda ne peut que se retirer, à moins que vous ne rejetiez le désir à temps, en lui refusant tout compromis. Et surcoût, lorsque la Mère vous donnait l'immensité, la paix et un Ânanda intense, il était irrationnel au dernier point de laisser place à un désir extérieur et de lui sacrifier tout cela.
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3210
Céder à la dépression quand les choses vont mal est la pire manière d'affronter la difficulté. Il y a sans doute en vous une exigence ou un désir, conscient ou subconscient, qui est excité et se révolte de n'être pas satisfait. La meilleure méthode est d'en être conscient, d'y faire face avec calme et de le rejeter fermement.
Si le vital inférieur (et pas seulement le mental) pouvait décider une fois pour toutes que les désirs et les exigences sont tous contraires à la Vérité et ne plus les appeler, ils perdraient très vite la force de revenir.
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3211
Saturez de Vérité votre mental et votre vital, et demeurez calme et tranquille. C'est d'un désir insatisfait que viennent toutes les souffrances; prenez position sur un calme exempt de désir. Quand ce sera fait, tout le reste de la divine Vérité, de l'Amour et de l'Ânanda pourra venir et s'établir solidement sur cette base.
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3212
Vous avez fait ce qu'il fallait pour ces objets. Ces petits désirs sont un grand obstacle à la transformation de la conscience extérieure et l'être doit s'en libérer pour que cette transformation n'en soit pas entravée.
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3213
C'est le physique vital qui reçoit ces influences et obéit à ces désirs. Ce qu'il faut, c'est faire descendre la conscience dans tout le vital proprement dit, afin que le vital lui-même, et non seulement le mental, rejette ces désirs. Les désirs du physique vital perdront de ce fait la moitié de leur force.
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3214
Si la paix et le pouvoir qui agissaient sur la tête et dans la poitrine sont descendus dans l'abdomen et au-dessous, c'est l'indication qu'ils n'agissent plus seulement sur le mental et l'être émotif, mais sont aussi pleinement actifs dans le vital; c'est un grand progrès.
Les désirs dont vous parlez sont ceux du physique vital dans la conscience physique subtile: envie de parler, soif et faim essentielles, etc. Il faut que la paix et la tranquillité s'établissent pleinement dans le physique vital et le physique subtil et descendent même jusqu'aux niveaux les plus bas pour que s'effectue le changement complet. La chaleur dont vous parlez est celle de ce principe subtil du désir physico-vital qui existe pour lui-même, et non pour les vrais besoins du corps; c'est pourquoi la satisfaction physique ne l'atténue pas.
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3215
Ce sont les petites habitudes de l'être vital inférieur qui rassemblent toutes leurs forces pour résister à l'effort de rectification et essayer d'envahir la conscience. Quand elles apparaissent, vous devez apprendre à en détacher entièrement votre conscience intérieure afin que même lorsqu'elles viennent en force, elles ne soient pas capables d'envahir la conscience, ni d'obtenir son assentiment.
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3216
Le vital dans le physique se laisse volontiers glisser vers ses petites habitudes d'autrefois, s'il en a l'occasion. C'est là qu'elles s'accrochent. Elles ne disparaissent entièrement que lorsque cette partie de l'être acquiert l'équanimité et accède à une libération simple et naturelle de tous les désirs.
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3217
Ces habitudes du vital physique sont presque automatiques dans leur action; pour sortir de cette action automatique et presque réflexe, il faut soit une très forte volonté, soit un effort persévérant d'auto-discipline. Vous ne devriez donc pas être découragé par cette difficulté, mais continuer, avec la persévérance nécessaire de la volonté, à la repousser jusqu'à ce qu'elle cesse d'exister.
3218
Le simple fait que la colère survienne avec une telle force suffit à démontrer qu'elle n'est pas en vous, mais vient de l'extérieur. C'est une irruption de force venant de la Nature universelle qui essaie de prendre possession de l'être individuel et de le faire agir selon la volonté de cette force extérieure et non selon la volonté de l'âme au-dedans. Ces phénomènes apparaissent, au cours de la sâdhanâ, parce que le sâdhak se libère de la nature inférieure et essaie de se tourner vers la Mère et de vivre dans sa divine conscience et dans la Nature supérieure. Les forces de la nature inférieure ne veulent pas de cela et se précipitent donc ainsi pour reconquérir leur emprise. Quand cela se produit, il faut rester tranquille au-dedans en se souvenant de la Mère ou en l'appelant, et rejeter la colère ou tout autre mouvement qui vient, chaque fois qu'il vient, aussi souvent qu'il vient. Si l'on agit ainsi, ces forces commencent à perdre leur capacité de vous envahir. C'est plus facile si l'on sent clairement que ces forces sont extérieures et étrangères à soi; mais même si vous ne pouvez pas le sentir au moment où elles entrent, le mental doit garder cette idée présente à l'esprit et refuser d'admettre qu'elles font encore partie de la nature. L'idée que la Mère est sévère vous était bien entendu suggérée par la force qui vous envahissait, pour l'aider à entrer. Bien des sâdhak reçoivent des suggestions similaires (moins cependant qu'autrefois) au Pranâm, ce qui soulève en eux une grande perturbation. Les suggestions de ce genre doivent être rejetées immédiatement avec fermeté.
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3219
Tous ces mouvements vitaux ignorants ont en fait leur origine au-dehors, dans la Nature universelle ignorante; l'être humain se crée, dans ses parties superficielles — mental, vital, physique — une habitude de réagir d'une manière particulière à ces vagues du dehors. Ce sont ces réactions qu'il prend pour son caractère (colère, désir, sexe, etc.), et il croit qu'il ne peut pas être différent. Mais c'est faux: il peut changer. Il existe en lui une autre conscience plus profonde, son être intérieur véritable, qui est son vrai moi, mais qui est recouvert par la nature superficielle. Cela, l'homme ordinaire ne le sait pas, mais le yogi le perçoit de plus en plus à mesure qu'il progresse dans sa sâdhanâ. Plus la conscience de cet être intérieur grandit par la sâdhanâ, plus la nature de surface et ses réactions sont expulsées et plus il devient possible de s'en débarrasser complètement. Mais la Nature universelle ignorante ne veut pas lâcher prise, projette les anciens mouvements sur le sâdhak et essaie de les faire pénétrer de nouveau; la nature superficielle retrouve par habitude ses anciennes réactions. Si le sâdhak peut affermir en lui la connaissance que ces choses appartiennent au dehors et ne font pas vraiment partie de lui-même, il repousse plus aisément ces récurrences ou, si elles s'emparent de lui, s'en débarrasse plus vite. C'est pourquoi je répète que ces mouvements prennent naissance non pas en vous, mais au-dehors.
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3220
Je crois que vous avez toujours eu l'idée que le meilleur ou même le seul moyen de se débarrasser d'une impulsion ou d'un mouvement est de le laisser s'exprimer. Mais cette idée est fausse. Si vous exprimez la colère, vous prolongez ou confirmez cette répétition habituelle de la colère, vous n'atténuez pas cette habitude, vous ne vous en débarrassez pas. Le tout premier pas à faire pour affaiblir le pouvoir de la colère dans la nature, puis s'en débarrasser tout à fait, est de lui refuser toute expression en actes et en paroles. Ensuite on peut continuer, avec plus de chance de succès, à la rejeter également de la pensée et des sentiments. De même pour tous les autres mouvements erronés.
Tous ces mouvements viennent du dehors, de la Nature universelle inférieure, vous sont suggérés ou sont jetés sur vous par les forces contraires, contraires à votre progrès spirituel. Votre méthode, qui consiste à les considérer comme vôtres, est aussi une mauvaise méthode: ce faisant, vous augmentez leur pouvoir de se répéter et de s'emparer de vous. Si vous les considérez comme vôtres, vous leur donnez en quelque sorte le droit d'être là. Si vous sentez qu'ils ne sont pas vôtres, alors ils n'ont aucun droit, et la volonté peut augmenter son pouvoir de les congédier. Ce que vous devez toujours avoir et sentir comme vôtre, c'est cette volonté, ce pouvoir de refuser votre assentiment, de refuser d'admettre un mouvement faux ou, s'il entre, le pouvoir de reconduire sans l'exprimer.
Le meilleur moyen serait évidemment de garder davantage le contact avec la Mère, sa Lumière et sa Force, de recevoir, d'accepter et de suivre uniquement ce qui vient de cette force supérieure.
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3221
En réalité ce n'est que la réapparition d'une vieille habitude de la nature. Observez-la et voyez à quel point l'occasion qui fait naître cette explosion de colère est dérisoire — elle est de moins en moins motivée — et l'absurdité de tels mouvements. Il ne vous serait pas vraiment difficile de vous en débarrasser si, quand elle vient, vous la regardiez avec calme, car il est tout à fait possible de se replier dans une certaine partie de l'être d'où l'on observe dans une équanimité détachée, même lorsque la colère monte à la surface, comme si en vous quelqu'un d'autre se mettait en colère. La difficulté est que vous vous alarmez, vous vous bouleversez et la colère s'empare ainsi plus aisément de votre mental, alors qu'elle ne devrait pas le faire.
L'aide, nous vous la donnons; faites un pas en arrière pour devenir capable de sentir cette aide et non l'obsession de ces mouvements de surface.
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3222
C'est exactement ce qui doit se produire chaque fois que la colère ou quoi que ce soit d'autre se soulève. La réponse du psychique doit devenir habituelle et faire ressortir que la colère n'est ni juste, ni efficace; puis l'être doit se retirer de ces objets extérieurs et s'installer dans le moi intérieur, détaché de toutes ces choses et de toutes ces personnes. C'est ce détachement que le sâdhak doit acquérir en premier: il doit cesser de vivre dans ces objets extérieurs et vivre dans son être intérieur. Plus il le fait, plus il se sent soulagé et apaisé. Ensuite, lorsqu'il sera fermement établi dans cet être intérieur, il commencera à voir l'action juste à faire, la manière juste d'agir sur les hommes et les choses.
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3223
Quand c'est le psychique qui gouverne tous les mouvements de l'être, et aussi quand l'équanimité de la conscience supérieure prend complètement possession du vital inférieur, la colère disparaît tout à fait. En attendant, on peut établir une maîtrise sur la colère, l'affaiblir et la réduire à un simple contact sans effet extérieur ou à une vague qui passe sans s'exprimer dans la vie.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 4.
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3224
Oui, certainement. La paix infinie, l'amour universel peuvent éliminer la colère, s'ils sont complets et stables.
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3225
Il est vrai que la colère et la combativité sont naturelles au vital humain et ne le quittent pas aisément; mais l'important est d'avoir la volonté de changer et la claire perception qu'elles doivent partir. Si cette volonté et cette perception sont là, elles finiront par s'en aller. L'aide la plus importante est ici aussi la croissance de l'être psychique au-dedans, car elle apporte une certaine bonté, une certaine patience, une certaine charité envers tous: on ne considère plus toutes choses du point de vue de son propre ego, de sa peine et de son plaisir, de ses goûts et dégoûts. La seconde aide est la croissance d'une paix intérieure que les événements extérieurs ne peuvent troubler. Avec la paix vient un calme élargissement où l'on perçoit tout comme un moi unique, tous les êtres comme des enfants de la Mère et la Mère demeurant en soi-même et en tous. C'est vers cela que votre sâdhanâ se dirigera, car c'est ce qui vient avec la croissance de la conscience psychique et spirituelle. Alors ces réactions troubles aux incidents extérieurs ne se produiront plus.
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3226
C'est, en effet, lorsque la quiétude descend d'en haut ou émerge du psychique que le vital se remplit de paix ou de bienveillance et de bonne volonté. C'est pourquoi la tranquillité intérieure du psychique d'abord, puis la paix d'en haut doivent envahir tout l'être. Sinon on peut maîtriser les mouvements comme la colère dans le vital, mais il est difficile de s'en débarrasser tout à fait si l'être n'est pas tout entier envahi par la tranquillité intérieure et la paix d'en haut. Dépendre de la Mère pour la sâdhanâ est la meilleure attitude, car en vérité c'est sa Force qui accomplit en vous la sâdhanâ.
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3227
Ces habitudes: dureté dans les paroles, colère, etc., formées par la conscience physico-vitale, sont très difficiles à transformer car elles sont soutenues par le subconscient. Si l'on peut en triompher ou les transformer par la force de la volonté ou de la maîtrise mentale ou spirituelle, tant mieux. Mais si l'on ne peut pas le faire tout de suite, il ne faut pas en être bouleversé ni penser que l'on est inapte. La plupart des sâdhak parviennent plus facilement à réaliser le Divin ou à entrer dans la conscience psychique qu'à transformer cette partie de la nature; mais une fois que la conscience psychique gouverne ou que la conscience supérieure descend, ces habitudes s'en vont beaucoup plus aisément. Vous ne devez donc pas vous laisser décourager par ces récurrences ou ces persistances, mais toujours essayer de vous retirer dans une tranquillité intérieure et si elles viennent, les laisser passer comme un nuage devant la lumière. En temps opportun la Force finira par s'en charger.
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3228
C'est en effet un très bon signe que la colère, quand elle apparaît, soit brève et atténuée et ne s'extériorise plus, car c'est là, toujours, l'indication très nette d'une étape dans le rejet de quelque chose dont la nature ne veut pas. Cela se produit encore, mais plus avec la même force, la même durée, intensité, totalité. L'extériorisation a souvent pour but de mettre en évidence — ou à l'épreuve — le progrès qui a été fait dans la nature extérieure elle-même, car lorsqu'on est entièrement intériorisé, ces mouvements extérieurs demeurent assoupis et il n'est pas facile alors d'évaluer à quel point ils sont transformés. Mais c'est évidemment l'intériorisation qui aide le plus à libérer la nature.
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3229
Si vous ne vous êtes pas mis en colère, c'est sans doute que la force vitale de l'attaque diminue et agit davantage dans le mental physique et dans le vital extérieur (physique). Vous êtes capable d'une grande force dans l'action; dans la croissance intérieure et l'action de la sâdhanâ, vous avez aussi une force du psychique et du vital; seul l'être extérieur se heurte à ces difficultés sur son chemin et en est momentanément submergé ou affecté. Des obstacles s'interposent toujours lorsqu'on veut progresser dans la sâdhanâ, mais si l'on est sincère dans son aspiration, ces ennuis finissent par aider à préparer la victoire de l'âme sur toutes les résistances.
Tantôt la volonté intérieure est prédominante, tantôt elle cesse de l'être pendant un certain temps. C'est tout à fait normal. Cela dépend de certaines conditions que le mental physique ne voit pas. Quand on croît en connaissance, on devient conscient de ces conditions restées jusqu'alors inaperçues et on comprend mieux ce qui se passe.
Le feu est toujours le feu de la purification: il est très rouge lorsqu'il agit sur le vital; quand le vital ne dissimule plus le psychique, la couleur rosé du psychique émerge de plus en plus.
La maison, dans votre vision, est la nouvelle construction de la nature — particulièrement dans le vital — que la sâdhanâ est en train de préparer.
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3230
Si la tranquillité n'est pas encore stable et que la colère revient, c'est parce que vous laissez votre mental physique devenir actif. À propos de la sâdhanâ, il commence à penser que vous avez ce défaut-ci, et ce défaut-là, et que par conséquent la sâdhanâ ne peut être immédiatement efficace et parfaite. Le vital devient alors nerveux ou mélancolique et dans la mélancolie, un état d'irritation apparaît. En même temps, ce mental devient actif, comme maintenant à propos de X, ou commence à juger, à critiquer, ce qui amène aussi de la nervosité et de l'irritation. Tout cela appartient à l'ancien mental que vous essayez de quitter et s'oppose donc à la concentration et à la tranquillité. Il faudrait l'étouffer dans l'œuf en rejetant les suggestions du mental physique dès le début. Une conscience nouvelle est en train de naître, fondée sur le silence et le calme intérieurs. Vous devez attendre tranquillement qu'elle se développe. La vraie connaissance, les vraies perceptions des gens et des choses viendront dans cette nouvelle conscience silencieuse. La vision mentale des gens et des choses est forcément soit limitée et défectueuse, soit erronée: continuer à fonder son jugement sur elle est maintenant une perte de temps. Attendez que la nouvelle conscience se développe et vous montre tout sous une lumière nouvelle et vraie. Alors la tendance à la colère qui jaillit de ce mental, et qui est une violente impatience dirigée contre ce qui déplaît au mental et au vital, n'aurait pas de raison d'apparaître; si elle apparaissait sans cause, vous pourriez plus facilement la rejeter. Reposez-vous pour la sâdhanâ sur la grâce de la Mère et sa Force, en vous souvenant sans cesse de ne conserver pour votre part que deux choses: la tranquillité et la confiance. Quant aux choses et aux gens, laissez-les aussi à la Mère; vous avez des difficultés dans votre nature, ils en ont aussi; mais pour s'en occuper, il faut de la perspicacité, de la sympathie, de la patience.
Pour se débarrasser de l'attachement aux objets, les rejeter physiquement n'est pas la meilleure façon de procéder. Acceptez ce qui vous est donné, demandez ce dont vous avez besoin et n'y pensez plus, n'y attachez pas d'importance; utilisez-les quand vous les avez, ne soyez pas troublé par ce qui vous manque. C'est le meilleur moyen de se débarrasser de l'attachement.
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3231
Si vous regardez de près, vous verrez que tout cela — la grossièreté de l'un, la colère de l'autre — est infime et doit être accepté avec indifférence. Ne les laissez pas vous troubler à ce point. La seule chose de suprême importance est votre sâdhanâ et votre développement spirituel. Que rien n'affecte ni ne trouble cela.
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3232
Les Essais sur la Guîtâ exposent le Karmayoga ordinaire tel qu'il est décrit dans la Guîtâ, où le travail à faire est le travail ordinaire de la vie humaine sans rien de plus qu'un changement intérieur. Là aussi, la violence dont il faut faire usage n'est pas une violence personnelle issue de mobiles égoïstes, mais une partie du système ordonné de la vie sociale. La violence individuelle mue par la colère, la passion ou un mobile vital quelconque ne peut avoir aucune justification spirituelle. Dans notre yoga, nous avons pour but de nous élever au-dessus de la vie ordinaire des hommes et la violence doit être complètement laissée de côté.
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3233
Une transformation intérieure, psychique ou spirituelle, ne peut pas être effectuée par la violence. Ce n'est pas un changement de conduite qui doit se faire dans les sâdhak, mais une transformation où l'âme et l'esprit doivent gouverner le mental, le vital et le corps, au lieu que ce soit l'inverse. La violence est en contradiction flagrante avec cet objectif; elle donne le commandement à l'égoïsme mental, à la passion vitale et à la fureur, ou encore à la cruauté. Le fait que la violence existe dans la Nature ordinaire ne légitime pas son usage dans le travail spirituel.
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3234
En toutes choses il faut maîtriser la pensée et aussi la parole. Mais tandis que la violence radjasique est exclue, une sévérité calme et puissante en pensée et en parole, lorsque la sévérité est de mise, est parfois indispensable.
3235
Si vous voulez faire le yoga, vous devez vous débarrasser de la peur. Le yoga et la peur ne vont pas ensemble.
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3236
Il est vrai que ce que l'on redoute a tendance à se produire tant que l'on n'est pas capable de le regarder en face et de surmonter le mouvement de recul. Il faut apprendre à s'appuyer sur le Divin et à surmonter la peur, en faisant confiance à l'aide qui vous portera à travers toutes choses, si déplaisantes ou contraires soient-elles. Même par leur intermédiaire, une Force travaille pour le chercheur et le porte vers son but.
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3237
Oui, la peur suscite des terreurs imaginaires; même si le danger est réel, la peur n'est d'aucune aide: elle obscurcit l'intelligence, abolit la présence d'esprit et empêche de voir ce qu'il faut faire.
Laissez la Force qui est à l'œuvre augmenter jusqu'à vider complètement la conscience de tout élément indésirable.
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3238
C'est une erreur de croire que vous pouvez progresser par la peur ou le chagrin. La peur doit toujours être rejetée, car ce que vous craignez est exactement ce qui sans doute vous arrivera: la peur attire l'objet de la peur. Le chagrin affaiblit et vous expose davantage encore aux causes du chagrin.
On peut être tranquille, heureux, plein de bonne humeur, d'une manière qui n'a rien de léger ou de creux, et le bonheur n'entraîne pas forcément une réaction vitale. Tout ce que vous devez faire, c'est observer et rester vigilant, en veillant à ne pas consentir à des mouvements faux ou au retour des vieux sentiments, de l'obscurité, de la confusion, etc. Si vous restez vigilant, la Force qui vous soutient grandira et, avec elle, un pouvoir de se maîtriser, une faculté de voir et de rejeter la mauvaise tendance ou la mauvaise réaction quand elle apparaît. La peur et le chagrin ne vous donneront pas cette faculté. Elle ne viendra que par la vigilance accompagnée d'une ouverture à la Force qui vous soutient et vous guide. C'est précisément cette maîtrise et cette vigilance que vous décrivez comme la capacité de choisir ce qui est juste et le sentiment de force, ou de pouvoir, qui peut arrêter le mouvement faux et choisir le mouvement juste dès qu'il les discerne. Grâce à cette maîtrise et à cette vigilance, soutenues par la Force, vous pouvez empêcher les désirs égoïstes et les impuretés de se mêler aussi à l'amour et à la dévotion ou de s'y substituer. Plus vous vous ouvrirez, plus ce pouvoir augmentera en vous.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 3.
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3239
Vous devez rejeter la peur autant que la colère et suivre tranquillement votre chemin, en plaçant votre confiance en la Mère.
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3240
[Moyens d'éliminer la peur:] Amener la force et le calme dans le vital inférieur (région au-dessous de l'ombilic). Et aussi par la volonté, en imposant le calme à l'organisme quand la peur surgit. On peut employer un moyen ou l'autre, ou les deux à la fois.
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3241
Il n'y a pas de peur dans la Nature supérieure. La peur est une création du plan vital, un instinct de l'ignorance, un sens du danger accompagné d'une violente réaction vitale qui remplace et en général empêche ou déforme la compréhension des choses. On pourrait presque la considérer comme une invention des forces hostiles.
3242
La jalousie ne devrait pas exister sans cause, car elle est alors absurde et sans signification, mais même lorsqu'on a une raison d'être jaloux selon les critères habituels, elle ne devrait pas apparaître car elle est sans noblesse et tout à fait antiyoguique.
La Mère vous accordera certes toute son aide pour vous débarrasser du lobha.
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3243
C'est évidemment l'ancienne réaction: la jalousie est certainement là, sinon vous ne ressentiriez pas ce violent chagrin. Qu'elle subsiste encore dans les recoins et s'élève avec une telle véhémence démontre à quel point ce mouvement 3 était profondément enraciné dans votre conscience physique. j Vous n'avez pas été capable, de le déraciner parce que lorsqu'il se manifeste, vous vous associez totalement à lui et vous abandonnez à ses vociférations et à sa violence. Vous devez avoir la force de vous en retirer dans la partie de votre nature qui est libre; alors seulement vous serez capable de le repousser loin de vous; et il ne consentira à disparaître pour ne plus revenir que si vous le repoussez chaque fois qu'il s'élève. Notre soutien et notre aide vous sont acquis, mais vous devez en demeurer conscient, et vous ne devez pas laisser des idées fausses comme celles de ce matin amoindrir le sentiment d'unité et de contact avec la Mère.
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3244
Je ne vois pas pourquoi vous établissez une si grande différence entre les querelles et la jalousie à propos d'autres femmes et les querelles et la jalousie à propos d'autres attirances sans caractère sexuel. Les unes comme les autres naissent de la même impulsion primitive: l'instinct de possession qui est la base de l'amour vital ordinaire. Dans le deuxième cas, comme souvent la jalousie sexuelle n'est pas possible, le mental s'appuie sur d'autres motifs qui lui semblent tout à fait raisonnables et légitimes; il peut ne pas avoir conscience d'être poussé par le vital, mais les querelles et l'acuité du désaccord sont là tout de même. Que vous ayez ou non éprouvé les deux formes de ce sentiment importe peu et ne rend les choses ni meilleures ni pires. Ce qui importe, c'est de se débarrasser de l'instinct lui-même, qu'il s'agisse de psychologie ou de transformation spirituelle.
La seule chose de quelque importance est que l'ancienne personnalité, que vous étiez en train d'expulser, s'est pour le moment réaffirmée, comme vous l'avez vous-même constaté. Elle a introduit la confusion dans votre mental, sinon vous n'auriez pas demandé si elle est encore là et comment cela se concilie avec le fait que j'avais jugés vrais et réels votre aspiration à vous tourner entièrement vers la Mère et l'aperçu que vous avez eu de cette possibilité. Ils étaient vrais, et réels, et sincères, bien sûr, et ils sont toujours là, même si pour un moment ils sont voilés. Vous devez savoir maintenant que l'être n'est pas fait d'un seul bloc: si une partie change, tout ne change pas miraculeusement au même moment. Un résidu des choses anciennes peut rester là, submergé, et réapparaître si la pression et la ferme résolution de s'en débarrasser se relâche. Je ne vois pas à quoi vous faites allusion quand vous parlez de la phrase: "La lumière et l'ombre, la vérité et le mensonge ne peuvent demeurer ensemble", mais cela ne peut certes signifier qu'une chose: dans l'effort spirituel, on ne peut leur permettre de demeurer ensemble: la Lumière et la Vérité doivent être conservées, l'Ombre, le mensonge ou l'erreur doivent être expulsés complètement. Cela ne signifiait certainement pas que les êtres humains sont, intérieurement, tout lumière ou tout ombre, et que tous ceux qui ont en eux une faiblesse quelconque n'ont dans leur nature ni lumière, ni aspiration sincère, ni vérité. S'il en était ainsi, le yoga serait impossible. Tous les sâdhak de notre Ashram seraient taxés d'insincérité et accusés de ne pas pratiquer réellement la sâdhanâ; car en qui donc n'y a-t-il ni obscurité ni mouvement d'ignorance?
Si le niveau d" votre conscience s'est abaissé, c'est qu'au lieu de bannir de vos pensées la dispute avec X en la considérant comme un mouvement momentané, vous avez commencé à la ruminer et à prolonger l'humeur fausse qu'elle apportait. Cultiver les sentiments qu'elle suscite en vous est inutile. Vous n'avez qu'à faire ce que j'ai essayé de vous dire. Retirez-vous d'eux et, ayant constaté ce qui est dans la nature, écartez-les tranquillement, retournez à la vraie conscience, en vous ouvrant pour recevoir une fois de plus la Vérité qui crée en vous un être nouveau, et laissez-la descendre dans toute votre nature.
APPENDICE
THOUGHT THE PARACLETE
As some bright archangel in vision flies
Plunged in dream-caught spirit immensities,
Past the long green crests of the seas of life,
Past the orange skies of the mystic mind
Flew my thought self-lost in the vasts of God.
Sleepless wide great glimmering wings of wind
Bore the gold-red seeking of feet that trod
Space and Time's mute vanishing ends. The face
Lustred, pale-blue-lined of the hippogriff,
Eremite, sole, daring the bourneless ways,
Over world-bare summits of timeless being
Gleamed; the deep twilights of the world-abyss
Failed below. Sun-realms of supernal seeing,
Crimson-white mooned oceans of pauseless bliss
Drew its vague heart-yearning with voices sweet,
Hungering, large-souled to surprise the uncanned
Secrets white-fire-veiled of the last Beyond,
Crossing power-swept silences rapture-stunned,
Climbing high far ethers eternal-sunned,
Thought the great-winged wanderer Paraclete
Disappeared slow-singing a flame-word rune.
Self was left, lone, limitless, nude, immune.
LA PENSÉE-PARACLET
Comme vole en vision quelque brillant archange
plongé dans les immensités perçues-en-rêve de l'esprit,
passées les longues crêtes vertes des mers de la vie,
passés les ciels orangés du mental mystique,
s'envola ma pensée de-soi-même-perdue dans les vastes de Dieu.
Inlassables les larges ailes éployées miroitantes du vent
soutinrent la quête rouge or des pieds qui parcouraient
de l'Espace et du Temps les bords muets évanescents. La face
lustrée aux traits bleu pâle de l'hippogriffe,
érémitique, seul, osant les voies sans but,
sur les sommets purs-de-monde de l'être hors-du-temps
étincelait; les crépuscules profonds de l'abîme-du-monde
s'éteignaient au-dessous. Des royaumes-de-soleil d'une voyance supernale,
des océans de félicité sans fin enlunés de blanc cramoisi
de leurs voix douées attiraient la vague aspiration de son cœur.
Avide, l'âme béante pour percer sous leur voile de feu blanc
les secrets insondés du suprême Au-delà,
traversant des silences balayés-de-pouvoir et interdits-d'extase,
gravissant de hauts et lointains éthers au soleil éternel,
la Pensée, Paraclet errant ailé de grandeur,
disparut en chantant un lent hymne au verbe de flamme.
1 "Après tout nous sommes humains, nous ne sommes pas devenus des dieux."
2 En français dans le texte.
3 Ce texte a été publié en supplément au Bulletin du Centre international d'éducation, volume XXV, n 2 (avril 1973). La Mère l'avait alors intitulé: La vérité qu'il faut réaliser maintenant.
4 Ce paragraphe figure au chapitre 1 de Lumières sur le Yoga. traduction de la Mère.
5 Correspondance avec Sri Aurobindo et entrevues avec la Mère.
6 En français dans le texte.
7 Il est possible de puiser régulièrement la Force; ce n'est pas ce que j'entends par tirer: puiser la Force est très fréquent et salutaire (note de Sri Aurobindo).
8 Par exemple la crainte russellienne du vide, qui est le nom donné au Silence par le mental actif. Pourtant, c'est sur ce que vous appelez le vide, sur ce Silence, que tout mon yoga s'est fondé, et c'est à travers lui que sont venues par la suite toutes les richesses inestimables de la connaissance, de la Volonté et de la Joie plus grandes; toutes les expériences des régions plus grandes du mental, du psychique et du vital, tous les échelons supérieurs jusqu'au surmental et au-delà. La coupe a souvent dû être vidée pour se remplir de nouveau; le yogi, le sâdhak ne doivent pas avoir peur du vide ou du silence. (Note de Sri Aurobindo.)
9 "Je mourrais si je devais reconnaître mes fautes."